Ce tome fait suite à Caroline Baldwin, Tome 5 : Absurdia (1999) qui contient une révélation sur l'état de santé de Caroline Baldwin. La première édition date de 2000 et il est repris dans Caroline Baldwin Intégrale T2: Volumes 5 à 8. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et l'encrage. La mise en couleurs a été réalisée par Bruno Wesel.
Dans une petite ville de montagne en Amérique du nord, Caroline Baldwin est en train d'écluser des verres de Jack Daniel's au bar. L'horaire de fermeture arrive, et Doug (le barman) lui indique qu'il est temps qu'elle rentre chez elle. Elle essuie les larmes qui lui coulent des yeux, et sort. Elle marche seule dans la neige qui s'est mise à tomber, sans croiser âme qui vive dans les rues. Elle souffle sur ses mains pour les réchauffer. Elle arrive à son hôtel : un train dont les wagons ont été reconvertis en chambre. Elle rentre dans la sienne et sort son pistolet de son sac, met une balle dans le barillet. Après un moment d'attente, elle met le canon du revolver dans sa bouche, alors que des larmes coulent sur ses joues, et que la neige continue de tomber à l'extérieur. Le lendemain, un hélicoptère survole le village et les montagnes avoisinantes. 3 voitures de police font leur entrée dans la ville, les feux à éclat en action, bientôt suivies par une ambulance.
Dans sa chambre, Caroline Baldwin dort d'un sommeil lourd, après avoir éclusé une bouteille supplémentaire de Jack Daniels et s'être endormie en écoutant Only trust your heart (1995) de Diana Krall. Le jour s'est levé avec un beau soleil. Un homme d'une cinquantaine d'années approche de son wagon, et toque à sa porte. Il apporte une lettre à Caroline Baldwin, qu'il lui remet. Elle la prend et se rend au bar. Chemin faisant, en marchant dans la neige fraîche, elle remarque l'hélicoptère dans le ciel, et elle voit les policiers regroupés autour d'une des voitures en train de consulter une carte étalée sur le capot. John Logan (un guide de montagne) a emmené un jeune touriste de New York (Steve Rodwell) pour une randonnée. Une avalanche les a surpris et a emporté Steve. Les recherches ne donnent rien et s'arrête du fait des risques. Slim Rodwell, le père de Steve, arrive deux jours plus tard et insiste pour partir continuer les recherches, seul s'il le faut.
André Taymans avait terminé le tome 5 sur une grosse révélation qui avait des implications personnelles vitales pour Caroline Baldwin. Pour ce sixième tome, il ne continue pas l'enquête du tome précédent, mais il s'agit quand même d'une forme de suite puisque l'état de santé est au cœur de l'état d'esprit de l'héroïne et de son comportement. Elle obtient donc la confirmation de son infection en début de cette histoire. L'auteur structure sa série comme une suite d'enquêtes menées par son héroïne, développant une continuité. Il prend le contre-pied de la blessure héroïque car elle est devenue séropositive suite à ses relations sexuelles, indépendamment d'une enquête ou d'une aventure. En 2000, il s'agissait d'une démarche novatrice, assez courageuse. Le portrait brossé de Caroline Baldwin dans les tomes précédents montrait déjà un naturel porté à la déprime, une personne préférant souvent la solitude, prête à se mettre en danger pour conclure une enquête, ayant une consommation d'alcool de type compulsive, sans pour autant être saoule au point de ne plus pouvoir marcher. Son jeu malsain avec son revolver chargé n'est pas une exagération dramatique, par rapport à ce que le lecteur sait déjà de son caractère. Il sait que c'est sa manière de se confronter à la réalité de ce qui lui arrive.
André Taymans fait preuve d'une autre forme de courage en entamant son récit par une citation d'André Malraux (1901-1976), extraite de La voie royale (1930), où le personnage principal ressent la présence de la mort qui voyage avec lui. Il enchaîne ensuite avec 6 pages muettes sans texte, une prise de risque vis-à-vis du lecteur de BD lambda qui préfère que les pages ne se lisent pas en trente secondes. Il y a encore 2 pages muettes par la suite. S'il a suivi la série depuis le début, le lecteur n'est pas très surpris car l'auteur est coutumier des pages muettes pour faire ressortir la beauté d'un paysage naturel ou urbain. Ici le propos est un peu différent car il s'agit de faire apparaître l'état d'esprit de Caroline, et de livrer les premières informations sur l'accident. Le résultat est superbe : le lecteur ressent de plein fouet la détresse et la solitude de Caroline, tout en observant dans quel endroit elle a trouvé refuge, faisant ainsi un peu de tourisme dans cette petite ville. La qualité narrative de Taymans est tout autant visible quand il montre l'hélicoptère et l'arrivée de police. En une page sans un mot, le lecteur a compris qu'il se passe quelque chose d'anormal qui nécessite l'intervention des forces de l'ordre. La page muette suivante met à nouveau Caroline face à son arme à feu dans sa chambre. En établissant la comparaison entre cette page et celle d'avant avec une situation similaire, le lecteur peut en déduire l'évolution l'état d'esprit du personnage, tout en constatant que rien n'est réglé.
Enfin avec la planche 22, le lecteur accompagne Caroline Baldwin et Slim Rodwell à bord de leur canoë, alors qu'il progresse sur la rivière pour se rendre au point de départ de leur randonnée de recherche. Comme à son habitude, André Taymans réalise des dessins de nature descriptive, avec des contours simples, sans rien sacrifier en précision de ce qu'il décrit. Il ne se contente pas d'une forme générique pour les rochers, mais reproduit la découpe correspondant à ce type de roche. Il montre le clapotis de l'eau, différent en fonction de la force du courant et de l'endroit de la rivière. Bruno Wesel utilise une teinte entre bleu et vert avec une touche de jaune pour rendre compte de la limpidité de l'eau. Les tenues vestimentaires des 2 randonneurs permettent de se faire une bonne idée de la température ambiante. Le lecteur retrouve le plaisir de marcher en montagne dans les planches 24 & 25. Il sent son souffle devenir court alors que Slim Rodwell et Caroline Baldwin doivent s'aider des mains pour gravir une pente rocailleuse abrupte. Il observe leur équipement et leur progression précautionneuse alors qu'ils avancent sur un glacier. L'auteur apporte à nouveau une dimension touristique tant urbaine que naturelle très dépaysante, faisant vraiment voyager le lecteur, sans tomber dans les clichés touristiques.
André Taymans représente les personnages de manière naturaliste, sans exagérations corporelle. Il prend soin de les doter de tenues adaptées aux conditions climatiques, à leur niveau de revenu, et à leurs activités (le lecteur peut admirer les crampons à glacier s'il le souhaite). S'il y fait attention, il se rend compte que l'artiste s'implique dans les menus détails. Par exemple, Caroline Baldwin porte 3 anneaux à l'oreille droite en début et en fin de récit, en ville : par contre elle les a enlevées pour la randonnée en montagne. Comme dans les tomes précédents, le dessinateur privilégie une direction d'acteurs de type naturaliste, sans exagération des mouvements, avec un registre d'expressions de visage un peu limité, mais assez nuancées pour montrer l'état d'esprit de chaque personnage, combinée avec sa posture et ce qu'il dit. Le lecteur a donc l'impression de regarder des personnes comme si elles étaient à côté de lui, sans accès particulier à leur psyché ou à leurs émotions. Dans ce tome, il a choisi de ne pas montrer Caroline Baldwin nue. Le lecteur prend donc grand plaisir à côtoyer Caroline Baldwin, à la voir lutter contre ses démons intérieurs, à la voir décider d'agir pour laisser ses émotions décanter par elles-mêmes. Taymans donne d'autres indications quant à son état d'esprit avec la liste d'albums recommandés en dernière page : Both sides now (2000) de Joni Mitchell, All for You (1996) de Dina Krall, Nat King Cole trio 1919-1965, Rhapsody in blue (1924) de George Gershwin (1898-1937), et Midnight In The Garden Of Good And Evil (1997, BO du film).
Le lecteur observe également les autres petits détails qui participent discrètement à l'histoire, comme le barman qui est également le coiffeur de la ville, ou Mitch, un peu simple d'esprit, qui réalise des dioramas mettant en scène un habitant du coin, dans son environnement, modélisé dans une boîte en carton. Il absorbe ces détails, comme le fait Caroline Baldwin, sachant qu'ils peuvent aussi bien être des éléments auxquels elle réagit, que des indices quant à l'enquête qu'elle mène. André Taymans a amalgamé de manière remarquable la vie de son héroïne avec l'enquête à mener. Il utilise la convention habituelle qu'elle se trouve au bon endroit et au bon moment pour y participer, mais elle choisit d'y participer pour un motif en lien direct avec son état d'esprit, de manière organique. Le mystère de la mort de Steve Rodwell n'est pas très complexe, reposant sur un motif basique, mais utilisé avec pertinence. La résolution du conflit avec le meurtrier s'effectue à la fois grâce à une coïncidence bien pratique (l'arme à feu), à la fois en mettant en jeu des mécanismes psychologiques comme la culpabilité (pas celle du meurtrier) et l'état d'esprit de Caroline Baldwin. Aussi, si le motif du meurtre et la découverte du coupable sont basiques, le scénario comprend d'autres ingrédients qui rendent l'histoire plus sophistiquée.
Toujours sous le charme de Caroline Baldwin, le lecteur revient pour découvrir une nouvelle enquête. Il a le plaisir de voir qu'André Taymans ne balaye pas d'un revers de la main la révélation catastrophique pour son héroïne, de la fin du tome précédent. Il s'agit d'une nouvelle épreuve pour elle qu'elle doit affronter, en même temps qu'elle aide un père à retrouver son fils, mettant à nu d'autres traumatismes dont un né en situation de guerre.
J'adore le paragraphe où tu expliques la planche 22 ; on s'y croirait.
RépondreSupprimerDix-neuf tomes, quand même ; vas-tu chroniquer toute la série ?
J'ai effectivement l'intention de chroniquer toute la série, à un rythme d'escargot pour éviter que je ne me goinfre, pour savourer chaque tome.
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