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mercredi 6 décembre 2023

Bourdieu - Une enquête algérienne

Le dessein du sociologue n’est pas de juger, mais de comprendre.


Ce tome contient une biographie partielle de Pierre Bourdieu (1930-2002), sociologue, entremêlé de la propre histoire de la relation de Pascal Génot avec l’Algérie. Sa parution date de 2023. Le scénario a été réalisé par Pascal Génot, docteur en sciences de l’information et de la communication, ayant été chargé d’enseignement en sociologie des publics, d’après une enquête documentaire réalisée avec Saadi Chikhi. Les dessins ont été réalisés par Olivier Thomas. Il s’agit d’une bande dessinée en noir & blanc qui compte deux-cent-quarante-deux pages. L’ouvrage se termine par un dossier de quatre pages dont une de photographies sur les approches et les sources documentaires, deux pages de bibliographie, une page de remerciements.


Alger en 2023, le souvenir de nombreuses manifestations : les rassemblements pro-démocratiques de janvier-mars en 2011, les mobilisations contre un projet d’exploitation du gaz de schiste à In Salah en janvier 2015, la répression des émeutes populaires des 4-10 octobre 1988 à Alger, la marche kabyle contre les répressions policières aux portes d’Alger le 14 juin 2001, les manifestations pour la paix et l’indépendance en décembre 1960 dans plusieurs quartiers populaires d’Alger, le Hirak issu à partir de mars 2019 d’un refus d’un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika, les manifestations du printemps berbère en Kabylie à Tizi-Ouzou en mars-avril 1980, la première fête de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962. Chapitre un : un aller pour l’Algérie. Paris en juillet 2015, Pascal Génot retrouve Mohand devant la station de métro Barbès-Rochechouart. Ils échangent des nouvelles sur les membres de leur famille respective. Ils se connaissent depuis 2011.



Quelques années auparavant, le scénariste avait coécrit une BD qui se déroule entre Marseille et l’Algérie. L’idéal aurait été d’aller sur place faire des repérages, s’imprégner des lieux pour mieux les ré-imaginer ensuite… Mais depuis la guerre civile des années 1990, l’Algérie reste un pays relativement fermé. Le visa ne s’obtient pas facilement et la circulation hors d’Alger et d’Oran, les grandes villes du nord, est fortement déconseillée aux voyageurs étrangers. L’occasion s’est finalement présentée en mars 2011. Il venait de terminer une thèse sur les minorités culturelles au cinéma, une recherche qu’il avait faite à partir de la Corse, sa région natale. Grâce à une amie, le festival du film Amazigh (berbère) l’a alors invité pour faire une conférence. Mohand filait un coup de main. Il était venu les chercher à l’aéroport, lui et d’autres invités. Alger en mars 2011, Pascal a voyagé depuis Marseille, avec Danièle l’amie qui lui avait proposé ce séjour. Poète militante antiraciste, elle n’avait jamais cessé de venir en Algérie, même dans les années les plus dures. Mohand les attend en compagnie d’un second chauffeur, Nasser, et d’autres invités du festival, une réalisatrice et une actrice venues de Tunis. Danièle présente Pascal à Mohand, en tant que scénariste de BD, et ce dernier lui demande de revenir six mois plus tard à l’occasion du festival de BD à Alger pour animer une formation sur le scénario. Pascal accepte.


À la découverte du titre, le lecteur comprend qu’il va être question de la période de la vie du sociologue qu’il a passé en Algérie, c’est-à-dire de 1956 à 1960, d’abord au titre de son service militaire, puis pour des enquêtes et études de terrain. Mais le récit ne commence pas avec le sociologue : il débute avec l‘évocation de huit grandes manifestations de protestation en Algérie. Puis il passe à la mise en scène du scénariste : sa rencontre fortuite en 2015 avec un Algérien qui fut son guide, suivi par un retour dans le passé en 2011. Pierre Bourdieu est évoqué pour la première fois en page vingt-huit dans une photographie où il discute avec l’écrivain instituteur Mouloud Feraoun (1913-1962). Dans ces quelques pages, l’artiste impressionne déjà fortement le lecteur : le soin apporté à cette vue de la ville d’Alger depuis un balcon où aucun détail ne manque, la foule composée d’individus tous distincts avec les marques de l’époque correspondante, les forces policières, la station Barbès-Rochechouart avec le métro aérien immédiatement identifiable, la foule bigarrée, le marchand de journaux, l’architecture caractéristique de la station avec ses escaliers menant au quai, puis l’évocation de l’aéroport d’Alger, une scène d’émeute en janvier 2011, le trajet à travers la ville d’Alger avec chaque quartier représenté conformément à la réalité. Du travail d’orfèvre avec un soin remarquable apporté à l’exactitude géographique et temporelle.



La rigueur des auteurs lui ayant donné entièrement confiance, le lecteur continue. Il découvre qu’ils alternent donc entre des scènes du passé proche au cours desquelles l’artiste illustre les démarches du scénariste pour reconstituer le déroulement historique du séjour du sociologue en Algérie, et la reconstitution proprement dite de ce séjour également raconté sous forme de bande dessinée. Le travail de représentation continue avec la même qualité élevée et le même souci d’exactitude et de précision. Le lecteur ressent bien que la narration est conduite par la démarche de recherche du scénariste et que le dessinateur doit se mettre à son service. Pour autant, il ne s’agit pas d’un texte livré clé en main, charge au dessinateur de trouver comment apporter des informations visuelles. Par exemple, de nombreuses séquences relèvent d’une scène représentée en plusieurs cases. Le lecteur découvre également des pages muettes, c’est-à-dire dépourvues de texte, où toute la narration est réalisée par le biais des seules images. En outre, le dessinateur varie les constructions de page en fonction de la nature de ce qui est raconté ou exposé, mettant à profit la grande variété offerte par la bande dessinée : facsimilé de carte géographique, reproduction de unes de journal, reprise d’une photographie en dessin, forme de case en trapèze pour opposer deux personnes (par exemple Albert Camus et Jean-Paul Sartre en page quarante-six), dessin en pleine page pour un paysage remarquable (l’assemblée populaire nationale en page soixante-quinze), cases de la largeur de la page pour un trajet en voiture, dessin en double page et en ombre chinoise pour un bâtiment (pages cent-quatre et cent-cinq), reprise de couverture de livres, portrait d’après photographie de personnalités (l’extraordinaire portrait de Raymond Aron et de Germaine Tillion en page cent-vingt, un photoréalisme aussi réussi que complexe à réaliser), vignettes rectangulaires disposées en pourtour d’une double page pour encadrer un texte d’exposition sur la proto-sociologie, schéma en organigramme pour illustrer le concept de Champ, diagramme pour les différentes formes de patrimoine, reprise de slogans dans des graphies variées, etc. S’il y prête attention, le lecteur se retrouve fortement impressionné par l’intelligence et la pertinence graphique du récit.


Le dessinateur s’avère d’autant plus méritant que le scénariste a conçu un ouvrage ambitieux et sophistiqué. Le lecteur comprend que les séquences se déroulant de 2011 à 2015 servent au moins deux objectifs. Le premier est de donner au lecteur les éléments lui permettant de prendre du recul, de situer l’origine social du scénariste, la manière dont lui est venu l’idée de retracer le parcours de Bourdieu en Algérie, l’objectif poursuivi et la méthodologie mise en œuvre. En cela, l’auteur affiche que cette démarche est personnelle et que sa manière d’aborder et d’exposer le sujet est également personnelle. Le second est de montrer des facettes de la société algérienne dans les années 2010 de manière à fournir un point de comparaison aux observations de Bourdieu fin des années 1950, début des années 1960, faisant ainsi ressortir les éléments spécifiques de sa période d’observation. Incidemment, ce dispositif fait également ressortir les effets durables des travaux de Bourdieu dans son analyse sociologique de cette société, et lors des interviews avec les personnes qui l’ont rencontré ou côtoyé à l’époque. Ces séquences permettent de prendre du recul pour considérer le parcours de Bourdieu, ses démarches et la pérennité de ses analyses.



La forte pagination de l’ouvrage permet aux auteurs d’approfondir de nombreuses facettes de leur propos. Le scénariste fait œuvre de vulgarisation et même d’histoire en évoquant l’évolution de la situation en Algérie, pendant la guerre d’indépendance et après, les missions confiées au soldat Bourdieu, les différentes positions d’intellectuels comme Francis Fanon (1925-1961), Jean-Paul Sartre (1905-1980), Albert Camus (1913-1960), Raymond Aron (1905-1983), Germaine Tillion (1907-2008), Mouloud Feraoun (1913-1962). Il aborde la situation de l’Algérie sous l’angle sociologique, mais aussi historique, économique, culturel, politique. L’ouvrage est découpé en six chapitres : Un aller pour l’Algérie, Seconde classe, La guerre moderne, Un nouveau regard, Entre-deux, Maintenir l’ordre. Au fil de ces chapitres, l’auteur commence par retracer la vie de Pierre Bourdieu pendant son service militaire, s’interrogeant à la fois sur la genèse de son intérêt pour ce pays, et sur le rôle qu’il a joué en tant que militaire dans ladite guerre d’indépendance, au sein de la force armée du pays colonisateur. Par la suite, il ne se contente pas d’une biographie inscrite dans l’Histoire, il réalise une introduction vulgarisatrice sur la sociologie en évoquant rapidement Emmanuel Joseph dit l’abbé Sieyès (1748-1836), Claude-Henri de Rouvroi de Saint-Simon (1760-1825), Auguste Comte (1798-1857), Karl Marx (1818-1883), Émile Durkheim (1858-1917), Max Weber (1864-1920). Il explique de manière synthétique les principaux apports théoriques de Pierre Bourdieu : les champs, le capital et l’habitus, et bien sûr les mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Il s’attache également à mettre en lumière l’importance essentielle de la collaboration entre Bourdieu et Abdelmalek Sayad (1933-1998), le lecteur souriant au parallèle avec le scénariste et son guide et ami Mohand.


En fonction de sa culture, le lecteur peut être familier du sociologue Pierre Bourdieu et de ses œuvres, de la guerre d’indépendance de l’Algérie, ou non. Olivier Thomas et Pascal Géno, avec Saadi Chikhi, ont réalisé un ouvrage remarquable, dense et accessible. La narration visuelle s’avère dense elle aussi, d’une qualité supérieure pour la reconstitution historique, pour la description des lieux, et pour la pertinence des mises en page et en scène pour raconter chaque séquence. Le scénariste s’avère tout aussi rigoureux dans son approche, approfondissant avec une rigueur pénétrante chaque facette de son enquête algérienne, et une prise de recul sophistiquée pour que le lecteur puisse se faire sa propre opinion en ayant pris connaissance des éléments nécessaires. Remarquable.



jeudi 22 décembre 2022

Carnets d'Orient T08 La fille du Djebel Amour

Mais le pire est le crime contre l’espoir.


Ce tome fait suite à Carnets d'Orient T07 Rue de la bombe (2004) qu’il vaut mieux avoir lu avant pour comprendre les relations entre les personnages. Ce tome a été publié pour la première fois en 2005, sans prépublication en magazine. Il a été réalisé par Jacques Ferrandez, pour le scénario, les dessins et les couleurs, comme tous les précédents. Il comprend cinquante-deux pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une citation de Mouloud Feraoun (1913-1962) : Il arrivera un moment où l’armée et le maquis rivaliseront de brutalité et de cruauté, les uns au nom d’une liberté difficile à conquérir, l’autre au nom d’un système périmé qu’elle s’acharne à défendre. Ceux qui font les frais de ces colères implacables les subissent sans étonnement et sans panique, ayant enfin conscience de se trouver engagés dans un circuit infernal d’où toute tentative d’évasion est devenue une utopie. Vient ensuite une introduction de quatre pages, rédigée par Michel Pierre, agrégé d’histoire, spécialiste, entre autres, de l’histoire coloniale. Il évoque la situation du gouvernement français et sa politique en Algérie, en 1957 et 1958. Il en présente plusieurs facettes : les Détachements Opérationnels de Protection, les Unités Opérationnelles de Recherche (UOR), les noms du cynisme et de la dérision pour désigner les tortures (brasse coulée, gégène, rock’n’roll, manivelle, corvée de bois), les termes lumineux et anodins pour désigner les grandes opérations militaires du général Challe (Étincelles, Jumelles, Pierres précieuses), la bleuite, les Sections Administratives Spécialisées (SAS), les wilayas, l’Armée de Libération Nationale, la force K (pour désigner les Kabyles et leur antagonisme envers les Arabes), l’Armée Nationale du Peuple Algérien (ANPA), les Moghaznis, l’opération Oiseau Bleu, etc.


Dans une zone montagneuse désertique de l’Algérie, à l’été 1957, Samia ligotée nue sur une couverture dans une petite maison de pierre voit Bouzid s’encadrer dans l’embrasure de la porte. Peu de temps après, Bouzid se rend dans l’autre petite maison de pierre qui abrite Ali, un autre prisonnier, lui aussi entravé. Il lui dit que Samia a commencé à parler. Ali ne veut pas le croire. Le premier défend le patriotisme découlant de la religion. Le second se bat pour sa dignité et celle de son peuple et il estime que si la foi anime nombre de combattants, c’est que la plupart sont analphabètes. Là où il y a la religion, c’est qu’il n’y a rien d’autre.



Non loin de là, Octave Alban et quatre soldats cheminent à pied, avec des mules chargées d’armes, sous la pluie. Ils arrivent devant une mechta et toquent à la porte. Un Arabe âgé leur ouvre et Octave prononce le début de la phrase de reconnaissance, l’autre, la seconde partie. Il leur indique que le poste de commandement a changé de place : il se trouve à une heure d’ici et les moudjahidines attendent les armes avec impatience. En réponse à une question, il confirme qu’ils ont bien deux prisonniers avec eux. Le petit groupe reprend sa marche. La pluie a cessé.


Depuis le tome 6, c’est-à-dire le début du deuxième cycle, les introductions se font plus denses, plus fournies. En fonction de son appétence, le lecteur peut préférer rentrer dans le vif du sujet et commencer par lire la bande dessinée, ce pour quoi il a fait l’acquisition de cet ouvrage. Ou bien il peut avoir pris l’habitude de jeter d’abord un coup d’œil à l’introduction pour savoir qui l’a écrite, qui apporte sa caution à cette œuvre, et la lire pour savoir quel est le point de vue du commentaire développé. Dans le cas du présent tome, l’historien se livre à une contextualisation avec plusieurs mises en perspective très édifiantes. La position du gouvernement français qui ne peut pas envisager de qualifier les conflits de guerre civile, au point que cette reconnaissance ne survienne qu’en 1999, avec une nouvelle plaque sous l’Arc de Triomphe comprenant le terme de Guerre d’Algérie. La mise en pratique de techniques de guerre psychologique apprises pendant la guerre d’Indochine par l’armée française. La mise à profit de l’antagonisme Kabyles-Arabes par l’armée française. L’importance de Mohammed Bellounis (1912-1958), militant du Mouvement national algérien (MNA). Un développement sur les Sections Administratives Spécialisées, et leurs officiers au képi bleu. Après coup, il s’avère que ce texte fournit une profondeur de champ au récit en bande dessinée, qu’il permet de mieux saisir certaines phrases qui font allusion à ces organisations, à ces opérations, sans avoir la place de les détailler.



De fait, les différents personnages exposent régulièrement leur point de vue sur la situation, sur leur ressenti, sur la manière dont ils sentent qu’ils incarnent un type d’Algérien ou un autre, ou en tout cas un individu habitant et vivant en Algérie, chacun avec son origine, son histoire personnelle. De temps à autre, le lecteur peut voir que l’auteur utilise tel personnage pour exprimer telle opinion. C’est flagrant quand Ali écrit une citation d’Albert Camus (1913-1960) sur un mur : Bientôt l‘Algérie ne sera plus peuplée que de meurtriers et de victimes. Bientôt les morts seuls y seront innocents. Ça l’est aussi quand Octave se considère en tant que militaire français sur le sol algérien, ou quand Samia évoque sa participation à un mouvement terroriste arabe. Mais à chaque fois, ledit personnage apparaît beaucoup plus complexe : il ne peut pas être réduit à un stéréotype, à une unique composante. Ali a choisi de rejoindre le Front National de Libération, pour autant l’idéologie du mouvement, ses valeurs, ses modes d’action ne correspondent pas à 100% à ses propres convictions. De même, l’histoire personnelle du capitaine Octave l’a conduit à écrire un article qui a été publié dans un grand quotidien algérois dénonçant les pratiques de torture par l’armée française. Samia a suivi des études de médecine : elle refuse de continuer à tuer, elle souhaite exercer sa profession et elle a une conscience aigüe du fait que les hommes arabes ne sont pas prêts à accepter de se faire soigner par une femme.


Ouvrir un tome de cette série, c’est donc s’immerger dans la société de cette époque, mais aussi voyager en Algérie, par les yeux d’un artiste amoureux de ses paysages. Dans la première planche, le lecteur peut admirer un petit groupe de maison sur un flanc de coteau, avec des contours discrètement détourés au crayon, et un rendu à l’aquarelle transcrivant avec bonheur l’ambiance lumineuse. À sept reprises, le lecteur retrouve cette mise en page particulière initiée par l’artiste au début du cycle un paysage représenté sans bordure s’étalant sur une partie de la page de gauche et une partie de la page de droite, ainsi qu’au niveau de la pliure centrale, établissant ainsi l’environnement et disposant de place pour avoir de la consistance. Le lecteur admire ainsi à deux reprises la région montagneuse et désertique dans laquelle progressent le petit groupe d’Octave Alban, en plein soleil, puis une zone un peu plus éloignée de nuit. Viennent ensuite des plateaux désertiques, une zone de désert de sable, une anfractuosité rocheuse servant d’abri à un commando militaire, une scène de foule à Alger à l’occasion du discours du 4 juin 1958 du général de Gaulle. Au fil des mises en page plus classiques, le lecteur peut également découvrir les petites maisons en pierre, l’aire de décollage des hélicoptères du bastion 23 à Alger, plusieurs vues de la ville d’Alger, le système d’irrigation d’un village dans une oasis.



Comme dans les tomes précédents, Jacques Ferrandez utilise l’aquarelle pour rendre la luminosité de chaque paysage. Alors qu’il pourrait craindre une forme de pauvreté visuelle quand les personnages discutent dans le désert, le lecteur se rend compte que ces scènes dégagent un réel charme, qu’elles l’attirent dans cet environnement à la lumière changeante, à la chaleur douce. Il en va de même pour les scènes nocturnes, avec une lumière bleutée très séduisante. Encore une fois l’amour de l’auteur pour ce pays transparaît à chaque page. Celui pour ses personnages également. Éventuellement, le lecteur peut tiquer pour la féminité délicate de la menue Samia, et sa nudité en tant que prisonnière. Pour autant ce n’est pas une image voyeuriste pour le plaisir de se rincer l’œil, mais plutôt l’évidence de la beauté humaine contrastée avec le comportement inhumain du geôlier. Samia mise à part, l’artiste ne cherche pas à embellir ses personnages d’une manière romanesque, ou à les enlaidir s’ils se trouvent du mauvais côté de la morale ou de l’Histoire. Il reste dans un registre naturaliste ce qui atteste du fait que chacun est un être humain, imparfait, avec ses contradictions. Octave Alban reste un soldat dont le métier est celui de la guerre, même s’il dénonce les tortures. Le commandant Loizeau reste un individu mu par le devoir, même s’il cautionne l’usage de la torture et de la manipulation.


En finissant la dernière page, le lecteur repense à la citation de Mouloud Feraoun mise en exergue : Ceux qui font les frais de ces colères implacables les subissent sans étonnement et sans panique, ayant enfin conscience de se trouver engagés dans un circuit infernal d’où toute tentative d’évasion est devenue une utopie. Chaque personnage fait les frais de cette guerre. De temps à autre, le lecteur se rend compte que l’auteur écrit cette histoire avec la connaissance de ce qui va advenir par la suite, avec des thèmes qui deviendront plus prégnants par la suite, comme le rôle des femmes poseuses de bombe et destinées à retourner à leur fourneau par la suite. Jacques Ferrandez parvient à réaliser une reconstitution de cette période historique en Algérie, sans se montrer exhaustif car c’est impossible avec sa pagination, mais sans rien sacrifier de la complexité de chaque situation individuelle, de l’horreur de ces conflits armés, des exactions commises par des êtres humains contre d’autres êtres humains pour des idéaux et des idéologies, par le biais de personnages très attachants pour certains, simplement humains pour d’autres, avec toujours cet amour pour ce pays qui transparaît à chaque page. Ce tome se termine avec discours du 4 juin 1958 de Charles de Gaulle à Alger, devant une foule assemblée sur la place du Forum, et le fameux Je vous ai compris.