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mardi 3 juillet 2018

Alix Senator, Tome 3 : la Conjuration des Rapaces

Gallus, le même mot pour coq et gaulois…

Ce tome fait suite à Alix senator, Tome 2 : Le dernier pharaon (2013) et il conclut la trilogie commencée avec Alix senator 1 - Les aigles de sang (2012) qu'il faut avoir lu avant. Il est paru en 2014, écrit par Valérie Mangin, dessiné et mis en couleurs par Thierry Démarez, sous la direction artistique de Denis Bajram qui a également réalisé le logo et la maquette de la série.

En l'an 12 avant Jésus-Christ, à l'extérieur de Rome, dans le bois des Furies, les conspirateurs se sont réunis en portant leur masque de rapace et écoute le discours du premier augure (qui a retiré son masque). Il leur indique qu'ils doivent remplacer Auguste car il bafoue ce qui fait la grandeur de Rome, et qu'ils le remplacent par un homme pieux et respectueux des traditions, un vrai républicain. Il leur présente l'homme qui doit prendre la succession d'Auguste que tous acclament au nom de César. Ils jurent tous de tuer Auguste de manière solennelle, avant de se séparer.

À Rome, Auguste reçoit Barbarus, le préfet d'Égypte, en présence de sa femme Livie. Barbarus est en train de raconter des salades pour sauver sa peau, quand Auguste demande à Alix d'entrer pour en finir avec la mascarade. Alix Graccus explique comment il a pu réchapper de la destruction de la pyramide et regagner la civilisation. Le préfet est confondu et Auguste délivre sa sentence le concernant. Pendant ce temps-là, les soldats de l'empereur ont pénétré dans la demeure d'Alix. Le père de Khephren essaye de raisonner son fils qui refuse de l'écouter il est arrêté par les soldats et conduit à la prison pour être mis au secret. Ignorant de la situation, Alix accompagne Auguste et Livie sur la place devant le grand temple d'Apollon Palatin. Des prêtres accomplissent un rituel de sacrifice, en tuant un bœuf et en consultant ses entrailles, pendant qu'Auguste fait part de ses doutes à Alix quant à sa loyauté. Il évoque le sort de Césarion, et Livie évoque le fait qu'elle ait appartenu au parti de Marc Antoine avant d'épouser Auguste. Les entrailles du bœuf ayant livré leur augure, le grand prêtre vient le délivrer à Auguste.



Arrivé à ce troisième tome, l'horizon d'attente du lecteur est assez clair dans sa tête : une solide reconstitution historique dans laquelle il peut se projeter, la fin de l'intrigue de cette conjuration des rapaces, et quelques thèmes développés incidemment. Il apprécie de pouvoir retrouver la même équipe créatrice à l'identique des 2 premiers tomes. Valérie Mangin continue de faire en sorte que l'intrigue change régulièrement de lieu, à la fois pour maintenir un intérêt visuel à l'histoire, à la fois pour que l'artiste puisse faire ce qu'il réussit avec brio, à savoir offrir au lecteur des vues de Rome splendides. À nouveau, le lecteur peut admirer les rues de Rome en s'y promenant aux côtés des protagonistes, à la fois à l'occasion de vues du ciel méticuleuses. Thierry Démarez a à cœur de représenter avec exactitude les éléments urbains : les façades des bâtiments, leur architecture (y compris les colonnes), les toitures (il ne manque pas une seule tuile), les rues en en respectant l'urbanisme, la magnifique montée vers le temple d'Apollon Palatin avec ses escaliers et ses paliers monumentaux, la place devant les thermes, celle devant la Curie, etc. Non seulement l'artiste s'investit complètement pour une représentation exacte et réaliste, mais en plus il sait peupler ces lieux pour les rendre vivants.

Comme dans les tomes précédents, Thierry Démarez prend le même soin à représenter les différents intérieurs avec leur aménagement et leur ameublement : les appartements d'Auguste avec son carrelage magnifique, la cour intérieure de la demeure d'Alix avec ses vasques d'eau, la chambre de Khephren avec son lit, sa table basse et ses moulures, la curie avec ses sièges, les appartements de Julia alors qu'elle vient d'accoucher, et même la cellule bas de plafond de Titus. À nouveau, la mise en scène de l'artiste donne la sensation au lecteur que ces lieux sont vraiment habités et utilisés par des êtres vivants. Il ne s'agit pas d'une reconstitution académique et froide, mais de reportages sur des lieux vivants. 



Pour la majorité, le lecteur retrouve des personnages déjà apparus dans les 2 premiers tomes. L'artiste n'a donc pas à en concevoir de nouveaux, et il utilise toujours une direction d'acteurs de type naturaliste. Le lecteur peut voir dans les postures d'Auguste et Livie, leur habitude d'exercer le pouvoir et de se placer dans une position d'autorité, par exemple quand ils reçoivent Barbarus en audience. Dans le même temps, il peut voir ce dernier perdre sa contenance au fur et à mesure de l'entretien, dans la manière dont il se tient, et dans les expressions qui passent sur son visage. Auguste et Livie conservent ce port de tête altier et cette posture très droite un peu guindée quand ils se rendent au temple d'Apollon Palatin. au travers du rendu visuel du comportement des personnages, le lecteur peut en inférer leur état d'esprit : la méfiance d'Auguste à l'encontre d'Alix, la défiance et le mépris des jeunes romains aux Thermes s'en prenant à Titus et Khephren, le mal être de Khephren se manifestant sous forme de provocation à l'égard d'Alix, l'inquiétude de Septima du fait de la fugue de Khephren, etc. Cette expressivité permet aussi à Démarez de jouer avec le lecteur lorsque que le visage d'un personnage reste à dessein indéchiffrable, par exemple celui d'Alix lors du massacre accompagnant la résolution de la conjuration.

De séquence en séquence, le lecteur apprécie également les talents de metteur en scène de Thierry Démarez. Il sait reproduire des angles de vue évoquant les aventures originelles d'Alix l'intrépide, par exemple le plan sur un cours d'eau, pris à partir des ruines d'une pyramide, en page 7. Il combine de manière élégante 2 actions qui se déroulent concomitamment à proximité, par exemple la juxtaposition de la progression d'Auguste, Livie et Alix sur les marches du temple d'Apollon Palatine, et le sacrifice du buffle pour y lire les augures. La gestion de prises de vue complexes apparaît également lors de la scène des thermes, avec un grand nombre de figurants, lors de la résolution de la conjuration, ainsi que lors des scènes de complot nocturnes. L'approche descriptive et précise des dessins rend d'ailleurs ces scènes un peu délicates car en les montrant de manière factuelle, elle fait ressortir le risque pour les conjurés d'être découverts par une patrouille, car s'ils ne se réunissent pas au grand jour, ils le font à découvert.



Tout comme Thierry Démarez, Valérie Mangin soigne sa reconstitution historique, sans non plus transformer son récit en cours magistral ou démonstratif. S'il y est sensible, le lecteur peut noter des détails qui étoffent le récit, sans prendre le pas dessus, sans se substituer à l'intrigue, comme la blessure à la jambe d'Auguste, le sacrifice des animaux pour y lire l'avenir, la source d'approvisionnement en blé de Rome, ou encore le jeu de mot sur Gallus. La conséquence de ce souci d'authenticité est que le lecteur connaît le dénouement de la conjuration avant même d'avoir ouvert ce tome, s'il s'est déjà intéressé à la vie d'Auguste. Cela ne l'empêche pas de se plonger dans sa lecture avec la curiosité de découvrir les rebondissements dans la mise en œuvre de la conjuration, et de se lancer en conjecture sur l'identité de son organisateur. La scénariste continue d'opter pour un développement naturaliste, parfois déconcertant, où les conjurés ne sont pas individualisés ou personnalisés. Elle ne leur applique pas de vernis romantique, c'est juste un groupe d'individus normaux qui font progresser leur cause une action à la fois. Il n'y a finalement que le décorum des masques et des robes qui les rend mystérieux. Pour un lecteur habitué aux récits d'aventure cette approche narrative peut s'avérer déconcertante car il n'y a pas de réel suspense : le sort d'Auguste est connu par avance, Alix survivra forcément à cette conjuration pour revenir dans le tome suivant. L'auteure sait que le lecteur n'en est pas dupe et ne s'embarque pas dans un suspense de pacotille, déjà éventé. Le lecteur peut donc voir dans la mention d'Arbacès (ennemi récurrent d'Alix, apparu dans les albums 1 à 4, 22, 25, 30) un clin d'œil au lecteur sur l'exercice de style consistant à écrire les aventures d'un héros de fiction récurrent.

Dans le même temps, toujours comme dans les tomes précédents, le lecteur voit se dessiner plusieurs thèmes au fil des péripéties. La vie d'Alix, Titus et Khephren dépend des décisions des puissants, à commencer par celle d'Auguste, une illustration des conséquences des décisions des dirigeants sur la vie de leurs administrés, de la plèbe. Il voit aussi comment les gens sont prompts à se montrer plus agressifs quand les puissants retirent leur faveur à leurs protégés. Cela conduit à une expression de haine et de racisme à l'encontre de Titus et de Khephren, la disgrâce d'Alix favorisant l'agressivité violente contre des individus considérés comme des pièces rapportées au sein de la République. L'intrigue jette également la lumière sur la confusion entre les intérêts publics et les intérêts privés, la volonté d'un groupe de revenir à un ordre révolu jugé meilleur, nécessitant un chef de file pour pouvoir s'incarner aux yeux du public. Mangin montre également comment Khephren entre dans une phase d'opposition contre l'adulte qu'est Alix, évoquant une crise d'adolescence, la nécessité de tuer le père, sous-entendue par la référence à explicite à Œdipe Roi de Sophocle. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver cette mise en scène opportune au vu de l'âge du personnage, ou étrange pour une société dans laquelle la notion d'adolescence n'avait pas cours.


Ce troisième tome apporte toutes les réponses attendues par le lecteur concernant l'intrigue, et le transporte à nouveau en pleine Rome antique, avec un degré de consistance et de précision remarquable. Le lecteur retrouve la narration très particulière de la série, avec des personnages plus définis par leur position sociale que par leur profil psychologique, et une intrigue plus prenante dans ses mécanismes que dans sa résolution.


2 commentaires:

  1. "Il ne s'agit pas d'une reconstitution académique et froide, mais de reportages sur des lieux vivants." Entièrement d'accord. Le sens de la reconstitution de l'équipe artistique est digne d'admiration.
    "... sans non plus transformer son récit en cours magistral ou démonstratif." C'est sans doute ce qui me manque dans cette série.
    J'apprécie ton commentaire, notamment le fait que les vies d'Alix et des deux garçons dépendent des décisions des puissants.
    Avec le recul, je comprends pourquoi cette BD a été traduite en latin à l'usage des classes.

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    1. J'ai l'impression que Thierry Démarez a mis à profit les reconstitutions 3D qui ont pu être faite de Rome par des universitaires, pour pouvoir se montrer aussi concret dans l'urbanisme et les vues du ciel. Cela produit un phénomène très étrange où la reconstitution perd en mystère ce qu'elle gagne en précision.

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