Ma liste de blogs

vendredi 27 avril 2018

Les aventures de Scott Leblanc, Tome 2 : Menace sur Apollo

Tout est bien qui finit bien.

Ce tome fait suite à Alerte sur Fangataufa qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il est initialement paru en 2010, écrits par Philippe Geluck (le créateur du Chat), dessiné et encré par Devig (de son vrai nom Christophe de Viguerie), avec une mise en couleurs de Camille Paganotto.

Le récit commence le 25 janvier 1967, à Orlando sur la côte Est des États-Unis, en Floride, où une récompense doit être remise à Scott Leblanc pour ses actes de bravoure en Polynésie. En fait il s'adresse à un groupe de 5 vieilles femmes, dans le jardin de l'une d'elle, pour évoquer la mémoire défunte de Tino son oiseau. Il leur projette ensuite quelques photographies prises lors de son passage à Hollywood, des doublures de Rintintin et de Lassie. Malheureusement, Rachel, leur hôtesse, fait une chute malencontreuse, et est transportée à l'hôpital. Leblanc accepte de prendre en charge Bruce, son chien de la race des pékinois. Peu de temps après, le professeur Dimitri Moleskine atterrit à Orlando, où il a le fort déplaisir d'être pris en charge par Scott Leblanc. Son déplaisir s'accroît encore quand il constate la présence de Bruce dans la voiture, alors que pourtant ce dernier le prend immédiatement affection. Sur le chemin vers le motel, ils se font tamponner par une conduite intérieure noire, avec plus de peur que de mal.

Le lendemain, Scott Leblanc conduit le professeur Moleskine à la base de la Nasa. Le premier a droit à une visite guidée du site. Le second retrouve ses homologues avec qui il a fait le voyage en avion, les professeurs Zecke et Rospo, ainsi que Werner von Blitz (un haut responsable de la recherche) et son assistant le professeur Smith. Pendant la seconde guerre mondiale, le professeur von Blitz a fait partie de l'équipe de scientifiques qui a développé le V1 (Vergeltungswaffe), puis le V2. Peu de temps avant la défaite allemande, il a préféré passer à l'Ouest et s'établir aux États-Unis. En rentrant au motel le soir, Moleskine et Leblanc voient passer une soucoupe volante dans le ciel. Le lendemain, ils se rendent à Cap Kennedy pour assister au premier décollage d'une fusée avec 3 astronautes.


Le premier tome n'avait pas déclenché un gros enthousiasme chez le lecteur, entre hommage sympathique et sans prétention à Tintin et Blake & Mortimer, aventure classique au point d'en devenir convenue, et personnages peu épais, servis par des dessins agréables à l'œil et également déférents vis-à-vis de la ligne claire, mais manquant un peu de personnalité et de substance par moment. Pourtant, malgré ces faiblesses, l'esprit de dérision des auteurs s'incarnait en Scott Leblanc, le rendant vaguement attachant, bien qu'il soit particulièrement falot. La tentation de savoir si Philippe Geluck avait gagné en habileté dans ce médium reste forte. Ce deuxième album permet de constater les invariants de la série : Scott Leblanc toujours naïf à en être niais par moment, cette fois-ci accompagné par un autre animal familier, mais aussi le professeur Dimitri Moleskine aux réflexions cassantes et à la mentalité vaguement réactionnaire. L'intrigue repose sur un autre développement scientifique de l'époque : une fusée pour atteindre la Lune, ainsi que sur une localisation clairement identifiée, à savoir la base spatiale de la NASA à Cap Kennedy. Le lecteur y retrouve également l'intention d'hommage clairement affiché, que ce soit la base secrète digne d'une installation du colonel d'Olrik, ou que ce soit Objectif Lune dont Velig reprend la composition de la couverture en page 18. Enfin le récit se termine de la même manière que Le trésor de Rackham le rouge, avec la phrase Tout est bien qui finit bien.

L'histoire se déroule donc 2 ans avant le premier alunissage d'un homme le 21 juillet 1969. À la différence d'Hergé et de Jacobs, Geluck choisit d'inscrire son récit dans des repères réels. Il déroule une intrigue reposant sur des soupçons de sabotage du programme de la NASA, avec une deuxième partie faisant appel à des méchants bien pratiques, étant devenus des stéréotypes sans beaucoup de personnalité, du fait d'un usage intensif par tous les scénaristes en mal d'inspiration depuis la seconde guerre mondiale. Le scénariste utilise à nouveau quelques pages d'exposition assez denses pour intégrer les éléments nécessaires à l'intrigue (parfois un peu pesantes à la lecture), ainsi qu'une technologie d'anticipation d'opérette (des soucoupes volantes), cette dernière inscrivant le récit dans un registre tout public et divertissement sans prétention. À l'exception de Leblanc et de Moleskine, les personnages ne disposent pas de beaucoup de caractère. Une scène ou deux ressortent comme un hommage gratuit, plaqué artificiellement dans le récit, comme par exemple la lutte contre l'alligator. Enfin les personnages papotent tranquillement en toute circonstance, même en cas de danger grave et imminent comme l'alligator. Cette approche narrative est cohérente avec la volonté d'hommage, mais elle date aussi le récit, en lui donnant une forme un peu surannée. Comme dans le premier tome, il s'agit essentiellement d'un monde d'hommes, où la gente féminine s'incarne de manière peu flatteuse et très restreinte, dans ce petit groupe de femmes âgées au centre d'intérêt futile.


Devig reste adepte de la ligne claire, avec un détourage des formes sur la base de 2 épaisseurs de traits, la plus fine pour les éléments de décors et accessoires, une autre un peu plus épaisse pour les vêtements et les personnages. Cette distinction permet de donner un peu plus de poids aux personnages et de les faire ressortir par rapport aux décors. Il continue de simplifier les traits des visages : souvent un simple point pour les yeux, rehaussé par un trait très arrondi pour les sourcils. Les bouches des personnages sont le plus souvent entrouvertes sur une zone blanche, sans représentation des dents. Les personnages semblent porter des costumes trop larges pour eux, même en tenant compte des spécificités de la mode de l'époque. Par moment, l'hommage visuel se rapproche du décalque basique, soit en reprenant un plan d'Hergé ou de Jacobs le temps d'une case, soit en dupliquant leur façon de dessiner, que ce soit les barbes d'Hergé, ou les costumes moulants des hommes de main chez Jacobs.

Mais au fur et à mesure des planches, le lecteur prend conscience qu'effectivement les auteurs maîtrisent mieux leur art que dans le premier tome et qu'il apparaît des particularités qui donnent plus de goût à la lecture. Pour commencer, Devig se montre convaincant dans sa reconstitution historique, que ce soit au travers des modèles de voiture, du jardin propret de Rachel, du bâtiment de l'aéroport à Orlando, de la salle des opérations au centre de contrôle de Cap Kennedy, de l'appartement du professeur Smith, d'une station-service, ou encore du motel où sont descendus Moleskine et Leblanc. Le lecteur peut aussi jouer au jeu des différences entre la couverture d'Objectif Lune et la case correspondante page 18 pour constater qu'il n'utilise pas la ligne claire comme alibi pour s'économiser. En outre la narration visuelle est fluide et structurée. Le dessinateur conçoit un plan de prise de vue pour chaque séquence. En particulier lors des dialogues, il ne se cantonne pas à une alternance de champ et contrechamp des interlocuteurs, mais il les suit dans leurs déplacements et leurs mouvements.


Ainsi à plusieurs reprises, le lecteur apprécie que Devig porte une partie significative de la narration, ce qui atteste d'une bonne coordination entre lui et le scénariste. On peut d'ailleurs supposer que Philippe Geluck conçoit les scènes en termes visuels, étant lui-même un dessinateur. L'avantage de cette collaboration réside dans une narration moins pesante, un bon niveau de complémentarité et d'interaction entre texte et dessins, et quelques gags visuels bien minutés. En particulier, il est difficile de résister à l'excitation de Bruce (le pékinois) quand il se frotte sur la jambe de pantalon du professeur Moleskine. Même s'il s'agit d'un gag en dessous de la ceinture et très convenu, les auteurs l'inscrivent dans un comique de répétition en l'allégeant à chaque fois (puisque le lecteur l'a aisément identifié et l'anticipe même), finissant par s'en servir pour amener les remarques acerbes de Moleskine qui gagnent en teneur humoristique.

Philippe Geluck a également gagné en familiarité avec ses personnages, ce qui se ressent dans la saveur de leurs interactions. Il ne s'agit pas d'une étude de mœurs, mais plus d'une aventure mâtinée de comédie de situation. Or la dynamique entre Scot Leblanc et Dimitri Moleskine s'affine pour gagner en comique. Ce dernier se montre plus cassant envers Leblanc, un peu plus méprisant, et un peu acariâtre. Face à lui, Scott Leblanc reste d'une candeur désarmante, incapable de percevoir le ton insultant du professeur dans ses propos désobligeant. Il poursuit ses propres idées, comme peut le faire Tryphon Tournesol en mésinterprétant des propos qu'il déforme du fait d'une surdité avérée. De son côté, le professeur Moleskine reste stoïque face à une telle naïveté qui confine à la niaiserie, obligé de prendre des décisions et d'agir en homme d'expérience, porteur de responsabilité. De scène en scène, l'alchimie de ce duo mal assorti gagne en saveur, le lecteur finissant par sourire franchement à leurs échanges.


En refermant ce deuxième tome, le lecteur se rend compte que le charme désuet de la narration s'est avéré plus efficace que celui du premier tome, du fait de références plus organiques, et de plusieurs dialogues à la dérision sous-jacente plus piquante. La lecture exhale le classicisme de la ligne claire d'Hergé sans son élégance raffinée, et d'Edgar P. Jacobs sans sa narration empesée. Geluck & Devig se montrent très élégants dans leurs hommages, et le lecteur adulte se sent réconforté par l'amitié vache entre Leblanc et Moleskine.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire