Ce tome constitue un recueil de 17 histoires des cavaliers de l'Apocadispe. La première édition date de 2018. Il a été entièrement réalisé par Libon (Ivan Terlecki). Ces personnages sont apparus pour la première fois dans le numéro 3703 du Journal de Spirou le premier avril 2009.
(1) C'est la rentrée et l'école accueille deux nouveaux Jé (un piaf anthropomorphe) et un autre (un chien à lunette). Monsieur Bentac, le maître, indique tout de suite à Chien et Jé qu'il sait comment mater les petits rigolos à forte tête. À la récréation, Olive (un toucan anthropomorphe) vient trouver Jé et Chien pour savoir si c'est eux qui ont tiré avec une gomme sur monsieur Bentac. Ce dernier est inconscient et emmené à l'hôpital. Le directeur vient annoncer que les élèves sont collés pour 3 mois. Les 3 chenapans s'évadent de la salle de colle et se rendent dans une usine désaffectée avec des produits chimiques. (2) La classe est en visite au Louvre et la maîtresse commente un premier tableau intitulé Le courage et la tempérance rendant hommage au Duc de Bléchint lors de la prise de Hombron. Les 3 garnements s'éloignent discrétos du groupe pour se promener en liberté dans les salles du musée. Ils apprécient beaucoup plus les tableaux de nu et les statues de personnes nues. Ils finissent par se faire attraper par un gardien qui les amène devant le conservateur parce qu'ils ont dessiné un zizi sur l'oreille de la Joconde.
(3) Les élèves sortent du cours de physique, le professeur leur demandant de réviser les quatre-vingt-cinq premiers chapitres du livre de cours. Olive a piqué un flacon de produit chimique pendant le cours. Ils finissent par comprendre qu'il s'agit d'un produit réagissant sur l'amidon. Chien est chargé d'aller demander à Jojo-le -bizarre où trouver de l'amidon pour pas cher. Ayant récupéré des pommes de terre, ils décident de tester le produit chimique, puis de construire une fusée. Dans les histoires suivantes, les trois larrons relèvent des défis variés de nature toujours aussi dangereuse qu'improbable : tirer la sonnette de Mamie Confiture, survivre à trois millions de mètres cubes de mousse de sardine, ayant nécessité d'évacuer la ville sauf eux, réaliser un vrai travail de bureau dans une vraie entreprise conseil, faire croire que Jé est toujours assez en forme après avoir été écrasé par des haltères pour pouvoir faire de la course à pied et une dictée, retrouver Jé perdu dans une usine hantée, faire un stage de groom d'ascenseur, recopier le bottin comme punition, faire un cadeau à la maîtresse, survivre à un voyage en car…
Libon est un auteur confirmé de bandes dessinées ayant aussi bien travaillé pour Fluide Glacial (Hector Kanon), que pour DLire & J'aime Lire, ou encore pour Spirou (Jacques le petit lézard géant, ou encore Animal Lecteur avec Sergio Salma). Le lecteur reconnaît immédiatement les caractéristiques de ses dessins. Il réalise des dessins descriptifs avec un degré significatif de simplification, en cohérence avec le fait qu'il s'agit d'une bande dessinée tout public. Les décors sont esquissés à grand trait et les personnages sont croqués de manière caricaturale, sur la base d'animaux généralement reconnaissables. Lorsqu'une scène se déroule pendant plusieurs cases au même endroit, l'artiste peut passer à un mode de représentation du décor en ombre chinoise colorée, sans plus détourer les éléments avec un trait encré. Lorsqu'il regarde les lieux avec un regard d'adulte, le lecteur perçoit les libertés prises avec la réalité, que ce soit dans la manière de s'en tenir à une forme générique, ou dans une utilisation de licence artistique pour certains volumes (par exemple la largeur improbable des allées du supermarché). Dans le même temps, il constate également la diversité des environnements et le fait que les dessins, aussi simples soient-ils, permettent de comprendre immédiatement où se trouvent les personnages. Il peut ainsi se trouver dans la salle de classe avec ses tables à 2, dans la cour de récré bitumée, dans les couloirs du Louvre aux plafonds arrondis, dans la forêt avoisinante et ses clairières, dans les rues de la ville, dans un supermarché, dans des bureaux, dans le hall d'un hôtel, dans un car scolaire, etc. Il apprécie la variété des lieux et la manière discrète dont Libon leur donne de la consistance.
En découvrant les premières pages, le lecteur se retrouve étonné de la densité narrative, le nombre de cases montant parfois jusqu'à 16 par page, ainsi que par le nombre de phylactères. L'auteur fait en sorte de raconter une histoire avec plusieurs développements en quatre pages. Il sait créer des situations à chaque fois différentes, avec une vraie intrigue racontant une aventure loufoque avec un déroulement conforme à la logique interne de la série. Sa deuxième surprise provient de la tronche des personnages. Un lecteur adulte effectue tout de suite le rapprochement avec des bandes dessinées comiques pour adultes, fonctionnant sur la base de caricature peu flatteuses. L'artiste réussit la quadrature du cercle en dessinant des personnages qui restent mignons malgré leur expression d'ahuris. Le lecteur voit bien des enfants, mais en même temps ils ne sont pas idéalisés sous une forme romantique ou gentille. Olive est souvent en train de transpirer à grosses gouttes, étant du genre angoissé, manquant totalement de confiance en lui, et subissant régulièrement de graves blessures. Chien a une tête de personne qui n'en pense pas moins, et qui fera quand même ce qu'il a décidé quoi qu'on lui dise, quelles que soient les consignes des adultes. Jé est plutôt le type arrangeant qui ne se pose pas trop de questions et qui ne voit pas le mal. De ce fait, un adulte peut se projeter dans ces personnages, ressentir de l'empathie pour leurs émotions, se reconnaître en eux.
Le lecteur adulte qui découvre cette bande dessinée peut être un peu déconcerté de prime abord par ce mélange d'histoires d'enfants pas sages à l'école et en dehors, et par une narration visuelle qui semble amalgamer des conventions tout public, avec des caractéristiques plus adultes dans la façon de voir les choses. Le jeune lecteur ne peut qu'être enchanté par ces enfants à l'imagination débordante, aux certitudes inébranlables et à l'aplomb leur permettant de transgresser les règles et les interdits avec une assurance à toute épreuve, avec à chaque fois des conséquences désastreuses et incontrôlables. Les 2 types de lecteurs sourient quand ils reconnaissent une référence culturelle, lorsqu'ils jouent à un jeu vidéo ce qui évoque Game Over de Midam & Adam, ou quand Olive fait un stage de groom d'ascenseur avec le costume de Spirou et se retrouve dans une aventure digne de celles de Spirou, ou encore quand les 3 compères organisent une partie de Quidditch, bien moins passionnante dans la réalité.
Bien sûr le titre et le dessin de couverture annonce une série de nature comique. Libon joue avec plusieurs registres d'humour. Il y a donc la personnalité des enfants qui évoque plus celle d'adultes bourrés de défauts, que celle de petits anges. Le lecteur sourit devant l'insolence de Chien, sa capacité à défier l'autorité, et à proposer des activités risquées et insensées. Il comprend très bien les hésitations d'Olive qui pâtit le plus de ces aventures, quasiment de manière systématique. En effet, Libon n'hésite pas à faire souffrir physiquement ses personnages : blessures et pansements, voire plâtres, sont souvent au rendez-vous. Fort heureusement, tout est réparé et oublié dès l'histoire suivante. L'auteur joue également sur une forme de naïveté enfantine : rien n'est impossible, de construire une fusée, à travailler dans une entreprise comme adulte, en passant par aller en prison, se perdre dans les bois, faire se mouvoir quelqu'un comme une marionnette, ou faire voler un avion construit soi-même (avec presque toutes les pièces). Le lecteur retrouve toute l'imagination des enfants, pas encore tenue par les contraintes pragmatiques de la réalité. Il se produit également un décalage irrésistible quand les adultes se mettent à raisonner avec le même simplisme, apportant des solutions aussi naïves aux désordres occasionnés par les enfants. Le lecteur sourit de bon cœur également quand les adultes se comportent comme les enfants l'imaginent, que ce soit en donnant à recopier le bottin comme punition, ou Mamie Confiture se mettant à suivre Olive partout, ou encore la maîtresse énumérant toutes les nuances de la couleur marronnasse.
Il est possible que le lecteur se surprenne à sourire régulièrement, sans pour autant rire franchement à chaque histoire. Toujours est-il que Libon déploie une verve humoristique impressionnante, à la fois par son exagération visuelle, à la fois par les situations. À l'évidence les 3 camarades de classe refusent d'apprendre de manière scolaire, préférant expérimenter par eux-mêmes, de préférence en faisant des choses non-conformistes. L'auteur n'hésite pas à les placer dans des situations d'adultes : ils deviennent alors des imposteurs fumistes à leur insu. Il fait un usage élégant de l'absurde à des fins comiques : Jé manipulé par des fils, es adultes incapables de se servir d'un ascenseur s'il n'y a pas un groom, Jé avec une vache dans le nez (si, si, littéralement). Dans ce contexte délirant, les blagues fondées sur un comportement normal n'en fonctionnent que mieux, que ce soit la maîtresse qui ne veut pas se taper une poésie pour son départ, le grand-père qui raconte ses vacances à faire des travaux à la ferme, ou encore Olive malade en car. Si le lecteur adulte peut se rendre compte qu'il ne fait que sourire à des situations d'enfants qui sont loin derrière lui, il rit franchement à l'honnêteté des adultes qui se conduisent sans respecter les faux-semblants imposés par la politesse.
L'énergie du dessin de la couverture et l'autodérision du titre peuvent aussi bien tenter un jeune lecteur qu'un lecteur adulte L'un comme l'autre découvre une succession de 17 histoires de 4 pages, avec à chaque fois une histoire bien dense, et un humour protéiforme, venant aussi bien des dessins que de l'intrigue, et du caractère des personnages. S'il est possible que les histoires prises une par une ne déclenchent que des sourires, l'effet cumulatif finit par se ressentir, et le lecteur s'amuse franchement à cette vision enfantine du monde, rehaussée par une mauvaise foi libératrice.
C'est vrai que la densité narrative a de quoi étonner ; je ne sais pas qui fait encore seize cases par planche aujourd'hui. Après, le style simplifié de l'artiste lui permet peut-être cette densité. Mais quand même...
RépondreSupprimerÇa m'a d'autant plus surpris que je partais avec l'a priori qu'il s'agit d'un album jeunesse, et que l'auteur opterait pour une forme plus simple.
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