Ma liste de blogs

Affichage des articles dont le libellé est Extrême droite. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Extrême droite. Afficher tous les articles

lundi 26 août 2024

Affaires d'Etat - Extrême Droite T02 Eaux troubles

D’après des renseignements glanés auprès d’indicateurs, en partie recoupés…


Ce tome est le deuxième d’une tétralogie qui fait partie d’un groupe de trois séries, les deux autres étant Guerre froide qui se déroule dans les années 1960, et Jihad qui se déroule dans les années 1980. Il fait suite à Affaires d'État - Extrême Droite - Tome 01: Un homme encombrant (2021) qu’il faut avoir lu avant. La première édition date de 2022. Il a été réalisé par Philippe Richelle pour le scénario, par Pierre Wachs pour les dessins et par Claudia Boccato pour la mise en couleurs. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée.


Madrid, Palais du Prado, début 1974, le général Perez vient faire son rapport à Francisco Franco Bahamonde. Dans l’escalier, il croise son médecin et il lui demande comment va le Caudillo. Le docteur répond qu’il a encore passé une nuit difficile, et qu’il s’inquiète. Le militaire ironise, se demandant si son interlocuteur s’inquiète pour le chef de l’état ou son propre avenir, en ajoutant qu’ils sont tous logés à la même enseigne. Il entre dans les appartements de Franco et il lui fait son rapport : Les quatre organisateurs présumés de l’attentat fatal à l’amiral Carrero Blanco ont pu être identifiés. Sans certitude absolue cependant… Ils ont nécessairement eu recours à des seconds couteaux de l’ETA pour le creusement du tunnel où la charge explosive a été placée : plusieurs d’entre ont également été identifiés. D’après des renseignements glanés auprès d’indicateurs, en partie recoupés, tous ces hommes se seraient réfugiés en France. Le général a eu des échanges avec les autorités françaises : elles se sont montrées très… compréhensives. Tout est en place, il ne manque que l’accord du chef de l’état. Ce dernier demande à avoir les détails du plan.



Saint-Ouen en 1978, Monique Martin quitte son domicile. À son insu, elle est prise en filature par deux hommes dans un R4 blanche : Albert Pastureau dit Bébert et Victor. Ils ne tardent pas à passer à l’action. À Rouen, le même jour, le commissaire Robert Pommard entre dans le restaurant La Tripe d’Or, avec son sac de commissions à la main. Il se régale avec des andouillettes. Puis il rentre chez lui où sa fille Alice lui indique que l’inspecteur Jacquet a appelé, et qu’elle a préparé une soupe aux carottes pour le repas du soir. Ça tombe bien il n’a pas très faim. Il appelle l’inspecteur : celui-ci l’informe qu’il a identifié la femme sur la photographie avec Dupré. Il s’agit de Janice Aubin, née en 1940, agrégée d’histoire, célibataire, c’est-à-dire le même âge et le même diplôme que Dupré. Elle vit et enseigne à Évreux. Pommard lui demande de la contacter, pour aller la voir, le plus tôt sera le mieux. De leur côté, Victor et Bébert enterrent le cadavre de Monique dans un bois, puis ils vont fouiller son appartement à la recherche de la lettre d’aveu d’Henri Gauthier concernant le meurtre de Francis Dupré : ils ne trouvent rien, ils ont peut-être tué la jeune femme pour rien. Le soir à Rouen, dans un dancing, François Bernès accoste Jeanine, une belle jeune femme, et ils dansent sur quelques morceaux. Puis ils vont au restaurant, et il la raccompagne chez elle.


La couverture promet un moment d’action : une arrestation en pleine rue, un revolver à la main. Dans l’évocation de cette histoire partielle de l’extrême droite en France, l’usage de la violence sous différentes formes s’avère régulière. La façon dont les auteurs la mettent en scène varient en fonction de sa nature. L’enlèvement et l’assassinat de Monique Martin se déroulent hors champ, l’artiste montrant la jeune femme sortir de chez elle, les deux hommes la guettant dans leur R4, puis deux pages plus loin, posant son cadavre à même le sol, avant de creuser. Pas de voyeurisme racoleur. En page vingt-et-un, l’inspecteur François Bernès remonte ses manches, alors qu’il s’apprête à passer une longue nuit avec le suspect présumé coupable, le lecteur en infère que l’application du troisième degré fait partie des méthodes probables. L’arrestation montrée en couverture donne lieu à une course poursuite, et une seconde arrestation, nocturne celle-là, donne lieu à un échange de coups de feu, avec un blessé. Au cours du récit, le lecteur assiste également à des formes de violence psychologique : Bernès exerçant un chantage sur la patronne d’une agence matrimoniale, Bernès refusant un moment de repos à son suspect après un long interrogatoire éprouvant, la fiancée de Jacquet imposant ses règles de vie à son fiancé, l’horrible proposition de Victor concernant le cadavre de Monique.



L’horizon d’attente du lecteur repose sur le fait que la série va exposer de nouveaux cadavres dans l’histoire du Front National, rebaptisé ici Parti National. Il est effectivement mention de Jean-Maurice Le Guen, même s’il n’apparaît pas dans ce tome, et d’un ou deux autres cadres du parti, rien de plus. Les auteurs se focalisent sur les personnages introduits dans le premier tome : le commissaire Robert Pommard, les inspecteurs François Bernès et Jacquet, pour le côté police judiciaire, avec l’introduction du juge d’introduction J.L. Zardi. Côté criminels, Nic Weber, Bébert, Albert Pastureau de son vrai nom, et son complice Victor pas très bien dans sa tête, et la piste remonte à Jean-Pierre Charrier le commanditaire de l’assassinat de Francis Dupré. Le dessinateur sait donner une apparence distincte à chacun de ces individus, un visage avec assez de particularités pour être identifiable du premier coup d’œil, sans tomber dans la caricature. Chacun dispose d’une ou plusieurs tenues vestimentaires adaptées à ses fonctions et à sa personnalité. L’artiste met en œuvre un jeu d’acteurs de nature réaliste, sans exagération de mouvement, de posture ou d’expression de visage, ce qui rend ces personnages très crédibles et normaux pour le lecteur. Ce dernier apprécie les moments de prise de recul du commissaire, pour réfléchir aux événements, aux actions qu’il pourrait entreprendre. Il éprouve de l’empathie pour l’inspecteur Jacquet que l’exercice de son métier fait changer progressivement. Il se prend même de sympathie pour François Bernès, malgré ses méthodes brutales et son cynisme très pragmatique. Pour un peu, il serait – presque – prêt à éprouver un soupçon de pitié pour Bébert qui va passer une sale nuit au poste.


De temps à autre, le lecteur peut s’interroger sur des moments qui semblent gratuits, ayant trait à la vie personnelle des policiers, sans rapport avec l’enquête en cours, sans incidence sur leurs actions. Les repas trop copieux du commissaire, les études de sa fille, les soirées de l’inspecteur Bernès, les relations tendues de Jacquet avec sa fiancée Bénédicte. Dans le même temps, ces courtes séquences participent à décrire la société, à faire reconstitution historique, à ancrer le récit dans l’environnement de l’époque. Toujours aussi effacé dans sa narration visuelle, l’artiste effectue un travail remarquable. Le lecteur s’en aperçoit facilement par les modèles de voiture, ou des artefacts d’époque comme les casiers métalliques, ou encore les K7 audio. S’il a connu cette époque, il relève d’autres détails moins évidents comme les modèles de téléphone en bakélite, une lampe à lave, un enregistreur à bande magnétique, le film Les Bronzés (1978) à l’affiche d’un cinéma, ou encore une cabine téléphonique publique. Le lecteur constate également l’élégance des plans de prises de vue et de la mise en scène. L’artiste sait rendre chaque conversation vivante et unique par le déplacement de ces angles de vue, par les détails sur lesquels il s’attarde, un geste ou un accessoire. Impossible de résister à la réaction des invités à la réception de mariage quand Bernès entonne La Madelon (1914) de Bach (Charles-Joseph Pasquier 1882-1953).



Le lecteur se laisse bien volontiers porter par le récit, par l’enquête. Il sourit d’aise en voyant que les auteurs reviennent sur les deux séquences d’ouverture du premier tome, la confiscation des biens de David Rajsfus en mai 1943, l’attentat mortel contre l’amiral Carrero Blanco à Madrid en 1973. Il accompagne le commissaire et ses deux inspecteurs dans leurs recherches. Dans un premier temps, il sourit quand ils trouvent un élément déterminant par chance, ou grâce à des circonstances favorables, par exemple la lettre d’aveu d’Henri Gauthier. Toutefois, il révise son jugement en faisant le constat du nombre de pistes qui se terminent en cul-de-sac, que ce soit pour la recherche du manuscrit incriminant de Francis Dupré, ou pour l’arrestation manquée d’Albert Pastureau. Les auteurs montrent le travail d’enquête dans ce qu’il a de pragmatique, de fastidieux (les perquisitions répétées), d’hasardeux, voire miné et saboté dans les coulisses. Peut-être un peu plus que pour le premier tome, le lecteur s’interroge sur la part de véracité dans ce qui est évoqué. Il ne peut pas aller vérifier ce qu’il en est faute de personnages historiques majeurs. En revanche s’il a déjà quelques notions sur les groupuscules extrémistes de l’époque et sur la droite nationaliste française, par exemple la lecture de Cher pays de notre enfance: Enquête sur les années de plomb de la Vᵉ République (2015) d’Étienne Davodeau et Benoît Collombat, il peut évaluer la plausibilité du mélange d’intérêts, des modalités d’actions violentes, d’existence d’individus armés officieusement commandités par les différentes formes de pouvoir en place. En outre arrivé à la fin du tome, il prend la mesure de l’incidence de la vie privée de chaque enquêteur sur la conduite et l’avancée des recherches, voire leur abandon.


Peut-être qu’étant venu plus spécifiquement pour l’histoire du parti nationaliste français, le lecteur ressent une pointe de déception initiale en voyant que le récit se focalise plus sur l’enquête relative à l’assassinat de Francis Dupré, s’éloignant ainsi des personnalités connues. Pour autant, il retombe vite sous la qualité de la narration visuelle, le concret et la justesse de sa reconstitution historique, la plausibilité des personnages. Il voit progressivement émerger un entrelacs d’intérêts et de manipulations clandestines, peut-être improbables en apparence, tout en étant en totale cohérence avec les faits et avec l’histoire du pays. Édifiant.



lundi 12 août 2024

Affaires d'Etat - Extrême Droite - T01 Un homme encombrant

Il ne sera jamais jugé pour ses crimes…


Ce tome est le premier d’une tétralogie qui fait partie d’un groupe de trois séries, les deux autres étant Guerre froide qui se déroule dans les années 1960, et Jihad qui se déroule dans les années 1980. La première édition date de 2021. Il a été réalisé par Philippe Richelle pour le scénario, par Pierre Wachs pour les dessins et par Claudia Boccato pour la mise en couleurs. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée.


Paris, mai 1943, sept heures du matin : trois hommes de la Gestapo française viennent arrêter David Rajsfus à son domicile. Ils se montrent sans pitié, et le meneur reste dans l’appartement pour s’approprier ce que content le coffre-fort. Madrid en décembre 1973, la voiture officielle de Carrero Blanco explose sous la détonation d’une charge de soixante-quinze kilogrammes de dynamite. Un tunnel avait été creusé sous la rue, devant la cathédrale, la charge y avait été déposée, l’amiral n’avait aucune chance. L’ETA fait parvenir un communiqué dans lequel ils revendiquent l’attentat du matin à Madrid. L’amiral Carrero Blanco avait été choisi pour cible parce qu’il constituait un élément essentiel à l’équilibre du franquisme. Sa mort constitue une grande victoire contre le régime fasciste qui dirige l’Espagne depuis trop longtemps. Le responsable du gouvernement se rend ensuite au chevet du président Franco pour l’en informer. Ce dernier indique que la mort de Blanco l’affecte profondément, et qu’il faut venger dans le sang ce crime abject. Il continue : cela passe en premier lieu par l’élimination physique des commanditaires, il faut coordonner tous les efforts de l’état pour éradiquer une fois pour toutes l’ETA. En France, dans la région parisienne en 1978, Nico Weber s’entraîne au tir de précision sur une cible, avec une carabine, sous le regard admiratif de son ami Henri Gauthier, dit Riton.



À Santiago du Chili, dans un bureau du ministère des affaires étrangères en 1978, Francis Dupré évoque avec un haut responsable, son admiration pour ce qu’ils ont fait ici, et le fait que le parti national rêve de faire la même chose en France. Le haut dignitaire remet des laisses de billets à Dupré, qui en remplit sa mallette. Il prend l’avion pour retourner à Paris. Une fois à Genève, il va déposer l’agent sur un compte, dans une banque. Puis il prend le train pour la gare de Lyon à Paris, où son épouse Claire l’attend en voiture, pour rentrer chez eux. Dans les bureaux de la police judiciaire de Rouen, dans le service du commissaire Pommard, Bernès est en train de secouer un individu qui a tué une vielle dame de quatre-vingt-deux ans. Le commissaire demande au coupable d’avouer ce qu’il a fait à la veuve Auclair, soixante-seize ans, tuée à Montfort-L’Amaury en mai dernier. Le suspect assure qu’il n'y est pour rien. Pommard demande à son adjoint Bernès de s’en occuper sans lui, en lui recommandant d’user de délicatesse. Une demi-heure plus tard, Bernès entre dans le bureau du commissaire en lui indiquant que le suspect a avoué le meurtre de la veuve Auclair. En fin de journée, Pommard rentre chez lui, retrouver sa fille Alice, une grande adolescente en surpoids.


Trois séries simultanées de quatre tomes pour évoquer des affaires d’État : le scénariste n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il a déjà réalisé les séries Les coulisses du pouvoir (8 tomes + 1 hors-série, 1999-2008) avec Jean-Yves Delitte, Secrets bancaires (8 tomes, 2006-2013) avec Pierre Wachs et Dominique Hé, Les mystères de la République (15 tomes, 2013-2017) avec Pierre Wachs, François Ravard et Alfo Buscaglia, entre autres. Le lecteur est pris au dépourvu par les trois premières introductions : à Paris en 1943, puis celle à Madrid en 1973, et enfin celle à Paris en 1978. Ils présument qu’elles prendront leur sens plus tard au cours du récit. Il découvre une narration visuelle très classique pour ce genre de récit : descriptive et réaliste, des cases rectangulaires avec bordure, sagement alignées en bande, des décors soignés pour une reconstitution historique solide et fiable, des visages plausibles, avec des expressions mesurées, des individus qui se comportent en adulte. La mise en couleurs s’inscrit elle aussi dans un registre naturaliste. La coloriste sait aussi bien rendre compte du vert d’une prairie, du vert un peu plus foncé du feuillage des arbres, des différences de teintes entre le bois des piquets de clôture et du bois des troncs d’arbre, des variations de relief du chemin en terre, que de mettre à profit les nuances de gris pour habiller les murs extérieurs et intérieurs d’une église.



Dans un premier temps, le lecteur se dit qu’il trouve exactement ce qu’il est venu chercher : une narration visuelle formatée, presque passe-partout. Très vite, il se rend compte que l’artiste fait beaucoup plus que le minimum syndical. Cela commence avec les toits de Paris et la tour Eiffel en fond de case. Par la suite, il se rend compte qu’il ralentit sa lecture pour une case ou un autre pour admirer une représentation : l’ameublement du salon de M. Rajsfus, le modèle de locomotive du train à bord duquel voyage Dupré, les différents modèles de voiture dans les rues, les modèles de volets aux fenêtres (différents en ville à Rouen, de ceux en banlieue), les modèles de téléphone en bakélite à cadran (garanti d’époque), les papiers peints à motif, l’enregistreur à bande magnétique, etc. S’il a connu cette époque, le lecteur relève les détails d’époque : la cigarette présente dans tous les lieux, l’importance d’une collection de disques vinyle, la séance de projection de diapositives dans une pièce assombrie.


Le lecteur s’immerge donc dans le récit, plongeant dans une autre époque reconstituée avec soin. Il apprécie le côté vivant des scènes où l’action prime : arrestation, attentat, intimidation d’un adolescent par la police, séquence d’assassinat par un tireur d’élite, perquisition, parcours de golf. Chaque plan de prise de vue présente la situation avec clarté, décrit les mouvements, les déplacements, avec logique. Il se rend compte que les discussions et les dialogues s’avèrent tout aussi intéressant sur le plan visuel. L’artiste construit des pages parfaitement dosées : alternance des individus en train de s’exprimer, également diversité des cadrages qui permettent de voir l’environnement dans lequel se déroule la conversation, les mouvements des uns et des autres, les petits gestes, et les expressions de visage. Cela semble une évidence assez facile quand Bernès impressionne le suspect au commissariat, le menace, lève la main, pendant que le commissaire Pommard joue le rôle du gentil policier. Mettre en scène un échange de questions et réponses avec un témoin devient moins facile, du fait du caractère statique de la scène : pour autant, ces séquences s’avèrent tout aussi intéressantes visuellement, même quand le témoin reste assis derrière son bureau, et que le policier reste tranquillement assis sur chaise, grâce aux changements d’angle de vue, aux détails du langage corporel, à l’un ou à l’autre introduisant sciemment une part de comédie.



Grâce à cette narration rigoureuse et parlante, l’intrigue apparaît clairement : l’assassinat d’un membre gênant d’un parti d’extrême droite à la fin des années 1970. La police enquête. En quelques répliques, quelques cases, chaque personnage acquiert de l’épaisseur, bien au-delà d’un simple dispositif narratif fonctionnel. Le lecteur comprend que le commissaire tolère quelques comportements qu’il n’approuve pas complètement, et qu’il n’hésite pas lui-même à y avoir recours quand sa fille est concernée. Le manque d’empathie de Bernès, le policier qui n’hésite pas à employer la manière forte, est intimement lié à sa vie personnelle, et ses déceptions. Lors d’un moment avec sa fiancée Bénédicte, le lecteur peut prendre la mesure du caractère de Jacquet, l’autre inspecteur de l’équipe du commissaire. Les auteurs prennent le même soin à étoffer la personnalité de Nico Weber le tueur à gages, et du chauffeur Riton, dit Henri Gauthier. Au premier degré, le tout se lit comme un vrai polar agissant comme un révélateur d’un milieu et d’une époque, habité par de vrais êtres humains, et pas de simples artifices servant de support à une reconstitution.


Bien sûr, l’extrême droite en France dans les années 1980 aiguille tout de suite le lecteur vers un parti réel bien connu : le Front National. Pour autant il n’a pas moyen de savoir a priori ce qui relève de la réalité, et ce qui relève de la fiction. D’un autre côté, certains éléments dénotent l’intention des auteurs. L’individu qui incarne ce parti fictif, le Parti National, est un ex-parachutiste appelé Jean-Maurice Le Guen, ce qui évoque immédiatement Jean-Marie Le Pen (1928-). Il reçoit une fortune en héritage, comme son pendant dans la réalité, d’un dénommé Jacques Lambin mourant, ce qui fait penser à Hubert Lambert (1934-1976). En outre, Luis Carrero Blanco (1903-1973) a bien été assassiné le 20 décembre 1973 à Madrid, et il fut un homme d'État espagnol. Le lecteur est alors tenté de prendre les paroles de Francis Dupré au pied de la lettre quand il déclare que sans lui, le PN ne serait qu’un conglomérat d’individus douteux, nostalgiques de la croix gammées adeptes de la gégène, jeunes au crâne rasé et au cerveau lobotomisé, etc. En fonction de sa familiarité avec l’histoire du Front National, le lecteur peut aisément distinguer la réalité de la fiction, ou il peut alors aller se renseigner plus avant sur les affaires et autres magouilles ayant émaillé son histoire. Il découvre alors le rôle de François Duprat (1940-1978), son assassinat, les rumeurs sur son implication avec la Direction de la Surveillance du territoire (DST), le sort de son épouse Jeannine, les soupçons pesant sur le rôle du Parti des forces nouvelles (PFN), son projet de livre sur le financement des partis politiques de droite et d'extrême droite.


Une bande dessinée de plus sur les magouilles politiques ? Peut-être, mais alors elle se place dans le haut du panier du genre. La narration visuelle se révèle aussi discrète que rigoureuse, fournie et d’une clarté irréprochable. L’intrigue s’inspire librement des faits, en en respectant l’esprit, si ce n’est la lettre. Édifiant.