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mardi 1 mars 2022

Double Masque - Tome 4 - Les Deux sauterelles

C'est pire qu'un crime, c'est une faute !

Ce tome fait suite à Double Masque - Tome 3 - L' Archifou (2006) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il faut avoir commencé la série par le premier tome. Sa première parution date de 2008. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins, et Denoulet pour les couleurs. Il compte 50 planches de bande dessinée. Le scénariste et le dessinateur avaient déjà collaboré sur la série Voleurs d'empires en 7 tomes de 1993 à 2002. Tous les tomes ont été regroupés dans Double Masque - Intégrale complète en 2021 à l'occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon (1769-1821). Sur la quatrième de couverture, le scénariste précise que Ce volume est le dernier consacré à Bonaparte avant qu'il ne devienne Napoléon, empereur des Français, et que les auteurs, eux, tiennent à garder leur liberté.

À Paris, en février 1804, les Parisiens se promènent, badinent pour tout oublier : les rigueurs et les violences des années précédents, le poids des armes. À la nuit tombée, dans son grand bureau, Napoléon Bonaparte tient une réunion avec Jean-Jacques-Régis de Cambacérès et monsieur Lecanet. Armand de Caulaincourt entre dans la pièce et il remet une liste au citoyen premier consul : Moreau, Cadoudal, Pichegru. Bonaparte prend cette information très au sérieux : il demande à Caulaincourt de le tenir informé régulièrement en particulier du rapport de l'agent Méhée. L'affaire est si grave que Cambacérès en a oublié son souper. Caulaincourt indique au premier consul que la personne qu'il désire rencontrer se trouve dans le petit salon d'à côté et qu'elle commence à s'impatienter. Napoléon s'y rend, et trouve Joseph Fouché en train de l'attendre debout, détail qu'il estime favorable. Il lui explique qu'il a besoin de ses services pour déjouer un complot contre sa personne, fomenté et commandité par ses ennemis de toujours, les princes de l'ancienne maison royale. Il va lui confier une copie du dossier. Fouché accepte, tout en soulignant que sa mission serait facilitée s'il occupait des fonctions plus officielles.


Une fois la mission confiée, Joseph Fouché rentre chez lui et s'installe dans son spacieux bureau. Sa femme Bonne-Jeanne l'y rejoint : il l'informe qu'ils rentrent dans les bonnes grâces de Napoléon, que les injures et les humiliations sont effacées car il n'y a que lui pour le protéger. Les Réal, les Dubois, les Desmarets ne sont qu'un ramassis de bons à rien, même pas capables de renifler le danger quand il s'approche. Il jette un coup d'œil par la fenêtre et voit sa fille Joséphine avec sa cousine Aglaé. Son épouse lui apprend que leur fille est amoureuse. Dans la rue, Joséphine confie à son ami que Jean-Eustache Béchou la regarde avec des yeux doux, elle qui n'est pas belle, et qu'elle ne laissera pas passer l'occasion. Elle n'en a bien sûr pas parlé à son père car il enverrait ses espions, ouvrirait un dossier, leur marquerait le dos à la craie. Pendant ce temps-là, un petit esquif à voile en provenance de l'Angleterre rejoint la côte française : à son bord l'abbé Sathanase, l'un des conspirateurs contre Napoléon Bonaparte.

S'il n'a pas lu le texte de Jean Dufaux sur la quatrième de couverture, le lecteur remarque la note en bas de page de la planche 6 : pour les besoins de notre récit, nous avons vieilli la petite Joséphine Fouché de quelques années. Leur intention n'est donc pas de faire preuve de vérité historique, encore moins d'œuvre d'historien, mais de raconter une histoire, un roman se nourrissant de l'Histoire, sans s'en sentir tenu à la vérité historique. Si sa sensibilité le porte sur cette dernière, le lecteur s'agace de cet arrangement au profit des auteurs, de cette contrefaçon réalisée sciemment, comme une sorte de solution de facilité pour se libérer d'un carcan trop contraignant. S'il est ignorant des détails de cette période, ou plus sensible au récit qu'à l'Histoire, il accorde bien volontiers le surcroît de suspension consentie d'incrédulité, sans s'en offusquer. Il dit qu'il a même accepté bien d'autres libertés tout aussi discutables du scénariste, comme les modalités de résolution particulièrement désinvoltes dans le tome 2. Et s'il l'a oublié, les auteurs se font fort de lui rappeler quand François croise fort opportunément Fer Blanc dans les planches 13 & 14, de manière totalement gratuite, puisque cette fois-ci ce mystérieux personnage n'apporte rien à l'intrigue. Il est également question de la mystérieuse femme voilée africaine qui apparaissait dans le premier tome, et qui remettait des boîtes à l'accueil du Mont de Piété, là aussi sans incidence directe sur le déroulement de l'intrigue. Et pourtant…


Pourtant, dans le même temps, ni le scénariste, ni l'artiste ne ménagent leur peine pour réaliser une reconstitution historique soignée et documentée. Le lecteur n'en attend pas moins de Martin Jamar qui a prouvé dans les précédents tomes, et dans la série Voleurs d'Empires qu'il est hors de question pour lui d'aller à la facilité, de représenter une forme générique pour une façade de bâtiment ou pour un modèle de chaise s'il existe une référence disponible. Comme dans le tome précédent, il prend un plaisir évident à reconstituer la façade extérieure du palais des Tuileries, ainsi que le grand espace intérieur. En fonction de sa familiarité avec Paris, le regard du lecteur peut être attiré par une rue ou un bâtiment. Par exemple, une scène se déroule de nuit au pied et à l'intérieur de la Halle aux Farines. En cas de doute, il va vérifier sur internet, et il acquiert ainsi la confirmation qu'il s'agit bien de l'hôtel de Soissons, qui sera par la suite aménagé en Bourse du Commerce, puis deviendra le site parisien de la collection Pinault. Il apprécie tout autant de pouvoir se promener dans le parc du château de la Malmaison. Il se délecte également en regardant l'aménagement intérieur des appartements de Napoléon Bonaparte, des motifs des tapis au modèle des chaises et fauteuils, le cabinet de travail de Fouché avec son bureau et ses chandeliers, le bar fréquenté par François et sa clique, avec son sol en terre battue et ses bancs et tables en bois, le magnifique escalier de révolution de l'hôtel particulier de Fouché, et même les fossés du château de Vincennes pour l'exécution du duc d'Enghien.

De son côté, Jean Dufaux n'est pas en reste. Certes il aménage deux ou trois faits pour les besoins romanesques de son histoire. Pour autant, il situe son action à un moment historique très précis : l'affaire du duc d'Enghien, et la conspiration de 1803, menée par Georges Cadoudal. Là encore, il aménage quelques faits, tout en situant les principaux acteurs : Louis Antoine de Bourbon-Condé, duc d’Enghien (1772-1804), Charles Pichegru (1761-1804), Pierre-François Réal (1757-1834), Jean Victor Marie Moreau (1763-1813) Le lecteur voit également passer un abbé dénommé Sathanase dont le rôle évoque celui de l'abbé Wenborm, ainsi que Armand de Caulaincourt (1773-1827), Michel Orderner (1755-1811), sans oublier Joséphine de Beauharnais (1763-1814), Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824) et Joseph Fouché (1759-1820). La lecture de ce chapitre s'apprécie donc plus pour le lecteur qui possède quelques connaissances de cette époque. Pour autant, chaque type de lecteur se sent pris par l'intrigue qui vent donc intégrer les personnages de la série comme la Torpille et l'Écureuil, dans la grande histoire. Il revient à Fouché de confondre les commanditaires du complot au grand jour, et à la Torpille (François) de neutraliser leurs petites mains dans l'ombre.


De temps à autre, le lecteur se dit que le scénariste traite son récit avec désinvolture : la triple coïncidence de Kitty visitant la voisine de cellule de Pichegru alors que celui-ci reçoit la visite de l'abbé Sathanase (même le nom de ce dernier qui évoque Satan), puis Kitty en parlant à François comme si elle était consciente de l'importance de cette nouvelle et donc de la mission secrète de François, puis Kitty encore tombant sur Jean-Eustache Béchou au lieu de Fouché. Ça fait vraiment beaucoup de coïncidences bien opportunes. De temps à autre, le scénariste semble disposer d'une page en plus ce qui lui permet de caser un événement ou une référence sans rapport avec l'intrigue principale : Joséphine s'occupant personnellement d'une tache sur la veste de Cambacérès et faisant une remarque déplaisante sur le goût vestimentaire de Napoléon, François tombant sur Fer Blanc, l'évocation de la femme africaine voilée et de ses boîtes, et même la mention des masques qui n'apparaissent pourtant pas une seule fois dans l'histoire. Pourtant, cela n'empêche pas l'intrigue d'être bien construite et prenante, et les personnages de faire des réflexions de manière organique. Le lecteur en relève plusieurs. Un complotiste se félicitant du trouble qui règne car cela affecte les têtes, indispose le raisonnement, et égare les esprits. Napoléon Bonaparte explicitant qu'il lui faut combiner l'action dans l'ombre de la Torpille car elle permet certaines audaces, et l'action officielle de Fouché car la lumière peut éblouir. Le même Bonaparte prenant une décision risquée concernant la mise aux arrêts du duc d'Enghien sur un territoire étranger, car les faits accomplis gagnent sur les faits envisagés. Cadoudal répondant de manière cynique au préfet de police l'accusant d'avoir occis un policier honorable père de famille : il fallait me faire arrêter par des célibataires. La Torpille répondant à la proposition de l'Écureuil de suivre le mouvement de Joseph Fouché pour profiter des honneurs : Ce sera toujours la même comédie : tuer pour ne pas être tué. À ce petit jeu-là, tout le monde est perdant.

Le lecteur entame ce quatrième tome plus ou moins confiant : à l'évidence une narration visuelle faisant œuvre d'une reconstitution historique soignée et rigoureuse, une intrigue plus ou moins convaincante. Il ressent vite que les auteurs prennent un vrai plaisir à raconter leur histoire : le dessinateur à recréer et à montrer Paris et ses habitants en 1804, le scénariste à évoquer l'affaire du duc d'Enghien et le complot de 1803. Il constate que Jean Dufaux prend des libertés avec la réalité de certains faits historiques, ne respectant pas la lettre, mais respectant l'esprit pour obtenir une histoire plus plaisante, qu'il intègre des éléments superfétatoires mais présents dans les tomes précédents. Il ressort sous le charme de cette version romanesque de l'Histoire, pour l'incroyable qualité de sa narration visuelle et de sa reconstitution historique, et pour la verve de son scénariste.



2 commentaires:

  1. Le palais des Tuileries, la Halle aux Farines, l'hôtel de Soissons et la Bourse du Commerce, le château de Malmaison, et le château de Vincennes - Ces énumérations sont des éléments de tes articles que je retrouve toujours avec grande joie. Je dois avouer que je n'en connaissais pas la plupart ; ton article me permet ainsi de combler une lacune. Avec une mention spéciale pour le château de Vincennes.

    "Il ressort sous le charme de cette version romanesque de l'Histoire, pour l'incroyable qualité de sa narration visuelle et de sa reconstitution historique" - Il n'empêche, j'ai l'impression que les tics narratifs (digressions, facilités ; tu parles aussi de désinvolture et d'une multiplication des coïncidences) de l'ami Dufaux tendent à t'agacer. Tant mieux si tu restes malgré tout sur une note largement positive.

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    1. Je ne connaissais qu'une partie de ces monuments : la Bourse du Commerce pour avoir travaillé pendant plusieurs années dans le secteur des Halles, le château de la Malmaison pour avoir fait voguer un petit bateau en coquille de noix dans son ruisseau quand j'étais enfant.

      L'écriture de Dufaux : un des babélionautes dont j'apprécie les articles, Alfaric, écrit souvent dans ses commentaires sur les BD de cet auteur qu'il ne supporte pas son incapacité à conclure une histoire en cohérence avec les éléments qu'il développe durant le récit. Du coup, ça m'a incité à avoir un regard plus critique sur la logique du scénario. Je ne suis pas particulièrement agacé, plutôt frustré par certains choix. Mais ça ne gâche pas mon plaisir à me promener ainsi dans les rues de Paris à cette époque. Je reste bien sur une note largement positive.

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