Il faut être né ici pour pouvoir tenir le coup.
Caroline Baldwin est installée dans la maison ayant appartenue à son grand-père, au bord d'un lac. Le facteur se présente, apportant un colis pour Robert Louis. Baldwin lui indique qu'il s'agit de son grand-père et qu'il est décédé depuis plus de 5 ans. Il lui remet le colis, lui fait signer le bon de remise et s'en va. Dix jours plus tard, Caroline Baldwin descend d'un avion dans l'aéroport le plus septentrional du Québec. Répondant à sa question, un employé lui indique qu'elle a de la chance : le bus pour Ivulvik part dans une heure. Il n'y en a qu'un tous les trois jours. Caroline Baldwin monte dans le bus où elle est accueillie par Martha la conductrice qui lui demande si elle vient pour le déménagement : le village doit être déconstruit et reconstruit 200 kilomètres plus au sud. Caroline Baldwin se rend compte qu'elle est la seule voyageuse. Martha lui indique qu'elle peut s'installer confortablement car le voyage dure douze heures, si tout va bien. Caroline s'assoupit. Plusieurs décennies en arrière, Roseline Trembleur donne des cours à l'école où se rend Anna, la fille de Robert Louis. Un jour, alors qu'elle joue dans la prairie avec un copain, ils s'approchent d'une grange et Anna surprend son père dans les bras de Roseline Trembleur. Le lendemain tout le village cancane, évoquant les relations entre une blanche et un indien. L'épouse de Robert le met en demeure de choisir entre elle et sa maîtresse Roseline.
Le bus fait un arrêt sur la route : Martha et Caroline en descendent pour aller manger au Bear Bar. Remontée dans le bus, Caroline Baldwin relit la dédicace de Roseline à Robert, dans son livre intitulé Une nation en sursis, 50 ans chez les Inuits. Arrivées à Ivulvik, Martha et Roseline vont prendre chacune une chambre à l'établissement Arctic Bar, car il n'y a pas d'hôtel. Le jour même, Caroline Baldwin se rend chez Roseline Trembleur pour lui annoncer qu'elle a reçu le livre mais que son grand-père est décédé. Roseline évoque en une phrase sa relation avec Robert Louis, la demande de mutation qu'elle a fait il y a 50 ans suite à la découverte de leur relation, et son arrivée dans ce village éloigné de tout. Le soir, Martha et Caroline mangent ensemble à l'Arctic Bar et Caroline répond qu'elle ne repart pas le lendemain, qu'elle souhaite rester au village et qu'elle ne repartira que lors du prochain aller-retour de Martha. Elle s'endort en relisant le livre de Roseline Trembleur. Le lendemain matin, le patron de l'établissement lui annonce que c'est le jour où doivent arriver les équipes chargées de déménager le village. Nanouk (un jeune homme) propose à Caroline Baldwin de faire le tour du village. Il l'emmène devant une maison inclinée, ayant commencé à glisser vers l'océan. Il évoque l'effet du réchauffement climatique sur le permafrost.
Quel plaisir de retrouver Caroline Baldwin dans une nouvelle aventure. Le lecteur appréciant la série se fait une joie de retrouver cette jeune femme au caractère bien trempé, animée par un sens de la justice, évoluant dans des environnements que l'auteur prend plaisir à représenter. Cette fois-ci, André Taymans emmène son lecteur à Ivulvik, ou plutôt à Ivujivik, un village nordique du Nunavik, au Québec, et même le village le plus Nord du Québec, un village d'environ 400 habitants. Enfin, pas tout à fait parce que ce village Ivulvik ne correspond pas à celui d'Ivuljik dans la mesure où il est accessible en car alors qu'Ivuljik ne l'est pas, et qu'il est rongé par la mer alors qu'Ivuljik ne l'est pas. L'auteur a donc préféré inventer un village fictif plutôt que de proposer une balade touristique dans un qui existe vraiment. Cela ne diminue en rien le plaisir du lecteur de prendre le temps d'admirer chaque lieu : la grève au bord de laquelle se trouve la maison du grand-père Robert Louis, avec le bateau échoué et celui sur étais, la longue route enneigée empruntée par le car de Martha, les construction simples qui constituent les maisons à un étage du village d'Ivulvik, la maison qui a à demi basculé dans l'océan avec les cordages pour la retenir, l'école au toit rouge avec sa cloche, en bord de mer, les étendues enneigées sur lesquelles se déroule la course-poursuite en motoneige, les intérieurs sobres des maisons du village. L'artiste est passé maître dans l'art de montrer les caractéristiques d'un lieu de manière naturelle, sans donner l'impression de passer en mode guide touristique pour une présentation artificielle. Le lecteur voit les personnages évoluer normalement dans le village, en fonction de ses caractéristiques, plutôt que dans un décor de carton-pâte, sans épaisseur ni profondeur.
Un nouveau tome, c'est aussi le plaisir de retrouver la personne Carline Baldwin, avec son caractère et ses habitudes. Le lecteur peut comprendre qu'elle n'apparaisse pas en petite tenue dans ce tome car les températures ne s'y prêtent pas. De même, elle n'a pas d'aventure amoureuse, et son traitement médical n'est pas évoqué. Par contre elle ne refuse pas un verre d'alcool, et elle a toujours ce caractère bien trempé et parfois un peu impulsif : décider de partir au bout du Canada pour un simple livre, rêvasser pendant les trajets ou le soir dans sa chambre, avoir le contact facile avec les gens qu'elle rencontre, mais sans se laisser mener par le bout du nez. Le lecteur observe les expressions sur le visage de Caroline et peut se faire une bonne idée de son état d'esprit : agréablement surprise par ce qu'elle découvre dans la lettre adressée à son grand-père, songeuse, directe et franche, curieuse et attentive, concentrée pour observer ce qui l'entoure, les faits et gestes des individus, focalisée sur un objectif pour découvrir ce qu'on lui cache, entêtée quand elle refuse de se rendre à des arguments qu'elle juge fallacieux. Avec des traits simples, le dessinateur rend ses personnages expressifs, sans forcer le trait. Les autres protagonistes sont tous singuliers : le facteur âgé avec sa moustache et sa casquette, la conductrice de bus en surpoids, le propriétaire du bar avec son bouc bien taillé, Roseline Trembleur et ses cheveux blancs, et il est impossible de ne pas sourire en revoyant le grand-père de Caroline. En creux, Taymans peuple sa bande dessinée d'individus normaux et banals, mais pas fades ou interchangeables.
Caroline Baldwin se retrouve donc dans ce petit village où tout le monde se connaît, et qui s'apprête à un vivre un bouleversement extraordinaire : être déplacé. Cela donne lieu à quelques remarques dans différentes conversations, ainsi qu'à une tension entre les habitants et les ouvriers. Les dessins montrent les énormes engins de chantier, mais finalement l'auteur ne développe pas cet événement. Planche 14, l'auteur montre une maison qui a à demi basculé dans l'océan. Puis planche 15, Nanouk explique les effets du réchauffement climatique : le permafrost se dégèle, entraînant l'effondrement progressif dans la mer, cela commence avec les habitations situées au bord de l'eau. Le lecteur voit dans ces remarques l'expression d'une sensibilité écologique. André Taymans a inclus une autre observation sur l'écologie (la pêche intensive) avec une dimension économique, constatant la complexité d'une réalité qui touche aussi bien les pêcheurs que les habitants du village.
L'enquête comprend donc une dimension locale qui fait qu'elle est spécifique à l'endroit, et non pas générique indépendamment de la géographie ou des individus. L'implication de Caroline Baldwin se fait naturellement par un ancien amour de son grand-père, et la progression de l'enquête repose sur des rencontres, des discussions et un peu d'observation, le scénariste misant sur le naturalisme plutôt que sur les scènes d'action spectaculaires. Cela ne veut pas dire pour autant que le lecteur assiste à une enquête menée par Miss Marple, majoritairement depuis son fauteuil. Outre le voyage en bus sous la neige, le lecteur voit Caroline Baldwin aller espionner de nuit, s'enfuir en motoneige, poursuivie par d'autres motoneiges. Il se demande ce qu'elle a vraiment découvert et quelle est la nature du crime. La découverte fait sens, avec un motif original et des circonstances spécifiques à la région, à son isolement. Enfin, André Taymans explicite la nature du grand marcheur évoqué dans le titre.
Le lecteur accompagne avec plaisir Caroline Baldwin dans le grand nord canadien pour une enquête plus posée que d'habitude, lui permettant de découvrir un village en passe d'être déménagé, de regarder autour de lui les installations, et les habitants. Il voit le monde en train de changer du fait du réchauffement climatique, des habitants résignés à l'obligation de déménager, des secrets qui pèsent sur la communauté, une jeune femme faillible (elle se laisse enfermer) qui ne lâchera pas le morceau tant qu'elle n'aura pas découvert la vérité, qui fait face à des personnes avec plus d'années qu'elle, sans s'en laisser conter. La résolution fait apparaître qu'il n'y a pas de bonne de solution, qu'une communauté doit s'organiser pour perdurer, tout en supportant le poids de la culpabilité cachée. Le lecteur en ressort avec un goût de trop peu, ces thèmes n'étant pas très développés.
À la lecture de ton article, on ressent effectivement une forme de frustration due au manque de développement de plusieurs thèmes.
RépondreSupprimerDu coup, je me demande si cette région, bien que ce village soit fictif, a déjà connu des déplacements de certains de ses villages.
Toi qui es déjà allé au Canada, es-tu monté jusqu'à ces latitudes-là ?
Non, au plus haut, j'étais encore à 1.500km plus au sud.
RépondreSupprimerPour les villages menacés, je n'avais pas eu la curiosité de me renseigner. J'ai comblé cette lacune : oui, ça existe.
https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/201909/15/01-5241355-un-village-inuit-au-bord-du-gouffre.php