Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2017. Il a été réalisé par Jul & Charles Pépin. Il s'agit de leur quatrième collaboration après La Planète des sages T1 - Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies (2011), Platon La gaffe, Survivre au travail avec les philosophes (2013) et La Planète des sages - tome 2 - Nouvelle encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies (2015).
Comme les autres ouvrages réalisés par ce tandem d'auteurs, celui-ci se présente sous la forme d'un gag en une ou 2 pages, avec en vis-à-vis, ou juste après, un texte sur 1 ou 2 pages. Tout commence avec Zeus lors d'un rendez-vous avec son avocate. Celle-ci passe en revue ses différentes conquêtes et les enfants qui sont nés de ces unions. Elle conclut sur l'ampleur de la pension alimentaire. Le texte en vis-à-vis évoque également les nombreuses amours du roi des dieux, en faisant apparaître ce qu'il en a retiré au-delà du moment de possession d'une beauté éphémère. Pan passe devant le juge pour différents chefs d'accusation : l'affaire du Sofitel de Mykonos, les agapes du Carlton de Delphes, un réseau d'escort-girls. Pan est un dieu ambigu, personnifiant une part de la sauvagerie de l'être humain, avec ses cornes et ses sabots caprins. Mais c'est aussi un dieu qui a participé à la lutte contre les Titans, et a été accueilli au panthéon olympien, reconnaissant ainsi la nécessité de l'existence de danseurs ivres, de la puissance libératrice de l'excès.
Sisyphe a été nommé ministre de l'éducation nationale, et chaque jour il doit recommencer à faire rouler la pierre de la réforme au sommet pour la voir aboutir. Sisyphe n'est pas que la métaphore de l'absurdité de la condition humaine, c'est aussi le symbole du cycle de la vie. Un couple de grecs se rend au centre commercial Parthénon II et observe la faune qui y traîne. Jason et les 49 Argonautes se sont lancés à a recherche de la Toison d'Or, affrontant bien des périls. Mais quel était le sens de leur quête, une forme de recherche pour assouvir un désir non formulé ? Poséidon n'a pas apprécié l'appropriation de son trident par le Club Méditerranée. Poséidon est un dieu ambigu qui peut apporter l'eau indispensable à l'agriculture, comme noyer les humains par un déluge. Au fil de ces quatre-vingts pages, les auteurs mettent également en scène Charon, Thésée, Ulysse, Cronos, Narcisse, Dionysos, les Amazones, Héra, Héraclès, Orphée, Pénélope, Éros, le pouvoir de Zeus, Œdipe, Prométhée, Dédale, les Centaures, Pégase, les Métamorphoses, Icare, Atlas, Athéna, les Cyclopes, Héphaïstos, Achille, Déméter, le Cheval de Troie.
Comme dans les précédents tomes, le lecteur est à la fois attiré par le programme et par les dessins. L'ouvrage promet de (re)découvrir la mythologie grecque sous forme d'articles courts et synthétiques, version digest. Le dessin de couverture réussit à marier une représentation rendant les dieux sympathiques et très humains, à la fois immédiatement reconnaissables, avec un air un peu benêt qui les rend inoffensifs, voire tellement gentillet que la moquerie n'est pas loin. La page au dos de la première de couverture et la page en vis-à-vis forment un trombinoscope reprenant 34 portraits de dieux en gros plans, tous avec une gueule pas possible, dans la même veine caricaturale. Jul réalise donc 24 gags en 1 page et 8 gags en 2 pages. Il mêle allègrement les dieux en tenue antique avec des éléments modernes comme les téléphones portables, les avocats, le supermarché, une tablette, un camion de la fourrière, etc. Une partie de l'humour est générée par ce comique de situation basé les anachronismes. Dans le même ordre d'idée, les situations mises en scène reposent également sur d'autres anachronismes, mêlant panthéon antique et actualité : pension alimentaire, réforme de l'éducation nationale, traversée maritime périlleuse d'immigrés clandestins, selfies, Femen, libéralisation du marché de l'énergie, accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, sites de rencontre, etc.
Comme à son habitude, Jul réalise des dessins aux contours un peu lâches, dans des cases sans bordure. Le lecteur ressent une empathie immédiate avec les personnages représentés, grâce à l'expressivité de leurs visages. Chaque situation donne une impression d'évidence naturelle, alors même qu'il semble n'y a avoir que quelques traits grossiers pour représenter la scène, souvent dépourvue de décor. Pourtant le lecteur reconnaît immédiatement qui il a en face de lui et où se situe la discussion ou l'action. L'artiste impressionne par sa capacité à évoquer et faire s'incarner ainsi des caractères et des lieux en un minimum de traits. Il met en jeu plusieurs registres de comique : de situation, de relations, allant jusqu'à l'absurde ou au comique purement visuel, avec une facilité épatante. Le lecteur en vient à se demander s'il va finalement lire les pages de texte.
Comme dans le deuxième tome sur les philosophes, Charles Pépin fait en sorte que son texte évoque régulièrement le gag imaginé par Jul. Bien évidemment, ce dernier met en scène le dieu ou les personnages dont il est question dans la page en vis-à-vis, mais en plus régulièrement le philosophe reprend une partie de la situation imaginée par l'artiste. Le contenu des textes s'avère différer d'un dieu à l'autre, allant de l'évocation très condensée de l'histoire d'un dieu ou d'un personnage, à une réflexion périphérique sur un de ses aspects, pas forcément le plus connu. Ainsi la page consacrée à Poséidon revient sur de nombreux événements mythologiques qui lui sont associés, sans beaucoup développer leur interprétation. Le lecteur reste un peu sur sa faim, avec un condensé partiel de la mythologie associée à Poséidon, forcément lacunaire et réducteur, et un ou deux jugements de valeur, comme plaqués artificiellement entre 2 événements. À l'opposé, l'article (de 2 pages) sur Dionysos développe essentiellement des réflexions sur sa dimension métaphorique, sans presqu'aucun fait sur sa mythologie, laissant le lecteur novice sur sa faim. De dieu en dieu, le lecteur observe également que Charles Pépin a changé son fusil d'épaule.
Les 3 premiers ouvrages réalisés par Jul & Pépin adoptent une approche philosophique, à la fois en évoquant la vie et les concepts développés par les plus grands philosophes. Ici, il est fait quelques mentions de thèmes philosophiques, mais l'approche est surtout de nature psychanalytique. En cela, cet ouvrage ne respecte pas forcément l'horizon d'attente du lecteur. En fonction des dieux, le lecteur se retrouve plus ou moins intéressé par l'amour comme forme de pouvoir, la nature insaisissable de l'objet du désir, la question des rémanences de sa personnalité après la mort, l'attrait de l'interdit, la dualité entre corps & âme, la figure de l'impair comme symbole de la pensée unique, etc. En fonction de la sensibilité du lecteur, certaines entrées peuvent laisser perplexe, comme celle sur Poséidon, ou celle sur la foudre de Zeus. Au contraire, d'autres peuvent surprendre par leur thème ou leur interprétation inattendue. Par exemple, Charles Pépin ne se contente pas de vulgariser le mythe de Sisyphe pensé par Albert Camus, il en propose une autre interprétation qui vient le compléter. Le mythe de Thésée donne lieu à un développement relatif au triomphe de la raison sur les affects, et celui d'Icare sur la transmission de l'expérience (avec un proverbe chinois en bonus : l'expérience est un peigne pour les chauves). Le lecteur apprécie à des degrés divers cette évocation de la sagesse grecque antique et l'interprétation que peut en faire le philosophe. Il constate la richesse de ces mythes qui se prêtent à plusieurs interprétations possibles.
Néanmoins, dès la première rubrique (consacrée aux amours de Zeus), il relève une petite phrase rappelant une évidence : pas d'amour désintéressé comme chez les chrétiens. La deuxième rubrique ne fait pas référence à la religion monothéiste. Toutefois le lecteur y retrouve une allusion dans le texte consacré à Dinoysos, une autre pour l'amour entre Pénélope et Ulysse. Ces petites remarques discrètes apportent alors une autre dimension à la lecture. Il ne s'agit plus simplement d'une série de gags savoureux basés sur le décalage, et d'évocations plus ou moins détaillées de pans mythologiques avec un éclairage psychanalytique. Il s'agit aussi d'une vision du monde préchrétienne. Les auteurs ne mettent pas cette dimension en avant, mais le lecteur en prend conscience progressivement, ou cela lui revient à l'esprit. Par cette prise de recul, l'ouvrage apporte une perspective inattendue, devenant aussi le révélateur de la transformation idéologique amenée par l'avènement du christianisme, par la réduction opérée par l'idéologie de cette religion, tant sur le plan moral que sociétal.
S'attendant à un ouvrage similaire aux précédents réalisés par Jul & Charles Pépin, le lecteur est à la fois conforté et déstabilisé. Il retrouve la forme des 2 tomes sur les philosophes, 1 page de BD avec 1 page de texte en vis-à-vis, ou 2 pages de BD suivies de 2 pages de texte, chaque entrée se focalisant sur un dieu ou un personnage différent. Il est aussi pris au dépourvu par une orientation plus psychanalytique que philosophique, et par des textes où la répartition entre informations mythologiques et considérations sociales et psychologiques varient fortement de l'un à l'autre. Il lui faut également un peu de temps pour prendre conscience que cet ouvrage propose d'examiner des points de vue préchrétien, faisant ainsi ressortir des façons de penser tellement habituelles qu'elles en paraissent objectives. 4 étoiles pour une approche au dosage fluctuant d'une entrée à l'autre.
Ça a l'air plutôt amusant ; je ne sais pas si ça résiste à plusieurs lectures au fil du temps, d'autant que, comme tu l'expliques, il y a un lien assez important avec l'actualité. Du coup je me demande s'il ne s'agit pas d'une forme de BD éphémère destinée à la consommation immédiate.
RépondreSupprimerJe n'avais pas envisagé cette dimension éphémère. Je suppose que je suis mal placé pour en parler, car chacune des références présentes me parle (et la réforme de l'éducation est indémodable). Quant à la partie texte, en ce qui me concerne, il est probable que je la relise car les points de vue développés sont personnels et bien construits. Il est vraisemblable que d'ici 20 ou 30 ans, l'allusion aux affaires de DSK soient moins présentes dans les esprits. Il est à craindre que d'autres individus s'illustrent par ce genre de comportements.
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