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mardi 16 juin 2020

Dick Herisson, tome 10 : La Brouette des morts

Votre chantilly morale, vous pouvez vous la garder.

Ce tome fait suite à Les Aventures de Dick Hérisson, tome 9 : Le 7ème cri (2000) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 2002. Il a été réédité dans Dick Hérisson - édition intégrale volume 2 qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard (1950-2016), pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 48 planches de bande dessinée.


Au tout début des années 1930, Trégomeur arrive à Tonquédec en voiture, sous la pluie. Il s'arrête devant le château de Tonquédec et y pénètre à pied. Au détour d'un passage, il a la tête tranchée par un individu avec un heaume sur la tête, maniant une épée. Deux jours plus tard, Clarence Beaufixe arrive à Locquémeau en voiture. Il s'arrête chez un antiquaire et y déniche une photographie du manoir de Coat an Drez, mais situé dans la forêt, alors qu'en réalité il est situé en plein bourg. Il veut acheter la photographie, mais l'antiquaire lui dit qu'elle n'est pas à vendre. Déçu, Clarence Beaufixe reprend la route et parvient au château de Coat an Drez, en peine forêt. Il est dans un état de délabrement avancé. Beaufixe pénètre à l'intérieur et constate le fort état de dégradation. Il monte à l'étage et a la surprise de trouver une pièce en parfait état. Il y pénètre : il s'agit du bureau de son psychothérapeute le docteur Schnitt. Il s'allonge et lui raconte son rêve : la mort de Trégomeur, et que c'est lui qui portait le masque et qui l'a décapité sans pouvoir s'en empêcher. Lorsqu'il s'arrête de parler et qu'il rouvre les yeux, il se rend compte que Schnitt a arrêté de parler. Il se retourne et découvre que son analyste a lui aussi été décapité. Puis il se réveille au volant de sa voiture, arrêtée sur un bas-côté. Quelques jours plus tard, il se rend à sa consultation chez le docteur Schnitt, s'allonge et lui raconte tout ça. Quand il a fini, il se retourne et découvre que Schnitt a été décapité. Il pense qu'il va se réveiller, mais la police arrive et l'arrête.

Le lendemain, Mathilde Beaufixe, épouse de Clarence, (ex Mathilde de Kercroix), contacte Dick Hérisson et le rencontre dans un café de Montparnasse. Elle lui demande son aide pour innocenter son mari. Il accepte et se rend à l'asile Saint Yves à Tréguier. Grand admirateur de ses aventures, le responsable de l'établissement accepte de lui faire rencontrer Clarence Beaufixe dans sa cellule, restreint par une camisole de force. Beaufixe raconte toute son histoire à Hérisson. Ce dernier se rend à Locquémeau pour visiter la boutique de l'antiquaire. Il y retrouve le cadre, mais il n'y a plus la photographie du manoir de Coat an Drez situé dans la forêt. Alors qu'il hèle l'antiquaire, il en découvre le cadavre dans l'arrière-boutique, décapité. Il décide de retourner à l'asile Saint Yves, ce nouveau meurtre disculpant sans doute possible Clarence Beaufixe. Lorsqu'il y arrive, le responsable de l'établissement lui apprend que Clarence Beaufixe s'est évadé.



Depuis le tome 8, c'est devenu une marque de fabrique de la série de jouer ce qui est réel ou non. Didier Savard s'en donne à cœur joie avec la séquence d'ouverture. D'abord un meurtre à l'épée dans un château abandonné, puis une visite sans aucun rapport chez un antiquaire qui refuse de vendre une photographie, puis une visite dans un manoir abandonné avec une unique pièce en parfait état… mais c'était un cauchemar, mais les faits se reproduisent à l'identique dans la réalité. Au fil des pages, le lecteur se rend compte que l'intrigue est très dense, et il a bien du mal à distinguer l'anecdotique de ce qui relève du fil directeur. Par exemple, il s'attache à cette question de manoir situé en plein bourg et pas dans la forêt. Le scénariste fournit une première explication impliquant le retour de Pendrouët d'Amérique du Sud avec une diva et qui fait construire ledit manoir. Mai en fait cette première explication en planche 16 est complétée par une deuxième en planche 19 qui vient complexifier l'histoire, sans vraiment être très claire. L'enchâssement des séquences oniriques est également construit pour déstabiliser le lecteur. Finalement le premier décolletage à l'épée est un rêve, mais en fait non. Le deuxième dans le manoir abandonné en est un aussi, en fait oui, mais en fait non. Le troisième est un, en fait non pas du tout puisque que Clarence Beaufixe est bel et bien arrêté… mais le scénariste n'explique pas par la suite comme le psychothérapeute a été décapité à côté de Beaufixe, ni ce qu'est devenu la tête manquante, ni la raison pour laquelle la police fait irruption dans le cabinet juste à ce moment-là. Le lecteur se demande si le scénariste lui-même n'a pas rajouté des éléments au point de ne plus tout maîtriser, comme par exemple le personnage appelé Trégomeur au début, qui est appelé Kergomeur par la suite.

Ce n'est pas d’ailleurs la seule fois où Didier Savard raconte un événement, souvent un meurtre, qui ne reçoit pas d'explication rationnelle par la suite. Il avait déjà utilisé ce genre de dispositif narratif dans des tomes précédents, dans celui-ci il l'utilise à plusieurs reprises. Cela induit une certaine gymnastique de l'esprit pour le lecteur pour distinguer les faits qui font avancer l'intrigue, et les moments qui relève de la licence artistique, et qu'il est prié d'accepter en l'état. Le lecteur fournit un petit effort pour suivre le déroulement de l'intrigue qui s'avère dense et un peu échevelée, macabre et peuplée d'individus peu recommandables. Il constate également que Mathilde de Kercroix est de retour : elle était l'un des personnages principaux dans Dick Hérisson, tome 7 : Le Tombeau d'Absalom (1996). Il est également question de Tom Carr, cinéaste, personnage de premier plan dans Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu (1998). Enfin, Dick Hérisson fait une référence explicite à une situation similaire à celle où il se trouve avec Jérôme Doutendieu, survenue dans Une aventure de Dick Hérisson, tome 5 : La Conspiration des poissonniers (1993). L'auteur tisse ainsi une continuité entre plusieurs de ses albums, sans que le récit ne devienne inintelligible si le lecteur ne les a pas lus. Il effectue d’autres références explicites, à Chéri-Bibi (1913, 1919, 1925) de Gaston Leroux (1868-1927), Les contrebandiers de Moonfleet (1955) de Fritz Lang (1890-1976), Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock (1899-1980). Il reprend également une scène tirée d'un Tintin comme il l'avait fait dans le tome précédent : cette fois-ci il s'agit d'un individu enfermé dans une cave et tapant sur les canalisations pour se faire remarquer, à l'identique d'une scène dans Les Aventures de Tintin, Tome 18 : L'affaire Tournesol (1956).



Comme pour l'histoire, le lecteur observe que la narration visuelle s'est également densifiée. Au fil des albums, Didier Savard s'est éloigné d'une ligne claire propre et aérée, ses traits de contour devenant plus fins, moins réguliers, donnant une sensation d'images plus compactes et un peu rugueuses. Cela ajout fortement à l'impression que l'histoire est complexe et difficile à bien saisir. Pour autant, cette évolution n'enlève rien au plaisir de la lecture. Les personnages restent visuellement bien définis et fidèles à leur apparence pour Hérisson, Doutendieu et Mathilde de Kercroix/Beausite. Comme à son habitude, l'artiste exagère les autres personnages en leur donnant des trognes marquées, que ce soit Trégomeur, l'antiquaire, les pensionnaires de l'asile Saint Yves dont un se tourne vers le lecteur pour lui faire un signe, les trois habitués du café Le Korrigan qui semblent être en provenance directe de la partie de cartes de Pagnol, ou encore la mère Marchandeux. S'il y prête attention, le lecteur remarque que Savard s'amuse aussi avec des personnages apparaissant le temps d'une case, par exemple la vieille matrone bretonne en costume traditionnel qui emprunte un livre de Sade à la bibliothèque (planche 28), ou encore le gros monsieur qui lit un livre dans la même bibliothèque, livre contenant une lettre de l'alphabet par page.

Cette fois-ci l'enquête n'emmène pas Dick Hérisson à Arles, et c'est Jérôme Doutendieu qui fait le déplacement en Bretagne. Didier Savard a choisi des lieux existants pour la plupart comme Belle-Îsle en terre ou Tonquédec, Tréguier, Saint-Brieuc. Le lecteur constate que l'artiste s'implique toujours autant pour décrire avec minutie les décors réels. Il se régale donc en contemplant le château de Tonquédec, mais aussi les petits immeubles de ces villes, avec leurs poutres apparentes. Il investit autant de temps et d'énergie pour les deux manoirs Coat an Noz et Coat an Drez, ainsi que pour la belle maison des époux Beaufixe et son jardin, le labyrinthe de haies du jardin de la mère Marchandeux. Les intérieurs valent également que le lecteur s'y attarde pour les savourer : le local encombré de l'antiquaire, l'intérieur en ruine de Coat an Drez, l'aménagement du bureau du psychothérapeute, les meubles très simples du troquet Le Korrigan, la boutique du photographe Birlot, la bibliothèque municipale, la cave incroyable de Schnitt. En ce qui concerne ces décors, les traits moins réguliers et plus secs leur donne plus de consistance et de texture, les rendant palpables.

Ce dernier tome complet de la série comprend une évolution significative, entre les dessins donnant une sensation de fouillis, sans avoir perdu en précision, et une narration qui use allègrement du dispositif qui consiste à créer une situation bizarre et macabre, exigeant un supplément de suspension consentie d'incrédulité sans jamais recevoir d'explication. Dans le même temps, cela ne diminue en rien le plaisir visuel de la lecture, ainsi que le plaisir de ressentir les frissons liés à la possibilité du surnaturel, dans une intrigue très riche. Le lecteur referme ce tome avec un petit pincement au cœur en sachant qu'il ne reste plus qu'un tome inachevé, l'auteur étant décédé avant de pouvoir le finir.


3 commentaires:

  1. Je dois reconnaître que le niveau de détail des planches donne le tournis. Quel sens du détail ! Et de la composition, lorsque l'on observe le "local encombré de l'antiquaire", comme tu le soulignes. On est à des lieues du minimalisme, des arrière-plans expédiés ou bâclés. 
    Rien dans sa bio ne dit qu'il est passé par des écoles de dessin. Je lis juste qu'il a été dessinateur de presse. Du coup, peut-être que son talent impressionne encore plus, d'autant qu'il semble être accompagné d'une remise en question, car tu notes une certaine évolution de son style et une volonté de s'éloigner de la ligne claire "propre et aérée".   
    Je vois que Savard a fait preuve d'une belle régularité dans sa production. C'était en moyenne un album tous les deux ans.  
    Dernier tome, donc ! Merci, et bravo pour ces dix commentaires fournis. Reste une question : vas-tu lire le onzième tome ?

    P-S : Je ne sais pas pourquoi, mais il semble impossible de poster un commentaire depuis un téléphone...

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  2. Je n'ai effectivement pas retrouvé de mention indiquant que Didier Savard ait fait des études de dessins, pourtant son capacité à représenter des architectures ne vient pas tout seul.

    S'éloigner de la ligne claire et propre : il semble que ce soit une conséquence de la maladie plutôt qu'un choix esthétique voulu.

    Oui, le onzième tome est dans ma pile.

    Je ne poste jamais de commentaire depuis mon téléphone : trop fastidieux pour moi. Je sais que parfois je ne peux pas non plus poster de commentaires à partir de certains ordinateurs, ou avec certains navigateurs en fonction de leur configuration. J'essaierai de jeter un coup d’œil dans les paramètres du site, mais je n'y crois pas trop.

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  3. J'ai cherché sur blogger : je n'ai pas trouvé d'option pour gérer les paramètres de post sur le site, depuis un ordinateur ou un téléphone.

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