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mardi 21 avril 2020

Léonard - tome 50 - Génie, Vidi, Vinci!

Encore cet empêcheur de grasse-matiner en rond !??

Ce tome est le cinquantième des inventions de Léonard le génie, et il n'est pas nécessaire d'en avoir lu un autre avant pour tout comprendre. Les gags ont été écrits par Zidrou (Benoit Drousie), dessinés et encrés par Turk (Philippe Liégeois) et mis en couleurs par Kaël. Ce tome comprend 19 gags de 1 à 5 pages, ainsi qu'un dossier illustré de 7 pages sur Léonard de Vinci, réalisé avec le Clos Lucé.


Léonard entre en hurlant à plein poumon dans la chambre de son disciple Basile Landouye profondément endormi dans son lit, rêvant d'un robot en train de scier du bois pour produire le son zzzz du sommeil. Le cri du maître le réveille en sursaut, ainsi que Raoul Chatigré (un chat) et Bernadette (une souris) qui dormaient sur sa couverture. La puissance du cri fait bouger le rideau, la peinture encadrée, le verre d'eau sur la table de nuit, les chaussons du disciple et ceux du chat sur la descente de lit, et fait également se soulever le lit de quelques centimètres. Léonard pénètre dans la chambre et dit au disciple tétanisé avec son chat dans les bras, que finalement il peut rester couché. Il se couche lui-même à côté du disciple dans son lit, la mine défaite et explique qu'il est un génie fini, obsolète, largué, ringard. Il n'a plus rien inventé de bon ces derniers temps. Le disciple le rassure : Léonard a bien inventé plusieurs choses récemment, comme la couche-culotte musicale qui joue un air de reggaeton quand bébé a fait son gros popo, les lunettes gag, le tire-bouchon pour ouvrir deux bouteilles à la fois, le nid chauffant pour les petits oiseaux en hiver. Bon finalement, le bilan n'est pas si terrible que ça. Basile emmène Léonard devant un miroir pour lui montrer qu'il reste impressionnant, mais son reflet répond de manière peu flatteuse. La discussion prend heureusement une autre tournure quand arrive Mozzarella, la fille adoptive de Léonard.

Au fil des gags suivants, Basile se met mal en vidant une bouteille de Champagne, puis trois pintes de bière, quelques petits verres de digestif, pour finir par boire au tonneau. Mozzarella est en train de lire un illustré et demande à son papa ce qu'est une ecchymose : Léonard lui explique avec l'aide du disciple, et développe en établissant la distinction avec un hématome et une écorchure. Léonard termine de réparer un appareil ménager pour Mathurine et celle-ci trouve incroyable tout ce qu'il a pu inventer au point que si quelqu'un le racontait, personne ne le croirait. Cela donne l'idée à Léonard d'écrire ses mémoires et d'aller les proposer chez différents éditeurs. L'atelier est plongé dans le noir et Léonard indique à Basile qu'il peut y aller : le disciple se cogne contre tout un tas d'objets contondants, coupants, tranchants. Quelqu'un frappe à la porte du disciple. Il se lève : il s'agit d'un livreur qui lui apporte un colis dans une caisse en bois. Basile l'ouvre et Léonard en sort en bondissant, tout en hurlant Debout Disciple. Il vient d'inventer la société de livraison de courrier. Léonard pénètre doucement dans la chambre de son disciple avec un plateau de petit-déjeuner. Le disciple n'est pas dupe et sait que cette sollicitude cache quelque chose : effectivement Léonard a un petit service à lui demander.



Le premier album de Léonard paraît en 1977, personnage créé par Bob de Groot (scénariste) et Turk (dessinateurs) qui collaboraient précédemment sur la série Robin Dubois dont le premier tome est paru en 1974. Le principe est explicite : il s'agit d'une version parodique de Léonard de Vinci, celui de la bande dessinée habitant également la commune de Vinci (à Florence, en Italie). C'est un inventeur génial qui fait exécuter les basses besognes par son disciple Basile Landouye qui lui sert également souvent de cobaye. La maison de Léonard est entretenue par Mathurine, et elle abrite également un chat (Raoul Chatigré), une souris (Bernadette) et un crâne (Yorrick), tous doués de la parole. Dans l'album 48 (2017), un nouveau personnage récurrent est apparu : Mozza (diminutif de Mozzarella), une enfant adoptée par Léonard. Les gags fonctionnent sur un principe souvent identique : Léonard conçoit et réalise une nouvelle invention, processus au cours duquel le disciple souffre physiquement, et dont les avancées sont plus ou moins positives. Il s'agit généralement d'inventions anachroniques montrant que Léonard est en avance sur son temps, souvent de plusieurs siècles. Enfin Bob de Groot a arrêté d'écrire la série en 2015 avec le quarante-sixième album, et Zidrou en a repris l'écriture à partir de Léonard - tome 47 - Master génie (2016), toujours avec Turk. Il a également collaboré avec ce dernier sur deux albums (22 & 23, 2016 & 2017) de la série Clifton : Clifton - tome 22 - Clifton et les gauchers contrariésClifton - tome 23 - Just Married.

Zidrou se montre aussi respectueux qu'inventif dans cet album : Léonard est toujours aussi pétulant et admiratif de son propre génie, avec une touche de de vanité assumée. Basile est toujours aussi tiraillé entre sa vocation (je sers la science et c'est ma joie). Le chat, la souris et le crâne placent leurs remarques à la fois sarcastiques et gentilles. Durant ces 19 gags, Léonard n'arrête pas d'inventer dans des domaines très différents : les briques de construction en plastique (avec un beau rapprochement visuel entre leur logo et le nom de Léonard), l'ampoule économique, la société de livraison de courrier, le vol d'invention, la tauromachie, le sponsoring, la crypto-monnaie, la Go-Pro, plusieurs autres, et même le cliffhanger dans une mise en abîme savoureuse. Zidrou se montre autant facétieux dans sa construction (le gag de la page 22 faisant explicitement référence à celui de la page 17), et n'hésite pas à intégrer une ou deux dimensions sociales, comme la surproduction de livres, la société de livraison de courriers (sur le mode Uber, avec un comparatif de la couverture sociale avec La Poste), la cruauté envers les animaux (la tauromachie), les effets pervers des avancées technologiques (la disparition des boulots manuels), ou encore la course à la reconnaissance médiatique.


Dès la première page, le lecteur est en terrain connu avec Léonard qui beugle et qui fait vibrer toute la pièce. Le scénariste met bien en œuvre les caractéristiques de la série, avec un humour gentil et inventif, et Turk est au meilleur de sa forme. Les personnages sont expressifs comme jamais, avec une exagération dans les expressions de visage et les postures pour accentuer les effets comiques : dans ces moments-là, l'émotion s'exprime de toute sa force, sans retenue, sans filtre. Le lecteur reste toujours aussi admiratif de Léonard, que ce soit pour son entrain quand il se met à trottiner pour s'atteler plus vite à sa nouvelle invention, ou que ce soit ses sourires exprimant une grande satisfaction de lui-même et de son génie. Il souffre avec le disciple : les réveils brutaux propres à provoquer un infarctus du myocarde, l'air un peu benêt quand il sert la science (et c'est sa joie) sans tout comprendre, les horribles blessures dessinées de manière comique (les trous dans le crâne après s'être fait tirer dessus à bout portant, les bosses gigantesques, les pansements en plusieurs couches, etc.). Ce traitement des personnages est à la fois une approche tout public de la narration visuelle, à la fois une expressivité parlante pour les adultes quant à l'intensité des émotions, et leur honnêteté.

Dès la première page, le lecteur est frappé par la densité d'informations présentes dans chaque case, pour les décors et pour les accessoires. Il y a un vrai plaisir à lire les cases, à prendre le temps de la lecture pour en apprécier les détails. Lorsque le disciple s'arsouille, le lecteur peut voir la bouteille de champagne avec une forme adéquate et une étiquette idoine, les chopes en verre avec les motifs caractéristiques, le tonnelet et son cerclage. Par la force des choses, il s'intéresse d'abord à ce qui est raconté, c’est-à-dire la succession d'actions qui amène à la chute comique, s'attachant à l'information principale de chaque case, sans forcément prêter attention à tout ce qui est dessiné. Ayant eu la satisfaction de l'effet comique, il rejette alors un coup d'œil aux cases, et découvre, par exemple, le crapaud au fond de la bouteille contenant la liqueur qu'a savouré Basile dans la cinquième case. Il remarque également la grande cohérence graphique dans les inventions de Léonard, c’est-à-dire la manière dont Turk a transposé la technologie du monde contemporain, à celle de la fin du quinzième, début du seizième siècle. Dans le même ordre d'idées, il observe que Turk fait en sorte de représenter de vrais outils dans l'atelier de Léonard. Il arrive à plusieurs reprises que le lecteur se dise qu'il n'a pas bien tout regardé et qu'il jette un coup d'œil en arrière pour vérifier qu'il n'aurait pas laissé passer une remarque de Raoul, ou une sentence de Yorrick (le crâne d'un bouffon à la cour royale du Danemark, dans Hamlet de William Shakespeare, 1564-1616), et qu'il découvre que c'est le cas.


Les pages de Turk donnent la sensation de se lire toutes seules, sans jamais impression qu'il y a trop de choses dessinées, ou que les cases sont surpeuplées. Pour cet artiste, réaliser des planches tout public ne signifie pas de diminuer le nombre de traits et d'arrondir les contours. L'album ne se limite pas à une suite de gags drôles très vite lus où la narration visuelle serait asservie à l'effet final, en étant simplifiée au maximum. S'il y prête attention, le lecteur se rend compte de l'investissement de l'artiste. Quand Léonard se tient face à un miroir en pied, son reflet dispose de répliques, et Turk a fait en sorte qu'elles soient en phases avec la posture du reflet qui est la même que celle de Léonard. Quand Léonard va proposer le manuscrit de sa biographie à plusieurs éditeurs, leur bureau est unique à chaque fois dans son aménagement et dans sa décoration, et Basile y lit une bande dessinée à chaque fois différente, une parodie en lien direct avec les publications réelles de l'éditeur. Du point de vue de la mise en scène et du découpage des planches, Turk utilise tout naturellement une large palette de possibilités : du dessin en pleine page (avec de nombreux détails bien sûr), à la case de la largeur de la page pour mettre en évidence la distance, en passant par un même personnage représenté plusieurs fois dans la même case (le disciple qui accomplit rapidement de nombreuses actions). Turk sait aussi manier l'absurde visuel (le taureau qui se tient sur ses pattes arrière, en levant les deux autres, Léonard sortant une enclume de sa barbe, Basile caché dans une bulle de savon), en l'intégrant sans solution de continuité dans une description réaliste.

Ce cinquantième tome est un cru exceptionnel grâce à la verve visuelle de Turk dont la maîtrise technique est toujours en arrière-plan mise au service de la narration, et à Zidrou qui a su assimiler cet univers et écrire à la manière de Bob de Groot. Les 7 pages de fin exposent plusieurs aspects de la vie de Léonard de Vinci dans un registre pour jeunes lecteurs : sa jeunesse, la nature pour modèle, la Joconde, l'homme de Vitruve, la réalité historique de Basile, Mathurine et les autres, l'eau comme inspiration pour inventer, le rêve du vol, l'analyse du mouvement, le génie militaire (l'arbalète, le char à faux, les catapultes, les armes à feu, le char d'assaut).


6 commentaires:

  1. "Léonard" ? Super !
    Mais pourquoi as-tu commencé à les commenter au cinquantième ?
    Turk "au sommet de sa forme" : d'après tes données, cela ferait plus de quarante ans qu'il dessine "Léonard". S'il réussit à se maintenir, c'est admirable. Il a quel âge ?
    J'aime beaucoup ton paragraphe à propos de la densité des informations.

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  2. Oups ! Je ne savais pas que je commettais un sacrilège en ne commençant pas par le tome 1. :)

    J'ai lu quelques albums de cette série pendant mon enfance, mon adolescence, empruntés à la bibliothèque, sans respecter l'ordre. Je voulais en lire un autre pour me replonger dans ces bons souvenirs, avec une crainte que les scénarios et les gags de Bob de Groot ne soient plus à mon goût. C'est en repensant aux deux albums de Clifton que l'occasion a fait le larron quand j'ai vu passer ce tome 50.

    Turk - Ta question m'a fait retourner à l'article wikipedia : le premier album est bien paru en 1977, compilant des gags parus dans Achille Talon Magazine, à partir de 1974. Cela fait donc 46 ans que Turk dessine Léonard. Il est né le 08 juillet 1947, et a donc 72 ans.

    Le tome 51 est annoncé pour le 15 mais 2020 sur amazon, toujours par Turk & Zidrou.

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  3. Un sacrilège ? Loin de moi cette idée ! Mais je me dis qu'il y a eu quarante-neuf tomes avant !
    Soixante-douze ans et au sommet de sa forme ; quand je vois que beaucoup de dessinateurs perdent la main avec l'âge, ça laisse rêveur.
    J'appréciais "Robin Dubois", quand j'étais gosse.
    Dis donc, Zidrou a quelques reprises de séries importantes à son actif : "Ric Hochet", "Léonard", et "Clifton".

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  4. Je partage ton avis sur le fait que certains dessinateurs perdent en finesse ou en implication avec l'âge. C'est à l'opposé du ressenti que j'ai eu en lisant cet album : aucune impression que Turk s'économise ou qu'il ait perdu en précision.

    Zidrou m'épate par la quantité d'albums qu'il a écrits ces dernières années, et la diversité des genres, de L'élève Ducobu ou Tamara pour un jeune lectorat, à des séries adultes comme Les beaux étés ou Shi (avec Homs, seule ma pile à lire qui ne diminue pas me retient de me lancer dans cette série), à des polars très noirs et très durs.

    Il également repris des séries comme Chlorophylle (créé par Raymond Macherot) et La ribambelle (créé par Roba), et a aidé au scénario d'un tome de Le Spirou de... (celui de Franck Pé).

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    1. "Chlorophylle" ! En revanche, "La Ribambelle" ne me dit rien.
      Merci pour ces informations.

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  5. Je n'ai lu ni l'un ni l'autre.

    J'ai fini par comprendre que Raymond Macherot (1924-2008) est un pilier d'abord du journal de Tintin, puis de Spirou. La lecture de sa page wikipedia m'a impressionné par la liste des auteurs BD de premier plan avec qui il a travaillé. Je connais bien sûr Jean Roba (1930-2006) pour avoir lu quelques albums de Boule & Bill.

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