lundi 5 juillet 2021

Jessica Blandy Tome 24 : Les gardiens

Les anges morts ne me font pas peur.

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, Tome 23 : La chambre 27 (2004) qu'il est indispensable d'avoir lu avant, car c'est la deuxième partie de l'histoire débutée dans le tome précédent. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2006, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 54 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24. Ce tome est le dernier de la série. Cette dernière a connu un épilogue en 3 tomes intitulé La route Jessica, réalisé par les mêmes auteurs.

Dans la baie de new York, un cadavre flotte bloqué par un pilotis de bois, celui de Peter Lamax, un des cinq gardiens. À l'embarcadère du ferry, Edie Cox, une belle rousse élancée, attend assise sur un banc. Le ferry accoste, et les passagers descendent. Elle se mêle à la foule, avec une seringue à la main. Elle s'approche par derrière de l'un des passagers et le pique à l'omoplate, à travers ses habits. Il a brusquement un saignement de nez, et il s'écoule par terre. Edie Cox jette la seringue dans une corbeille de rue, et elle s'éloigne tranquillement, les mains dans les poches de son imperméable, la satisfaction d'un travail bien fait. Ailleurs, dans sa petite maison, Jessica Blandy a sorti une chaise sur la terrasse et elle regarde la mer, assise, tout en armant un pistolet : elle se méfie. Elle se lève : elle n'attend plus, elle a décidé de passer à l'action. Dans un petit café de New York, les trois autres gardiens encore vivants sont réunis pour faire le point : Knive, Samuel Horton, Victoria Charman. Ils commencent par évoquer le décès de Peter Lamax et de Ron Taylor. Ils n'ont plus de mission à proprement parle puisque leur commanditaire est décédé, et la résurrection de Missie Lizzie qu'ils devaient empêcher est advenue. Charman et Horton se rendent compte qu'ils ont tous les deux la même chanson en tête : Surf's up (1971) des Beach Boys.



Une fois la discussion terminée, Victoria Charman rentre chez elle à pied, et elle se rend compte qu'elle se retrouve dans une partie de la ville qu'elle ne connaît pas. Elle est prise à partie par trois voyous qui s'en prennent à elle, bien décidés à la violer avant de l'assassiner. Jessica Blandy intervient, pistolet à la main, car elle suivait Victoria depuis trois jours. Dans l'ombre, Edie Cox observe l'échauffourée, constatant que les agresseurs ne sont que des amateurs. Les deux femmes vont prendre un verre pour se remettre, et rencontrer Gus Bomby. Ce dernier se moque d'elles et de leurs croyances dans le retour surnaturel de Missie Lizzie, et les autres billevesées concernant la chambre 27. Il finit par indiquer qu'il a retrouvé la personne que Jessica l'avait chargé de dénicher : Ada Torrenson, la mère de l'enfant. Elle est d'ailleurs revenue à New York : elle accepte de les recevoir, mais ne parlera que s'ils ont un code ou un mot de passe à lui présenter.

Dernier album de la série et deuxième moitié du récit, dont la première n'était pas entièrement convaincante pour elle-même. Le lecteur attend donc des réponses satisfaisantes pour l'intrigue et une résolution convaincante. Le scénariste s'y attèle avec rigueur. Le lecteur peut donc rencontrer Missie Lizzie et assister à plusieurs de ses conversations. Les cinq gardiens lui sont présentés. Il est question de leur mission initiale, et de leur devenir, de la menace qu'ils représentent encore pour Missie Lizzie, de la résurrection de cette dernière, et des circonstances de sa mort, il y a de cela de nombreuses années. D'un côté, cet album ne vient pas mettre un terme aux aventures de l'héroïne, elle pourrait en avoir d'autres après ; de l'autre côté, le scénariste relie entre eux plusieurs éléments des tomes passés. Victoria Charman était apparue la fois précédente dans Jessica Blandy - tome 10 - Satan, ma déchirure (1994). Le nervi Oggie évoque les événements de Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière (2002). Razza refait une apparition avec son singe Damastra, vus pour la dernière fois dans Jessica Blandy, tome 18 : Le Contrat Jessica (2000), personnage récurrent des tomes 15 à 18. Le mystérieux monsieur Chance fait également une apparition : c'est le commanditaire du tueur dans Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica (2003). Enfin, Dufaux assume totalement la dimension surnaturelle régulièrement présente, car cette histoire ne peut pas être rationnalisée par une maladie mentale, ou une forme d'hallucination collective.



Dès la première page, le lecteur plonge dans une ambiance particulière. Il retrouve bien sûr les dessins précis et méticuleux dont il a l'habitude. Au fil des pages, il peut ainsi admirer le panoramique sur les gratte-ciels de Manhattan vus depuis l'océan, le débarcadère et les bancs pour attendre, les rues désertes tard le soir avec ce passage sous une arche maçonnée, les différences d'aménagements entre les deux pubs, la circulation automobile avec les taxis Yellow Cab, les pièces monumentales avec la baie vitrée gigantesque de l'étage du gratte-ciel où se trouve Lizzie, un grand parc lors d'une promenade au coucher du soleil, une grande artère de New York de jour avec des étalages sur le trottoir, un hôtel de luxe avec sa décoration somptueuse. Il remarque également l'installation d'ambiances particulières, avec un travail personnel sur la couleur : les teinte rose orangée pour l'ouverture en extérieur, la lumière artificielle teintée de vert pour le second bar, le contraste entre ce rose en extérieur et ce vert en intérieur séparés par la baie vitrée dans le gratte-ciel où se trouve Lizzie, le retour du rose lors de la promenade dans le parc, des teintes dorées dans le palace, et une approche plus naturaliste dans la dernière séquence. Il n'y a que le dessin en pleine page de la planche 17 qi semble un peu fade : les ombres chinoises des gratte-ciels, contre le coucher de soleil, avec des rectangles lumineux pour les bureaux encore allumés.

Le lecteur retrouve toujours avec plaisir la silhouette élancée et élégante de l'héroïne, et aimerait bien la réconforter au lit comme le fait Victoria. Le dessinateur reste du côté de l'érotisme discret, montrant la nudité, sans gros plan, mettant en avant la douceur et l'attention que se portent les deux amantes. Il retrouve également Gus Bomby et sa dégaine un peu crado. Il fait connaissance avec Missie Lizzie dont l'aura n'est pas si impressionnante que ça. Il observe les personnages secondaires et les figurants, Renaud soignant chaque individu, par exemple les bagues de l'un des agresseurs de Victoria, ainsi que le reste de ses vêtements, les quelques tenues de Jessica, toujours aussi élégante, le costume coûteux de l'oncle de Lizzie, etc. Il fait connaissance avec une nouvelle femme : Edie Cox, une belle rousse très mince. Elle exerce le métier de tueuse à gages. Renaud l'a affublée d'une chevelure bouclée, très ondulée, et bizarrement volumineuse. Dufaux développe sa personnalité pour en faire un personnage complexe. Elle n'est pas infaillible, elle sent bien qu'elle ne maîtrise pas la situation, et qu'elle n'a pas le dessus sur la jeune Lizzie. Elle évoque également son absence de relation sexuelle, les hommes sentant qu'elle n'aime pas s'abandonner, oublier, crier. Elle éprouve la sensation que son corps devient froid et que personne ne parvient à la réchauffer, pas même elle-même avec ses propres caresses. La couverture promet un baiser entre elle et Jessica : il a bien lieu. Le lecteur perçoit bien la dimension métaphorique : Edie se réchauffe au contact de Jessica pleine de vie.



En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins intéressé par cette histoire de petite fille revenant comme une incarnation démoniaque. Le scénariste ne ménage pas ses effets avec une assassin qui travaille avec des seringues emplies de poison, une agression de rue très malsaine, un meurtre au pistolet à bout portant, un mystérieux gugusse qui remet à Jessica Blandy, bien opportunément, un bouton et un bout de phrase (dont le scénariste a du mal à se souvenir car ce n'est pas le même qu'en page 12, quand elle le réutilise en page 31), et même un commando d'une dizaine de mercenaires dont un équipé d'un bazooka… dont il ne se sert pas finalement. Ça fait quand même un peu bizarre : un agrégat de trucs choquants et cools, mais très hétéroclites. Comme à son habitude, Dufaux intègre une chanson à cette histoire : Surf's up, des Beach Boys. Il laisse toute latitude au lecteur pour établir les liens pouvant exister entre elle et son histoire. Pourtant, sous cette surface de bric et de broc, il subsiste des comportements très malsains. Visiblement Edie Cox commence à porter le fardeau de son métier : mettre fin à des vies humaines. Jessica Blandy a conservé sa sérénité grâce aux trous dans sa mémoire provoqués dans le tome 22, et c'est sa capacité d'empathie qui lui permet d'avancer dans les épreuves. Le thème de fond de la série, entre déviance mentale et chaleur humaine, reste bien présent, mais le lecteur doit faire l'effort de le considérer sous une intrigue clinquante.

Dernier tome de la série : les créateurs tiennent plusieurs de leurs promesses. La narration visuelle est toujours aussi immédiatement accessible, et discrètement sophistiquée. L'intrigue entamée dans le tome précédent arrive à son terme, en répondant à toutes les questions. Le scénariste a décidé d'assumer franchement les éléments surnaturels, qui ne peuvent plus être interprétés par des phénomènes psychologiques, ce qui peut plus ou moins plaire au lecteur, certains événements étant trop beaux pour être vrais, comme l'aide apporté par monsieur Chance.



6 commentaires:

  1. "Le scénariste relie entre eux plusieurs éléments des tomes passés." Ça, c'est un exercice de scénariste que j'apprécie beaucoup, surtout lorsque j'arrive à la fin d'une série. Cela démontre une vraie réflexion de l'auteur sur la continuité de son œuvre.

    "Le lecteur retrouve toujours avec plaisir la silhouette élancée et élégante de l'héroïne, et aimerait bien la réconforter au lit comme le fait Victoria." Sacré Présence ☺ ☺ ☺.

    "Comme à son habitude, Dufaux intègre une chanson à cette histoire : Surf's up, des Beach Boys". Il laisse toute latitude au lecteur pour établir les liens pouvant exister entre elle et son histoire." Et toi, quels sont ceux qui tu as pu établir ? https://en.wikipedia.org/wiki/Surf%27s_Up_(song)

    "Dernier tome de la série : les créateurs tiennent plusieurs de leurs promesses." : En soi, cela signifie que le niveau de qualité a été plus ou moins régulier du début à la fin et que les artistes ont mis un point d'honneur à soigner la conclusion de leur série.

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    1. Cela démontre une vraie réflexion de l'auteur sur la continuité de son œuvre. - Dans le cas présent, je l'ai ressenti autrement. J'ai trouvé cette dernière histoire (tomes 23 & 24) en deçà du reste de la série pour ce qui concerne l'histoire. Ici Dufaux ramène quelques personnages épars, et évoque Razza, mais sans rien approfondir, juste pour faire plaisir aux lecteurs, ou peut-être uniquement à Renaud. Ce lien est de l'ordre d'une forme d'au revoir à certains personnages, pas d'une mise en lumière de causalités sous-jacentes déjà présentes.

      Surf's up : je ne me suis pas posé la question sur des liens, car je ne connais pas assez la chanson, ni l'histoire de Brian Wilson. Est-ce qu'il faut retenir l'idée que Jessica change d'image pour devenir autre chose ? Cette évolution est survenue dans le tome 22, avec l'effet de l'oubli d'une partie de ses souvenirs. Est-ce que son comportement est vraiment différent dans ce tome ? Pas à mes yeux. Je ne vais pas chercher plus loin.

      Les créateurs tiennent plusieurs de leurs promesses. - C'est ma formulation polie pour dire qu'ils ne tiennent pas toutes leurs promesses. Mais par comparaison avec tes observations sur le dernier cycle de Blueberry, ce sont les mêmes auteurs, avec les mêmes qualités. Il y a eu une évolution progressive, pas forcément dans le sens que j'aurais préféré, mais il n'y a pas eu trahison ou contresens. D'où ma conclusion positive.

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    2. D'accord, merci de ces précisions.

      Il t'aura fallu trois ans pour lire et chroniquer les vingt-quatre tomes de cette série. Chapeau !

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    3. Merci, je ne sais pas si je mérite ce salut. Ce n'est pas un rythme très soutenu. Je suis tout autant admiratif du fait que tu sois allé jusqu'au bout de Blueberry (28 tomes), ou déjà 14 tomes de Ric Hochet, 29 tomes tomes de Thorgal, 24 tomes de Blake & Mortimer, 15 tomes de Bois Maury.

      C'est pour moi une sensation étrange : une petite forme de satisfaction, mais aussi un voyage au long cours qui perd en intensité, au fur et à mesure que l'envie de lire (beaucoup) d'autres choses augmente. Un état d'esprit un peu contradictoire.

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    4. Cela étant, ça te permet d'avoir plus de variété. Je dois t'avouer que j'ai encore quelques séries-fleuves programmées (en plus de celles qui sont en cours), mais la flemme me prend lorsque j'en parcours la liste : "Bernard Prince", "Jerry Spring", "Tanguy et Laverdure", et peut-être "Les Chemins de Malefosse". J'estime que pour un blogueur, ces séries-là sont des pièges qui exigent beaucoup de patience. En même temps, et tu l'auras vu aussi, c'est toujours à la fois un plaisir de retrouver des figures familières et un petit défi en soi de trouver quelque chose de pertinent à analyser à chaque nouveau tome.

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    5. Là maintenant, tout de suite, ça m'apprend également l'humilité en faisant le constat de mes limites sur la quantité que je suis capable de lire et de commenter, et ça me fait réfléchir à ce qui me plaît : prendre mon temps pour lire, prendre mon temps pour écrire.

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