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jeudi 1 août 2024

Meutes : Lune Rouge T01

L’horreur, c’est le chaos. Et ça ne se définit pas le chaos…


Ce tome est le premier d’un diptyque ; la seconde moitié étant Meutes : Lune Rouge 2/2 (2016). Sa première édition date de 2015. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Olivier Boiscommun pour les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante-deux pages de bande dessinée. Précédemment, le scénariste avait réalisé une série consacrée aux vampires : Rapaces (1998-2003, quatre tomes) avec Enrico Marini.


Paris, le cabinet d’un dentiste dans un immeuble haussmannien bourgeois, il constate que les canines d’Otis Keller sont des puissantes, bien développées, de véritables outils, comme les autres membres de sa famille. Il dirait presque qu’il s’agit de dents de vampire, intéressant pour un dentiste. L’adolescente s’inquiète de savoir si ça la rend laide ; il répond qu’elle n’en est pas encore à mordre le cou de ses soupirants, et puis rien ne pourra la rendre laide. Elle sera comme sa mère : une beauté que le temps n’atteint pas, une beauté qui ne craint pas les rides. En revanche, il faudra qu’elle fasse vérifier ces tiraillements qu’elle sent dans sa mâchoire, et qu’elle prévienne son médecin de famille si cela s’aggrave. Elle répond qu’elle déteste le docteur Grandjean. Mais ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’elle déteste tous les amis de son père, surtout ceux avec qui il partage ses chasses, ces maudites chasses qui l’éloignent régulièrement pendant quelques jours. En quoi son instinct ne la trompe pas, elle devine les zones d’ombre qui entourent son père. Des ombres qui s’approchent parfois dangereusement. Dans un restaurant, le garagiste Van Esse vient trouver M. Keller et lui indique que c’est cent mille euros pas moins, une somme qui ne devrait pas lui poser de problèmes. Le garagiste s’en va, ses affaires ne sont guère brillantes mais il se dit que la chance lui sourit. Enfin. En quoi il se trompe lourdement.



Orson Keller prend son portable et appelle Oblast, pour lui dire qu’il va avoir besoin de ses services. Après que son interlocuteur l’a rassuré sur sa protection, Keller lui expose la situation : le propriétaire du garage a trouvé de petites traces de sang dans le coffre de la voiture. Oblast se souvient : mauvaise chasse, manque de chance. Keller continue : ce n’était pas grand-chose, mais en fouillant le coffre leur homme est tombé sur un bout de papier, une facture, avec un nom dessus, celui de Becker. Cela a pour effet d’alarmer Oblast qui demande l’adresse de Van Esse. Le soir-même, dans une banlieue, le garagiste arrive à son pavillon : il entend l’aboiement des chiens, qui se mue en cri de souffrance, avant de s’éteindre. Il ouvre la porte de son garage et il découvre leurs cadavres ensanglantés. Le lendemain, Oblast appelle Keller pour lui conformer que son problème est réglé. Il lui demande également comment se porte son épouse, ainsi que leur fils Oscar, car le temps de son initiation approche. Dans l’après-midi, Mme Keller emmène son fils Oscar et sa fille Otis voir un film de loup garou, avec Régis un copain d’Otis. Cette dernière indique à sa mère qu’elle prendra une rangée vers le fond avec Régis.


Pas de mystère dans la réalité des événements : le mot Meute du titre évoque une troupe de chiens ou de personnes acharnées, la Lune rouge en fond atteste de son pouvoir, un doute passe furtivement avec la remarque du médecin sur les canines de vampire, puis il est évacué par le film sur les loups garous. Les auteurs ne font donc pas mystère de ce qui se trame réellement dans la famille Keller, et de quel genre de meute est responsable Oblast. Cela neutralise de fait tout effet de surprise, ou de révélation. De la même manière, le fait que la première séquence soit consacrée à Otis, la fille de la famille, indique d’entrée de jeu que la passation traditionnelle d’un père à son fils va capoter et qu’Otis va faire exception, ou que ça se finira mal pour elle. Les auteurs prennent le risque de situer leur récit à l’époque contemporaine, avec téléphones portables, dans un milieu urbain, ce qui rend plus difficile la discrétion pour ces créatures surnaturelles qui doivent observer le plus grand secret. La narration visuelle sort des clichés habituels dans les bandes dessinées d’horreur avec des couleurs pastel, des traits de contour discrets et fins, conservant la sensation que la majeure partie des dessins sont en couleur directe. Lorsqu’ils apparaissent pour la première fois, le lecteur constate que les loups garous présentent une apparence plutôt élancée, plus humaine que bestiale, avec quand même de grandes griffes, et bien sûr de grandes canines.



Le charme de cette bande dessinée opère d’abord visuellement : cette belle avenue, avec ce bel immeuble haussmannien, une lumière un peu terne dans ce paysage d’automne comme en attestent les feuilles qui virevoltent au vent. La lumière jaune discrètement teintée de vert crée une atmosphère vaguement irréelle dans le cabinet du dentiste. Deux pages plus loin, le lecteur admire également la façade de l’immeuble depuis lequel Oblast répond à l’appel de M. Keller. La salle obscure du cinéma ne l’est pas tant que ça, mais les images fluctuantes sur l’écran apportent une touche fantastique aux spectateurs dans leurs fauteuils. Ainsi de séquence en séquence, le lecteur prend le temps de regarder les immeubles et les maisons, les extérieurs et les intérieurs en laissant l’ambiance lumineuse agir sur son état d’esprit. Le lycée d’Otis et Line dans une lumière aux reflets jaune et vert, le roux des feuilles d’automne qui fait ressortir le pelage blanc du chien-loup qui suit Otis Keller dans la rue, le vert des pelouses du jardin du Luxembourg en harmonie avec le roux de l’automne, la forme étrange des nuages dans le ciel pour laisser la Lune briller, le bleu givré d’une vitrine mettant en scène le petit chaperon rouge et le loup, les teintes impitoyables de bleu, rouge et gris lors de la chasse dans les bois, le bleu de minuit dans les étages en sous-sol du parking sous le garage de Van Essel.


Dans chacun de ces environnements solidement représentés, les personnages s’écartent également des représentations conventionnelles des récits d’horreur. Otis Keller dispose d’une morphologie normale, sans exagération de ses rondeurs, avec des expressions de visage de son âge, une certaine assurance dans ses gestes et ses postures, en cohérence avec sa façon de prendre l’initiative dans ses relations avec Régis, style grand romantique timide, pas très dégourdi comme le dit Line, la copine d’Otis. Oscar, le petit frère, apparaît comme un jeune garçon blond, un peu fade, ce qui renforce la présomption qu’il n’est pas prêt pour l’initiation. L’artiste sacrifie aux représentations stéréotypées des hommes de la meute : des beaux hommes élancés, avec une touche aristocratique dans le maintien et les tenues vestimentaires. Cette direction d’acteurs aboutit à des personnages plus nuancés, que ce soit Otis, Line et Régis, ou même des seconds rôles comme les trois voyous de rue quand leur agressivité leur fait défaut face au regard insistant d’Orson Keller.



Régulièrement, le lecteur se rend compte que l’aspect peut-être un peu doux des dessins, sans être fade, permet à l’artiste de faire passer des moments singuliers. Pendant le film, Otis et Régis en viennent à s’embrasser et voilà qu’une image de loup garou sauvage sur l’écran déclenche un mouvement impulsif irrépressible chez l’adolescente : elle mord son ami. La perte de sa virginité donne également lieu à un comportement pour le moins inattendu, dont certains éléments visuels viennent en écho à la morsure précédente. Le dessinateur emmène le lecteur ailleurs dans un glissement visuel vers le conte avec la devanture consacrée au petit chaperon rouge, une page silencieuse envoûtante. La première chasse déstabilise avec la vision d’une dizaine d’hommes nus prêts à courir dans les bois, puis par l’apparence très humaine des loups garous, l’horreur venant de l’utilisation de touches carmin. La narration visuelle continue de surprendre le lecteur, avec ces représentations très prosaïques d’un parking souterrain, puis la beauté architecturale de bâtiments en bord de Seine.


Dans la mesure où la couverture annonce une série en deux tomes, le lecteur en déduit qu’un certain nombre d’éléments de l’intrigue seront réglés en peu de temps : l’initiation d’Oscar, la place d’Otis dans la meute, le sort de Froman (le loup garou plus massif que les autres), le sort de l’aïeul, l’enquête du commissaire Pelegrini, ce qu’il adviendra du pauvre Régis, etc. Il prend donc les éléments de l’intrigue au premier degré : l’existence d’une famille jouissant de passe-droits au sein de la société, une société secrète devenue experte dans l’élimination de toute preuve de son existence, le goût du sang et le recours à l’assassinat. En effet ce premier tome raconte une histoire très concrète, une aventure, une variation sur le mythe de la créature du loup garou, sans qu’il soit possible de savoir à ce stade quel en sera le degré d’originalité.


Un premier tome à la narration visuelle très séduisante, proposant une approche différente du récit de loup garou, avec de très beaux visuels de Paris, et des moments fort surprenants. En arrière-plan, le chef de meute prépare sa succession, tout en parant au plus pressé pour éviter qu’un inspecteur de police un peu plus futé ne découvre leur existence. Intriguant.



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