La vie n'est qu'une pantomime.
Ce tome fait suite à Double Masque - Tome 5 - Les Coqs (2011) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il faut avoir commencé la série par le premier tome. Sa première parution date de 2013. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins, et Denoulet pour les couleurs. Il compte 54 planches de bande dessinée. Le scénariste et le dessinateur avaient déjà collaboré sur la série Voleurs d'empires en 7 tomes de 1993 à 2002. Tous les tomes ont été regroupés dans Double Masque - Intégrale complète en 2021 à l'occasion du bicentenaire de ca mort de Napoléon (1769-1821).
Le 28 novembre 1804 – 7 frimaire an XIII – l'empereur et le pape Pie VII entrent dans Paris. Il y a foule pour les accueillir, jamais il n'y eu t tant de monde dans la capitale. L'on promet des réjouissances à nulles autres pareilles. Les prix s'envolent : si vous voulez assister au passage du cortège d'un balcon, il vous en coûtera 600 francs. Des croisés d'une fenêtre où l'on s'entasse, 400. Et ainsi de suite… Le monde est merveilleux qui peut dépenser tant d'argent pour une fête. Mais le temps presse ! Et tandis que Bonaparte veille aux derniers détails du sacre qui fera de lui l'empereur de tous les Français, sa Sainteté Pie VII reçoit les grands corps de l'État : Fontanes pour le corps législatif, François de Neufchâteau pour le Sénat, Fabre de l'Aude pour le tribunat. En fin de journée, le pape est épuisé. Né Barnabé Chiaramonti à Césène, il est de santé fragile, mais animé d'une volonté, d'une force de caractère qui lui permet d'affronter les épreuves. Celles-ci ne lui seront pas épargnées. Ainsi, au dernier moment, alors que le pape songe à se reposer, le cardinal Fesch lui murmure quelques mots à l'oreille.
Joséphine de Beauharnais demande une audience : elle vient avouer au pape que Napoléon et elle ne sont pas mariés religieusement. Il est décidé que le cardinal Fesch bénira cette union. Jean-Jacques-Régis de Cambacérès va en informer Napoléon Bonaparte qui se demande pour quelle raison son épouse en a informé le pape. Le cardinal Fesch en informe le nonce Zaponi afin qu'il prépare la cérémonie. Ce dernier y voit une belle occasion de réaliser un attentat à la bombe. Il regagne son bureau où il est attendu par l'abbé Sathanase, un conspirateur, qui vient se mettre au service du nonce. Celui-ci indique qu'il lui manque une bombe pour réaliser son attentat. L'abbé indique qu'il sait où elle se trouve : chez celui qui l'a conçue, un étudiant du nom de Carliez. Il reste juste assez de temps pour qu'il aille l'y chercher et qu'il la ramène. Il se précipite dans Paris, dans cette nuit folle où tout se bouscule, les bénédictions comme les massacres. Il arrive dans l'échoppe de l'étudiant, mais c'est à son tour d'avoir un pistolet plaqué contre sa tempe, car l'Écureuil est déjà sur place, l'attendant, après avoir fait parler Carliez.
C'est le grand dénouement qui culmine avec la cérémonie du sacre de Napoléon Bonaparte qui devient empereur dans la cathédrale de Notre Dame de Paris, en se couronnant lui-même, puis en couronnant son épouse Joséphine le deux décembre 1804. Dans cet album à la pagination un peu étoffée (54 pages), Jean Dufaux met en scène plus événements historiques : l'entrée du pape Pie VII (1742-1823) dans Paris, le mariage religieux de Joséphine et Napoléon, le sacre lui-même, depuis l'arrivée des invités et de la foule dans la cathédrale, jusqu'au couronnement. C'est magnifique de bout en bout : il est visible que Martin Jamar a passé un temps fou sur ses planches pour réaliser une reconstitution historique précise, authentique, totalement immersive. Le lecteur retrouve ce qu'il considère être comme un dû : la représentation des rues de Paris, la décoration intérieure des appartements, le mobilier d'époque, les tenues vestimentaires conformes à la réalité historique. Cela va sans dire, mais cette authenticité représente à la fois un travail conséquent de recherche pour ne pas se tromper sur un modèle de carrosse, ou une tenue d'apparat, à la fois un investissement de temps et de motivation pour tout représenter dans le détail. Le lecteur constate que plus il tourne les pages, plus les planches regorgent de détails de plus en plus fins.
Le faste commence en planches 32 & 33. Planche 32 : une vue extérieure en plan large de Notre Dame de Paris, sur laquelle il ne manque aucune sculpture décorative, aucune gargouille, devant des badauds et quelques gardes à pied ou à cheval, puis une représentation d'un chapiteau adossé à la cathédrale et une centaine de soldats, à cheval ou à pied, prêts à se déployer. Planche 33 : en arrière-plan, le cordon de policier et quelques badauds, sous le chapiteau un fiacre s'est arrêté pour laisser descendre sur le tapis rouge, des invités prestigieux, un autre attend derrière, une trentaine d'invités en habits discutent en attendant de pouvoir entrer. Dans les cases du dessous, le lecteur passe de monsieur de Talleyrand à monsieur Berthier, pouvant ainsi admirer à loisir leur tenue. La richesse de ce passage n'est qu'une mise en bouche : le sacre se déroule de la planche 38 à la planche 45, et les dessins font honneur au faste de la cérémonie et au nombre d'invités, par leur richesse et leur minutie. Avec des traits d'une finesse exquise et d'une assurance remarquable, Martin Jamar donne à voir l'hermine bien sûr, les décorations des murs de la cathédrale pour le sacre, les motifs des tapis, la richesse des tenues officielles, des toilettes de ces dames, sans s'épargner aucune peine. Il représente aussi bien des groupes de personnages de plain-pied, qu'il construit des perspectives pour une vue générale, en particulier de l'enfilade de la nef, dans une image à couper le souffle. Dans les dernières pages, le lecteur a encore droit à une vue du ciel de la cour des Adieux du château de Fontainebleau, et à une vision meurtrière d'une charge lors d'une bataille napoléonienne. C'est un festin pour les yeux de bout en bout.
Découvrant progressivement l'incroyable consistance de la reconstitution historique, le lecteur sent l'intrigue passer en arrière-plan dans son esprit. Il est vrai qu'il arrive à ce dernier tome avec une forme d'a priori : peu probable que le scénariste parvienne à apporter les éléments supplémentaires nécessaires pour que tous les éléments des tomes précédents fassent sens. Il faut distingue plusieurs facettes de la série. Pour commencer, l'intrigue de premier niveau est menée avec une élégance certaine : les conspirateurs parviendront-ils à assassiner Napoléon Bonaparte avant qu'il ne soit sacré ? Bien sûr la réalité historique donne la réponse avant d'avoir lu ce tome, mais le scénariste ayant pris une ou deux libertés avec la vérité historique précédemment… Non, le Sacre se déroule bien conformément à ce que relatent les manuels d'Histoire. Deuxième facette : comment le complot sera-t-il déjoué ? Dufaux continue de bien s'amuser en montrant que les plans les mieux préparés ne se déroulent jamais comme on s'y attend. Amusant de voir comment l'Écureuil contrecarre les comploteurs. Surprenant de voir comment la Torpille continue d'être au centre des événements. Le fil narratif des masques parvient également à un dénouement cohérent dans la perspective de la série, avec une explication de l'origine de la dame voilée, et de la nature des masques. Il n'y a que l'évolution de la personnalité de Camille de Lestac qui semble détonner car son ressentiment à l'encontre de François disparait sans explication au profit d'un autre sentiment.
Le scénariste assume jusqu'au bout l'élément fantastique qu'il a introduit dans cette évocation de cette partie de la vie de Napoléon Bonaparte : les masques, la dame voilée, Fer-Blanc. Il y ajoute une forme de prescience de la dame voilée sous une forme très déstabilisante. Quand la Fourmi se rend dans son appartement, il découvre le nom des futures batailles napoléoniennes sur les poutres apparentes du plafond : Austerlitz, Lodi, Friedland, Rivoli, Wagram, Marengo, Arcole, Moskowa, Iéna, Waterloo. Le lecteur prend ce moment comme une bizarrerie supplémentaire. Il se souvient que l'auteur avait fait de même dans sa précédente série avec Martin Jamar, sur la Commune de Paris : intégrer un élément fantastique. Le thème du masque joue sur deux sens : l'obligation en tant qu'homme politique de porter un masque pour pouvoir progresser, et l'idée que Napoléon comme la Fourmi s'interrogent sur ce que peut être la vie de l'autre. En l'état, cet artifice narratif semble un peu basique. Le lecteur regrette également de ne pas en apprendre plus sur la préposée du Mont de Piété et les boîtes qu'elle entrepose. Dans la toute dernière page, le lecteur a un aperçu d'une bataille napoléonienne : une charge entre deux armées, un massacre et un carnage assurés. L'auteur en profite pour boucler sa métaphore sur l'abeille et la fourmi, et le lecteur y voit autre chose. Il repense à une phrase de Jean Dufaux dans une de son introduction faisant part de sa sensation de se perdre dans la vie du grand homme. Il se dit que le scénariste emploie l'élément surnaturel pour rendre compte à la fois du destin, cette combinaison des circonstances d'un configuration historique unique, et de l'impossibilité de deviner les pensées intimes de Napoléon, de ne pouvoir que supputer tout en sachant que la réalité était de nature différente, une sorte d'entreprise de reconstitution vaine et vouée à l'échec. Vu sous cet angle-là, ce qui peut sembler être de la désinvolture de l'auteur pour son intrigue prend un autre sens : une forme d'humilité quant à la prise de conscience qu'il est impossible de faire revivre Napoléon Bonaparte, individu trop grand pour que quiconque puisse prétendre en rendre compte avec justesse.
Cette série se termine dans une apothéose visuelle d'une richesse inouïe, une reconstitution historique des fastes du Sacre, avec un soin enthousiasmant. Le scénariste mène son intrigue à terme, en établissant la logique des éléments surnaturels. Il reconnaît avec humilité son incapacité à faire revivre un personnage aussi hors norme que Napoléon Bonaparte.
"Le faste commence en planches 32 & 33" - Le faste a été celui du lecteur aussi, de toute évidence. Tu le mentionnes d'ailleurs dans la dernière phrase de ton paragraphe. J'ai pris grand plaisir à lire ce passage ; les images viennent à l'esprit facilement et ton enthousiasme est vraiment communicatif. Mais là où c'est fort, c'est que cet enthousiasme, aussi communicatif soit-il, ne m'a pas pour autant préparé à la majesté - sans jeu de mot - des incroyables planches de Jamar. Quel talent, mais quel talent ! Les costumes, les figurants, les détails, tout y est ! Je suppose qu'il s'est inspiré des peintres du sacre. As-tu regardé leurs tableaux ?
RépondreSupprimer"Il y ajoute une forme de prescience de la dame voilée sous une forme très déstabilisante." - En fait, par le biais de cet artifice, je me demande si Van Hamme ne cherche pas à sous-entendre que tout est écrit d'avance, que tout est planifié, pour le commun des mortels comme pour les grands hommes. Est-ce tiré par les cheveux parce que je suis trop loin de l'intrigue ? Qu'en penses-tu ?
Aaah ! ça me fait plaisir que tu partages mon admiration pour les planches de Jamar. Je me demandais si j'étais le seul y être aussi sensible. Je n'ai pas pris le temps d'aller regarder les tableaux des peintres du Sacre. Bonne idée pour ce week-end.
SupprimerTout est écrit d'avance ? Oui, il y a ce développement avec la mystérieuse dame au Mont de Piété, mais elle évoque également la possibilité pour quelques rares mortels d'y échapper. Avec ma sensibilité, j'y ai plutôt vu le constat de Jean Dufaux qu'il n'avait pas eu assez d'inspiration pour pouvoir lui échapper en tant que scénariste au destin extraordinaire de Napoléon Bonaparte. Parti avec une volonté de prendre des libertés, il s'est retrouvé à coller à l'Histoire, parce qu'elle constitue déjà une histoire, un récit, d'une plus grande qualité, ou d'un plus grand intérêt que n'importe quelle intrigue qu'il aurait pu imaginer. Après les deux premiers tomes, il s'est résolu à respecter les faits historiques (à peu de choses près), ce qui fait que l'histoire de Napoléon était écrite d'avance pour le scénariste Dufaux. Mais ce ne sont que des conjectures de ma part, à prendre avec des pincettes.
Excellente interprétation, en effet, le constat de Dufaux qui, en tant que scénariste, ne peut échapper au destin de Bonaparte.
SupprimerSi jamais tu vas regarder quelques/les tableaux, je serais ravi que tu m'en dises quelques mots.
Je ne sais pas pourtant j'apparais en tant qu'Anonyme. Mais soit ; tu auras compris que c'était moi.
SupprimerEtrange cette affaire d'anonyme !?!
SupprimerJe manque un peu de temps pour aller regarder quelques tableaux dans le détail, mais je me le note pour plus tard. Merci de l'idée.