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samedi 5 mai 2018

Expérience mort, Tome 4 : La porte du ciel

Ce tome fait suite à La résurrection de la chair qu'il faut avoir lu avant. C'est le dernier tome de la série. Il est initialement paru en 2016. Il s'agit d'une histoire imaginée conjointement par Valérie Mangin & Denis Bajram. Valérie Mangin a réalisé le scénario du récit, ainsi qu'écrit les dialogues. Jean-Michel Ponzio en a effectué le story-board, les dessins, l'encrage et les couleurs.

Dans son appartement de New York, Katlyn Fork reçoit la police qui lui explique qu'elle n'a pas d'indice quant à l'enlèvement de son fils Matthew Fork. En outre, de nombreux policiers démissionnent, ce qui ne permet pas de consacrer beaucoup d'agents à cette recherche. Dans un autre quartier de New York, Matthew Fork a de nouveau ressuscité et il fait en sorte d'aider Georges Theillard à en faire de même. Dans l'appartement des Fork, Elois explique à Buzz qu'elle n'arrive pas à déchiffrer et à comprendre les écrits de son arrière grand-oncle. Le père Theillard est ramené par la police dans l'appartement et il apprend à Katlyn Fork, Buzz et Elois que Matthew Fork a décidé de partir avec ses assassins. Dans une prison de Jérusalem, l'agent Black provoque ses geôliers, sans réussir à les faire réagir.

Quelques jours plus tard, Katlyn Fork va au-devant de son fils en hélicoptère. Elle est déposée sur un champ par le pilote Buzz (Elois et Theillard restant à bord), son fils et ses suiveurs étant en train de le traverser à pied. Il s'en suit un échange non productif, Matthew Fork restant persuadé qu'il n'y a rien de l'autre côté de la Porte du Ciel. Katlyn Fork reste persuadée qu'il faut absolument tout tenter pour la refermer. À Jérusalem, dans une installation scientifique, la responsable de projet arrive à la conclusion qu'elle et son équipe ne réussiront pas à réaliser des découvertes scientifiques en analysant la Barque de Râ. Elle décide d'accéder à la demande des États-Unis de leur rétrocéder. Le groupe de ressuscités mené par Matthew Fork ne cesse de grossir avec d'autres ressuscités, et il se dirige droit vers les installations de Fork Industries en Californie, où se trouvent la nef d'Horus-Râ.


Il est difficile au lecteur ayant lu les 3 premiers tomes de résister à la tentation de lire le dernier et de découvrir l'aboutissement de l'entreprise de Katlyn Fork et de son équipage de thanatonautes. L'enjeu est maintenant de redémarrer le processus de mort, les conséquences de l'immortalité des individus étant ingérables, à commencer par la résurrection de tous les morts, de toutes les personnes ayant jamais vécu sur Terre. Indépendamment de la résolution de l'intrigue, le lecteur sait par avance qu'il va pouvoir se projeter dans les différents lieux où se déroule l'action, grâce à la qualité des dessins de Jean-Michel Ponzio. Il retrouve effectivement cette utilisation intelligente et sophistiquée des photographies pour donner plus de consistance aux environnements. Cela commence par une vue nocturne des immeubles se trouvant en bordure de Central Park. Il y a également plusieurs vues intérieures de l'appartement de Katlyn Fork, le mur d'enceinte et les bâtiments de la prison dans laquelle sont détenus l'agent Black et Isaac Lévy, un village amish, une vue panoramique de Jérusalem, une vue panoramique d'Houston, les bâtiments de Fork Industries, et même un champ (celui où se pose l'hélicoptère amenant Katlyn Fork). Non seulement le lecteur apprécie le dépaysement et la variété des localisations, mais en plus il voit la conception d'une bande dessinée par des auteurs conscients qu'il s'agit d'un média visuel, et par un artiste attaché à rendre tangible ce qu'il décrit.

Tout au long de ces 46 pages, le lecteur se laisse surprendre par des visuels inattendus évoquant une forme d'aventure le temps de l'image d'une case. Cela peut être ces individus en train de faire un feu de camp dans Central Park, des gugusses cagoulés façon Ku Klux Klan s'agenouillant devant un homme, la population d'un village amish en train de manifester, un survivaliste ayant tué un daim et se faisant admonester par 3 demoiselles en robe blanche, une jeune gothique piercée en train de faire la leçon à un vieux pasteur à la barbe blanche, un aigle en train de planer au-dessus d'un groupe de motards traversant une ville vidée de sa population, etc. Même s'il n'en a pas pleinement conscience, le lecteur bénéficie d'une narration visuelle riche et variée. Les personnages sont toujours représentés de manière photoréaliste, que ce soit les visages (le dessinateur remercie à nouveau sa femme pour avoir servi de modèle) et les vêtements. Il constate également que les différents accessoires sont dessinés d'après référence, que ce soit les modèles d'armes à feu, les différentes motos, ou encore le matériel de camping. Non seulement Jean-Michel Ponzio investit beaucoup de temps dans la représentation des arrière-plans, mais en plus il fait attention à ne pas abuser des cases avec uniquement une tête en train de parler. La qualité de la représentation des visages les rend très intéressants à regarder pour absorber l'émotion qu'exprime leur visage, mais en plus la mise en scène permet de voir où se situent les personnages et d'observer leurs postures et leurs mouvements.

Du fait de la qualité de la narration visuelle, le lecteur se rend compte qu'il est complètement immergé dans le récit et qu'il l'absorbe au premier degré. Denis Bajram & Valérie Mangin poursuivent leur intrigue jusqu'à son aboutissement dans une résolution claire et nette qui n'appelle pas de suite. L'enjeu de ce tome réside donc la capacité des personnages principaux de mener à bien le projet Échelle de Jacob. Il s'agit pour Katryn Fork et son équipe de se rendre jusqu'au phénomène appelé Porte du Ciel pour la fermer, et rétablir le processus de mort de tous les organismes vivants. Au cours des 3 premiers tomes, le lecteur a intégré les 3 autres éléments purement fictifs imaginés par les auteurs : l'existence d'un vestige appelé Barque de Râ émettant des tachyons, la forme de résurrection particulière de Matthew Fork (le premier à être revenu à la vie) et l'existence de l'arrière grand-oncle d'Elois qui aurait inventé une machine à voyager dans le temps. Au cours de ces 3 tomes, il a quand même éprouvé des difficultés à trouver une logique entre tous ces phénomènes.


Malgré tout, le lecteur a conservé sa curiosité de connaître le fin mot de l'histoire. Or les auteurs ne donnent pas vraiment rapidement de réponse. Matthew Fork continue de ressusciter, et son apparence différente incite des tas de gens à l'accepter comme une forme d'antéchrist. Ce n'est pas tant qu'il prêche des conceptions sataniques, mais plutôt qu'il nie l'existence de toute vie spirituelle après la mort. Il est convaincu qu'après la mort, il n'y a que le néant. Même si les temps sont troublés, et les individus sont déboussolés par un phénomène aussi énorme que le retour à la vie des défunts, le lecteur ne comprend pas pourquoi des individus se mettent à suivre Matthew Fork, changeant d'opinion du fait de sa simple présence (en particulier la population du village amish). Isaac Lévy et l'agent Black éprouvent des difficultés à mettre la main sur la Barque de Râ, ayant été fait prisonniers par le MOSSAD qui compte bien tirer profit de la Barque, au bénéficie de l'état israélien. Le lecteur aimerait bien savoir d’où sort cette Barque de Râ, comment elle se rattache au générateur de tachyon mis au point par les industries Fork. De même, les archives des études de l'arrière grand-oncle d'Elois ne débouchent sur rien, les auteurs faisant lanterner cette intrigue secondaire, sans rien donner au lecteur. Finalement, à quoi bon avoir montré l'opération culottée réalisée par Elois et Buzz pour les récupérer ?

Malgré ces incohérences, les auteurs insèrent des observations par le biais des remarques ou des réactions des personnages, qui font mouche et qui relève d'une sensibilité intelligente et perspicace. Matthew Fork rend sa mère responsable de la façon dont il refuse de croire à une vie spirituelle, à cause des convictions bouddhiques de sa mère. Isaac Lévy refuse de quitter Jérusalem tant que sa famille Sarah, Sam et Anouk n'aura pas ressuscité. Des citoyens manifestent et brûlent des archives d'état civil pour lutter contre le risque de discrimination entre vivants et morts. Mais dans le même temps ces remarques ne débouchent sur rien. Pire, le lecteur s'interroge régulièrement sur la cohérence de la vie des ressuscités dont les besoins matériels sont très fluctuants, une fois devant disposer de logement et de nourriture, la fois d'après non. Et puis surprise… grosse surprise… très grosse surprise…



Le dénouement du récit vient fournir une explication très convaincante à tout ça, sous la forme d'une révélation finale, dans un récit à chute. En fonction de sa sensibilité, le lecteur apprécie plus ou moins de s'être laissé entraîner comme ça, sans rien voir venir. Mais après coup il reconnaît bien volontiers la cohérence de l''ensemble du récit. Soit il se montre beau joueur et a posteriori il réévalue l'ensemble de la série à commencer par ce dernier tome, 5 étoiles. Soit il estime que chaque tome pris pour lui-même provoquait des dissonances narratives irréconciliables avec le plaisir de lecture, 4 étoiles.

vendredi 4 mai 2018

Expérience mort, Tome 3 : La résurrection de la chair

Ce tome fait suite au diptyque La barque de Râ &Cimetière céleste qu'il faut avoir lu avant. L'histoire s'achève dans La porte du ciel. Le présent tome est paru pour la première fois en 2015, sur la base d'une histoire imaginée conjointement par Valérie Mangin & Denis Bajram. Valérie Mangin a réalisé le scénario du récit, ainsi qu'écrit les dialogues. Jean-Michel Ponzio en a effectué le story-board, les dessins, l'encrage et les couleurs.

Au printemps 2019, l'équipage de la nef Horus-Râ est revenu sur Terre, mais il a laissé une porte ouverte dans le ciel, au-dessus du complexe scientifique des entreprises Fork en Californie. Malheureusement, les générateurs de tachyon de la nef ayant été endommagés, l'équipage ne peut pas envisager une nouvelle expédition à court terme, que ce soit pour explorer ce qui se trouve de l'autre côté de la porte du ciel, ou pour essayer de la refermer. Pendant ce temps-là, les morts continuent de revenir à la vie, car l'expédition Horus-Râ a déréglé le processus de mort. De nombreuses personnes sont heureuses de pouvoir retrouver leurs chers disparus. Néanmoins ce phénomène provoque de nombreuses autres réactions.

Le père Georges Theillard commente le phénomène au cours d'une émission de télévision, et il n'y voit ni plus ni moins que la résurrection de la chair mentionnée dans le credo de la foi catholique, c’est-à-dire l'état définitif de l'homme lorsque son corps mortel reprend vie à la fin des temps. Certains groupuscules sont convaincus que cette résurrection de la chair est également annonciatrice de l'apparition de l'antéchrist, et ils estiment que le premier ressuscité est cet antéchrist, à savoir Matthew Fork. Afin de pouvoir mener à bien le projet Échelle de Jacob (réussir à regagner la Porte du ciel), une équipe est envoyée au Caire en Égypte, pour récupérer la barque de Râ qui avait provoqué la mort d'un des gardiens du musée. Le retour à la vie des morts a pour conséquence qu'ils sont devenus immortels, mais aussi que la population de la Terre augmente à une vitesse incontrôlable, avec des problèmes de logement et de nourriture. Un journaliste a observé qu'il faut diviser par 150 le nombre de jours écoulés depuis le décès d'un individu pour déterminer celui qui sépare le retour à la vie effectif de celui du début de la résurrection générale, ce qui fait deux jours et quelques heures par année de mort.

Le voyage des thanatonautes dans le premier diptyque avait eu comme effet non prévu de conquérir le dernier territoire inaccessible à l'humanité : la mort. Enfin pas tout à fait : l'exploration de la nef Horus-Râ n'a pas permis d'explorer l'au-delà, mais son dysfonctionnement a annulé le phénomène de mort. Ce n'est pas simplement que les individus ne meurent plus, c'est aussi que les morts reviennent à la vie. Valérie Mangin & Denis Bajram poursuivent leur récit de genre dans la même direction : jouer avec le phénomène qu'est la mort. À nouveau leur objectif n'est pas de disserter sur la nature de la mort, sur les implications philosophiques d'une vie dont le terme est une certitude, ni même de faire ressortir les caractéristiques ou les enjeux d'une vie, par comparaison avec ce que pourrait être une vie infinie. Ils s'attachent d'abord à raconter une histoire, puis ensuite à explorer les possibilités d'un mécanisme ou d'un dérèglement du processus de mort.


Pour la narration de leur récit, les auteurs s'appuient sur une partie des personnages présents dans les 2 tomes précédents. Le lecteur suit lors de plusieurs séquences les interventions et les réflexions de Matthew Fork, en compagnie du père Georges Theillard. En leur compagnie, il est exposé à la possibilité de l'existence d'un antéchrist, et à la règle de retour, établissant le ratio entre le temps écoulé entre le décès, et le temps pour revenir à a vie. Le père Theillard défend bien sûr le dogme de l'église catholique et identifie ces retours à la vie comme le temps de la Résurrection de la Chair (terme utilisé dans le Credo catholique dans sa version appelée Symbole des Apôtres, temps de la Parousie), mais les auteurs ne développent pas la théologie associée. Matthew Fork n'endosse pas le rôle qu'on essaye de lui attribuer et reste très terre à terre dans une position athée. Il reste également pragmatique et télécharge l'appli appelée iwillbeback qui permet de savoir dans combien de temps ressuscitera un mort, en fonction de sa date de décès. Comme dans les premiers tomes, Jean-Michel Ponzio réalise des dessins descriptifs de nature quasi photoréaliste. Tous les personnages disposent d'un visage particulier, d'une tenue vestimentaire (ou plusieurs) en cohérence avec leur personnalité et leur statut social. Leur langage corporel est naturaliste, sans exagération dramatique ou romantique. Du coup, le père Theillard et Matt Fork apparaissent comme des individus normaux, essayant de répondre de leur mieux aux questions des journalistes, s'intéressant au phénomène de résurrection avec une approche banale, sans expertise particulière.

Le récit montre également les démarches qu'ont entreprises la scientifique Elois et le pilote Buzz. Dans un premier temps, Elois (accompagnée par Buzz) essaye de récupérer ses affaires personnelles chez elle, mais son appartement a été réquisitionné pour faire face à l'explosion de la demande avec tous ces ressuscités à loger. Puis, toujours accompagnée par Buzz, elle va voir sa mère, et retrouver son père qui a ressuscité. Enfin elle se rend dans la bibliothèque qui a archivé les documents de travail de son arrière grand-oncle pour essayer de faire progresser le projet Échelle de Jacob qui permettrait d'accéder à a Porte du Ciel, le phénomène au-dessus des établissements Fork. Le lecteur apprécie la qualité de la représentation d'Elois et de Buzz, à nouveau de type quasi photographique. La dédicace en début de tome permet d'apprendre que l'artiste s'est servi de sa femme comme modèle. Au fur et à mesure des différents endroits visités, le lecteur apprécie également de pouvoir de se projeter dans chaque lieu, le dessinateur s'impliquant énormément pour les représenter. Il peut ainsi voir la façade du musée du Caire, les bâtiments autour de Big Ben, Liberty Island et sa célèbre statue, Central Park, la façade de la station de Saint Pancras, l'intérieur de la British Library de Londres, etc. Il s'agit le plus souvent de photographies qui ont été reprises par un logiciel d'infographie, avec une intégration parfaite dans les dessins. Le lecteur observe donc des personnages ressemblant à des êtres humains normaux évoluant dans des lieux concrets et souvent reconnaissables. L'effet de réalisme est encore accentué par des effets de texture si convaincants que le lecteur éprouve la sensation qu'il pourrait toucher le bois et en sentir le grain, ou toucher la pierre et en sentir la rugosité.


À la lecture, il se dégage parfois une impression un peu froide du fait de la description clinique des images, et un peu plate dans les explications données. Pourtant, ce troisième tome accomplit sa mission de récit de divertissement, avec ces résurrections. Les auteurs ne se contentent pas d'enfiler quelques évidences, comme la surpopulation, la joie des retrouvailles avec les êtres aimés. Ils se montrent un peu plus caustiques avec le fait que tous les ressuscités ne s'entendent pas entre eux, et que les pouvoirs publics ont bien du mal à gérer cette surpopulation de manière efficace. Comme dans les tomes précédents, ils n'insistent pas sur la dimension religieuse. Outre les 2 tandems évoqués, ils mettent aussi en scène la mission de récupération de la Barque de Râ, présentée en ouverture du premier tome, et ils poursuivent l'intrigue secondaire relative à l'arrière grand-oncle d'Elois, qui arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe dans le tome 2. En constatant les effets du dysfonctionnement de la nef Horus-Râ, le lecteur comprend un peu mieux en quoi le voyage dans le temps peut être considéré comme une facette de ce phénomène. Il apprécie encore plus d'autres effets de ces résurrections. Les auteurs n'arrivent pas à donner une vision globale du phénomène, par exemple en consacrant une ou deux pages à des circonstances différentes de résurrection, ou au trafic à la sortie des cimetières. Par contre, ils mettent en scène un ou deux exemples où leur approche factuelle paye. Le premier exemple concerne les victimes des attentats du 11 septembre 2001, dans les tours jumelles. L'absence même de dramatisation visuelle donne plus de force à l'énormité de ces retours, ainsi qu'à la charge émotionnelle qui y est attachée. Le deuxième exemple concerne le retour à la vie de criminels auxquels il n'est pas possible de pardonner, et aux châtiments qu'il faut imaginer pour continuer à leur faire payer leurs crimes.


Le lecteur est bien volontiers revenu pour connaître la suite de ce dérèglement du processus de mort des individus. Il apprécie toujours autant le haut degré d'immersion généré par des dessins très descriptifs, tout en restant très lisibles, par la combinaison de lieux reconnaissables et de personnages ordinaires, et des événements sortant de l'ordinaire. Il reste un peu plus interrogatif sur l'intrigue en elle-même, les auteurs se focalisant surtout la description des conséquences des résurrections par l'exemple, mais sans développer les conséquences émotionnelles pour les proches, sans décrire la situation globale, sans s'aventurer dans la dimension philosophique.


jeudi 3 mai 2018

Expérience mort, Tome 2 : Cimetière céleste

Ce tome fait suite à Expérience mort 1 - La barque de Râ qu'il faut avoir lu avant car ils forment un diptyque. Il est initialement paru en 2014. Il s'agit d'une histoire imaginée conjointement par Valérie Mangin & Denis Bajram. Valérie Mangin a réalisé le scénario du récit, ainsi qu'écrit les dialogues. Jean-Michel Ponzio en a effectué le story-board, les dessins, l'encrage et les couleurs. Ce premier diptyque a été suivi d'un deuxième réalisé par les mêmes auteurs : La résurrection de la chair (2015) & La porte du ciel (2016).

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- Attention ce commentaire révèle quelques éléments de l'intrigue du premier tome.
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Les 2 journalistes en planque en périphérie du site des entreprises Fork sont très déçus car il ne se passe absolument rien de visible. À l'intérieur du bâtiment central où se trouve la nef d'Horus-Râ, les scientifiques et les techniciens sont très inquiets car les capteurs indiquent que monsieur Black est décédé, la nef est recouverte de glace, et il reste encore 2 minutes à courir avant de réanimer le corps de Matt. À l'intérieur de la nef, les passagers se demandent comment faire redémarrer le générateur principal de tachyons. Ils sont obligés de revêtir complètement leur combinaison protectrice en attendant de trouver une solution. L'un d'eux propose de se sacrifier pour réchauffer les composants techniques trop froids pour pouvoir fonctionner. Un deuxième se propose à sa place. Finalement ils trouvent une idée un peu macabre et la mettent en œuvre grâce à un canif providentiel. Le voyage peut continuer.

Mais alors que l'ingéniosité de Buzz les a tirés d'affaire, il entend les jugements de valeur négatifs que les autres portent à son encontre. Il préfère se concentrer sur ses tâches de pilote plutôt que de s'attarder sur ces sentiments négatifs. Il doit en effet rattraper le sarcophage de Matt qui a pris un peu d'avance, tendant au maximum les câbles qui le retiennent à la nef Horus-Râ. De son côté, la scientifique Elois commence à formuler des hypothèses sur la nature de l'expérience qu'ils vivent. Elle présume qu'en fait il ne s'agit pas de leurs formes corporelles qui sont bel et bien restées à bord du Horus-Râ dans le bâtiment des entreprises Fork, mais plutôt d'une forme de réalité spirituelle générée par le cerveau de Matt Fork. Mais voilà que se manifestent des apparitions d'anges chérubins à l'extérieur de la nef.


Le premier tome de la série s'était avéré fort intriguant. Il bénéficiait de dessins léchés donnant à voir un reportage de qualité quasi photographique sur une expédition déraisonnable : suivre l'esprit d'un mort vers l'au-delà. Les auteurs avaient réussi à éviter les représentations trop naïves de ce type de voyage, ainsi que les conceptions new-age pour un voyage prenant, constituant un thriller fonctionnant sur la base de cette exploration de l'inconnu où le champ des possibles est infini. Le lecteur a donc hâte de découvrir la suite, à commencer de savoir si oui, ou non ces thanatonautes vont accéder à l'au-delà, ou s'il va se produire un couac. En conteurs chevronnés, les auteurs commencent par une page pour remettre le lecteur dans le bain, avec les 2 journalistes bredouilles. Puis en 2 pages, la situation est résumée et la voyage peut continuer. Le premier constat du lecteur est que l'intrigue est toujours aussi imprévisible. Ce n'est pas que les auteurs tirent la ficelle avec une narration en forme de fuite en avant pour étoffer la pagination, c'est qu'effectivement les personnages avancent en territoire inconnu de l'humanité (ou tout du moins personne n'en est jamais revenu pour raconter ce qu'il y a vu). Malgré tout, il faut bien dénouer la situation et fournir un minimum d'explications pour donner les règles du jeu. C'est par la bouche de la scientifique Elois que les auteurs proposent une interprétation de ce que perçoivent les voyageurs vers l'au-delà, avec une explication logique dans le cadre d'un tel récit. Bien évidemment ils contredisent l'explication donnée en page 13 dès la page 16 avec l'apparition inopinée d'anges chérubins. Ils en rajoutent une couche à partir de la page 20 avec une forme inattendue de voyage dans le temps, et une référence à La machine à explorer le temps (1895) d'Herbert George Wells.

À partir de là, le lecteur peut soit s'agacer de ces éléments fantaisistes, soit se calmer en se rappelant qu'il lit une bande dessinée d'aventures et pas un traité de métaphysique. D'un point de vue inverse, c'est même la preuve que les auteurs avaient réussi à l'emmener assez loin s'il s'est pris au jeu jusqu'à espérer une révélation sur la nature de la mort et de ce qu'il y a au-delà pour les âmes. Si Denis Bajram ne semble plus assurer la post-production visuelle, les dessins n'ont pas baissé en qualité descriptive. Les visages des personnages sont tout aussi réalistes et expressifs. Le lecteur éprouve parfois l'impression que Jean-Michel Ponzio s'inspire de photographies pour certains visages, en particulier celui des femmes comme la scientifique Elois, ou les dames qui s'occupent de Buzz. Les expressions des visages sont celles d'adultes et permettent de se faire une idée de l'intensité de l'émotion éprouvée par le protagoniste, que ce soit une expression neutre de façade, ou une forte inquiétude, une résolution inébranlable, ou encore un sentiment de béatitude exaltante.


L'artiste continue de mettre en œuvre les éléments de décors conçus et développés pour la première partie, avec la même consistance et la même cohérence. Le lecteur continue de pouvoir se projeter au poste de pilotage de la nef Horus-Râ, ainsi que dans ses coursives qui présentent une technologie plausible, à défaut d'exister vraiment. Au cours de ces trois chapitres, le dessinateur est également amené à représenter la salle où se trouvent les techniciens, ingénieurs et médecins chargés de suivre les données envoyées par la nef, à nouveau cet environnement est représenté de manière détaillée, en cohérence avec le précédent tome. Il doit également décrire le laboratoire de l'arrière grand-oncle d'Elois, ce qu'il fait avec conviction, même si la hauteur sous plafond semble déraisonnable. Les combinaisons revêtues par les thanatonautes présentent des particularités réalistes, à mi-chemin entre de vrais scaphandres, et des tenues d'astronautes.

Comme le montre la couverture, Jean-Michel Ponzio se retrouve également à illustrer de nombreux éléments inattendus, à commencer par ce paquebot dans un cimetière de navires, ou ces carcasses d'avion de la seconde guerre mondiale. À nouveau le lecteur apprécie de pouvoir compter sur le sérieux du travail de référence du dessinateur, et il n'a pas de doute quant à l'authenticité de la forme du Raifuku Maru, disparu en mer en 1925. Il identifie également du premier coup d'œil le mur d'enceinte du camp de concentration d'Auschwitz. Comme dans le premier tome, la qualité descriptive et réaliste de la narration visuelle permet au lecteur de se projeter dans chaque endroit (réel ou créé pour l'histoire), et d'observer des outils et des machines plausibles, réellement utilisables par les protagonistes. De ce point de vue, la narration visuelle ancre le récit dans une réalité proche de celle du lecteur, et permet de mieux intégrer les éléments hétéroclites du récit.

Alors que l'explication (pseudo) scientifique donnée par l'experte Elois incite le lecteur à rationaliser la nature du voyage sous la forme d'une manipulation sophistiquée de leurs perceptions, l'inclusion d'une possibilité de voyage dans le temps le déstabilise complètement. Cette possibilité replace le récit dans la série B de genre, en exigeant une augmentation du degré de suspension consentie d'incrédulité. Mais dans le même temps, le lecteur ne peut pas s'empêcher de chercher à identifier les schémas pour rétablir une logique, et les règles de fonctionnement internes du récit. Sa capacité de concevoir un tel schéma est mise à rude épreuve avec l'apparition des anges chérubins que Ponzio dessine dans une tradition judéo-chrétienne, sans volonté de les rendre terrifiants, ou d'en faire de simples spectres surnaturels. Le lecteur n'a pas d'autre choix que d'accepter les événements incongrus au fil de leur apparition. Il ne se formalise pas que chaque voyageur voit apparaître les spectres de ses proches défunts, comme une manifestation de leur âme. Il lit les 4 pages consacrées à l'arrière grand-oncle de la scientifique Elois comme si elles étaient tout à fait leur place dans le récit du voyage des passagers de la nef Horus-Râ. Il regarde avec curiosité la révélation faite à chaque personnage quant à la véritable nature du monde, chacun la percevant en fonction de ses convictions.


Malgré tout, le caractère hétéroclite des péripéties et des événements finit par susciter un questionnement chez le lecteur. Le récit ne ressemble plus trop à un reportage linéaire sur une entreprise extraordinaire, mais à une suite de bouleversements n'ayant de valeur que pour leur effet de surprise et d'étonnement, comme si le récit avait vraiment basculé dans une aventure de genre assumée. Il subsiste quand même des moments plus réflexifs comme l'hypothèse sur la véritable nature du voyage, les préconceptions sur l'au-delà en fonction de sa culture et de sa formation, et même les limites intrinsèques de l'imagination humaine. Alors même que la scientifique Elois éprouve la plénitude qu'apporte la révélation de la mise en équation de l'existence, elle perçoit aussi qu'un paramètre essentiel n'a pas pu être modélisé par des formules. Le lecteur sourit également de la deuxième de la révélation que doit affronter Katlyn Fork avec une fourmi. Mais il reste un sur sa fin, car ces séquences donnent l'impression de s'éparpiller dans des directions différentes, et elles ne constituent pas une résolution à proprement parler. Il en va complètement différemment avec le dénouement décrit dans les 6 dernières pages de ce tome. Le lecteur se dit que finalement les 2 premiers tomes ne servent que d'introduction au diptyque suivant.


Ce deuxième tome souffle un peu le chaud et le froid sur le lecteur. La qualité de la narration visuelle ne diminue pas d'un iota par rapport au premier tome, et promet la suite du récit sous forme de reportage réaliste. Le scénario rebondit sur plusieurs coups de théâtre qui s'apparentent à une narration de genre n'ayant de valeur que pour leur effet de surprise, et qui, malgré leur qualité, donnent l'impression au lecteur de tirer à a ligne pour atteindre le nombre de pages fixé par l'éditeur. Le coup de théâtre final amène le lecteur à reconsidérer la nature de ce qu'il vient de lire, et d'y voir le premier chapitre (constitué par les tomes 1 & 2) d'une histoire bien différente de celle qu'il avait imaginée.