lundi 31 mai 2021

Jessica Blandy, Tome 23 : La chambre 27

Ta carrière va prendre une dimension dont tu n'as pas même idée.


Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica (2003) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2004, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.

Dans un hôtel à étages à New York, un homme torse nu et pieds nus, monte les marches dans la cage d'escalier, vide de tout être humain. Il arbore des tatouages tribaux sur le visage, les bras et les jambes. Dans la salle de bains d'une chambre, un homme habillé et chauve est assis sur le rabat des toilettes, une arme à feu automatique dans la main droite : il attend. Le visiteur nu pied parvient à la chambre 27, ouvre la porte et pénètre dans la pièce. L'autre fait feu sur lui, une explosion se produit soufflant toute la chambre. Ailleurs à New York, dans une rue, Jessica Blandy s'adresse à un afro-américain désœuvré et lui demande s'il connaîtrait un type qui joue de l'harmonica. La question semble un peu vague. Une limousine s'arrête : un homme d'une soixantaine d'années en descend, vêtu d'un costume impeccable. Il se présente à Jessica Blandy : il s'appelle Orz et travaille pour Josuah Hartfish. Il lui tend un carton dont il lui laisse prendre connaissance : un rendez-vous pour le lendemain midi au Hartfish Building devant le tableau de Jackson Pollock. Il reprend le carton, indiquant que Jessica doit mémoriser le message, et remet un billet de cent dollars à l'interlocuteur de Jessica, puis remonte dans à l'arrière de la limousine et s'en va.

Bien évidemment, Jessica Blandy n'a aucune intention d'honorer une telle invitation aussi incongrue. Bien évidemment, elle se trouve devant le tableau de Pollock le lendemain à l'heure dite, et elle répond à la question du portier conformément à la consigne portée sur le carton : dîtes-moi ce que vous en pensez ? Elle détecte facilement qu'il s'agit d'une copie. Le portier prend un autre carton sur lequel il inscrit les coordonnées du lieu où Hartfish attend sa visiteuse : une réception la toiture en terrasse d'un immeuble. Sur place, Parmi les invités, elle a la surprise de se faire interpeller par Victoria Charman dont elle avait la connaissance lors d'une affaire particulièrement éprouvante aux environs de la Nouvelle Orléans. Alors qu'elles sont en train de s'embrasser, c'est au tour de Gus Bomby de venir saluer Jessica. Enfin, Josuah Hartfish vient se présenter : il est ravi de faire la connaissance de Jessica dont Victoria lui a loué les qualités. Celle-ci a accepté d'apporter son aide à Hartfish en occupant la chambre 27. Dans une autre partie de la ville, un homme observe une autre chambre 27, depuis l'immeuble de l'autre côté de la rue. Il voit un individu torse nu qui se tient au pied de l'immeuble dans la ruelle et qui commence à escalader la façade. Il prévient deux individus qui patientent dans une voiture et qui en sortent immédiatement pour arrêter l'individu en train d'escalader.


L'horizon d'attente du lecteur est établi avant même de commencer la première page : Jessica Blandy doit être au centre de l'intrigue, sans pour autant tout résoudre toute seule, il y a des crimes sordides, un peu de folie humaine induisant une forme d'irrationalité ordinaire ou peut-être teintée de surnaturel, et une narration visuelle très concrète et réaliste. Le scénariste a choisi de construire son intrigue sur une sorte de légende urbaine : la mort tragique d'une enfant à 9 ans, un culte irrationnel qui repose sur la croyance qu'elle peut être ressuscitée, que d'une certaine manière elle attend de revenir à la vie par un sacrifice. La folie est bien présente : ces individus convaincus qu'ils doivent se sacrifier pour permettre ce retour, sans explication de leur motivation, ou de la nature du culte. Le lecteur a l'habitude de ce type de dispositif dans la série car elle se focalise plus sur les moments irrationnels que sur la manière dont ces croyances naissent, se développent, s'organisent. Jessica Blandy est bien présente tout du long comme à son habitude : elle accepte de prévenir le prochain sacrifice en aidant son amie Victoria Charman. Cette dernière a été embauché par un riche propriétaire possédant l'une des chambre 27, parce qu'il estime qu'elle dispose d'un don, une sensibilité au surnaturel. Il en va de même pour l'embauche de Jessica pour cette mission. À nouveau elle va de personnage en personnage, apportant son aide parfois par sa simple présence, parfois par une réflexion, parfois en agissant, sans être une héroïne autour de qui tout tourne, ou qui résout tout par sa force de caractère ou ses capacités physiques extraordinaires.

Le lecteur se réjouit à l'avance de pouvoir visiter des lieux uniques, divers et variés. Comme à son habitude, le scénariste conçoit le déroulement de son intrigue, de manière que les personnages ne restent pas cantonnés à une pièce ou une adresse. Renaud peut donc laisser s'exprimer son plaisir de représenter des environnements, là plus urbain, et des intérieurs. Dans ce registre, cela commence avec le palier de l'hôtel, l'escalier et sa rambarde métallique, le parquet du couloir. Puis viennent la salle d'exposition du musée avec une toile de Pollock, le salon de la demeure de Josuah Hartfish avec les deux canapés blancs en vis-à-vis, l'atelier d'un tatoueur, le long comptoir d'un bar huppé, un diner à l'aménagement très fonctionnel se démarquant un peu avec les tableaux accrochés aux murs, le magnifique hall de la réception de l'hôtel Daytona avec son sol en marbre, les plinthes, les colonnades, l'aménagement luxueux de la chambre 27 de cet hôtel avec le marbre au mur et les draperies, ou encore l'atelier de travail du journaliste Minsat avec sa grande verrière offrant une vue apaisante sur une grande pelouse plane. Le dessinateur promène également le lecteur à l'extérieur avec une attention particulière aux détails : les blocs d'une arche de pont en pierre, la vision des gratte-ciels entourant le toit en terrasse où se tient la réception de Hartfish, les barnums abritant les buffets de la réception, les ruelles étroites avec les façades austères des immeubles, la piscine et la pelouse de la villa Harfish où Jessica et les autres prennent une collation avec une attention particulière portée aux meubles de jardin, la rue du quartier populaire où un cadavre pend depuis les fils électriques, le quartier industriel avec ses vitres brisées et ses façades décrépites, et la discussion entre Jessica, Victoria et Minsat assis sur un banc à Central Park, à côté du bassin de la fontaine Bethesda.


Chaque planche se présente comme une prise de vue naturaliste dont le lecteur perçoit la narration au premier coup d'œil, et découvre la richesse en lisant chaque case. Il peut apprécier le jeu naturaliste des acteurs, sans exagération romantique ou dramatique. Là aussi, il peut s'attacher aux détails s'il le souhaite. Il peut par exemple prendre plaisir à suivre l'évolution des toilettes de Jessica, depuis son ensemble pantalon et tailleur crème avec un bustier blanc au début, à un manteau chaud de demi-saison, avec une jupe et des bottes montant au-dessus du genou à Central Park. Il peut admirer le chic des complets de Hartfish, ou même les tatouages des différents candidats au sacrifice. Comme d'habitude dans cette série, la nudité est présente et représentée sans hypocrisie. C'est le cas pour un portrait en pied de face d'un des hommes dénudés, ou encore la poitrine d'une prostituée. Il ne s'agit pas juste de titiller le lecteur, mais de montrer cette obsession de la pureté, de la transparence pour certains personnages.

Le lecteur s'immerge donc avec la même facilité que d'habitude dans ces différents lieux, côtoyant des individus plausibles et très humains. Il constate que le scénariste référence plusieurs histoires passées de son héroïne : Jessica Blandy - tome 10 - Satan, ma déchirure (1994) où apparaissait Victoria Charman pour la première fois et où Jessica acquérait une répulsion physique pour les œufs, ainsi que le tome précédent, à la fois avec Jessica à la recherche de l'homme à l'harmonica et ses pertes de mémoires. Peut-être que Dufaux avait déjà décidé qu'il s'agirait de l'avant dernier tome de la série, ce qui explique son souhait d'évoquer une partie du passé de la série, et d'y faire figurer des personnages semi-récurrents. Le lecteur reste quand même sur sa faim avec la présence de Gus Bomby : finalement impossible de savoir pour quelle raison il est présent à la réception de Josuah Hartfish, et sa personnalité n'apporte rien au récit, il aurait pu s'agir de n'importe qui d'autre. Arrivé à la fin, il découvre également qu'il s'agit d'une histoire en deux parties qui se termine donc dans le tome 24. Cela participe à la frustration qu'il peut éprouver quant à la minceur de l'intrigue dans ce tome. Il est entendu que le scénariste n'est pas tenu de tout expliquer, car ce n'est pas dans la nature de la série, ce n'est pas dans l'horizon d'attente du lecteur. Mais que reste-t-il de l'histoire ? Le malaise des comportements irrationnels, la violence des meurtres, l'insondabilité de l'esprit humain.

Ce tome laisse un goût étrange, d'incomplétude. Renaud réalise des planches impeccables comme à son habitude, qu'il s'agisse des personnages et encore plus des lieux, avec un naturalisme évident, sans affectation artificielle. Le scénariste reste dans les paramètres habituels de la série, mais avec une intrigue éthérée, incomplète puisque ce n'est que la première partie, et insatisfaisante pour ce tome.



jeudi 27 mai 2021

Prénom : Inna (Tome 2-La naissance d'une Femen)

Nos seins sont des armes.


Ce tome fait suite à Prénom : Inna (Tome 1-Une enfance ukrainienne) (2020) qu'il faut avoir lu avant car il s'agit d'un diptyque. Sa publication date de 2021. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs de 82 planches, écrite par Simon Rochepeau, avec la participation d'Inna Shevcheko, dessinée et mise en couleur par Thomas Azuélos. Il commence par une page d'introduction, un texte d'une page, écrit par Shevchenko indiquant qu'il appartient à chacun de refuser d'être complice, qu'il y a une part d'autofiction dans ce récit, tout en conservant sa dimension de témoignage d'une époque, mettant en évidence les raisons qui ont poussé une jeune ukrainienne à rejoindre un groupe d'activistes, considéré depuis comme l'un des mouvements féministes les plus controversés.

En décembre 2008, dans l'université nationale à Kiev, la professeure Valentina Davilovna surveille ses étudiants dans l'amphithéâtre, en train de travailler sur leurs copies. Roman se lève, rend copie blanche à la professeure, mais avec une demi-douzaine de billets, jetant tout ça avec désinvolture sur son bureau. Katya Myslytska le fait remarquer avec dégoût à Inna Shevchenko, et elle se lève, sort à son tour sans rendre de copie. Elle se fait interpeler par la professeure qui lui dit qu'elle la convoquera à son bureau : Katya répond qu'elle n'a rien à lui donner. À la fin de l'épreuve Inna retrouve Katya sur les marches à l'extérieur et lui dit qu'elle a été un peu ridicule. Katya lui rétorque qu'elle n'allait pas se taire, et lui fait observer les berlines et les voitures de sport de type Porsche avec chauffeur qui viennent chercher des élèves. Elena descend de l'une d'elle dont le chauffeur lui a ouvert la porte, se dirige vers elles et leur demande si elles viennent à la réunion du lendemain. Elle y annoncera qu'elle cèdera sa place au parlement des élèves et elle pense qu'Inna pourrait lui succéder en tant qu'étudiante en première année de journalisme. Une fois qu'elle est partie, Katy a fait remarquer qu'il manque quelque chose à Inna : pas un pénis, mais des relations, faire partie du sérail, être issue d'une famille d'oligarques de Kiev.



Inna et Katya rentrent dans leur appartement, et ont la désagréable surprise de trouver leur propriétaire allongé sur le lit de l'une d'elle. Il est venu réclamer le loyer pour lequel elles sont en retard. Katya répond qu'elle a l'argent. Il ajoute qu'il y a d'autres manières de s'arranger, et il retire de sa poche une des culottes de Katya, qu'il porte à son nez pour la humer. Indignée, Katya reprend son bien et lui dit qu'il est temps qu'il sorte de leur appartement. Après son départ, elle va chercher la bassine en plastique sous la fuite d'une canalisation, et la vide dans une casserole pour la faire bouillir. Inna lui dit que c'est à son tour de payer le loyer, car ses propres parents ont payé les deux derniers. Katya avoue qu'elle vient de se faire virer du restaurant où elle était serveuse. Les deux amies s'assoient à leur petite table devant des assiettes vides et finissent par s'exclamer : du fric, on veut du fric ! Elles mettent de la musique et chantent avec : Du changement ! Nos cœurs l'exigent ! Nos yeux l'exigent ! Du changement ! Le lendemain soir, Inna se rend à la soirée chez Roman, avec une belle robe, et bien maquillée. Il s'agit d'une réception fréquentée par la jeunesse dorée de Kiev. Roman monte sur une chaise, et demande l'attention des personnes présentes : Elena cède sa place au parlement et Inna se présente pour la remplacer.

Le lecteur retrouve Inna Shevchenko avec une réelle impatience : elle a quitté sa ville natale, et intègre l'université à Kiev, une ville de plus de deux millions et demi d'habitants à l'époque. Il commence par découvrir l'introduction de la Femen qui évoque plusieurs facettes du récit : la nécessité de s'indigner et de protester, l'expérience unique de la vie et de la lutte de la première génération d'ukrainiens après la chute de l'URSS, les raisons qui ont poussé une jeune ukrainienne à rejoindre un groupe d'activistes. Son horizon d'attente est donc composé d'une reconstitution historique fidèle. Il retrouve les dessins un peu simplifiés, mais l'artiste ne renâcle pas à réaliser des images plus exigeantes en termes descriptifs quand la scène le requiert. C'est d'ailleurs le cas avec la page d'ouverture : un dessin en pleine page montrant le bâtiment de l'université clairement représenté, avec les bâtiments autour dont les détails s'estompent au fur et à mesure que leur distance à l'université augmente. Dans la page suivante, le lecteur retrouve la sensation de l'amphithéâtre avec les gradins correspondant. Ainsi, il peut se projeter dans différents lieux : le petit appartement grisâtre de Katya & Inna, le riche appartement de Roman avec même une grande terrasse, le club de strip-tease avec son ambiance un peu glauque du fait du faible éclairage, le salon étonnamment spacieux de l'université où la professeure s'entretient avec Inna, le grand bureau qu'Inna partage avec Ludmila Pavlova à la mairie, l'appartement plus grand où elle emménage grâce à son salaire, la pièce sinistre où se déroule l'avortement clandestin. Ces lieux sont représentés avec assez détails pour être convaincants même si le lecteur aurait apprécié des dessins avec un niveau descriptif comportant plus de détails. Par exemple, les murs de l'appartement de Katya & Inna sont surtout habillés par une mise en couleurs à l'aquarelle maronnasse, sans qu'il soit possible de juger de l'état d'insalubrité. Ou encore le bureau à la mairie ne comporte aucune information visuelle sur les accessoires et les outils de bureau.



Comme dans le premier tome, l'artiste sait insuffler de la vie dans chacun des personnages, les rendre plausibles et animés par des émotions. Il n'y a pas d'exagération romantique pour faire d'Inna une héroïne incarnant le courage, ou de Katya une victime formidable, ou de la professeure Valentina Davilovna une méchante mesquine et méprisable. De même, le dessinateur ne porte pas de jugement de valeur sur les clients du club pour homme. Cela n'empêche pas de voir que les unes et les autres éprouvent des émotions, de ressentir leur état d'esprit, tout ce qui génère de l'empathie. Le lecteur peut voir la soif d'apprendre sur le visage d'Inna, et la force de ses convictions. Il s'arrête en regardant une stripteaseuse défendre avec véhémence son droit à faire usage de son corps comme elle l'entend, face à Inna qui veut la convaincre qu'il s'agit d'une exploitation inique. Ce moment (page 26) se déroule avec un naturel confondant, et ce n'est qu'après que le lecteur comprend ce qui vient de se jouer, mesure toute l'ambiguïté de la scène : Inna ne peut pas décider pour les autres, mais la danseuse n'a peut-être pas conscience de la nature systémique de l'exploitation qu'elle subit, qu'elle n'a pas vraiment choisie. Cette sensibilité graphique permet de de restituer toute la force des scènes délicates comme la présence obscène du propriétaire dans l'appartement de Katya et Inna, ou la scène horrifique d'avortement clandestin où pourtant rien n'est montré de manière explicite.

Mais quand même… le lecteur repense à cette petite phrase de l'introduction : cette histoire est également enrichie de personnages, de lieux et de scènes de fiction. Voilà un curieux choix : alors que le lecteur pensait lire une pure biographie, il y a une part d'autofiction. Le lecteur vérifie sur la quatrième de couverture : il y est bien mentionné que ce récit écrit à la première personne raconte l'enfance et l'adolescence de la génération post-soviétique en Ukraine, inspirées par l'expérience personnelle d'Inna Shevchenko. Cette mention figurait déjà au dos du premier tome. Cela n'enlève bien sûr rien à l'engagement de cette femme, ni à la validité du récit. Même s'il a été quelque peu aménagé à des fins de dramatisation ou de clarté, il fait état d'une société malade. Le lecteur est ulcéré en découvrant le sort que ladite société réserve à ses étudiantes, aux conditions de vie qui les attendent en particulier les logements, aux profiteurs à l'affût, que ce soit le propriétaire lubrique, l'élu concerné par sa carrière, ou la fonctionnaire prévaricatrice.



Même si tout n'est pas authentique, le scénario présente la même retenue que la narration visuelle. Il n'y a pas de grands méchants, il n'y a pas de criminels immondes ou caricaturaux. Ce qui fait froid dans e dos, c'est la banalité de ce qui est décrit. Les forts profitent un peu des faibles en toute impunité, parce que c'est le système qui veut ça. Le propriétaire de l'appartement ne contraint pas les locatrices à des faveurs sexuelles en lieu et place du loyer : il le propose comme un arrangement raisonnable. Il est écœurant et en même temps il est visible qu'il trouve ça normal. Chacun essaye d'améliorer sa situation comme il peut. Dans le même temps, c'est la même société qui voit la naissance d'un mouvement comme les Femen. Une professeure d'université effectue un cours sur les suffragettes de l'organisation créée en 1903 au Royaume Uni. Une copine offre un livre de la féministe révolutionnaire de Lessia Oukraïnka (1871-1913) à Inna. La dernière séquence montre l'existence d'une bande organisée de Hell's Angels. Indépendamment de ce qu'il aurait souhaité comme degré de véracité d'une biographie, le regard du lecteur a changé sur Inna Shevchenko, grâce à une description convaincante du système social dans lequel peut naître un mouvement comme celui des Femen.

Avec la participation d'Inna Shevchenko, Thomas Azuélos et Simon Rochepeau donnent à voir le parcours de la jeune femme qui a décidé de rejoindre le groupe d'activistes des Femen, alors qu'elle fréquente l'université à 23 ans. Même s'il est venu avec des a priori bien tranchés sur ce que doit être une biographie, il est convaincu par l'évocation de la société ukrainienne à cette époque, à la fois grâce à la narration visuelle simple et juste, à la fois par les différentes étapes de la prise de conscience d'Inna, et le seul moyen qu'elle peut envisager pour protester et hurler son indignation.



lundi 24 mai 2021

Le choix du chômage: De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique

Le lien à un monde collectif : la solidarité ou l'intérêt privé


Ce tome contient un essai complet indépendant de tout autre. Il s'agit d'une enquête sur la gestion du chômage en France de 1981 à 1989, et de l'évolution de la situation ensuite. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc de 277 pages, dont la première édition date de 2021. Elle a été réalisée par Benoît Collombat et Damien Cuvillier, avec un lettrage réalisé par Stevan Roudaut. Cet ouvrage s'ouvre avec une préface de Ken Loach qui évoque le développement du néolibéralisme en Angleterre et les quatre leçons à en tirer. Il se termine avec quatre pages de références des différentes citations incluses dans l'exposé.

Prologue. Fin 1973, Georges Pompidou entre dans la salle du conseil des ministres. Il annonce une nouvelle terrible : la France va passer le cap des 400.000 chômeurs. Chapitre 1 : on a tout essayé. À Saint Malo en octobre 2016, au Festival Quai des Bulles, Benoît Colombat discute à table avec un éditeur de Futuropolis : il indique qu'il aimerait écrire sur la violence économique. L'éditeur propose qu'il le fasse en bande dessinée et le dessinateur à côté de lui indique que c'est un sujet qui l'intéresse. Il se souvient quand il était petit et qu'il accompagnait sa mère à l'autre bout du département en Picardie pour se rendre à l'Agence Nationale Pour l'Emploi. Sa mère aura été au chômage, entrecoupé de petites missions par-ci, par-là, avant d'être définitivement radiée, en 2005. En août 2019, les deux auteurs se retrouvent devant un monceau de documents, et se demandent par où commencer. Ils sont frappés par la continuité du discours des politiques sur le sujet, et par le fait que la dernière réforme sur l'assurance chômage s'inscrit dans un cadre idéologique qui est resté le même depuis quarante ans.


En France la barre du million de chômeurs est franchie en 1977, celle des 2 millions en 1983. En 1993, 3 millions. Et aujourd'hui : 2,4 millions selon l'INSEE. En réalité, plus de 6 millions de personnes inscrites à Pôle Emploi. Et 9 millions de précaires. Avec des conséquences aussi sur la santé des populations. En fait, le chômage et la précarité tuent, au sens propre. Selon une étude de l'Inserm, entre 10.000 et 14.000 décès peuvent être attribués chaque année au chômage : suicides, maladies ou rechutes de cancers. En passant en revue des articles de journaux, les auteurs retrouvent des chroniques écrites par François Hollande pour le journal Le Matin, développant un discours libéral. Quand Emmanuel Macron accède à la présidence, Jean-Pierre Mignard, avocat proche de Hollande et de Macron, reconnaît dans son projet, celui qu'il avait décrit avec Hollande, Jean-Yves Le Drian et Jean-Pierre Jouyet en 1985, dans un livre intitulé La Gauche Bouge. Les deux auteurs se mettent à la recherche de cet ouvrage : un exemplaire disponible chez un vendeur berlinois. L'enquête peut démarrer sur ce fil conducteur présent déjà dès les années 1980, et intact en 2019. Elle commence au printemps 2017. Elle va durer trois ans et demi, jusqu'à l'automne 2020. Ils vont interviewer des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, et ils commencent avec le porte-parole du Mouvement national des chômeurs et précaires.

Parmi les premiers interlocuteurs que les auteurs interviewent, l'un d'eux fait la réflexion que le format choisi (une BD) fait que c'est un livre pour les jeunes. Le prologue commence doucement avec simplement l'annonce du premier ministre en 1973. À partir de la page 16, le lecteur parvient à la densité d'informations qui va être présente tout du long du récit. Elle est élevée et il en est ainsi pendant tout l'ouvrage, ce qui correspond bien à une approche adulte. Celui-ci se focalise beaucoup sur le premier septennat (1981-1988) de François Mitterrand, en le complétant par d'autres éléments antérieurs ou postérieurs. Le lecteur voit ainsi passer beaucoup d'hommes politiques de cette époque, et également un peu d'avant et d'après : Michel Debré, De Gaulle, Raymond Barre, René Monory, Maurice Papon, Jean-Pierre Chevènement, Pierre Mauroy, Jacques Delors, Pierre Bérégovoy, Laurent Fabius, Édouard Balladur, Dominique Strauss-Kahn, Helmut Kohl, Margaret Thatcher. S'il a été témoin de cette époque, ou s'il l'a déjà étudiée, l'assimilation des nombreuses informations lui en est facilité. De même, les auteurs font appel à de nombreux experts : les ministres eux-mêmes, mais aussi le secrétaire général de l'Élysée, le Porte-parole du Mouvement National des Chômeurs, des sociologues, un maître de conférences en sociologie, un directeur du trésor, des directeurs de cabinet de ministre, un Commissaire au Plan, des économistes. Ils font œuvre de pédagogie et de vulgarisation, mais le sujet exige qu'ils développent de nombreux points bien au-delà de la vulgarisation.


Les lecteurs annoncent explicitement dans le premier chapitre leur objectif : essayer de retracer les moments de bascule historiques relatifs à la gestion du chômage, retrouver les pièces à conviction correspondant aux grands choix économiques. L'ouvrage est divisé en 5 chapitres, avec un prologue, un épilogue et un post-scriptum : 1 On a tout essayé, 2 Des protections inadmissibles, 3 Vive la crise !, 4 Les vents dominants, 5 Y a pas d'argent magique. Ils commencent par s'interroger sur le début de la mondialisation, l'arrivée du libéralisme en France, le genre de ce libéralisme (en l'occurrence Ordolibéralisme), l'idée que le marché se régule lui-même, la crise et la rigueur budgétaire, les paramètres qui font que le chômage ne fait que croître et à qui ça profite. Cette enquête les amène à évoquer de nombreux phénomènes historiques qui ont contraint la France, ou justifié ces choix : les accords de Bretton Woods, le lien entre les banques de dépôts et les banques d'affaires, la financiarisation de l'économie, la construction du Deutsch Mark, la conversion du patronat français à l'ouverture à la concurrence internationale, la désindexation des salaires du coût de la vie, la désinflation compétitive, le plan Marshall, le traité de Rome en 1957, la construction d'une monnaie unique en Europe, etc. Ils éclairent certains faits récents à l'aune de ces choix : le référendum de 2005, la crise financière de 2008, la crise grecque de 2009, les Gilets Jaunes. Afin d'expliquer tous ces choix, ils citent également des économistes et des conseillers en économie tels que John Maynard Keynes, Walter Lippman, Friedrich Hayek, Jean Monnet, Robert Marjolin, Ludwig Erhard. Enfin, ils soulignent l'importance des idées et des actions de Jacques Delors, Michel Camdessus (directeur du Trésor), Tomaso Pado-Schioppa. À quelques reprises, le lecteur peut souffler un peu, par exemple avec les spots publicitaires où Paul-Loup Sulitzer explique la libre concurrence.

Très rapidement, le lecteur constate la densité des informations et le fait que les chapitres sont thématiques, ce qui entraîne des va et vient chronologiques. À l'évidence, il ne s'agit pas d'une bande dessinée qui raconte une histoire, mais effectivement d'une enquête qui développe une thèse. Le titre est explicite : les responsables politiques ont fait le choix du chômage, et il s'agit d'une violence économique. En fonction de ses convictions, le lecteur peut souscrire à ce point de vue a priori, ou y être opposé : les auteurs sont transparents sur leur point de vue, et la manière dont ils présentent les faits. Le lecteur se rend vite compte des limites d'un tel ouvrage sous la forme d'une bande dessinée, mais aussi que ce format apporte à cet exposé. Bien souvent les auteurs exposent des faits historiques, des explications économiques, des avis d'experts, des prises de position d'élus et de leurs conseillers. C'est ce qui rend l'ouvrage dense, et ce qui rend compliqué la mise en images. L'artiste sait représenter les personnalités connues qui sont immédiatement reconnaissables. En fonction des passages, il met les intervenants en situation : à la tribune, dans leur fauteuil, en train d'écrire, en réunion, sur le terrain, dans leur bureau, chez eux. C'est le premier effet du format BD : montrer des individus prononçant ces propos, les rendre concrets, mais aussi de simples êtres humains. En outre, les auteurs se mettent en scène de manière chronique pour montrer leurs difficultés, ou un entretien, ce qui sert également à expliquer visuellement le travail qu'ils ont accompli, ce qui permet au lecteur de ressentir une forme d'empathie pour leurs efforts, et de mesurer l'énormité des décisions de simples êtres humains, engageant la vie quotidienne des citoyens d'une nation.


La narration visuelle ne se limite pas à des individus en train de discuter, d'expliquer ou de discourir. Tout au long de ces 277 pages, le dessinateur utilise de nombreuses mises en scène différentes : des schémas, des reproductions d'articles, des références culturelles comme Charlot dans le film Les temps Modernes, l'âne du parti démocrate, Marianne, un match de boxe, Tintin en train d'expliquer une leçon à de jeunes africains comme dans Tintin au Congo, la différence entre la carpe et le brochet, une étape du Tour de France, une scène de théâtre, l'aigle américain, un sorcier avec un chapeau pointu. Il représente également des événements historiques comme le général De Gaulle descendant les champs Élysées, ou la chute du Mur de Berlin. Le lecteur peut ne pas y prêter attention s'il est fortement concentré sur le texte : l'artiste change également de registre graphique pour des séquences particulières, passant d'un registre réaliste et descriptif, à un registre simplifié, ou de contours avec des traits encrés, à un rendu en nuances de gris. Cette variété et ces images permettent au lecteur de plus facilement fixer son attention, et d'associer un visuel à une séquence, ce qui la démarque mieux des autres et la rend plus facilement mémorable. Même si ce n'est pas forcément perceptible tellement les images sont subordonnées au texte, le travail du dessinateur est remarquable de bout en bout et apporte beaucoup au texte, à son animation, à sa clarté, à sa compréhension.

Quelles que soient les convictions et le niveau de connaissance du lecteur, cet ouvrage est remarquable. Il aborde des notions basiques telles que les 3% ou les différentes formes de libéralisme économique (La galaxie libérale : Adam Smith, Milto, Friedman, Friedrich Hayek & Ludwig von Mises, Walter Eucken & Wilhelm Röpke), et propose une logique de progression historique qui fait froid dans le dos. Sa structure est rigoureuse : par exemple, le lecteur a bien noté la distinction entre les banques de dépôts et les banques d'affaires faite à l'occasion de la crise de 1929 aux États-Unis, et il la retrouve à la fin de l'ouvrage, cette distinction prenant une tout autre ampleur. Le lecteur en ressort avec la sensation que l'avènement planétaire du néolibéralisme était inéluctable, et qu'il fut porté par les socialistes en France, ainsi qu'avec une vision claire du détricotage du programme du Conseil nationale de la Résistance. Après coup, il se rend compte du travail de narration visuelle, vivant et diversifié, un défi pour un ouvrage de cette nature.

mercredi 19 mai 2021

Requiem - Tome 09: La cité des pirates

Seule la petite mort peut nous sauver.


Ce tome fait suite à Requiem - Tome 08: La reine des âmes mortes (2008). Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre l'intrigue et les actions des personnages. Ce tome-ci est initialement paru en 2009. Il a été écrit par Pat Mills et illustré par Olivier Ledroit. La réédition de 2021 comprend un supplément intitulé Les arcanes du Hellfire Club : 1 illustration en double de page de Claudia, 1 illustration en pleine page de Dragon & Sire Tengu, 2 pages d'esquisses, recherches préparatoires, dessins inédits. Il contient également 2 pages du bestiaire de Résurrection présentant les loups-garous, les dévots, le Capricorne, Hollywoolf, Razorbed, avec à chaque fois une illustration et un paragraphe de texte.

À Washington, le soir du premier mai 1972, une bonne dizaine d'agents du FBI montent la garde autour de la maison de J. Edgar Hoover. À l'intérieur, le maître de céans informe le président des États-Unis de la situation concernant les contacts avec le monde de Résurrection, ou plutôt avec la communauté des vampires. Les deux s'accordent sur le fait que ce sont les vampires qui sont responsables de la gangrène qui a touché la jeunesse dans les années 1960, quand la décadence a commencé. Richard Nixon ordonne à Hoover que le FBI éradique tous les nids de vampires qu'il décèle. Une fois raccroché, Hoover passe à table avec Clyde Tolson. Il lui explique que les actions de sape des valeurs américaines sont menées par Zacharov, le chef des vampires, un communiste ayant vécu en Russie, un des agents du NKVD qui ont organisé l'Holodomor, la grande famine organisée par le régime stalinien en 1932 et 1933, dans l'Ukraine et le Kouban. Maintenant il organise des nids d'agitation dans les parkings souterrains et les caves, en particulier sur les campus. À la question de Clyde, il répond que Zacharov et ses vampires veulent les préparer à la seconde venue de Dracula. Les responsabilités pèsent lourdement sur ses épaules alors que les pieds tendres et les gauchistes le traitent de goule. Clyde finit par rentrer chez lui. Après son départ, un groupe d'une dizaine de témoins de Dracula s'approche des gardes en faction, souhaitant parler à J. Edgar Hoover.



Sur Résurrection à Aerophagia, la cité des pirates, Dame Mitra est en train d'haranguer sa troupe de pirates, en indiquant qu'ils vont passer à l'attaque contre les vampires, et ainsi enfin prendre leur place légitime, celle de maîtres de Nécropolis. Dame Vénus renchérit sur le fait que les vampires sont une engeance à exterminer, trois autres capitaines acquiesçant. Dame Mitra se lance dans la présentation de l'arsenal présent sur les navires de leur flotte : des munitions à eau bénite, des grenades reliquaires, des bazookas à tête de prêtre, des obus à têtes de saints, et un missile angélique contenant un authentique séraphin, l'équivalent de l'antimatière sur Résurrection, l'arme ultime qui anéantira Dracula. Sans compter ces fusils à larmes d'ange. L'une des capitaines attire l'attention de Dame Mitra sur le fait qu'il y a un vampire dans l'équipage de la capitaine Triade. Cette dernière indique que c'est la vérité : il s'appelle Dragon et c'est un otaku, un exclu, un vampire qui s'est retourné contre les siens. Dame Mitra exige que Dragon se présente devant elle, et elle organise un duel entre lui et Dame Liche immédiatement.

En entamant, un nouveau tome de cette série, le lecteur se demande s'il va bien se rappeler de la situation complexe, et des nombreux personnages. Il se rend vite que ce nouveau chapitre est d'une rare accessibilité en la matière : les événements passés lui reviennent en mémoire incontinent, et l'identité de chacun est une évidence. C'est un effet secondaire de l'exubérance de ce récit : il est impossible de l'oublier, que ce soit sur le plan visuel, ou sur le plan narratif. Il se souvient aussi que chaque tome débute par un retour dans le passé, consacré à un individu condamnable. Celui-ci commence par la mise en scène de J. Edgar Hoover qui fut le premier directeur du FBI, poste qu'il occupa pendant 47 ans de 1924 à 1972, ayant été nommé directeur à vie par Lyndon B. Johnson en 1964. Le dessinateur s'amuse bien avec l'homme célèbre, non pas en reproduisant fidèlement son apparence, mais en le travestissant, conformément à une rumeur non prouvée voulant que Hoover aimait s'habiller en femme. Le lecteur n'est pas dupe : il sait que la séquence d'ouverture de chaque tome met en scène un individu moralement condamnable. Il comprend très bien que le scénariste porte ainsi un jugement de valeurs sur le directeur du FBI, avec quelques petites piques en passant, celle sur les écoutes illégales, celle sur la dégénérescence des mœurs et la corruption de la jeunesse, sans oublie l'absence de remords pour les quatre étudiants tués lors de de la fusillade de Kent State du 04 mai 1970.



Bien évidemment les dessins dégagent une puissance de feu peu commune, dans une exubérance de détails propre à submerger le lecteur non prévenu. Du coup, les images de violence, de bataille, de guerre sont omniprésentes : le beau rônin (Dragon) et son katana tranchant, l'armée de zombies s'avançant sur un large pont avec une armée bien ordonnée prête à faire feu à volonté pour un carnage en règle, ce qui encore n'est rien en comparaison de la vison dantesque de l'armada des pirates dans un dessin en double page, la carte avec les mouvements de troupes proposés par cinq stratèges militaires, la vision infernale d'une flotte de navire en proie aux flammes dans la rade (en double page bien sûr), les canons en train de tonner, les missiles en train de fendre l'air, la destruction des édifices civils, etc. Il souffle un vent de folie guerrière, une folie furieuse décuplée par les pages hors normes. Au fil des séquences, le lecteur prend conscience que le scénariste nourrit ce thème de la guerre, par des petites remarques discrètes en passant, mais dont l'accumulation finit par habiter tout le récit. Ça commence par la mention de la fusillade de l'université d'État de Kent où la garde nationale américaine a tiré à 67 reprise sur les étudiants, faisant 4 morts, et 13 blessés, la famine organisée de l'Holodomor (1932/1933), le massacre de Nankin de décembre 1937 à février 1938 (100.000 morts), un grand maître de l'ordre des chevaliers teutoniques connu pour leur élimination des païens, un officier nazi, l'explosion de Little Boy à Hiroshima le 06 août 1945, sans oublier la mention de nombreux personnages historiques célèbres, entre autres, pour leurs guerres, leurs conquêtes et donc de nombreux morts (Torquemada, Jules César, Napoléon, Alexandre le grand, Saladin). Mills & Ledroit ne font pas semblant : 26 pages de combat sur 47 pages de bandes dessinées.

Le thème général de la guerre, des individus qui massacrent, de la race humaine dotée d'une inextinguible capacité à s'autodétruire s'avère très présent du début à la fin de ce tome, rappelant que les auteurs ne glorifient pas la violence et les tueries, mais les condamnent. L'exubérance des dessins devient l'expression de la folie qui habite les combattants. Le scénariste continue d'entremêler ses différents fils narratifs, les points de jonction devenant de plus en plus clairs. La séquence consacrée à J. Edgar Hoover rapproche le récit de l'époque contemporaine et rend explicite que la communication entre la Terre et Résurrection peut fonctionner dans les deux sens. Le lecteur découvre Dame Holodoror et son costume atteste du soin que l'artiste apporte à chaque détail, à chaque élément visuel : toutes les dents implantées sur les manches et les jambes, son décolleté plongeant avec un tatouage de sang sur sa chair blanche, c'est à la fois Grand-Guignol, et à la fois écœurant. Le lecteur tourne alors la page et se retrouve face à l'armada des pirates : il se rappelle que le cerveau humain n'est pas fait pour pouvoir se souvenir avec exactitude de la munificence des planches d'Olivier Ledroit. Il peut très bien se contenter de l'impression globale : un navire isolé qui arrive en vue de l'armada. Mais comme il est entièrement consentant, il prend plutôt le temps de se repaître de tous les détails : le gréement des navires, leurs voiles, leurs quilles avec leurs décorations, le bastingage ouvragé, le château arrière de ces galions, les tuyères, le jeu de la lumière sur la masse nuageuse, la vision du navire amiral droit devant et la cinquantaine de navires qui gravitent autour, et il finit par se rendre compte que l'artiste est parvenu à surimposer en transparence des graphiques cabalistiques, sans rien perdre en lisibilité. C'est parti pour un festin visuel à risquer la surcharge cognitive.



Ce n'est rien de le dire : Ledroit ne faisait que s'échauffer avec cette vision de l'armada des pirates. Il se lâche vraiment quand l'armada se met en mouvement pour aller attaquer la cité de Necropolis. Le vaisseau amiral occupe la position centrale dans cette illustration en double page, et il s'agit maintenant de plus d'une centaine de vaisseaux de guerre qui sont présents sur la page, tous distincts, avec une dizaine de modèles différents, sans oublier les reflets du soleil sur les nuages. S'il avait été victime d'une indigestion visuelle précédemment, là le lecteur sent son cerveau s'écouler par les oreilles, sa raison le quitter, et son esprit se réfugier dans l'inconscience. En revanche, s'il est consentant, il se délecte de chaque détail, de ce spectacle roboratif, passant en revue chaque millimètre carré pour ne pas en perdre une miette, se repaissant d'une telle abondance, littéralement absorbé dans ce monde si concret, si flamboyant, si incarné, et totalement original. Ainsi, régulièrement, il ressent un orgasme oculaire à la vue d'un dessin de grande taille, ou d'une case parmi d'autres : la vue du ciel du pont Erzebeth avec l'armée et les zombies, mais aussi les bâtiments de Necropolis à perte de vue, l'irruption des forces de l'ordre dans la taverne maison close où se trouve Requiem, la flotte de navires de Dracula au-dessus de la chaîne des Harpagons à la frontière dystopienne de la Draconie du Nord, l'ampleur des destructions occasionnées par l'attaque de l'armada des pirates, sans oublier les zombies en uniforme militaire (une autre pique contre l'armée en guerre).

Les personnages ne sont pas en reste : ils bénéficient également de cette opulence de détails et de cette énergie de tous les instants, dans leurs actions, mais aussi lors des (rares) moments plus statiques. L'esprit du lecteur vacille sous la force de l'élan de Dame Holodoror se jetant toutes dents dehors sur le cou de Hoover, sous l'énergie des ébats de Requiem et Leah, sous la vivacité des chaînes de la chevelure de Dame Liche, sous l'impact de la moto de Requiem touchant le pont du navire amiral des pirates, sous le tourbillon des parades à l'épée de Dame Holodoror, devant la bestialité de l'accouplement de Claudia pour passer le temps, etc. L'amour d'Olivier Ledroit pour les personnages transparaît également dans chaque discussion couplée avec un caractère s'exprimant dans leur propos. Dame Vénus se tient les deux pieds bien campés sur le pont, les pistolets dressés en l'air, avec un discours aux expressions politiquement correctes et inclusives, dans une posture défiante. Ayant compris de qui elle est la réincarnation, le lecteur apprécie mieux les bajoues de Dame Mira. Dame Liche en impose avec sa longue robe verte et ses chaines en guise de cheveux. Le général Salem donne l'impression de contaminer le lecteur avec la perversité s'affichant sur son visage. Sire Tengu est teigneux à souhait dans ses postures, et le lecteur remarque le clin d'œil à Ogami Itto et Dagigoro quand Dragon l'installe dans une petite cariole qu'il pousse comme un landau.



Soit lors d'une lecture qui prend son temps, soit à la relecture, le lecteur s'aperçoit également que l'intrigue va bon train, même si Pat Mills continue de raconter à sa manière, avec des coupures abruptes et des pages d'exposition bourrées à craquer, le summum étant atteint lors des 2 avant-dernières pages où après, avoir recraché sa tétine, Sire Tengu explique à Dragon, comment il a connu Thurim et pourquoi il veut s'en venger. À leur manière fantasque et débridée, les auteurs intègrent également d'autres thèmes de manière incidente. Derrière le comportement de voyeur ultime du général Salem, ils évoquent la force de la pulsion sexuelle, aussi bien chez l'homme que chez la femme, sans oublier de se montrer moqueur, le lecteur se frottant les yeux en se demandant si le petit bout de chair rose au premier plan d'une case est bien ce qu'il croit (oui, c'est bien le prépuce de Sabre Eretica). La réaction d'Igor à la libération des énergies sexuelles rappelle qu'il existe plusieurs types de sexualité, y compris des individus qui n'y sont pas sensibles, et celui du singe de Toth que d'autres prennent leur plaisir dans le masochisme. Mills tourne en dérision le parler politiquement correct sus la forme de périphrases réductrices ou trompeuses : une exploitée sexuelle sans solde à la place d'une compagne, un succès différé à la place d'un échec. La religion n'est pas oubliée quant aux hypocrisies qu'elle peut engendrer. Impossible de ne pas sourire quand un personnage déclare qu'il n'y a rien de mieux que le sexe avec des fanatiques religieux, car ça met tout de suite en bouche, avant un carnage. Impossible également de ne pas sourire quand Dame Vénus se met à exposer les dessous d'un trafic de reliques très lucratif, et vraisemblablement bien en deçà de ce qui a pu exister dans la réalité.

Du fait de l'espacement dans la parution des tomes, le lecteur se dit parfois qu'il va avoir du mal à rentrer dans l'intrigue, à se souvenir de tout. Ce tome vient lui démontrer le contraire. Pat Mills et Olivier Ledroit ont l'art et la manière de tout lui remettre en tête en une ou deux cases. Le scénariste tient bien la route de son intrigue, le lecteur ne se perdant pas dans les différents fils. L'artiste n'a rien perdu de son enthousiasme pour produire une bande dessinée la plus puissante possible, l'exubérance de ses planches ne faiblissant jamais. Le lecteur consentant est à la fête : le ressenti n'est pas loin d'une forte dose de produit psychotrope, sans aucun des inconvénients, avec la possibilité de reconsommer la même dose, en simplement recommençant sa lecture.



mercredi 12 mai 2021

Le Maître Chocolatier - Tome 3 - La Plantation

Goûtez-moi ce Forastero du Venezuela.


Ce tome fait suite à Le Maître Chocolatier - tome 2 - La Concurrence (2020). Comme il s'agit d'une trilogie, il vaut mieux avoir commencé par le premier tome et les avoir lus dans l'ordre. La première édition date de 2021. Il est coécrit par Éric Corbeyran et Bénédicte Gourdon, dessiné et encré par Chetville (Denis Mérezette), avec une mise en couleurs réalisée par Mikl. Il s'agit d'une bande dessinée comptant 62 planches.


Dans l'atelier de la boutique Bar à Chocolat, Manon est en train de préparer des pralinés : faire fondre le chocolat, le verser dans un moule, gratter le surplus, chasser les bulles, évacuer le trop-plein de chocolat, racler et mettre au frigo, caraméliser les fruits secs, remplir les coques avec, replacer au frigo, refermer les coques, enfin démouler les petits carrés. Manon est très satisfaite du résultat obtenu, et Alexis Carret la félicite mais elle voit bien qu'il n'est pas entièrement convaincu. En fait, il lui indique qu'il faut passer à des outils plus professionnels comme le cadre, la guitare et la fontaine à chocolat. Il ajoute qu'il est à la recherche d'une idée innovante qui leur permettrait de se démarquer de la concurrence, autre que les pralinés, les ganaches, les tablettes et même les sculptures. Pour lui, le chocolat, c'est le goût pas la forme. Le goût, il n'y a que cela pour se différencier des autres, le goût uniquement. Il ressent avec acuité qu'ils ne maîtrisent aucun des facteurs essentiels qui déterminent ce qui sort de leur boutique. Ils sont tributaires des fournisseurs qui leur proposent leur palette de produits. Mais finalement, ils sont toujours dépendants de choix qui sont faits par d'autres. Pour eux, l'idéal serait de rencontrer des producteurs, d'échanger avec eux, de discuter des particularités de leurs fèves, de leur façon de cultiver les cacaoyers, de leur environnement, du terroir, etc., de visiter l'un des 45 pays producteurs de cacao. Ils se rendent compte que ni l'un ni l'autre n'a jamais voyagé.


Le même soir, Clémence rentre chez elle à pied en tenant sa fille Ahinoa par la main. Elle entend quelqu'un qui l'appelle par son prénom : Karen se tient dans l'ombre d'une porte cochère, avec un œil au beurre noir. Elle a quelque chose à lui dire à propos de Ben. Le lendemain, en Côte d'Ivoire, Édouard Carret et son adjoint Walter visitent une plantation de cacaoyers. Le premier interpelle un enfant avec un plateau de cabosses sur la tête, et lui fait observer qu'il en a laissé une sur l'arbre où il vient de les cueillir. L'enfant répond qu'elle n'est pas tout à fait assez mûre. Le responsable de la cueillette vient à son aide en expliquant qu'effectivement elle serait trop amère. Walter insiste et donne l'ordre de la cueillir, en sachant que de toute façon, en usine ils ajouteront 80% de sucre pour faire passer l'amertume. Une heure plus tard, Walter au volant de la voiture les a ramenés à Abidjan. Édouard remarque qu'ils ne se dirigent pas vers l'hôtel : effectivement Walter l'emmène dans la rue des prostituées car ils ont une après-midi de libre et ils peuvent en profiter pour passer du bon temps. Le même jour à Bruxelles, Clémence est installée dans l'un des fauteuils du salon d'Alexis et lui rapporte ce que Karen lui a expliqué. Benjamin Crespin, leur associé, est séquestré par les hommes de main de monsieur Logan, et il est vraisemblable qu'il ait trempé dans des affaires louches. Alexis a du mal à en croire ses oreilles et est prêt à mettre en doute la parole d'une droguée.



Quel plaisir de retrouver ces personnages ! Manon est toujours agréable et souriante, contente d'apprendre, de faire, de s'investir dans une relation constructive avec Alexis. Le dessinateur représente une jeune femme alerte, souriante, habillée simplement. Alexis Carret continue d'aller de l'avant avec son entreprise. Il ne s'agit plus pour lui de simplement exercer son art, mais aussi de faire vivre sa boutique. Les coscénaristes savent faire apparaître sa motivation plus profonde avec son projet de faire mieux que des bons chocolats, mieux que la concurrence, en proposant des produits d'exception. Clémence apparaît un peu plus âgée que Manon, avec des gestes plus en retenue, des expressions de visage plus mûres, marquées par l'inquiétude, des tenues plus sophistiquées. Benjamin Crespin est toujours aussi séduisant, avec un petit air enjôleur, mais aussi un visage plus dur quand il est poussé dans ses retranchements par Alexis. Alors qu'il pouvait trouver que les personnages n'étaient pas très développés dans les 2 premiers tomes, le lecteur se rend compte qu'ils ont chacun leur caractère. Ils n'ont jamais été interchangeables, mais ici, c'est aussi une évidence que leur comportement est dicté par leur personnalité, et qu'ils ne sont pas juste unidimensionnels.


L'image de couverture annonce explicitement que le personnage principal va se rendre dans une plantation de cacaoyers. C'est bien sur l'occasion d'en apprendre plus sur cette composante de l'industrie des chocolats belges. Dans les deux premiers tomes, le lecteur avait également l'impression que les auteurs se contentaient d'une vulgarisation superficielle un peu légère sur la chaîne de production. Il se rend compte qu'il n'avait peut-être pas tout à fait bien mesuré la réalité des informations qui étaient présentes. Il s'en rend mieux compte avec la scène d'ouverture au cours de laquelle Manon prépare des pralines. En un peu plus d'une page, il a tout suivi, de manière claire, avec une complémentarité exemplaire entre texte concis, et images montrant clairement le travail. Il retrouve la même qualité de vulgarisation lors de la visite de la plantation du professeur. D'un côté, c'est toujours présenté de manière simple et un peu gentille. D'un autre côté, il s'agit de 5 pages allant de l'irrigation des cacaoyers dans le verger, à au séchage lent des fèves après fermentation, avec un tri à la main avant expédition. En outre, il a droit à un petit complément quand Alexis se rend chez le torréfacteur installé à Avignon, avec deux pages d'explication supplémentaire. Pendant la séquence de visite du verger, le lecteur apprécie à nouveau la qualité de la mise en images de Chetville. Il est évident que les 3 auteurs se sont coordonnés, et que l'artiste a effectué un sérieux travail de recherche de références. Le lecteur accompagne Alexis et Benjamin dans ce tour du propriétaire, en écoutant avec intérêt leur guide Bao Ngoc, tout en regardant autour de lui, et observant les réactions de deux acheteurs potentiels.



Tout du long de ce troisième tome, le lecteur apprécie la qualité de la narration visuelle, épaté par son évidence et son humilité discrète. De temps en temps, il ralentit sa lecture pour mieux apprécier une case, sans forcément sans rendre compte. Chetville donne l'impression de réaliser des dessins faciles, à la lisibilité immédiate, sans rien de remarquable. Pourtant sous un dehors tellement classique qu'il en est presque académique, il réalise une narration visuelle d'une grande qualité. L'artiste promène le lecteur dans des lieux très différents qui semblent tous plausibles, cohérents, conformes à la réalité, sans le vernis clinquant d'une brochure de tourisme : le laboratoire de cuisine au-dessus de la boutique de chocolat, la plantation de cacaoyers en Côte d'Ivoire avec les enfants en train de travailler, l'immeuble mal entretenu où est séquestré Ben, le pavillon de luxe de la famille Carret, la superbe vue depuis le balcon de la chambre d'hôtel à Hô Chi Minh-ville, la plantation artisanale du professeur, le restaurant très convivial à Bên Tre, les deux pages (40 & 41) de tourisme au Vietnam, et bien sûr les rues de Bruxelles. S'il le souhaite, le lecteur peut prendre le temps de regarder plus dans le détail ces passages, et il éprouve la sensation de faire un tourisme calme qui ne se focalise pas sur une liste d'éléments spectaculaires à voir à tout prix, mais plus sur des lieux de vie.


Le lecteur se rend compte que sa réaction est identique concernant le scénario : sympathique, peut-être un peu mièvre par moment. Il prend conscience qu'il a confondu gentillesse et fadeur. Certes, les personnages ont tendance à se montrer prévenant les uns envers les autres, et à affronter les difficultés avec un optimisme certain. Mais quand même, les coscénaristes savent se servir des conventions du récit de genre Aventure, mettant en scène une séquestration, une opération de libération un peu légère, des casseurs de vitrine, deux passages à tabac (une victime finissant à l'hôpital), l'assassinat d'une personne dans son lit, un enlèvement en pleine rue, un chantage et même l'explosion d'un bateau de plaisance. On est loin d'un récit florianesque et aseptisé. À bien y regarder, il est également possible de relever une ou deux remarques économiques, et même une de nature politique. Comme dans le tome précédent, les auteurs glissent une petite pique sur l'industrie agro-alimentaire qui n'a à l'esprit que les bénéfices, sans aucune considération pour le goût (on rajoutera du sucre), ni pour la main d'œuvre employée (des enfants). En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut se retrouver fort surpris du traitement très pragmatique du personnage du professeur qui s'est fait justice lui-même et qui est présenté sous un jour positif, de l'usurier qui n'est pas puni, ou encore du régime communiste liberticide, mais assurant une forme de bien-être de ses citoyens, décidément pas un récit naïf.


Ayant lu les deux premiers tomes, le lecteur est acquis d'avance au travail des auteurs pour le troisième, s'apprêtant à un récit sympathique, et vaguement peinard. Il retrouve le grand professionnalisme de Chetville dont les pages sont si évidentes et claires, qu'il pourrait passer à côté de leur richesse et de leur maitrise. Il prend conscience, que loin de se reposer sur leurs lauriers, les coscénaristes maintiennent les qualités de leur narration : relations entre des personnages adultes, dimension vulgarisatrice sur le chocolat, aventures avec des risques réels et des conséquences, et pragmatisme intégrant le principe de réalité par opposition à des idéaux purs et plus adolescents. Le récit révèle également des saveurs inattendues grâce à l'effet cumulatif des éléments déjà présentés dans les tomes précédents.



mercredi 5 mai 2021

Thérapie de groupe, Tome 2 : Ce qui se conçoit bien

L'excision de la pierre de folie


Ce tome fait suite à Thérapie de groupe tome 1 - L'étoile qui danse (2020) qu'il vaut mieux avoir lu avant, même si le présent tome débute par une page de résumé en forme de bande dessinée. Cette BD a été réalisée par Manu Larcenet pour le scénario, les dessins, les couleurs et le lettrage. Elle compte 49 planches.


Jean-Eudes Cageot-Goujon avance dans une jungle au feuillage particulière dense, évoquant les événements passés qui l'ont amené là où il en est, faisant le résumé du tome précédent, tout en taillant dans la végétation avec son coupe-coupe, fuyant face à un énorme serpent, trébuchant et finissant empalé sur son coupe-coupe. En fait il se trouve assis sur un banc dans le parc de de la clinique psychiatrique des Petits Oiseaux Joyeux, en train de penser qu'il n'est plus qu'un vulgaire homme comme les autres, et qu'il ferait mieux d'arrêter de chercher l'idée du siècle. Il se remémore les vers de Charles Baudelaire : le poète est semblable au prince des nuées qui hante la tempête et se rit de l'archer. Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Le bédéaste sent les larmes lui monter aux yeux en pensant à la beauté intemporelle de ces vers. Il est illusoire pour lui de penser un jour égaler un tel sommet. Il rentre à l'intérieur de l'établissement psychiatrique, mange dans la salle commune, prend ses médicaments et se met à imaginer un nouveau superhéros. Albatrosman était Jean-Jacques Prunier qui lors d'un voyage en Bretagne, s'est pris une fiente d'albatros en pleine poire. Cet incident en apparence anodin a bouleversé le cours de sa vie, le transformant en une créature mi-homme, mi-albatros, qui, la nuit, lutte contre le crime.



Jean-Eudes Cageot Goujon déroule les aventures de Albatrosman dans son esprit, mais ça se finit mal : son héros est tabassé par trois marins pécheurs, incapable de fuir à cause de ses ailes qui l'empêche de marcher et donc de courir pour fuir. Il met fin à cette séance de création et va reprendre des médicaments pour anesthésier son sentiment écrasant de finitude. Il se met à traîner dans les couloirs, l'œil vitreux, l'esprit en plein état de fugue. Il repense à sa rencontre avec le dessin, quand il avait 10 ans, l'année d'Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, et de la mort de Sid Vicious. Leur relation a toujours été dysfonctionnelle : le dessin ne lui sert qu'à s'exprimer, comme il n'a plus rien à dire, il n'a plus de raison de dessiner. Un peu plus tard, il se rend à sa séance avec le psychiatre. Il résume sa situation : trop de chaos au-dedans de lui, l'incapacité d'enfanter des étoiles qui dansent, de marcher sur des gouffres amers à cause de ses ailes de géant. Il est fini comme artiste et comme homme, faisant trop de voyages initiatiques et finissant comme un albatros crevé sur de carrelage de la salle de bain, ce qui est dégoûtant. Le psychiatre n'a rien compris à ce qu'il vient de raconter.


La fin du tome 1 laissait supposer un tome 2 entendu d'avance : une narration qui part dans tous les sens, sur la base d'un fil directeur très simple (retrouver un équilibre mental pour revenir à la normale), avec une narration visuelle adaptant des formes différentes au gré de la fantaisie de l'auteur. C'est exactement ça : le lecteur observe Jean-Eudes Cageot-Goujon durant son séjour à la clinique psychiatrique des Petits Oiseaux Joyeux, ses tentatives pour retrouver une inspiration qui le satisfasse, sa relation avec les médicaments, avec son voisin à l'atelier de thérapie par l'art, ses entretiens avec le psychiatre de l'établissement, les périodes où il semble retrouver le chemin de la création. C'est exactement ça : l'artiste se lâche tout autant que dans le tome 1 reprenant l'idée de dessiner à la manière de certains genres. Le lecteur retrouve quelques séquences avec des silhouettes en noir & blanc avec des nuances de gris en train de parler, des pages avec une narration plus dramatisée pour l'évocation d'un superhéros (Albatrosman), des pages de 16 cases en plan fixe quand Cageot-Goujon essaye de se remettre à la bédé, des décors spatiaux psychédéliques de type science-fiction délirante, ou encore un western en noir & blanc sur un effet de papier jauni. S'il y prête attention, il peut voir deux clins d'œil au Pokémon Pikachu, et quelques œuvres d'art classique détournées. Le fil directeur étant très basique (l'état mental du personnage principal), il ne se produit pas d'effet de désarticulation, ou de mélange insensé de styles au petit bonheur la chance. Il est même vraisemblable que si le lecteur n'y porte pas une attention particulière, il ne voit pas passer tous les clins d'œil que l'auteur a glissés dans ces pages.



Il est donc possible de lire ce deuxième tome d'un point de vue d'une histoire, celle racontant les tourments de intérieurs d'un auteur en proie à la dépression. Jean-Eudes Cageot-Goujon est convaincu de l'inutilité de ses efforts de création de l'inanité d'ambitionner de révolutionner son art, d'y apporter quelque chose de neuf, après tous les génies qui y ont déjà œuvré. Du coup, à quoi bon même essayer ? Cela crée une bizarre situation réflexive avec la bande dessinée que le lecteur est en train de découvrir. Au premier niveau, il est possible d'y voir les lamentations d'un auteur, ayant opté pour réaliser un ouvrage nombriliste sur ses propres affres, ses propres interrogations. Le lecteur peut donc la lire comme une interrogation personnelle sur la vanité. Finalement Larcenet aimerait bien être considéré comme un créateur majeur, tout en sachant qu'il œuvre dans un art considéré comme mineur, avec des illustres prédécesseurs dans la littérature, et qu'il sait pertinemment qu'il n'aura jamais la puissance créative et littéraire d'un auteur comme Charles Baudelaire (1821-1867). Il peut aussi estimer que les différentes approches picturales utilisées dans cette bédé reflètent l'envie de retrouver l'inspiration en s'essayant à d'autres genres. D'ailleurs, l'amateur de bande dessinée constate à cette occasion que l'artiste sait de quoi il parle, qu'il maitrise les conventions de genre, et qu'il sait les mettre en œuvre dans ses dessins, jusqu'à la composition même de ses pages.


Il est également possible de voir une forme d'autodérision dans ce deuxième chapitre. Manu Larcenet se moque de lui-même et de ses prétentions, en mettant en lumière les mécanismes en jeu, sa prétention artistique. Certes, le sujet du récit fait penser à une œuvre nombriliste, mais l'auteur, ou plutôt son avatar Jean-Eudes Cageot-Goujon n'y tient pas le beau rôle, et en plus il fait preuve de la politesse des gens désespérés : l'humour. Ça commence dès la page avant le titre, un dessin des silhouettes de Jean-Jacques et Bruno en costard-cravate, évoquant le séminaire de motivation qu'ils ont trouvé Bof. Tout au long de l'ouvrage, l'humour peut aussi bien passer par les dialogues que par les visuels. Le lecteur retrouve la réaction exagérée de Jean-Eudes en train de déchirer ses vêtements, déchirer ses pages, et se mettre à courir tout nu comme un fou. Il retrouve sa morphologie disgracieuse avec son gros nez, ses yeux ronds sans pupilles quand son cerveau ne parvient plus à aligner deux idées cohérentes, les couleurs psychédéliques marquant l'effet psychotrope des médicaments, les unes de journal farfelues, les bandeaux de nouvelles absurdes et très drôles qui défilent en bas des écrans de télévision lors des débats, les caricatures très justes de Baudelaire et Nietzsche, l'appropriation de références culturelles comme Pikachu ou les moaïs de l'Île de Pâques, le détournement de tableaux classiques (Van Gogh, Mondrain, Munsch, etc.). L'humour passe également par des petites piques bien senties qui parleront plus aux lecteurs de bande dessinée, comme l'auteur qui a perdu l'inspiration et qui se laisse aller à la facilité en faisant un album de blagues sur les blondes, ou une biographie de féministe. Le lecteur a donc le sourire aux lèvres du début à la fin, grâce à des éléments comiques très diversifiés présents à chaque page.



Il est aussi possible de prendre au sérieux la réflexion en toile de fond développée par l’auteur : l'ambition artistique. Il est écrasé par la conscience des chefs d'œuvre de ceux qui l'ont précédé. Il sait s'y prendre avec humour pour rattacher la bande dessinée à la littérature, en évoquant les bandes dessinées réalisées par Boileau ou Nietzsche, les plaçant ainsi au même niveau que son mode d'expression à lui. Il fait également le lien avec les grands maîtres du genre en parodiant discrètement des personnages célèbres comme le capitaine Archibald Haddock, Popeye et Corto Maltese. Dans sa quête de l'idée géniale qui révolutionnera la bande dessinée, il se met à exploser les codes de la bédé traditionnelle en faisant n'importe quoi, du chaos intérieur illisible et barbouillé à la truelle. Il a conscience que la qualité de ses propres œuvres ne lui permet pas d'espérer une immortalité similaire au poème L'albatros de Baudelaire qui est d'un autre niveau. Il évoque le syndrome de Stendhal, c’est-à-dire des de troubles psychosomatiques chez une personne exposée à une surcharge d’œuvres d’art. au cours de son séjour en clinique psychiatrique, Jean-Eudes fait également l'expérience de la découverte d'une bande dessinée d'une qualité bien supérieure aux siennes, réalisée par son voisin dans l'atelier de thérapie par l'art. Au cours d'une des séances avec le psychiatre, il essaye d'avancer dans le cheminement du processus du deuil en 5 étapes, développé par Elizabeth Kübler-Ross, adapté à sa sauce en 9 étapes (déni, colère, marchandage, dépression, consternation, léger mieux, lamentations, confusion, fond du trou). Le lecteur prend graduellement conscience que cette bande dessinée n'est pas qu'un récit semi-biographique, ou un ouvrage humoristique, mais également une réflexion pénétrante d'un créateur ayant réfléchi à son art (sa capacité à mettre en œuvre différents styles) et à la progression de la qualité de ses œuvres dans l'histoire de l'art et de la littérature. À l'opposé d'une bande dessinée nombriliste, c'est une plongée dans une analyse fine et enlevée de l'ambition artistique, des créateurs qui l'ont précédé et dont les œuvres sont passées à la postérité, les rendant immortels.


Ce deuxième tome s'avère encore meilleur que le premier : plus dense, plus drôle, avec plus d'humilité. Le lecteur est emporté par un tourbillon de créativité, dans une réflexion humble sur la place de l'auteur, avec une narration visuelle inventive et bouillonnant d'énergie, des visuels spectaculaires, une culture BD discrète et pénétrante. Il découvre la dernière page qui ouvre la porte sur la possibilité d'un troisième tome, et il espère de tout cœur qu'il verra le jour dans un avenir proche.



lundi 3 mai 2021

Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica

Quelqu'un a troué ma mémoire.


Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2003, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.


À New York, un homme blanc à la chevelure brune, marche dans la rue sous la neige, en tirant quelques notes de son harmonica. Blue Harmonica s'arrête de marcher et de jouer devant monsieur Chance, seule autre personne dans la rue. Ce monsieur en habit de soirée avec un chapeau haut de forme lui demande quel air il jouait : c'était un vieil air de Muddy Waters. Chance continue : il donne un nom à Harmonica, celui de Louis Berich. L'homme se trouvera à la station Subway City Hall. Il remet un paquet à Harmonica. Ce dernier le prend et se rend à la station de métro. Elle est déserte, à part un individu affalé contre un mur sur le quai. Il vérifie que c'est bien Louis Berich, lui tire dessus à bout portant, puis jette l'arme sur les rails. Le nom de Louis Berich est apposé sur la crosse, par une petite plaque vissée. Peu de temps après une équipe de police est sur place pour enquêter avec la commissaire Douglas, et l'inspecteur Traum qui tousse un peu. Ce dernier récupère le pistolet sur les rails, et constate la présence du nom. Il reste à vérifier qu'il correspond bien à celui de la victime.


Jessica Blandy est en train de prendre son petit déjeuner dans un diner, tout en appréciant l'air d'harmonica joué à l'extérieur. Ça ressemble à du Mattias Hellerg. Elle en fait part à sa voisine qui n'avait même pas écouté. Jessica se lève et sort, regrettant de quitter cette jeune femme aux jolies jambes. À l'extérieur, le joueur d'harmonica l'aborde en lui demandant si elle s'appelle Stella Lamb. Il s'en suit un court échange au cours duquel il lui confirme que c'est bien lui le joueur d'harmonica. Elle continue son chemin, et lui le sien. Jessica Blandy se retourne en entendant le bruit d'une détonation et se met à courir vers le diner. Elle découvre le cadavre de Stella Lamb, étendu sur la neige, devant une voiture stationnée sur le parking. Un peu plus tard, assise dans le diner, elle essaye de répondre aux questions de Douglas et Traum : elle se rend compte qu'elle est incapable de décrire l'homme avec qui elle a échangé quelques mots, comme s'il y avait un trou dans sa mémoire. Le soir en s'endormant, elle constate qu'elle ne parvient même pas à se souvenir de son visage. Le lendemain, Blue Harmonica rencontre à nouveau monsieur Chance. Il lui indique qu'une femme l'a vu. Chance lui répond de ne pas s'en préoccuper, qu'elle ne se souviendra de rien, qu'elle ne figure pas dans ses listes. Il lui donne le nom d'une autre personne à abattre : Leigh Cardogan III.



La séquence d'entrée établit directement que ce récit fonctionne avec une touche de surnaturel. L'individu appelé Blue Harmonica (c'est son vrai prénom ?) est un tueur qui travaille pour un étrange monsieur Chance (c'est son vrai nom ?) qui lui donne des noms. La touche de surnaturel est confirmée avec le pistolet dont la crosse porte le nom de la victime. Ce n'est pas la première fois que le scénariste introduit un tel type d'élément. Ici, le lecteur découvre qu'il y a une sorte d'organisation qui reste entièrement mystérieuse et qui perpétue la fonction d'assassinat sur la base d'un critère qui est explicité. L'artiste ne dessine aucun élément surnaturel de type spectre, apparition ou phénomène magique inexpliqué. Il reste dans un registre naturaliste tout du long, Blue Harmonica étant un homme de taille normale à la morphologie normale, sans rien de remarquable, avec une belle chevelure noire, un air un peu romantique et vaguement inquiétant. Il s'agit donc d'un élément de nature métaphorique, incarnant l'envie suicidaire. Du coup, les noms étranges font sens, désignant une fonction ou une caractéristique. Ce dispositif narratif fonctionne bien et permet à l'auteur d'évoquer une forme tranchée d'euthanasie, particulièrement transgressive. Encore que les actes de Blue Harmonica puissent se lire des deux manières : comme une délivrance bienvenue, ou comme un crime, c’est-à-dire en sous-entendu, une condamnation morale de mettre un terme à une vie, même si c'est le vœu le plus cher de la personne concernée.


Une fois accordé le supplément de suspension d'incrédulité, le lecteur retrouve avec plaisir Jessica, à nouveau au cœur d'une affaire de meurtres en série. Cette fois-ci, c'est personnel, enfin encore plus que d'habitude. Non seulement Jessica couche avec le tueur présumé, mais en plus, il est vraisemblable qu'elle est sur sa liste. Dufaux s'amuse bien avec cette incertitude. Il confronte son héroïne au fait qu'elle n'arrive pas à se souvenir du visage de celui à qui elle a parlé. Une fois intégré le dispositif de la métaphore, le lecteur peut y voir le fait que Blue Harmonica incarne pour elle un traumatisme qu'elle a préféré refouler, ou plutôt une épreuve qu'elle a traversée, acceptée et dépassée. D'ailleurs Blue explicite clairement le traumatisme dont il s'agit : Jessica contrainte à la prostitution la plus glauque dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema (1990). S'il a suivi la série depuis le début, le lecteur se souvient encore de ce passage des plus éprouvants, et la fonction de Blue Harmonica s'en trouve nourrie, devenant très concrète, plus compréhensible. Il comprend la raison pour laquelle Jessica Blandy estime que quelqu'un a troué sa mémoire, pour quelle raison personne ne se souvient de Blue Harmonica, car il s'agit d'un souvenir réprimé.



Comme d'habitude, la narration visuelle de Renaud rend chaque scène évidente et solidement ancrée dans la réalité. Plus les tomes passent, plus l'artiste sait allier sa mise en couleurs avec ses traits d'encrage très fin, pour une belle complémentarité. Il continue à se montrer très minutieux dans ses descriptions ce qui donne une narration très factuelle, très précise, comme s'il s'agissait d'un reportage. Le lecteur peut admirer son application à montrer chaque environnement : les façades des gratte-ciels, les magnifiques arches en brique de la station de métro (avec des rails un peu trop propres), le diner impeccable dans une structure légère, la brocante dans la rue avec ses objets hétéroclites, le magnifique restaurant dans lequel Harmonica abat Leigh Cardogan III à bout portant, le parc avec quelques restes de neige, la maison en bordure d'océan à laquelle on accède par un ponton, le parc de caravanes et de mobil-homes en mauvais état, etc. D'un côté il y a les traits très précis de Renaud, souvent très droits pour les bâtiments : de l'autre il y a la mise en couleurs à la fois solide et ténue. Certes, il est peu probable que les rails de métro ne soient pas encrassés par la graisse. À part ce moment, les couleurs viennent discrètement apporter une ambiance discrète : la froideur grisâtre des toilettes du commissariat, la froideur un peu plus bleutée de la neige dans les rues, la froideur un peu plus verte de la nature et de la lumière à proximité de l'océan, le jaune pâle presque blanc de la lumière du matin en bordure d'océan sous un soleil encore faible, etc. 



Renaud met en œuvre une direction d'acteurs de type naturaliste, permettant de croire à ces individus, en parfaite cohérence avec le scénario. Jessica Blandy apparaît toujours aussi séduisante et agréable, tout en conservant sa part d'ombre. Elle est vêtue de tenues élégantes, un blouson blanc avec un pantalon en cuir, ou un long manteau blanc comme neige, ou encore une nuisette verte. En la regardant, le lecteur peut voir la douceur de son visage, de son expression, bienveillante, mais aussi sa curiosité, parfois sa dureté quand un interlocuteur lui cache des choses, son honnêteté intellectuelle et émotionnelle quand Harmonica vient pour la tuer, le lecteur se rend compte que l'attitude et le visage des autres personnages expriment également leur état d'esprit, par exemple la détermination de Blue Harmonica, mêlée d'une forme de résignation et de mélancolie. Il n'est donc pas surpris quand il se dit préoccupé par sa rencontre avec Jessica Blandy, ou quand il déclare à monsieur Chance qu'il n'a aucun regret.


Arrivé au tome 22, le lecteur sait à quoi s'attendre, et les auteurs tiennent leurs promesses implicites : des meurtres évoquant les actes d'un dérangé, une narration visuelle réaliste soignée, des comportements d'adulte. Il voit bien que Jean Dufaux a développé son intrigue sur la base d'un concept (un tueur liquidant des individus ayant perdu l'envie de vivre), avec en tête des références musicales précises qu'il énonce (Keith Richards, Muddy Waters, John Mayall, Mattias Hellberg, Dylan Thomas). Le résultat fonctionne bien car Jessica Blandy n'est pas qu'un artifice narratif, et le tueur est habité par sa mission. Le lecteur peut donc s'identifier à l'héroïne qui doit se confronter avec un souvenir traumatique, et au tueur qui accomplit une mission honorable. Un polar sondant une facette angoissante de l'humanité.