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mardi 8 février 2022

Émilie voit quelqu'un - Tome 02 - Psy à psy, l'oiseau fait son nid

Je suis désolée, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça…


Ce tome fait suite à ‎Émilie voit quelqu'un - Tome 01 - Après la psy, le beau temps ? (2015) qu'il faut avoir lu avant. Les deux tomes ont été réédités dans Après la psy, le beau temps ? - Intégrale Émilie voit quelqu'un: Intégrale tomes 01 et 02. Cette bande dessinée a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario et par Anne Rouquette pour les dessins et les couleurs. La première édition date de 2015. L'ouvrage compte un peu plus d'une centaine de pages de BD.


Émilie Geoly est installé dans le fauteuil le plus confortable du cabinet de la psychologue Marguerite Soulac, et elle lui déclare qu'elle s'en va, car elle va beaucoup mieux et elle estime que sa thérapie est terminée. Elle salue la tortue Mickie et elle essaye d'obtenir un avis clair de la part de la thérapeute sur son état, en vain. Le lendemain, elle arrive à l'établissement où elle est professeure des écoles et salue ses collègues, la directrice avec un ton enjoué, souhaitant bonne journée à tout le monde, el soleil étant avec eux. Ses collègues restent interdits devant cette manifestation extravertie. Émilie salue les enfants de la classe, avec le même ton enjoué. Ils sont sagement assis à leur place, et elle s'assoit en tailleur sur son bureau, leur indiquant que la classe ne va pas démarrer comme d'habitude. Elle va commencer par un moment de détente ensemble : qu'ont-ils fait pendant les vacances ? Les enfants la regardent totalement médusés, incapables de comprendre ce qu'elle attend d'eux. Elle apostrophe Tom en lui demandant pourquoi il a un bonnet d'âne sur la tête. Il répond que c'est elle, la maîtresse, qui lui a ordonné de le porter. Elle l'en libère, et s'exclame : Plus de bonnet d'âne ! Plus de coin ! Plus de punition, ni d'exclusions ! Terminé les humiliations !! Et elle déchire le carnet de bilan de compétences de la classe sous leurs yeux. Alors qu'ils sont de plus en plus choqués par ce comportement anormal, elle finit par leur faire faire une farandole en courant autour de la classe et en hurlant comme des indiens, ce qui emporte leur adhésion.



À la cantine, elle mange avec son collègue Michael et s'exclame à quel point le repas est bon. Il essaye d'attirer son attention sur le fait que ce sentiment de libération et de douce euphorie n'est peut-être qu'un redoux, une étape de sa psychothérapie. Elle refuse de l'écouter en se livrant à des simagrées. Après qu'elle soit partie toute enjouée et toujours aussi exubérante, il consulte internet sur son téléphone sur le thème de Terminer sa psychothérapie. Alors qu'on pense être guéri, est-ce la fin, ou n'est-on pas en train de fuir un nœud qu'on n'a pas envie de dénouer ? Une psychothérapie n'est pas un processus linéaire. On avance, on régresse, on tourne en rond, on avance à nouveau, puis on patauge dans la semoule. C'est la manifestation de la résistance au changement. Une thérapie est terminée quand les symptômes du mal-être ont disparu et que la personne est équilibrée dans son rapport aux autres et à elle-même. Le soir, Émilie reçoit ses deux copines Mélanie & Carole chez elle et elles découvrent sa décoration avec ses toiles expressionnistes, angoissantes.


À la fin du premier tome, l'avenir se présentait sous un jour souriant pour Émilie : elle avait découvert l'existence et la nature d'un souvenir refoulé grâce à ses séances chez le psy, avec une thérapeute à l'attitude assez particulière, madame Marguerite Soulac. De fait, cette deuxième partie commence par deux pages de séance, dans lesquelles Émilie annonce qu'elle est guérie, et elle met sa thérapeute au défi de dire le contraire. Le lecteur retrouve les dessins sympathiques d'Anne Rouquette, aux contours un soupçon tremblés pour évoquer la fragilité des individus, avec des exagérations sur le physique des personnages, tout en restant dans le domaine du possible, et l'expressivité irrésistible du visage d'Émilie sans qu'elle n'en devienne enfantine pour autant. Il s'agit bien d'états d'esprit adultes qui se lisent sur son visage, et le lecteur assiste à une sorte de bras de fer tout en douceur, un test de rapport de force entre patient et thérapeute. La page suivante rappelle que cette histoire a été publiée par Fluide Glacial et que l'humour a donc le droit de cité. À nouveau, impossible de résister aux dessins montrant l'entrain énergique et la bonne humeur tonitruante d'Émilie : son visage ouvert et rayonnant, son comportement un peu excité. S'il n'avait pas lu le contraire sur la couverture, le lecteur pourrait croire que cette bande dessinée est l'œuvre d'une unique autrice, tellement dessinatrice et scénariste sont en harmonie.



Ayant lu le premier tome, le lecteur se doute bien que la guérison miraculeuse d'Émilie est trop soudaine et qu'il va y a voir d'autres séances chez la psy. Non seulement ça, mais aussi le retour de Michael et de son recours systématique à internet pour étayer ce qu'il pressent de la phase que traverse sa collègue. Ainsi, le lecteur découvre deux pages de courtes phrases illustrées par des dessins enfantins, comme dans le premier tome, sur comment savoir si sa psychothérapie est terminée, avec un développement sur la notion de résistance au changement. Puis sur le même mode, deux pages consacrées aux notions de névrose et de psychose, et à la différence entre les deux. Et enfin une page consacrée à la deuxième topique de Sigmund Freud (1856-1939). Ces pages sont les bienvenues car elle présente de manière simple et vulgarisatrice une notion de psychothérapie de base qui agit comme une prise de recul sur le cheminement d'Émilie. Les dessins enfantins sont adaptés, non pas pour stigmatiser Émilie qui aurait un comportement immature, mais pour faire ressortir la puissance des émotions et des mécanismes psychiques dont on n'a pas conscience. Ces 3 passages sont complétés par une discussion dans la cour de récréation entre Émilie et Michael qui évoquent deux statistiques, la première sur le pourcentage de la population qui souffre de troubles mentaux, la seconde sur le nombre de suicides par an en France, converti en nombre de suicide par jour en France. Seuls 8% des personnes atteintes de troubles vont consulter.


Toutefois, cette bande dessinée n'est pas un cours de vulgarisation ou de découverte de la psychothérapie. C'est avant tout l'histoire d'Émilie et de ses amis. Comme dans le premier tome, elle s'avère irrésistible que ce soit par sa bonne humeur, par ses phases d'abattement, pas ses interactions avec les autres personnages. En prenant un peu de recul, le lecteur se rend compte à quel point c'est une personne complexe et bien incarnée, à l'opposée d'une coquille vide prétexte à un récit. Son métier de professeur des écoles a une incidence sur sa vie, ce n'est pas un simple décor sans conséquence en toile de fond. Son histoire personnelle remonte régulièrement à la surface que ce soit sa relation avec sa petite sœur et la charge émotionnelle qui s'y rattache, ou l'histoire personnelle de ses parents. À nouveau, le lecteur peut lire l'état d'esprit sur le visage d'Émilie pour chaque situation, se sentant ainsi impliqué par sa réaction émotionnelle. À l'opposé de révélations choc, c'est un cheminement progressif complexe, entièrement spécifique à cette jeune femme, et en même temps fonctionnant sur des émotions universelles. Le lecteur s'attache également à Michael, l'autre professeur des écoles, accro à internet et au moteur de recherches pour trouver des éléments d'information sur tout, et tout le temps. Il se prépare mentalement à chaque séance de thérapie, sachant qu'elle peut prendre une direction très différente, entre l'affrontement, ou le déballage, et toutes les nuances entre. Il sourit lors des rencontres d'Émilie avec ses deux copines au caractère diamétralement opposé, se rendant compte qu'elles agissent comme les extrêmes de sa personnalité : l'une lumineuse et enjouée, l'autre sombre et déprimée.



Comme dans le premier tome, le lecteur se rend compte qu'il sourit régulièrement, tout d'abord aux réactions franches et entières d'Émilie, mais aussi à certaines situations cocasses et même loufoques. La scénariste maîtrise parfaitement le caractère visuel d'une bande dessinée, et a intégré des éléments comme les tableaux peints par Émilie, ou des situations purement visuelles comme le comportement des enfants lors d'une séance de relaxation en classe. Elle sait mélanger le drame avec une exagération comique à la frontière de la vraisemblance. Le lecteur sourit franchement quand Émilie se met à héberger des pigeons et même à dormir avec un dans son lit. Il sourit tout autant en découvrant les névroses de Michael et son secret intime, ou encore le type de soirée auxquelles Mélanie assiste, ainsi que l'accomplissement personnel à la fois dérisoire et inestimable de Carole. Pas de doute, cette histoire mérite bien sa place parmi les ouvrages Fluide Glacial. Cette facette du récit fait ressortir l'humanité des différents protagonistes, leur personnalité qui n'est jamais lisse, et le drame qui accompagne chaque existence. Le lecteur n'est pas loin d'être ému aux larmes quand la psychothérapeute craque lors d'une séance avec Émilie et s'emporte contre l'irresponsabilité des parents et les dommages qu'ils causent sur la psyché de leurs enfants qui porteront cette marque toute leur vie durant. Ces moments s'avèrent poignants et justes, pas la vérité de moments réels, mais l'authenticité du vécu.


Le lecteur s'était attaché à cette petite dame (une mère d'élève la confond de dos avec un enfant du fait de sa taille), et souhaite savoir si elle ira mieux. Il replonge dans un récit aux dessins expressifs et justes, pour une histoire qui se lit toute seule, générant de nombreux sourires, avec de nombreuses saveurs : histoire personnelle, drame intime, souffrance existentielle, secret pesant d'une génération sur l'autre, mal-être insoupçonnable (pour Mélanie et sa frivolité apparente), hétérogénéité des valeurs, et extraordinaire chaleur humaine. À noter que l'édition en intégrale a bénéficié d'un épilogue supplémentaire de 4 pages, se déroulant 20 ans plus tard.



2 commentaires:

  1. "Seuls 8% des personnes atteintes de troubles vont consulter." : Des personnes qui sont conscientes qu'elles ont besoin de soutien, je suppose. Parce que c'est sans doute compter sans celles qui ne sont pas forcément conscientes du "problème" éventuel et du fait que voir un thérapeute pourrait les aider.

    "accro à internet et au moteur de recherches pour trouver des éléments d'information sur tout, et tout le temps." : Tiens, c'est amusant (ou pas), j'ai l'impression de me retrouver un peu dans ces mots. Une déformation du loisir de blogueur ? Ou un trait de caractère qui était déjà présent avant ? Dois-je consulter ?

    "Le lecteur s'était attaché à cette petite dame" : s'attacher à un personnage comme cela renforce l'expérience de la lecture et l'immersion dans l'œuvre, surtout s'il s'agit d'une série.

    "l'édition en intégrale a bénéficié d'un épilogue supplémentaire de 4 pages, se déroulant 20 ans plus tard." : Une démarche particulièrement originale. Aucun exemple strictement similaire (un épilogue inédit à l'occasion d'une réédition en intégrale) ne me vient à l'esprit ; et toi ?

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  2. 8% des personnes atteintes de trouble : difficile de savoir, j'avais pris ça pour une statistique globale, c'est-à-dire en comptant celle pas forcément conscientes du problème. En fait, dans ce passage, Michael consulte internet par le biais de Google : ce n'est pas une page avec des informations scientifiques sourcées.

    Accro à internet et au moteur de recherche : certes je suis bloggeur, mais je le fais aussi à titre professionnel, et parfois dans des conversations à bâtons rompus (ce qui plombe un peu l'ambiance). En ce qui me concerne, j'y vois plus une propension à vérifier les faits, démarche grandement facilitée par internet (sous réserve d'avoir une idée de la fiabilité et du sérieux du site ou des sites qu'on consulte).

    Avec le temps, je me suis rendu compte que je peux m'attacher émotionnellement aussi bien à des personnages que j'apprécie, qu'à des personnages que je ne souhaiterais pas rencontrer. Dans les deux cas, ça renforce mon expérience de lecture.

    Epilogue supplémentaire : il m'en vient immédiatement un à l'esprit Puma Blues par Stephen Murphy & Michael Zulli. Ils avaient terminé leur histoire à l'occasion de la réédition une vingtaine d'années plus tard. Il y en a un autre exemple sur ce blog : Le passager, de Vink. Mais ce n'est pas courant.


    https://les-bd-de-presence.blogspot.com/2019/10/le-passager-tome-2-lhabit-du-wochita-ce.html

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