Quand il tombe, l’arbre fait deux trous. Celui dans le ciel est le plus grand.
Ce tome constitue une courte biographie poétique du chanteur Félix Leclerc (1914-1988), auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, animateur de radio et de télévision, scénariste, metteur en scène et acteur québécois. Sa publication date de 2019. Il a été réalisé par Christian Quesnel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comporte quarante-huit pages de bande dessinée. Il commence avec une courte introduction de Martin Leclerc, son premier fils. Vient ensuite un texte d’avant-propos de deux pages, rédigé par l’auteur. En fin d’ouvrage se trouvent la liste des pièces musicales évoquées, au nombre de vingt-quatre, ainsi qu’une liste des sources d’inspiration.
Dans la préface, Martin Leclerc constate que son père est décédé depuis plus de trois décennies et que son œuvre inspire encore la jeunesse. Dans l’avant-propos, l’auteur évoque l’usage qu’il fait de la parole de Félix Leclerc dans les phylactères et les cartouches bleus, ce qui expose le lecteur à la vie de Félix, mais aussi à certaines de ses œuvres. Puis il indique qu’il a mis à profit les documents laissés des témoins précieux. Il ajoute que ce projet sur Félix Leclerc lui a permis de travailler avec l’Orchestre symphonique de Gatineau, le maestro Yves Léveillé, l’orchestrateur Yves Marchand et l’historien amateur Raymond Ouimer pour créer un concert multimédia autour du récit graphique.
Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire, cette sombre journée, c’est comme si toute la vie de Félix l’y avait préparé. Un oiseau s’envole dans le ciel. Il va se poser sur la tête d’un homme assis sur une chaise, le dos courbé comme par un grand poids. Tu ne sais pas voler, tu vas tomber, tu es maladroit, l’air n’est pas pour toi, balourd, n’a-t-on cessé de lui crier. Et l’oiseau eut peur. Il n’a pas osé. Il est resté sur terre tristement. Et il a haï l’azur, et il n’a jamais vu les hauteurs. Son amour et sa soif du pays, Félix les a toujours placés au cœur de son œuvre, laquelle est à l’origine du printemps de la chanson québécoise. La neige qui fond, l’étang dans son petit lit qui boit le soleil, la scie ronde qui chante chez le voisin, la corneille qui est revenue, une hache, un tas de bois à bûcher, la moutonne qui a eu ses petits, la semence qu’on sort des greniers, les premiers pissenlits sur les buttes, l’odeur de l’érable… S’il n’y a pas de ces matins-là au Paradis, ça va jaser du côté des habitants. Les manches de guitare se confondent avec le tronc des érables, le cerf s’éloignant dans le lointain. À l’approche de l’automne, on baisse la voix, au printemps on parle fort. Un homme chaudement vêtu, s’appuie sur la cognée de sa hache, en regardant un oiseau s’envoler au-dessus d’un champ. Félix naît le 2 août 1914, à la Tuque, en Mauricie. Sixième d’une famille de onze enfants, il grandit dans un milieu peuplé de draveurs et de bûcherons, mais aussi bercé par la musique et la tendresse. Suis pas un dur, suis pas un mou, suis un doux. L’amour se passe de cadeaux mais pas de présence. Chaque pomme est une fleur qui a connu l’amour.
L’auteur a donc indiqué que chaque page ou double page ferait dialoguer un élément biographique de la vie du chanteur, avec une brève citation de lui et un tableau ou quelques cases évoquant une chanson ou une image de Félix Leclerc. Effectivement, l’ouvrage comporte douze illustrations en pleine page, et quatre en double page. Au maximum il se trouve quatre cases sur une même page. Pour autant, le lecteur éprouve plus la sensation de lire une bande dessinée qu’un texte illustré. Il y a la progression chronologique de la vie du chanteur, des images qui racontent une histoire, des compositions en double page où l’œil lit les éléments visuels de gauche à droite comme ordonnés sur un fil narratif. La première illustration montre un oiseau, certainement une alouette, en plein vol sur un fond de page blanche. L’oiseau vient se poser sur la tête du poète prostré sur sa chaise, après avoir pris connaissance des résultats du référendum. Le motif de l’oiseau, une alouette ou d’autres, revient tout du long du récit. En page neuf, les ailes grandes écartées pour aller plus haut dans le ciel. En page dix sur un branche, avec un mini Félix Leclerc encore enfant, monté sur son dos. En page trente, volant entre les troncs de bouleaux. Faisant la liaison entre les pages trente-deux et trente-trois, comme il fait également pour les pages trente-six et trente-sept mais en sens inverse de droite à gauche. Mort étendu sur le sol en page trente-huit. À plusieurs moments de son vol en page quarante-neuf. Un vol d’outardes en page cinquante-et-un, observé par un garçon.
Tout du long de l’album, l’œil du lecteur est attiré par la faune et la flore du Québec. Un renne en pages huit dans les bois, un autre sur la tour Eiffel en page seize. Encore un en page vingt-neuf dont les bois semblent engendrer un halo fantasmagorique dans leur sillage. En page huit des manches de guitare forment les arbres d’une forêt, avec des gobelets pour en recueillir la sève. Lors des années parisiennes, la chevelure de Félix semble voir se développer comme des branches en hiver, comme s’il lui poussait de nouvelles ramures générées par ses expériences en France. De retour au Québec, la nature reprend son importance primordiale : une forêt de bouleau, l’île d’Orléans dans l’embouchure du fleuve Saint Laurent, avec ses côtes, les petits bateaux de pêche à moteur, les zones marécageuses, le scintillement de la lumière sur le fleuve, une vision onirique des plantes aquatiques sous-marines comme une longue chevelure folle, le bleu de l’eau répondant au bleu du ciel, etc. Dès la première page, le lecteur se rend compte que l’histoire du Québec est également présente en filigrane. L’auteur entame sa biographie par : Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire… Il appartient au lecteur soit d’être familier avec l’importance de cet événement dans l’histoire du Québec, soit d’aller se renseigner pour comprendre l’importance qu’il revêt pour Leclerc. À savoir le premier référendum relatif au projet de souveraineté du Québec ; il a été organisé à l'initiative du gouvernement du Parti québécois (PQ) de René Lévesque, l'un des événements majeurs de l'histoire du Québec contemporain.
Au fil de la vie de Félix Leclerc, apparaissent d’autres marqueurs temporels et culturels. Sa date de naissance bien sûr, et en fin d’ouvrage la date de sa mort, mais aussi le début de ses études à Ottawa en 1931, ses débuts à Radio-Canada, son premier mariage en 1942, le début du succès dans les années 1950 grâce à l’accueil que lui réserve la France, ce qui sera suivi par sa reconnaissance au Québec, son influence sur la génération suivante de chanteurs compositeurs français et belges Guy Béart (1930-2015), Léo Ferret (1916-1993), Georges Brassens (1921-1981) et Jacques Brel (1929-1978), son second mariage en 1969, la crise d’octobre en 1970 (enlèvement d’un attaché commercial britannique, enlèvement et meurtre du ministre provincial du travail Pierre Laporte au Québec, par le Front de Libération du Québec), la Superfrancofête d’août 1974 sur les plaines d’Abraham à Sainte-Foy à Québec avec la participation de Gilles Vignault (1928-), Félix Leclerc (1914-1988) et Robert Charlebois (1944-) pour le spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion, le 13 août 1974. Dans ses paroles le chanteur rend hommage à sa province, que ce soient ses paysages, ou des métiers spécifiques comme celui de draveur.
Après avoir pris connaissance de l’avant-propos, le lecteur sait que l’auteur va évoquer brièvement quelques dates et faits biographiques de Félix Leclerc, et qu’il va surtout se consacrer à l’évoquer par ses mots et par les images qu’ils engendrent. Le lecteur va découvrir Félix Leclerc au travers de la vision et du ressenti qu’en a Christian Quesnel, bédéiste originaire de la région du Outaouais au Québec. Il réalise des illustrations à l’encre et à la peinture, amalgamant parfois des images entre elles, jouant à la frontière de l’impressionnisme, de l’expressionnisme, du collage. Les couleurs expriment le ressenti ou l’état d’esprit du chanteur. Les dessins naviguent entre représentation descriptive pour une voiture, pour un bâtiment, un télésiège dans une station de ski, et des visons oniriques comme une licorne, une guitare avec une chevelure, des mains formant une coupe contenant de l’eau et un petit bateau de pêche à sa surface, l’image récurrente d’une femme en train de danser. L’artiste choisit la technique qui correspond le mieux à ce qu’il souhaite exprimer : formes détourées à l’encre, peinture, écriture manuscrite pour en fond de case avec des bribes de parole de chanson, photographie de famille tracée, dessin au crayon pour une rue de Paris, fond de case en motif de cercles de couleur, trame de fond avec un texte tapé à la machine à écrire, surimpression de deux images décalées, etc. Une grande richesse visuelle avec une vision d’ensemble qui assure une cohérence tout du long.
L’auteur évoque l’héritage de Félix Leclerc. Succinctement par quelques éléments biographiques, quelques événements historiques. Culturellement par des citations succinctes de texte de ses chansons, et la mise en valeur de la province du Québec. Affectivement et émotionnellement par une narration visuelle qui lie texte et image, qui se fait poétique et onirique, donnant à voir la représentation du monde et plus particulièrement du Québec telle que l’œuvre de Félix Leclerc en brosse le portrait partial de la terre qu’il porte dans son cœur.
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