Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. C'est le deuxième de la série après Jim Curious: Voyage au cœur de l'océan (2012). La première édition date de 2019. Il a été réalisé par Matthias Picard : scénario et dessin. Cet album comporte 56 pages de bande dessinée en relief. Deux paires de lunettes anaglyphes sont fournies en fin de tome.
Le jour se lève sur une petite maison située sur un quai, au bord de la mer, à côté d'un phare. Le soleil commence à briller. Jim Curious est allongé sur son lit : il a dormi dans son scaphandre. Une libellule vient se poser sur la visière de son casque intégral. Jim ouvre les yeux, il se dresse sur son séant et pose les pieds par terre. Il voit la libellule traverser son miroir. Il jette un coup d'œil sur le miroir et se voit en relief dedans. La libellule apparaît également en relief, ainsi que la porte de sa chambre et les murs. Il sourit. Il se lève et s'approche du miroir. Il regarde le reflet de son visage qui est normal. Il approche sa main de la surface du miroir : ses doigts traversent la surface du miroir. Il prend appui sur le montant du miroir et fait passer sa jambe droite à travers, puis il passe complètement. Jim Curious passe de l'autre côté et il se retrouve dans l'eau jusqu'à la poitrine, une eau calme, avec des petits ilets sur lesquelles se trouvent deux ou trois arbres. Devant lui, se trouve la côte : des arbres sur le littoral, un volcan dans le lointain, des libellules voletant dans l'air. Jim Curious avance tranquillement dans l'eau en marchant, en jetant un coup d'œil sur la flore des ilets.
Au fur et à mesure qu'il se rapproche de la côte, les ilets se font plus grands et les arbres deviennent plus hauts, plusieurs dizaines de mètres de haut. L'eau devient plus profonde et Jim se met à nager tranquillement. Les arbres s'apparentent plus à des essences de type bayou. Sous Jim Curious, le fond de l'eau semble être tapissé le sable blanc avec une flore aquatique. Jim Curious continue de progresser dans l'eau et il doit maintenant écarter des lianes pour pouvoir avancer. Devant lui, le volcan est très imposant et il y a une forêt à traverser pour pouvoir y accéder. Il continue d'avancer, avec de l'eau jusqu'à la taille. Les végétaux forment maintenant une sorte de voute au-dessus de l'eau et masquent la lumière du soleil. Bientôt cette couverture végétale devient plus clairsemée et Jim lève les yeux pour essayer d'apercevoir leur cime. La faune commence à être plus présente : grenouilles, libellules. Enfin Jim Curious peut sortir de l'eau et mettre pied sur a rive. Il prend soin de ne pas marcher sur le serpent qui passe devant lui.
Dans un premier temps, le lecteur s'interroge sur le lectorat visé. Le bonhomme tout rond en couverture, l'absence de tout texte fait penser à un album pour jeune lecteur, 6-7 ans. La minutie des dessins fait plutôt penser à des lecteurs un peu plus âgés pour qu'ils disposent déjà de la capacité de prendre le temps de s'intéresser aux détails, de les regarder pour s'y immerger. Le principe d'avoir un récit muet fait penser à Le voyage de Polo de Régis Faller, ouvrage qui se prête bien à une lecture enfant & parent, l'enfant pouvant raconter l'histoire à l'adulte. Bien sûr, les dessins en relief constituent une forme très particulière qui dicte une partie de la nature du récit. L'artiste fait en sorte de concevoir des images qui mettent à profit cette technique avec la construction de plusieurs plans dans chaque image, afin d'accentuer l'impression de profondeur. Le lecteur peut y voir un exercice de style où la forme (images en relief) dicte la nature du récit. Il faut une histoire qui serve de support à ces images en relief. De fait, pour cet album, Matthias Picard choisit un récit à connotation onirique pour son personnage. Jim Curious passe de l'autre côté du miroir : il s'agit d'une vision déformée de la réalité, où tout est possible, tout est très proche de la réalité, sans avoir la contrainte d'y être fidèle. En voyant le petit bonhomme dormant dans son scaphandre, le lecteur se dit qu'effectivement la tranche d'âge visée est plutôt celle de l'enfance.
Le lecteur chausse donc sa paire de lunettes anaglyphe et le voilà prêt à traverser le miroir comme Jim Curious pour entre dans un monde en trois dimensions, contenu dans sur des pages de papier en deux dimensions. Il relève bien sûr les éléments graphiques similaires à la réalité : un premier environnement qui évoque fortement une mangrove avec sa faune et ses arbres aux racines caractéristiques, une gigantesque tortue (bien plus grande que Jim), une nuée de papillons, un scarabée, un mandrill, un caméléon, un toucan, un tournesol, des éléments fabriqués par l'homme comme un mont en pierre, des ruines de bâtiments en pierre, des rails, une locomotive, un caddie de supermarché, etc. L'artiste réalise des dessins en noir & blanc, un noir tirant un peu vers le sépia. Il réalise des dessins dans un registre descriptif avec un fort niveau de détails, et un encrage soutenu. Cette dernière caractéristique peut donner une impression de cases un peu chargées, ce qui nécessite que le lecteur accepte de s'arrêter et de passer un peu de temps sur leur observation, et pas seulement un balayage rapide de l'œil. C'est cohérent avec le besoin de marquer une courte pause pour apprécier l'effet de relief. C'est également ce qui fait que la lecture de chaque dessin risque de nécessiter de l'aide pour les plus jeunes lecteurs, afin de les aider à déchiffrer l'illustration.
Dès le départ, le lecteur ressent également une touche d'onirisme : la petite maison à côté du phare, Jim dormant son scaphandre, la traversée du miroir, la découverte de ce monde très sauvage sans autre être humain évoquant des temps préhistoriques, la végétation pas tout à fait exactement identique à la réalité, le gigantisme de la tortue, les restes d'une civilisation humaine alors qu'il n'y a toujours aucun autre être humain vivant, des champignons aux formes bizarres, une zone désertique qui s'avère être une mer asséchée. Cette sensation de rêve est encore accentuée par le fait que Jim Curious se retrouve à avancer avec de l'eau jusqu'à la poitrine, comme s'il était encore dans un liquide prénatal, comme s'il n'était pas encore complètement né dans ce monde qu'il explore. Un peu plus loin, il se retrouve à avancer dans la pénombre dense d'une sorte de sous-bois, à nouveau une métaphore du passage d'un monde de ténèbres (le ventre de la mère avant la naissance) au monde de la lumière (après être sorti du ventre). Le fait de passer d'un monde évoquant les temps avant l'arrivée de l'homme, à un monde parsemé de déchets humains ajoute encore à l'impression de conte et de rêve.
La couverture en elle-même n'est pas en relief, mais l'utilisation des lunettes anaglyphes fait ressortir la couleur de la combinaison du petit bonhomme. Le premier effet relief se produit quand Jim Curious regarde dans le miroir : l'artiste s'est cantonné à cette partie de la case et l'effet de profondeur est saisissant, avec un effet de perspective du fait de Jim en premier plan, du miroir un peu plus loin dans la pièce, puis de l'effet 3D avec le reflet de Jim dans un plan reculé. Ça continue avec la case suivante : la libellule en premier plan, un effet de griffure par une demi-douzaine de traits qui évoquent le reflet sur la surface du miroir, et Jim qui se retrouve dans un plan bien mis en arrière par la 3D. Les dessins passent en mode relief dès la troisième page, quand le petit explorateur a complètement traversé le miroir. Le lecteur prend le temps d'incliner un peu la tête à gauche et à droite pour être sûr de ne rien rater du relief qui apparaît grâce aux lunettes anaglyphes.
Le créateur maîtrise très bien la technique du relief et fait apparaître jusqu'à 3 ou 4 plans différents dans certaines cases. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver l'effet saisissant et apportant beaucoup au plaisir de lecture, ou juste une méthode différente pour ce qui est généralement pris en charge par l'encrage ou par la mise en couleurs. Il note quand même que cet effet relief souligne remarquablement bien la différence de vision dans un dessin en pleine page, entre ce qui se situe à l'air libre, et ce qui est dessiné en-dessous de la surface de l'eau. Même s'il est blasé, au fil des pages, il se rend compte qu'il prend sciemment le temps de mieux regarder les dessins : lorsque Jim se trouve sous la frondaison de la mangrove pour voir ces 4 plans différents, pour voir la tête de la tortue bien devant sa carapace, pour une très belle vue du dessus d'une plante avec de nombreuses feuilles en corolle et un papillon qui volète au-dessus de son centre. Il s'arrête carrément pour un dessin en double page une nuée de papillons au-dessus de l'eau. Il est tout aussi frappé par le motif sur les ailes d'un papillon contrasté avec la végétation autour de lui. Matthias Picard ne fait pas semblant d'utiliser le relief et il assume pleinement le fait que cette technique lui dicte ses dessins pour la mettre à profit de manière exemplaire.
Dans un premier temps, le lecteur adulte éprouve la sensation de traiter ce récit de manière blasée : exploration linéaire, avec des éléments oniriques basiques, une absence de mots qui renforcent l'impression de simplicité. Rapidement, il tombe sous le charme des dessins très soignés, puis des effets de relief qui s'avèrent saisissants. Il voit un petit bonhomme naître dans un monde onirique, en sortant d'un milieu aqueux pouvant se voir comme une métaphore du liquide amniotique, passant par une phase de ténèbres avant de se retrouver sous la lumière du monde. Il remarque également que l'auteur n'économise pas sa peine, en termes de détails, en termes de variété des éléments dessinés, en termes d'ampleur visuelle avec un dessin s'étalant sur 4 pages (il faut les déplier). L'histoire s'avère peut-être moins simpliste quand on constate que Jim Curious part d'un monde vierge d'être humain pour finir dans une zone portant les déchets d'une civilisation moderne.
Très belle interprétation, avec une analyse convaincante et qui sonne juste.
RépondreSupprimerMerci de m'avoir fait découvrir cet ouvrage et cet auteur.
À vrai dire, je débarque en apprenant que l'on propose dorénavant des BD à lire en 3D : j'essaie de t'imaginer avec ces lunettes ridicules en train de lire ton livre.
La technique de la 3D est bien maîtrisée, toutefois, la largeur des lunettes (en carton avec un filtre rouge et un filtre vert) n'était pas adaptée à la largeur de ma tête, vraisemblablement parce qu'il s'agit d'un ouvrage plutôt destiné aux enfants. Donc, oui il ne devait pas y avoir que les lunettes de ridicule. :)
SupprimerCet été j'ai lu un autre ouvrage avec plusieurs pages en 3D et en couleurs : La tempête, le dernier tome de la Ligue des Gentlemen extraordinaires. Là aussi, une maîtrise parfaite de la technique. Il y avait eu quelques comics en 3D de manière sporadique dont une histoire de Batman par John Byrne parue en 1990.