Amuse-toi bien avec tes petits camarades psychorigides !
Quelque part en Californie, Julia Peterson s'introduit subrepticement dans une propriété appelée Monte Rio, à la faveur de la nuit, en passant par les bois, déjouant ainsi la surveillance de la milice privée qui assure la sécurité. Elle arrive au bord d'un lac où se tient une cérémonie privée à la lumière des torches, au pied d'une statue de chouette de douze mètres de haut. Le maître de cérémonie récite une invocation à la chouette et aux bohémiens, pendant qu'un cercueil est amené en barque, puis placé au pied de la statue, et auquel il est mis le feu pour une cérémonie secrète de crémation. Julia Peterson repart après avoir assisté à la cérémonie, sans avoir été découverte. Le lendemain, l'inspecteur Philips se rend au bord du lac Berry en passant par les bois pour ne pas être repéré. Chemin faisant, il s'allume une cigarette. Il sort ses jumelles et observe ce qui se passe de l'autre côté du lac. Sur le ponton se tiennent une demi-douzaine d'agents de police, alors que trois hommes grenouilles remontent un cadavre du fond du lac. Philips est satisfait par ce qu'il vient de voir, il jette son mégot sur le chemin et repart.
Dans la grande ville la plus porche du lac Berry, un inspecteur de police sort du commissariat avec un dossier à la main. Il se rend dans un café proche où Philips l'attend. Il lui remet le dossier et le commente, en commençant par ironiser que ce ne doit pas être Philips qui les a prévenus pour les cadavres au fond du lac. L'inspecteur confirme à Philips que ces individus étaient tous les trois membres d'une milice privée chargée de la protection d'une sorte de club très sélect pour les grands de ce monde : le Bohemian Club. À Monte Rio, Julia Peterson rend compte au chef de cette milice privée de son infiltration de la veille au soir, en insistant bien sur le fait que leur dispositif de sécurité n'est pas au niveau exigé. Elle mentionne qu'elle aurait pu abattre Preston, l'ancien président des États-Unis, sans aucune difficulté. Gary Scott s'est réinstallé dans l'appartement qu'il partage avec Caroline Baldwin à Manhattan. Il constate qu'un nouveau courriel vient d'arriver pour Caroline : encore des photographies de vacances de celle qui se fait passer pour sa femme, cette fois-ci d'un séjour à Montréal, avec une photographie prise depuis la terrasse Dufferin, avec le château de Frontenac en arrière-plan. Dans un cimetière proche du lac Ferry, Philips présente Alan Hammerstein, un des meilleurs spécialistes des sectes et autres société secrète, à Caroline Baldwin.
Sous l'insistance de son nouvel éditeur, André Taymans avait accepté de réaliser une histoire sur deux albums, avec plus d'action que les précédentes, revenant vers les territoires du thriller politique. L'ombre de la chouette (au titre très mystérieux, parce que celle-ci n'intervient dans le présent tome) comprenait de beaux paysages (une des composantes principales de la série), beaucoup de mystères, et une intrigue qui laissait moins de temps aux personnages pour regarder le paysage. Dans cette deuxième partie du diptyque, l'auteur résout effectivement tous les mystères : le retour de la femme de Gary Scott, le numéro 1408 entouré sur un billet de banque de 1 dollar, l'assassinat d'un sénateur de retour d'une mystérieuse réunion dont le cadavre a été retrouvé dans la forêt, l'identité du mystérieux sauveur de Caroline Baldwin inconsciente et prête à être assassinée par un groupe d'individus cagoulés. S'il ne s'agit pas de moment contemplatif pour les personnages, le tome s'ouvre avec une séquence d'observation nocturne dans une forêt californienne, puis l'histoire passe à deux pages muettes quand Philips observe les plongeurs. La narration prend une autre forme, de la planche 11 à la planche 14, avec une séquence d'explication sur le Bohemian Club, et sur les symboles franc-maçonniques sur le billet de banque de 1 dollar. Le scénariste n'arrive pas à faire autrement que de consacrer la planche 21 à de copieux phylactères d'explication quand Scott, Philips et Baldwin croisent leurs informations, avec uniquement des têtes en train de parler. Les planches 33 à 35 sont à nouveau consacrées à de copieuses explications, mais avec une plus grande variété dans les dessins. Cette abondance d'explications s'était déjà produite dans des tomes précédents, mais pas sur autant de pages, et pas de manière aussi pataude pour la narration visuelle.
Le lecteur est un peu décontenancé : il pouvait penser qu'André Taymans avait assez de pages en deux albums pour développer une narration plus fluide. C'est presque comme s'il avait trop mis de choses dans son scénario. D'ailleurs l'explication des courriels de la défunte épouse de Gary Scott laisse le lecteur très dubitatif sur le choix de s'y prendre ainsi, pour faire passer des informations. La mort d'un personnage récurrent abattu par Gary Scott arrive comme un cheveu sur la soupe, avec un effet émotionnel nul parce que la scène est trop rapide. Quant au final spectaculaire avec avion de chasse, c'est une première dans la série. Cela n'empêche pas que l'intrigue se lise comme un divertissement rapide et sympathique, un peu échevelé, un thriller effectivement en décalage avec les précédentes aventures de l'héroïne. Caroline Baldwin, Philips et Gary Scott sont mis en scène comme des professionnels compétents, pas toujours prompts à la collaboration, parce qu'ayant chacun des intérêts propres, pas toujours convergents. C'est un plaisir de retrouver Julia Peterson, elle aussi très compétente dans cet album, avec une direction d'acteur qui montre son caractère et sa détermination. André Taymans crée d'autres personnages : le spécialiste des sectes et autres sociétés secrètes, un peu rondouillard avec une jolie chemise à fleurs, un cuisinier dans un diner qui sait comment laisser causer les clients exigeants en continuant de faire comme d'habitude, une équipe d'agents chargés de la protection de la présidente des États-Unis, très professionnels et formels.
Cette aventure détonne par rapport aux précédentes, mais le lecteur retrouve la marque de fabrique d'André Taymans : soigner les paysages. Cela commence avec cette intrusion dans l'immense propriété de Monte Rio. Le lecteur suit avec plaisir la progression de Julia Peterson à travers les arbres. Il ouvre les yeux plus grands en découvrant la rivière, la mise en scène de la crémation et la statue de 12 mètres de haut (pour le coup, c'est vrai qu'il y a bien plus bizarre comme statue aux États-Unis). Cette fois-ci en pleine journée, il regarde l'inspecteur Philips monter à pied à travers bois, vers un point de vue et observer ce qui se passe dans 2 pages silencieuses. La planche suivante montre la grande rue d'une ville de moyenne importance en province, et le lecteur prend le temps de regarder l'architecture. Puis il peut apprécier les façades en grès rouge du Trias (brownstone), depuis la fenêtre de l'appartement de Gary Scott à New York. Planches 15 & 16, Philips conduit Scott en voiture dans les rues de New York : le lecteur retrouve toute l'implication de l'artiste pour reproduire fidèlement l'architecture (les échelles en façade) et l'urbanisme. Au fil des séquences, il se rend compte que Taymans ne ménage pas sa peine : route de campagne avec éoliennes en bordure, hall monumental d'aéroport avec structure métallique au plafond, le nouveau complexe hôtelier Premières Nations à Wandake au Canada (une référence à Caroline Baldwin, n° 2 : Contrat 48-A, 1998) où le lecteur séjournerait avec plaisir, une autre longue marche dans la propriété de Monte Rio (de jour cette fois-ci), une belle vue sur Montréal depuis la terrasse du parc du Mont Royal. Le lecteur regrette pour les personnages qu'ils n'aient pas le temps d'apprécier ces différents environnements, ce qui ne l'empêche pas, lui, de prendre le temps pour le faire.
Cette deuxième partie laisse une impression étrange au lecteur. André Taymans a écrit un thriller politique étoffé avec de nombreux rebondissements, dans une intrigue cohérente. Il y a intégré tellement d'éléments qu'il n'a pas la place de tous les mettre en valeur. Quand il repense à l'appel du chef religieux exhortant tous les occidentaux atteints de maladies incurables à s'enrôler sous la bannière islamique radicale comme kamikazes afin de détruire le Grand Satan américain et ses valets, le lecteur se dit que cet élément a été très mal exploité, quasiment pas en fait. En outre le scénariste est obligé de caser beaucoup d'explications dans des pages qu'il n'arrive pas à rendre visuellement intéressantes, un comble quand c'est la même personne qui écrit le scénario et qui réalise les dessins. D'un autre côté, le lecteur prend plaisir à voir des personnages qui réfléchissent, qui coopèrent sans oublier leur personnalité. Il retrouve les paysages si soignés qui sont la marque de fabrique de la série, très diversifiés dans ce tome, un dépaysement toujours aussi agréable.
"N'arrive pas", "copieux", "pataude"... et je passe la suite ☺. Ouille. Il semblerait que ce tome ne parvienne pas à éviter les écueils de l'école de Bruxelles et qu'il soit inaboutis sous plusieurs aspects. La faute à l'éditeur , qui s'est immiscé dans les affaires de l'auteur ? Ou la faute à l'auteur et à l'auteur seulement ? Je ne me souviens pas avoir lu chez toi un tel dépit dans un commentaire à l'issue d'une lecture.
RépondreSupprimerJe te le confirme : grosse déception en ce qui me concerne. De ce que j'ai retenu des notes dans l'édition intégrale, effectivement, l'éditeur est intervenu sur la structure du récit, en particulier en demandant qu'il soit en deux tomes 15 & 16. Cela explique en partie que le titre du tome 15 évoque une chouette qui n'est mentionnée que dans le 16 et pas dans le 15. Fort heureusement, comme tu le remarques, ce genre de déception est une exception dans mes lectures.
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