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jeudi 9 avril 2020

Dick Hérisson, tome 8 : La Maison du pendu

En tous cas, je vous promets une bonne critique.

Ce tome fait suite à Dick Hérisson, tome 7 : Le Tombeau d'Absalom (1996) qu'il n'est pas nécessaire d''avoir lu avant. La première édition date de 1998. Il a été réédité dans Dick Hérisson - édition intégrale volume 2 qui regroupe les tomes 6 à 10 (sans le 11). Il a été réalisé par Didier Savard, pour le scénario, dessins et encrage. Il compte 48 planches de bande dessinée.


En 1933, la nuit à Paris, Dick Hérisson traverse le pont Royal à pied. Il est agressé par derrière par un individu qui essaye de la pousser par-dessus le parapet. Hérisson se défend et profite de l'élan de son agresseur pour le faire basculer par-dessus le parapet à sa place. Puis Hérisson enjambe à son tour le parapet et se jette dans la Seine pour aller secourir son agresseur. Il le ramène sur la berge. Son agresseur lui demande pour quelle raison il l'a sauvé. Hérisson lui propose d'aller prendre un grog dans un café pour qu'ils s'expliquent. Une fois qu'ils sont attablés devant une boisson chaude, la discussion commence. L'agresseur demande à Dick Hérisson de se souvenir d'Arles en avril 1925. Le détective se souvient tout de suite : Marcel Derval, un acteur qui s'était pendu, et il en déduit que son agresseur est son fils. Il a été condamné à huit ans de prison pour faux témoignage. Le fils lui déclare qu'il sait qu'il ne s'agissait pas d'un suicide mais d'un meurtre. Il demande à Dick Hérisson de l'accompagner à Arles pour reprendre l'enquête et ainsi laver la mémoire de son père. Hérisson accepte de partir d'ici quelques jours.

Quelques jours plus tard, Marie-Rose Poux, la concierge, vient toquer à la porte de Dick Hérisson pour lui apporter une missive. Le docteur Voraz souhaiterait s'entretenir avec le détective dans son pavillon du Vésinet, le mercredi suivant. Le détective s'y rend et traverse un beau parc pour arriver jusqu'au perron de la belle demeure. Un domestique le fait entrer et l'amène jusqu'au salon où l'attend le docteur Voraz dans son fauteuil roulant. Il lui explique qu'il s'est disputé avec sa fille Huguette Pipélot (qui se fait Violette Duparc en tant qu'actrice) il y a quelques années et qu'elle lui écrivait quand même une lettre chaque année pour Noël. Or il n'a rien reçu cette année. Voraz fait appel à lui car elle a disparu dans la région d'Arles. Dick Hérisson accepte en l'informant qu'il allait se rendre dans cette région, curieuse coïncidence. Le docteur Voraz confie, à Hérisson, la dernière carte postale qu'il a reçue : Violette Duparc y évoque un tournage dans la région d'Arles, pour un film réalisé par le cinéaste Tom Carr, où elle interprète le rôle de Blanche Neige. Dick Hérisson prend congé et traverse à nouveau le parc en se faisant la réflexion que Tom Carr est le même cinéaste que celui avec lequel tournait Marcel Derval, étrange coïncidence. Le lendemain Dick Hérisson est dans le train avec le fils Derval et ce dernier lui fait lire des extraits du journal intime de son père dans lequel il est question du tournage du film Blanche Neige dont Tom Carr a dû modifier la dernière scène car l'acteur principal a été retrouvé pendu.


Didier Savard capte tout de suite l'attention de son lecteur avec un début peu banal : Dick Hérisson sauve son agresseur, et le lecteur peut apprécier l'architecture et la texture du pont Royal, ainsi que l'escalier permettant d'accéder à la berge et l'ambiance du bistrot parisien. Le personnage principal est tout de suite mis en porte à faux puisque ses déductions ont conduit à laisser filer un assassin et à entacher le souvenir d'un homme avec un suicide, alors qu'en fait il a probablement été assassiné. La deuxième séquence est tout aussi déstabilisante. Le parc du pavillon est magnifique sous la neige, et c'est en fait une construction à deux étages, avec une très belle architecture. L'intérieur est tout aussi impressionnant avec les hauts plafonds : l'entrée avec son escalier intérieur et son plafond correspondant à celui du premier étage, et la bibliothèque avec ses rayonnages et son plafond correspondant également à celui du premier étage. Les contrastes continuent puisqu'après la neige de la banlieue parisienne, succède un soleil d'hiver du Sud, avec une petite maison située sur le bord du canal du Rhône. Le lecteur constate le fouillis sur le sol, el placard défoncé, les cambrioleurs s'étant énervés au fur et à mesure qu'ils ne trouvaient ce qu'ils étaient venus chercher.

Alors qu'il pensait avoir anticipé à quoi s'attendre, le lecteur se rend compte que l'auteur le déstabilise avec chaque nouvelle scène. Didier Savard est toujours soigneux dans sa représentation des architectures et des lieux : le pont Royal à Paris, le canal du Rhône, la cuisine d'un petit pavillon, les magnifiques Baux de Provence, la superbe villa du réalisateur Tom Carr, quelques rues d'Arles. Il détoure les formes d'un trait précis, avec de minuscules variations dans l'épaisseur du trait, de rares traits non jointifs qui apportent les petites irrégularités de la réalité, de l'impression de profondeur et d'épaisseur. Il emmène également le lecteur dans des lieux moins attendus que ce soit une fête foraine dont les monstres de foire font penser à un hommage au film Freaks (1932, La monstrueuse parade) de Tod Browning, ou encore une étonnante maison perdue dans les bois, avec sept chaises minuscules et sept lits minuscules. Par rapport au début de la série, l'artiste se montre plus minutieux dans la représentation des décors intérieurs comme extérieurs, avec plus de traits pour en figurer les particularités. Il apporte le même soin aux costumes des personnages, avec une représentation plus légère pour ceux de Hérisson et Doutendieu. Comme d'habitude, les visages sont dessinés de manière plus simplifiée : parfois un simple trait vertical pour les yeux d'Hérisson ou Doutendieu, ainsi que pour leur bouche. Par contre, les autres personnages ont droit à des gueules plus marquées : le menton pointu du fils Derval et sa chevelure clairsemée, la bouille ronde de la concierge, la petite moustache et le galurin de l'inspecteur à la retraite sans oublier ses bretelles, la trogne de l'homme chien et sa pilosité, le regard habité par une forme de folie de Tom Carr.


L'auteur le déstabilise également avec la progression de l'intrigue. Ce n'est pas la première fois que les compétences de détective de Dick Hérisson sont remises en cause, mais c'est la première qu'elles le sont d'entrée de jeu. Ensuite, le lecteur tique un peu sur la coïncidence bien pratique qui fait qu'il est chargé de deux enquêtes en même temps, qui se trouvent dans la même région, et dont il s'avère dès la planche 7 qu'elles sont liées. Il est également bien pratique que le cirque soit en ville juste comme Hérisson & Doutendieu souhaitent interroger un de ses monstres. D'un autre côté, c'est aussi un outil narratif classique dans beaucoup de genres d'histoire à commencer par les histoires policières, donc le lecteur accorde le petit plus de suspension d'incrédulité consentie sans faire de difficulté. Aussi il apprécie l'évocation légère des débuts du cinéma avec des acteurs à la personnalité bizarre et à la vie bohème, et les Baux de Provence sont vraiment superbes. Lorsqu'Hérisson et Doutendieu découvrent le mobilier miniature, le lecteur se dit que l'auteur a souhaité intégrer une composante fantastique dans son récit. Le fait de réaliser des films sur la base de contes fait penser à Blanche Neige, mais aussi à Boucle d'Or. Il se produit alors une forme de mise en abîme qui se trouve renforcée lors de l'entretien avec le réalisateur Tom Carr déjà bien parti dans sa tête, enivré par sa capacité à créer une réalité dans ses films. Le lecteur se rend également compte qu'il ne sait plus très bien où il en est entre le meurtre déguisé en suicide de Marcel Duval, la disparition de Violette Duparc, et l'esprit dérangé de Tom Carr. Il sourit en se disant qu'au moins il a reconnu son nom d'emprunt : Atom Karaboudjan, un hommage à un album de Tintin.

Le lecteur n'est pas au bout de ses surprises. Didier Savard donne l'impression d'utiliser des rebondissements prêts à l'emploi, des stéréotypes du genre policier, entre les suspects trop bizarres, les meurtres en série désignant clairement un coupable, les indices faisant penser au surnaturel. L'auteur a déjà prouver sa maîtriser des codes de l'enquête policière et le lecteur sait qu'il peut le mener par le bout du nez à sa guise, vers un dénouement aussi bien prosaïque, ou aussi bien fantastique. Cet usage élégant des conventions du roman policier va quasiment jusqu'à faire sortir le lecteur de l'histoire quand un personnage enlève d'un grand geste le masque qu'il portait sur son visage pour révéler sa véritable identité, dissimulée en dessous. C'est trop gros, trop grotesque, trop théâtral. D'un autre côté, il continue à rendre plaisir à visiter des lieux pleins de caractère (la bibliothèque poussiéreuse de l'association des amis du vieil Arles par exemple), et à s'amuser des rebondissements. Il se rend également compte que l'intrigue court sur le thème de la création, ou plutôt de la réalisation d'un récit, de la volonté du réalisateur de donner forme à ses visions, ce qui crée un écho avec le fait que Didier Savard donne lui à voir le récit qu'il a en tête. En fonction de ses attentes, le lecteur appréciera plus ou moins le dénouement très abrupt.

Au fur et à mesure de l'avancée de la série, la narration de Didier Savard devient plus personnelle, à la fois un plaisir évident de montrer et de représenter des lieux dont il apprécie la beauté, à la fois un jeu sur les conventions du polar. Le lecteur se prête bien volontiers à ce jeu, doublé d'un autre jeu sur l'art de donner corps à des histoires.


2 commentaires:

  1. La première planche rappelle la série "Adèle Blanc-Sec" ; on dirait presque un hommage au "Démon de la tour Eiffel".
    En fin de compte, j'ai l'impression que tu as été plus convaincu par la réflexion sur la réalisation d'un récit que par l'intrigue de cet album.
    Un article très évocateur, une fois encore, surtout le quatrième paragraphe ; un plaisir à lire.

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  2. Merci pour la remarque sur la première planche : je pense que c'est intentionnel de la part de Didier Savard. Ayant lu le tome suivant, j'ai remarqué qu'il y citait un Tintin.

    La réflexion sur un récit : c'est exactement ça. Savard effectue une drôle de mise en abîme qui s'affranchit du réel pour jouer avec le lecteur sur les attendus implicites d'un récit avec explications.

    Merci pour le petit mot gentil sur les qualités d'évocation.

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