Qui sommes-nous pour le juger ?
Petrus Patarouste se fait conduire par son chauffeur à l'abbaye Saint Pierre de Montmajour qui est en chantier. Il vient inspecter les travaux en tant que propriétaire de l'entreprise qui les effectue. Il sort de la voiture en tenant fermement son chapeau à cause du mistral. Le chef de chantier lui annonce encore un mois de travaux : Patarouste exige que tout soit fini dans 15 jours. Un moellon descellé tombe depuis le sommet d'un mur et fracasse le crâne du chef d'entreprise. Quelque part dans un appartement, un individu ricane tout haut en apprenant la nouvelle dans le journal. Gontran Patarouste (le fils de Petrus) revient au domicile paternel pour s'occuper de l'enterrement. En pénétrant dans la chambre ou repose son père, il trouve sur le corps la photographie d'une île, avec huit allumettes tenues dessus par un bout de scotch, dont une consumée. À l'enterrement de Petrus Patarouste, le sculpteur Calixte Coudoux vient trouver César-Auguste Fouille en disant qu'il doit lui parler, car il est très inquiet de cette photographie et de ces allumettes, beaucoup moins de l'arrivée d'un détective privé dont il écorche le nom : Nick Porképic. Peu de temps après, Dick Hérisson et Jérôme Doutendieu sont reçus par Gontran Patarouste qui les engage pour enquêter sur la mort de son père qu'il trouve suspecte. Ils se rendent au bar que fréquentait le défunt et écoute le barman leur en parler. Il pointe derrière lui une photographie où l'on voit Petrus Patarouste avec 6 amis.
Le soir, Pépito Dominguez se rend chez Calixte Coudoux pour évoquer les circonstances de la mort de Petrus Patarouste. Le sculpteur est persuadé qu'il s'agit d'un assassinat et qu'ils y passeront tous. Le torero est sûr que ce n'est rien. Après le départ de Dominguez, Coudoux entend du bruit dans le jardin : la balançoire est en train de grincer et dessus se trouve une bougie et la photographie d'un enfant. Le lendemain matin, Calixte Coudoux est retrouvé pendu à la balançoire : l'inspecteur Garagnoux conclut à un suicide. Dick Hérisson reste persuadé qu'il s'agit d'une série d'assassinats car Coudoux était sur la photographie du bar. Il se rend, avec Jérôme Doutendieu, aux archives du quotidien La Gazette Provençale, et ils retrouvent une copie de la photographie. Ils se demandent bien pourquoi il y avait 8 allumettes scotchées sur la photographie de l'île, alors qu'il n'y a que 7 hommes sur l'autre photographie. Le lendemain, ils vont interroger l'instituteur Bénezet Mornetoise à la sortie des classes.
En commençant un nouveau tome de cette série, le lecteur ne sait pas trop à quel genre d'aventures s'attendre. Il s'agit d'une enquête du détective Dick Hérisson, accompagné du journaliste Jérôme Doutendieu, avec des meurtres, et peut-être une composante surnaturelle ou pas du tout. La première page rappelle que Didier Savard situe ses histoires dans le sud de la France. Effectivement, il emmène le lecteur faire un tour dans le château de Montmajour en réfection, dans les rues d'Arles, aux arènes d'Arles pour une corrida, dans un cabanon sur les rives du Rhône, sur le pont de Trinquetaille, dans Abbaye de Lérins sur l'île de Saint Honorat. Il est toujours aussi agréable d'accompagner les personnages dans ces lieux représentés avec minutie fidèlement à la réalité, au gré de leur déplacement pour chercher des indices et aller interroger des témoins ou des connaissances des victimes. Outre ces lieux remarquables d'Arles et ses environs, le lecteur détaille les tombes et les monuments funéraires dans le cimetière lors de l'enterrement de Petrus Patarouste, le corps de ferme dans lequel Calixte Patarouste a installé son atelier de sculpteur, l'école municipale où exerce Bénezet Mornetoise, avec sa cour spacieuse non protégée, ses grandes fenêtres, ses couloirs avec les portemanteaux à hauteur d'enfant, la salle de classe avec son tableau noir, ses pupitres et son squelette, le salon bourgeois de César-Auguste Fouille, la grande salle de la ferme de Porphyre Figocelles et sa grange et le modeste cabanon de Jean Méjean.
Le lecteur sait également qu'il va suivre Dick Hérisson et son fidèle ami Jérôme Doutendieu dans une enquête de type policière. Comme dans les tomes précédents, ces 2 personnages principaux ne sont pas développés : ce n'est pas l'objet du récit. À tel point d'ailleurs qu'ils n'apparaissent que dans 14 pages sur 46. Dick Hérisson porte les mêmes vêtements du début jusqu'à la fin (sûrement parce qu'il est en déplacement) même s'il enlève parfois son pardessus, et Jérôme Doutendieu doit avoir 3 tenues différentes. Le lecteur fait la connaissance avec d'autres individus singuliers, à la fois des stéréotypes, à la fois des gens uniques grâce à une petite touche en plus. Il ne croise Petrus Patarouste que le temps de 2 pages, mais sa trogne sur a photographie dans la rubrique nécrologique est tellement expressive que le lecteur n'éprouve aucun doute quant à sa propension systématique à arnaquer tout le monde. Le barman n'apparaît que le temps d'une page, mais impossible d'oublier ce monsieur très sec, avec un béret sur la tête, la clope au bec, son tablier bleu rehaussé par le torchon posé sur l'épaule et l'assurance blasée du type qui a tout vu. Calixte Coudoux revêt bien sûr une large blouse pour protéger ses vêtements dans son atelier, avec un calot sur la tête, des touffes de cheveux blancs et bouclés dépassant de part et d'autre, et un bouc de poils blancs rebelles. Il a un visage beaucoup plus expressif que les autres. Bénezet Mornetoise correspond au cliché du maître d'école sévère mais juste avec sa blouse grise, tout en exprimant une forme de nervosité grandissante au fur et à mesure que Dick Hérisson lui pose des questions. Chaque personnage dispose d'une identité graphique expressive et unique.
Cette histoire est construite sur une structure différente des précédentes, en cela que le lecteur observe les crimes commis au fur et à mesure, Hérisson & Doutendieu ayant toujours un peu de retard sur le criminel. Cela donne un rythme particulier à l'enquête et explique que les personnages principaux n'apparaissent que dans si peu de pages : il faut que les crimes progressent dans le même temps. Dans ces moments, l'auteur préfère laisser parler les images, plutôt que de développer de longues explications en mots. Le lecteur prend plaisir à lire 7 pages muettes (totalement dépourvues de mots), et 7 autres pages ne comportant qu'une seule case avec 1 ou 2 phylactères. Dans ces moments, il est plus facile d'apprécier la qualité de la narration visuelle qui est impeccable, d'une parfaite lisibilité, sans incompréhension du déroulement des événements ou de ce que font les personnages. Le lecteur se rend progressivement compte que Didier Savard joue un pervers avec lui, le transformant en voyeur de ces assassinats, faisant en sorte qu'il attende le suivant pour découvrir comment il va être perpétré. Alors que les dessins sont d'une propreté méticuleuse, avec un regard à la fois attentionné et un peu moqueur sur les personnages (il faut voir la dégaine du facteur par exemple), les meurtres comportent une dimension horrible, parfois mâtinée de grotesque. Le lecteur ne sait pas trop s'il sourit en voyant le pendu à la balançoire tirant une langue bien rouge, ou s'il en frémit. Il réprime un frisson de dégoût en voyant une autre victime s'empaler sur les griffes d'une herse agricole, même si le personnage était franchement antipathique. La dimension macabre se trouve renforcée par une exécution sur la place publique avec usage de la guillotine.
Mine de rien les pages dessinent bel et bien une réalité sociale : le patron d'entreprise pas à cheval sur les lois (il paraît que ça existe), le maître d'école craint par les enfants, le spectacle de la corrida et la solitude du torero, le patron de ferme solitaire, l'individu s'étant mis à l'écart de la société pour s'installer dans une cabane en bord de Rhône, et le dernier vivant une autre forme de vie à l'écart du monde. Alors qu'il peut se trouver fasciné par la morbidité des morts violentes successives, le lecteur jette bien son regard sur différentes facettes de la société de l'époque à cet endroit-là de la France. Didier Savard se montre encore plus habile que ça. Il joue avec les conventions de l'enquête de type policière attribuant une fonction décalée à Dick Hérisson, et le mécanisme de la succession de meurtres révèle une situation sensiblement différente de ce à quoi pouvait s'attendre le lecteur.
Encore une fois, Didier Savard sait donner au lecteur ce qu'il attend tout en le surprenant. Il bénéficie bien d'une visite de lieux du coin, d'une enquête, et du calme de 2 personnages principaux. Il a tout loisir d'apprécier la qualité de la narration visuelle, que ce soit sa dimension descriptive, sa façon de donner vie à des personnages uniques, ou encore sa capacité à porter seule le récit dans des planches sans dialogues ni cellule de texte. L'auteur continue de réaliser une reconstitution en creux de la société de l'époque. Dans le même temps, l'enquête repose sur une structure narrative différente et personnelle, sur un motif de vengeance, mais qui se manifeste d'une manière originale et inattendue, avec un autre motif caché derrière.
Tiens, je n’avais jamais fait le rapprochement, mais toutes les histoires de la série se déroulent dans le Sud de la France, effectivement.
RépondreSupprimerJe note également un gros travail d’originalité sur les patronymes.
As-tu identifié le véhicule représenté sur la planche que tu as choisie ?
La localisation des aventures est plus évidentes avec les pages sous les yeux. Du coup, je suis allé chercher sur le net : né à Sain Germain, Didier Savard a emménagé à Arles en 1974, et il est revenu à Paris en 1982. Savard s'amuse effectivement bien avec les patronymes.
RépondreSupprimerNon, je ne suis pas connaisseur de voitures, et le dessin n'est pas assez précis pour que j'identifie le dessin du bouchon de radiateur.