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vendredi 25 juin 2021

Le Baron

Vous vous en êtes sorti en vous tirant par les cheveux ?!


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition de cet ouvrage date de 2020. Il s'agit de l'adaptation libre en bande dessinée de la vie de Karl Friedrich Hiéronymus, baron de Münchhausen (1720-1797). L'adaptation a été réalisée par Jean-Luc Masbou, pour le scénario et les dessins. La bande dessinée compte 64 planches en couleurs. Le tome se termine avec 3 pages d'étude graphique des personnages, ainsi que les croquis préparatoires de chaque page rassemblés sur 2 pages, et ceux de la couverture sur une autre page.


Il existe trois sortes de fabulateurs : ceux qui racontent leur vie de façon romanesque, ceux qui inventent des univers de toutes pièce, et ceux qui affirment avoir accompli des choses impossibles. Le baron de Münchhausen était tout cela à la fois : menteur, conteur, poète. Karl Friedrich Hieronymus Freiherr von Münchhausen vint au monde le onze mai dix-sept cent vingt, dans le château de Bodenwerder, dans la région du Weserbergland. Il est vraisemblable qu'il attrapa très tôt le goût du mensonge, certainement pour se donner de l'importance. Il fut un page du prince de Brunswick, puis un mercenaire dans l'armée russe, à mener la guerre contre les turcs avec le grade de capitaine de cavalerie. Il racontait ses histoires de taverne en campement, et celles-ci commençaient à se répandre dans les salons. Finalement, lassé de la vie militaire, il revint vivre chez lui, retrouva sa femme Jacobine. Il partagea ses journées entre la chasse, l'entretien de son domaine et les bons repas.



Pendant ce temps-là, ses aventures avaient été imprimées outre-Manche, puis traduites en français, et enfin en allemand en 1786. En mai 1787, Engelbert Bodmann, un colporteur, arrive à Bodenverder avec sa camelote. Parmi les marchandises qu'il propose aux habitants, se trouve un livre : Les fabuleuses aventures sur terre et sur mer du baron de Münchhausen. Les villageois sont interloqués : ils n'imaginaient pas que leur baron soit l'objet d'un livre. Le colporteur a du mal à y croire : le baron dont il a lu les aventures une dizaine de fois, serait donc un être humain réel. Tout le monde s'installe en terrasse, à la table de l'aubergiste avec une bonne bière. Le colporteur indique qu'il aimerait bien rencontrer le baron. Hélas, celui-ci ne vient plus à l'auberge, car il a promis à sa femme, de ne plus rentrer saoul. Gustav décide d'aller le trouver au château pour le faire changer d'avis. Il s'y rend à pied, et trouve le jeune Hans dans la cour du château à regarder une canne avec ses cannetons. Celui-ci lui indique que le baron est parti à la chasse le matin, mails qu'il a oublié ses balles de plomb. Gustav prend le sac de balles de plomb et part dans les bois à la recherche du baron. Il le découvre à l'abri d'un bosquet, avec son fusil dans les mains, prêt à tirer sur un magnifique cerf. Il fait feu et l'atteint en pleine tête, mais avec des noyaux de cerise en guise de balle.


Une simple adaptation des aventures du baron de Münchhausen ? Pas du tout. Déjà, les pages sont réalisées par Jean-Luc Masbou, l'illustrateur de la série De Cape et de Crocs (1995-2016, 12 tomes) avec Alain Ayrolles. Le lecteur est donc assuré de dessins délicieux, et c'est le cas : une narration visuelle riche en décors, avec des personnages immédiatement sympathiques, une mise en couleurs claires et gaies. C'est un vrai plaisir de lecture dès la première page. En outre, l'artiste ménage de nombreuses surprises, que ce soit les 2 strips réalisés par des invités en page 1, avec un clin d'œil à Denis Bajram et à Jean-Michel Folon (1934-2005), ou encore les différentes formes d'illustration. Lorsque le Baron raconte une de ses aventures, l'artiste change de mode graphique. Ça commence dès l'évocation de sa vie : dessins avec des traits encrés très fins et des aplats de couleurs. Ça continue avec l'histoire qu'il raconte à Gustav : des cases évoquant une toile de Jouy, d'un joli rose cuisse de nymphe. Pour l'histoire suivante où il garde les ruches du sultan et doit mener les abeilles au champ, l'artiste prend le parti de représenter les personnages comme des pantins. Il ne s'agit pas d'une coquetterie esthétique pour épater la galerie, mais bien de donner une indication de la saveur de la narration du conteur extraordinaire qu'est le baron. Ce thème revient à plusieurs reprises : ce n'est pas la même chose entre lire ses histoires, ou l'entendre les raconter et de jouir de sa faconde.



Une simple adaptation des aventures du baron de Münchhausen ? Pas du tout car l'auteur situe son récit après les dernières aventures du baron. Il commence par retracer la genèse du livre narrant ses aventures : en 1785, Rudolf Erich Raspe (1736-1794) publie ces récits en anglais. Puis, un an plus tard, le livre est traduit en allemand par Gottfried August Bürger (1747-1794) qui les réécrit pour un livre plus poétique et satirique. Mais il n'est pas fait mention de la version française, traduite par Théophile Gautier (1836-1904), avec des illustrations de Gustave Doré (1832-1883), car elle date de 1854, bien après le décès du baron. Du coup, cette histoire reprend bien une douzaine de ses aventures : un lièvre à huit pattes, aller récupérer sa hache sur la Lune, un général à moustache à qui il manque le sommet du crâne, le cheval du baron coupé en deux, et bien sûr pour finir une version du boulet chevauché par le baron, mais dans une version inédite. Ces récits sont faits par le baron en personne, et interviennent dans le fil du récit qui se déroule en mai 1787, bien après qu'il se soit rangé de sa vie militaire. De fait, le lecteur bénéficie à la fois de certaines de ses aventures, et à la fois d'une prise de recul sur le succès de ses affabulations.


Pendant ces passages au temps présent du récit (mai 1787), Jean-Luc Masbou reprend son mode de dessin classique, et c'est délicieux. Cela incite le lecteur à prendre son temps pour savourer chaque case. La bonhommie des personnages est irrésistible, d'autant plus que l'artiste exagère un soupçon l'expression de leur visage. Ils sont craquants à tous faire les yeux ronds quand le colporteur les informe de l'existence du livre sur les aventures du baron. L'aubergiste Bruder est souriant sans arrière-pensée, donnant une envie irrépressible d'aller manger une tourte chez lui, avec une bonne chope de bière. Gustav est rondouillard avec le crâne dégarni et il inspire une grande confiance, dès le premier coup d'œil. Les cheveux du baron grisonnent et il est très élancé. Il a un visage très expressif, souvent lunaire, parfois une peu agacé quand il s'adresse à son épouse qui a une tendance affirmée à le faire redescendre sur terre, et à ne pas s'en laisser conter. Celle-ci arbore un air tout le temps un peu pincé, et réprobateur. Le dessinateur soigne tout autant les tenues vestimentaires, établissant une distinction clairement visible entre celles des roturiers et des serviteurs, celles des bourgeois, et celles de la baronne et du baron.



C'est également un délice que de prendre le temps de regarder les décors, ou plutôt les environnements. Le lecteur ouvre grand les yeux pour ne rien perdre des pavés des rues de Bodenwerder, des poutres apparentes en façade des maisons, des tuiles sur les toits, de la grande table en bois de l'auberge, de son enseigne avec un trou de boulet de canon, de la forme du dossier des chaises en bois. Plus loin, il regarde la porte d'entrée en pierre du domaine du château, les tourelles, la grande bâtisse principale, les escaliers menant au jardin et les rambardes en pierre. Plus loin encore, il établit la comparaison avec l'architecture du château du vicomte von Hertzberg et son jardin à la française, sans oublier les lieux exotiques où se déroulent les aventures du baron. Il prend tout autant plaisir à se promener dans les bois aux alentours du château pour retrouver le baron en train de s'adonner à la chasse avec son chien, et avec un succès très relatif. L'artiste associe les formes détourées par un trait très léger, avec une mise en couleurs riche et naturaliste, pour des paysages riants où le lecteur espère bien pouvoir se promener un jour.


Bien évidemment, le lecteur comprend avec l'introduction que le thème principal est celui de l'affabulation, de l'histoire imaginaire. Mais ce thème ne prend pas le pas sur l'histoire : il ne l'écrase pas, elle ne devient pas un simple artifice sans substance. Bien sûr il se produit une mise en abîme puisque c'est l'histoire d'un conteur hors pair, qui redécouvre ses histoires dans un livre qui les regroupent, et cette histoire est elle-même racontée par le conteur qu'est le bédéaste. Mais la forme de la narration n'a rien de nombriliste, ni d'intellectuelle. Le plaisir de lecture reste au premier degré, libre au lecteur d'envisager ce second degré s'il le souhaite. S'il y est sensible, il se rend également compte que le baron évoque d'autres thèmes en passant. Il parle avec sa femme de son choix d'abandonner la guerre, pour arrêter de tuer, de la futilité d'assommer ses invités en étalant ses possessions, ou encore de ce qu'un individu peut souhaiter laisser à la postérité.


Juste une adaptation des aventures du baron de Münchhausen ? Que nenni ! Un album aux magnifiques dessins, une narration très agréable à l'œil, jouant gentiment sur la forme pour souligner l'importance de la qualité de la narration dans une histoire. Une évocation de certaines des aventures du baron, avec une verve et une faconde au goût inoubliable. Un récit avec des réflexions justes et touchantes. Une belle histoire qui célèbre les affabulateurs.




2 commentaires:

  1. Voilà un article qui éveille des souvenirs d'enfance. J'avais lui, quand j'étais gamin, les "Aventures du baron de Münchhausen", dans une vieille édition reliée (je ne retrouve pas l'éditeur) qui appartenait à mes grands-parents. À l'époque, j'étais un gosse, et je crois que j'étais passé complètement à côté du propos tel que tu le soulignes : "affabulation" et "histoire imaginaire". Je ne les ai jamais relues depuis, bien que j'aie dû voir le film de Terry Gilliam (1988) et que j'en garde un souvenir positif, même si très indistinct.

    Jean-Luc Masbou ; j'avais feuilleté le premier tome de "De cape et de crocs" sans parvenir à m'enthousiasmer pour son style de dessin. Il paraît pourtant que c'est devenu un classique. Et toi, as-tu lu cette série ?

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    1. Je ne connaissais quasiment rien du Baron de Münchhausen avant de lire cette bande dessinée, n'ayant jamais lu aucune de ses aventures, ni vu le film de Terry Gilliam. J'avais juste en tête cette image de chevauchée fantastique de boulet. Ce fut l'occasion de faire une découverte.

      J'ai dû lire les 6 premiers tomes de De cape et de crocs, à une époque où je n'écrivais pas de commentaires, et attendre la parution de la suite, sans jamais m'y remettre. Dans mon souvenir, ça m'avait plu pour la langue française, les dessins et la mise en couleurs. Mon fils les a tous lus et a bien aimé.

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