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mardi 17 octobre 2023

Par la force des arbres

Le chêne, pas les chaînes.


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2023. Il s’agit d’une transposition en bande dessinée du roman du même nom avec la participation de son auteur Édouard Cortès comme coscénariste, en équipe avec Dominique Mermoux coscénariste, et qui réalise également les dessins et les couleurs. Il comprend cent-quatorze pages de bande dessinée.


Dans le Périgord noir, dans une forêt en bordure d’un château et d’un village. À six mètres de hauteur, Édouard Cortès vit seul dans les branches d’un chêne. C’est le printemps. Il est entré dans sa cabane pour un long séjour de silence. Perché dans un arbre, il a la ferme intention de renaître avec lui. Il va nicher dans cette cachette construite de ses mains. Entre quatre branches, l’abri de bois et de verre le protège des regards et du bruit. Un lieu rare. Inespéré dans son état. Il se sentait fatigué du monde d’en bas et de lui-même, il est donc monté là-haut. Les autres, sans doute aussi, s’étaient lassés de lui. Il entreprend une métamorphose à l’ombre des forêts. Il veut voir à hauteur d’arbre. Ce 21 mars 2019 au matin, il a étreint sa femme Mathilde et ses deux enfants, enfilé ses bottes, supprimé ses comptes sur les réseaux sociaux, envoyé promener mille cinq cents amis invraisemblables pour en garder quatre ou cinq vrais. À presque quarante ans, il a beaucoup de doutes sur ses certitudes et peu de convictions sur ses illusions. Éloigné des hommes, il est décidé à arracher tout ce lierre qui l’étouffe. Quand la mort approchera, il aimerait pouvoir répondre sans crainte : A-t-il eu assez d’audace pour suivre son étoile ? Toute une civilisation est née dans l’humus des chênes du Quercy : c’est à leurs racines que se cache la truffe noire qu’il aime à caver avec son chien. C’est dans ce berceau de France, celui des souterrains médiévaux de Paluel, de la Vierge noir de Rocamadour, des duels du hussard Fournier, de Tounens roi de Patagonie, des expéditions de Larigaudie, des noix et des arbres truffiers qu’il a planté ses souvenirs d’enfance. Les faunes et les sylvains l’ont lié au pays De la servitude volontaire. Cet ancrage lui a-t-il accordé une certaine latitude dans ses chemins ? La lecture de La Boétie l’invite à plonger dans le vert. Le chêne pas les chaînes.



Février. Un mois et demi plus tôt. L’idée de l’arbre lui a été soufflée par Cyrano. Il relisait un soir Rostand, s’attachant à la bravoure de son cadet de Gascogne comme à une caresse. Dans la dernière scène, il agonise. Il ne veut personne pour le soutenir. Le seul recours que M. de Bergerac s’autorise, c’est un tronc. Pour appuyer ses alexandrins, il touche l’écorce et trouve l’énergie des derniers vers, concluant en allant s’adosser à un arbre, et exigeant que personne ne le soutienne, rien que l’arbre ! Au matin, Édouard avait filé vers la forêt à dix kilomètres de sa maison. Un seul objectif : trouver son arbre. Il agissait par habitude, selon son principe : penser l’action, vivre comme il pense. Cette forêt, il la connaît bien pour s’y être perdu.


Cette bande dessinée constitue l’adaptation d’un roman autobiographique, avec la participation de l’auteur, racontant son expérience de vivre dans un arbre au milieu d’une forêt, du 21 mars 2019 au 24 juin de la même année. Une décision simple : s’éloigner du monde pour prendre du recul, une forme de retraite, mais pas dans un monastère ou un ashram, au milieu de la nature dans les branches d’un arbre. Le lecteur peut ainsi l’accompagner dans les quelques semaines qui précèdent son installation dans son arbre, ou plutôt la cabane qu’il a construite dans le chêne qu’il s’est choisi, dans quelques retours en arrière quand il était éleveur de brebis, par deux fois dans son enfance, et dans son quotidien durant ces trois mois passés en hauteur. Il ne s’agit pas d’une retraite en ermite : il voit ses enfants et son épouse chaque dimanche car ils viennent manger avec lui. Vers la fin de son séjour, trois amis viennent passer une soirée avec lui et dormir dans sa cabane.


Le récit présente l’organisation de ses journées avec son programme quotidien : sport, méditation, toilette, petit déjeuner, écriture, lecture, ménage, déjeuner, vaisselle, observation, activités manuelles, sport, dîner, harmonica, lecture. Il présente également l’agencement de sa cabane située à six mètres en hauteur : Au nord son vestiaire sur une étagère. Au centre du faîtage, une fenêtre de toit, ouvrable et assez large pour le laisser sortir. Il peut ainsi danser sur les tuiles de bois ou fuguer dans les branches hautes quand l’envie lui en prend. Fenêtre sur le ciel pour, de son lit, rêver les yeux ouverts. Et tous les jours ce puits de lumière inonde son habitat, panthéon miniature à la coupole de bois. Son lit mezzanine s’élève à un mètre et demi plus haut que le plancher. À l’est, vers le soleil levant, un oratoire sur une étagère : un crucifix, une icône de saint David dit le Dendrite (ermite retiré dans un arbre), deux bougies, du papier d’Arménie. Au nord-est, la cuisine : poêle et casserole, un deuxième banc-coffre avec la vaisselle usuelle et les condiments. À côté une petite cuisinière à gaz. Côté sud, son bureau et un tabouret. Sur l’étagère à mi-hauteur, des bocaux de verre (pâtes, riz, noix, fruits secs), son harmonica, des appeaux. Les livres de chevet : Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, L’enfer de Dante, Les pensées de Marc-Aurèle. À l’ouest, le coin toilette : un miroir, une bassine en zinc, deux jerricans d’eau potable, un banc-coffre avec des outils. Côté sud-ouest, une petite terrasse qui s’avance dans le vide. Une branche maîtresse la soutient souplement. La corde permettant de monter les objets lourds ou encombrants. Au soleil le réservoir pour la douche. Ainsi, il peut vivre en autonomie, allant s’approvisionner en eau avec son âne et se nourrissant de provisions amenées avec lui, et de végétaux qu’il récupère.



Le lecteur fait vite l’expérience que l’adaptation en BD reprend des portions du livre, rendant le récit copieux, instaurant un rythme de lecture posé. Dans le même temps, la bande dessinée commence par trois pages muettes. Cette adaptation ne se contente pas de montrer en images ce qui faisait l’objet de descriptions dans le livre, et de reprendre le flux de pensée de l’auteur, ses réflexions, ses ressentis. Il s’agit bien d’une bande dessinée, avec des cases disposées en bande ou d’une manière plus libre, sans bordure, et des séquences racontées par une narration visuelle. Le lecteur n’éprouve pas la sensation que les images reprennent des éléments déjà présents dans le récitatif. Le ressenti de la lecture atteste de la concertation entre l’auteur et le bédéiste pour adapter le roman. Régulièrement, la narration visuelle prend le dessus : un dessin en pleine page pour un cerf et une biche, la vue en coupe de la cabane, le déplacement pour aller chercher de l’eau, les activités de la journée, l’observation d’un cerf à la jumelle, une nuit d’orage en deux pages sans texte et le constat des dégâts au petit matin, l’utilisation d’une loupe de botaniste et ce qui apparaît alors, une pleine page pour une belle nuit étoilée, le déplacement d’un sanglier, l’observation d’une biche et de son faon, etc.


L’artiste effectue un travail remarquable pour tous les éléments sylvicoles, botaniques et relatifs à la faune. Le lecteur comprend qu’Édouard Cortès dispose de connaissances sur la flore et la faune, et qu’il a emmené des livres pour continuer à se cultiver sur le sujet. Le lecteur peut ainsi voir représenté de nombreuses essences d’arbres (if à deux têtes, houx fragon, chêne, hêtre, tilleul, châtaigner, sorbier des oiseleurs, érable champêtre, merisier, alisier), d’arbustes (noisetier, houx, genévrier, cornouiller sanguin, prunelier, au sol le lierre) et des micro-plantes (hypne cyprès, dicrane en balais, sphaigne des marais). Les rencontres avec des animaux sont également nombreuses, à commencer par les oiseaux (rouge-gorge, geai des chênes, sitelles torchepots, mésanges bleues, pic épeiche, loriot), quelques insectes et coléoptères (fourmis, hanneton, imago du citron, aeshna cyanea, etc.). Ainsi que des animaux : âne, renard, loup, lapin, brebis, écureuil, sanglier, un rapace qui fond sur un pigeon ramier, etc. Dominique Mermoux réalise des dessins un registre réaliste et descriptif avec un petit degré de simplification. La mise en couleurs s’apparente à de l’aquarelle, avec un côté doux, rehaussant les reliefs, et filant une ambiance lumineuse tout du long d’une scène. Il utilise un ton brun – sépia pour les séquences du passé.



L’auteur décide donc de se retirer du monde pour se déconnecter du flux incessant, et pour retrouver la sérénité qui l’a abandonné après qu’il ait dû liquider son affaire d’élevage. Ce séjour hors du monde lui permet de considérer la vie d’un arbre, ainsi que tout l’écosystème dont il fait partie. Il va évoquer ou développer des aspects divers : le cavage, le modèle qu’il souhaite donner à ses enfants en tant que père, le formicage, le cycle de l’eau à travers l’arbre et la fonction de climatiseur en période chaude, la médiocrité des objets du quotidien conçus pour devoir être rachetés sans fin, l’isolation des individus, l’affection moderne qu’est l’immédiateté, le chêne qui sacrifie ses branches les plus basses pour mieux se développer (Abandonner un peu de soi, laisser mourir certaines branches pour avancer.), la volonté de vivre (Dans ces instants, ce n’est pas de quitter la vie qui demande du courage, mais de puiser des forces pour la conserver.), le développement de la forêt française, la notion de bonheur (Mais le bonheur, n’est-ce pas d’accepter de n’être jamais absolument consolé ?), etc. Il fait le constat et l’expérience des merveilles de la nature, de l’interdépendance des différentes formes de vie d’un écosystème, de l’absurdité toxique de certaines facettes de la société de consommation. Dans le même temps, le lecteur voit que la démarche de cet homme ne relève pas de l’utopie de l’autarcie, car il continue d’utiliser des objets produits industriellement, et son séjour a une fin programmée.


Une adaptation de roman réussie, qui aboutit à une vraie bande dessinée, et pas un texte illustré. Le lecteur partage la vie quotidienne, ses découvertes et les pensées d’Édouard Cortès effectuant une retraite du monde, sous la forme de trois mois passés dans une cabane qu’il a construite dans les branches d’un chêne. La narration visuelle emmène le lecteur dans cet environnement, le rendant témoin du quotidien dans toute sa banalité, et son unicité, à prendre conscience ou découvrir la flore et la faune, leurs interactions, leur interdépendance. Il ne s’agit pas d’une forme de retour naïve à un état de nature primitif, mais de prendre le temps d’observer la nature et de vivre à son rythme. Une lecture riche et apaisante.



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