Personne ne vous accuse.
Quelque part dans une forêt aux États-Unis, un groupe de voitures de police est arrêté, feux à éclats en fonctionnement. Caroline Baldwin descend de son quatre-quatre et rejoint le l'inspecteur Philips Ensemble, ils font quelques pas jusqu'à arriver au pied du cadavre, un individu d'une soixantaine d'années. Philips lui explique qu'il fut le PDG de Kristal Corporation. Dans sa poche, il a retrouvé une carte de visite professionnelle de Baldwin, à l'époque où elle travaillait pour Wilson Investigation. Dans sa voiture a été retrouvé un post-it avec les mots : to Caroline Baldwin, conspiration. Philips ajoute que l'ex PDG revenait d'une réunion des membres influents du parti républicain et qu'ils sont en train d'être interrogés. Non loin de là, un des deux individus cagoulés observant la scène se dit qu'il est temps de prendre la poudre d'escampette, avant que les policiers se mettent à fouiller les environs. Il fait rouler une pierre, et tous les policiers se lancent à sa poursuite, Caroline Baldwin en tête. L'autre mercenaire reste allongé prêt à appuyer sur la détente de son fusil à lunette. Baldwin parvient à rattraper le fuyard, mais il est abattu par le tireur embusqué.
À l'auberge du moulin de Léré, un peu à l'écart de la commune de Vailly en Haute-Savoie, l'agent Gary Scott et sa femme Lisbeth viennent prendre leur chambre pour deux nuits. Une fois installé, Lisbeth explique à Gary qu'il peut dormir par terre et qu'elle prendra le lit. Sous leur apparence de touristes, ils sont en mission pour le FBI. Scott a reçu un appel d'un ami d'enfance qui aujourd'hui travaille pour une des plus grandes institutions suisses. Il lui a déclaré avoir mis au jour un vaste complot terroriste. Vu le poste qu'il occupe, cet ami est aux premières loges pour observer les blanchiments d'argent et autres manœuvres financières criminelles et frauduleuses pouvant le cas échéant nuire aux intérêts des États-Unis. C'est la raison pour laquelle le FBI a pris cet avertissement au sérieux. Ils doivent retrouver le contact le lendemain au bord du lac de Vallon, dans la chapelle Saint Bruno. Le lendemain, Gary Scott pénètre dans la chapelle, pendant que Lisbeth guette à l'extérieur. Elle entend un coup de feu et voit une silhouette s'enfuir. Elle la poursuit et découvre un cadavre tenant dans sa main un billet de $1, avec le numéro de série partiellement entouré pour faire ressortir le nombre 1408.
Après un secret caché par une petite communauté au nord du Québec, et une tentative de manifestation chinoise au Tibet, André Taymans revient dans un registre de genre, celui de l'espionnage avec une dynamique de thriller. Il s'agit d'une histoire en deux parties qui trouve sa conclusion dans le tome suivant. Dans celui-ci, le lecteur va de surprise en surprise avec les deux personnages. Le scénariste a choisi de séparer Caroline Baldwin et Gary Scott qui se retrouvent devant des cadavres, et qui subissent les événements sans réussir à reprendre le dessus. Très habilement, Taymans fait en sorte que Caroline Baldwin reste bien l'héroïne de son récit. En effet, celle-ci se rend compte que son conjoint intermittent lui a caché des choses essentielles, ce qui fait que le lecteur ressent plus de sympathie pour elle que pour lui. Il la suit ballottée entre une course-poursuite dans les bois, un rendez-vous chez le médecin pour le suivi de sa séropositivité, deux phrases échangées avec Gary Scott sur le palier alors qu'ils se croisent l'un arrivant, l'autre repartant, et une visite dans une maison à louer à la campagne. Pendant ce temps-là, Gary Scott traverse des moments plus mouvementés : le guet-apens au lac de Vallon dans le canton de Fribourg en Suisse, la découverte des cadavres de bouteille de bourbon dans l'appartement qu'il partage avec Caroline, une mise à sac dudit appartement, et le souvenir de sa femme.
Le lecteur se rend compte qu'il se prête au jeu dès la première séquence : assassinat mystérieux, motivation inconnue, mercenaires cagoulés. Autant de conventions de genre espionnage/policier à la fois immédiatement divertissantes, à la fois servant à dévoiler une intrigue. André Taymans parsème son récit avec des indices, certains peut-être des fausses pistes, d'autres mystérieux et intrigants, et il le fait avec un dosage équilibré. Il y a à la fois ces éléments relevant d'un genre : des individus cagoulés, un nombre entouré sur un billet de banque, peut-être une guerre des services de renseignement, des relations détériorées entre Caroline et Scott pour augmenter le niveau de drame, un entrefilet dans un journal sur un appel aux malades incurables de devenir des kamikazes contre le grand Satan américain, des textos d'une personne décédée…Les dessins descriptifs permettent d'y croire dans le contexte de cette fiction. D'un autre côté, il y a des aspects plus prosaïques : la frustration de Philips à qui on a retiré l'enquête, le rendez-vous chez le médecin, le trajet en taxi à New York, la visite de l'appartement à louer, les longs trajets en voiture sur des routes interminable traversant de grandes étendues sauvages.
Ces deux composantes de la narration (conventions de genre + moments normaux) sont liées par la narration visuelle, naturaliste. La première séquence montre les personnages dans une forêt avec 2 essences d'arbres, une implantation plausible de ceux-ci. La séquence à l'auberge du Moulin de Léré donne la sensation que l'auteur y a séjourné, à la fois pour l'apparence du bâtiment et pour l'aménagement des chambres et de la salle de restauration. Le lecteur éprouve la sensation que l'artiste a vraiment fait la promenade qui mène à la chapelle Saint-Bruno. Il ne s'agit pas pour lui de caser des carnets de voyage, des dessins réalisés sur place en repérage. Les personnages s'intègrent dans ces lieux, évoluent en fonction de leurs caractéristiques (relief, aménagement), et avant tout en fonction de l'intrigue. À partir de la planche 12, le lecteur voit Caroline Baldwin, puis Gary Scott se déplacer à New York, en taxi ou en voiture du FBI. Il en profite pour regarder les façades de gratte-ciels, les affiches de spectacle dont une première évoquant une chienne de sorcière, une seconde sur un spectacle intitulé Moon River interprété par une certaine Cendrine. Il sourit en se rappelant que ce titre est celui du premier tome de la série et que Cendrine Ketels a interprété Caroline Baldwin dans un clip du groupe Feel the Noïzz où joue Erwin Drèze, un ami de Taymans. D'ailleurs on retrouve une affiche pour un de leur concert à l'auberge du Moulin de Léré. Dans les planches 19 & 20, le lecteur voit un cortège de voitures noires du FBI filer à toute allure dans les rues de New York, pouvant reconnaître un quartier de Manhattan.
Comme depuis le début de la série, André Taymans dessine dans une veine ligne claire, mais augmentée par des traits de texture dans les formes détourées, et la mise en couleurs ne se limite pas à des aplats unis de couleurs, mais comprend également des ombrages en ajoutant une nuance plus foncée de la teinte correspondante. Cette façon de dessiner donne des cases d'une lisibilité immédiate, permettant au lecteur de ne pas s'attarder sur les détails s'il le souhaite, alors même que la densité d'informations visuelles est élevée. Cela a également pour effet de donner un visage simplifié à Caroline Baldwin, un peu moins aux autres personnages. Éventuellement le lecteur peut être un moment décontenancé par ses yeux à l'iris vert bien rond, sa bouche entrouverte sur une zone blanche, sans singularisation des dents, et des mèches de cheveux aux formes inchangeantes même dans le feu de l'action. D'un côté cette représentation un peu simplifiées la rend plus expressive, et le lecteur peut plus facilement se projeter en elle. L'artiste met en œuvre une direction d'acteurs naturaliste : ils sont expressifs sans exagérer leurs postures ou leurs mouvements. Il porte une attention visible aux tenues vestimentaires, adaptées au climat et à l'activité. Le lecteur remarque que par ce beau temps, Caroline a recommencé à mettre ses sandales nu pied avec un petit talon.
L'immersion du lecteur dans le récit se fait très rapidement, à la fois grâce au naturel des personnages, à la consistance des environnements décrits avec soin et justesse, et les conventions d'espionnage qui attestent qu'il s'agit d'un divertissement. Il se rend progressivement compte que les éléments prosaïques viennent renforcer sa curiosité, que l'annonce d'une conspiration le rend soupçonneux de tout. Comment se fait-il que le médecin traitant de Caroline Baldwin lui propose un traitement justement à ce moment-là ? Les bouteilles de whisky vides signifient-elles que Baldwin est en train d'entrer dans une phase de déprime en se montant le bourrichon ? L'agent immobilier est-il de mèche avec des conspirateurs au vue de la voiture luxueuse qu'il a pu se payer ? André Taymans sait y faire pour provoquer la participation de son lecteur.
Avec cette première partie d'un diptyque, André Taymans donne l'impression d'augmenter le dosage des éléments de divertissement, se faisant plaisir en racontant un thriller dans lequel les 2 principaux personnages perdent pied, sans rien perdre du plaisir de découvrir des environnements urbains et des paysages sauvages. Le lecteur savoure cette intrigue de type complot, impatient de découvrir la deuxième partie.
Je te trouve beaucoup plus enthousiaste dans ce commentaires que dans les précédents (surtout le quatorzième tome). J'ai l'impression que tu ressens un plaisir évident à voir la série reconnecter avec cette "dynamique de thriller" que tu évoques.
RépondreSupprimerTu parlais, il y a quelques tomes, de la volonté de l'auteur de mettre en avant la séropositivité de Caroline ; qu'en est-il ? Est-ce vraiment ce qu'il fait ? Ou est-ce devenu un accessoire de caractérisation dont il ne sait plus quoi faire et qui devient, à la longue, presque encombrant ?
Oui, j'ai trouvé que l'équilibre de ce tome correspond plus à mes goûts.
RépondreSupprimerAndré Taymans n'évoque pas beaucoup la séropositivité de son héroïne : dans la plupart des tomes, il n'en est même pas fait mention. Ce n'est même plus un accessoire encombrant, mais juste une caractéristique qui n'est pas évoquée, qu'un lecteur ne lisant qu'un tome ne pourrait pas subodorer.
Dans ton commentaire précédent, tu écrivais aussi que le nouveau responsable éditorial avait d'autres idées pour la série. Je ne sais pas si l'on peut parler de retour aux sources avec cet album ; peut-être est-il encore trop tôt pour percevoir ce changement - si toutefois il a bien eu lieu...
SupprimerConcernant sa séropositivité, Caroline Baldwin l'a apprise à la fin du tome 5. Il en a été question dans le tome 6, le 9 et dans le 10.
RépondreSupprimerConcernant un éventuel retour aux sources du fait du responsable éditorial, ça va être difficile à détecter. Le tome suivant (16) est le dernier réalisé pour Casterman. Puis se produit la rupture et 5 ans se passent avant l'arrivée du tome 17 pour un autre éditeur Paquet.
Merci de ces informations supplémentaires. Ah, tiens... "Caroline Baldwin" est chez Paquet. Intéressant. Je crois que c'est une maison suisse.
RépondreSupprimerJ'avais découvert l'existence de cet éditeur par le biais d'Usagi Yojimbo (de Stan Sakai) car c'est eux qui en assurent la version française.
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