vendredi 25 décembre 2020

Jessica Blandy, Tome 18 : Le contrat Jessica

Le meilleur et le pire de l'homme : une langue.

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 17 : Je suis un tueur (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2000, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 6 - Magnum Jessica Blandy intégrale T6 qui contient les tomes 18 à 20.


Une équipe de trois tueurs se trouve dans un grand hôtel de d'une station balnéaire au Mexique, sur la côte Pacifique. Le responsable appelle leur commanditaire Ernest Zoloco pour indiquer que Jessica Blandy n'est pas dans sa chambre, mais qu'ils vont aller la buter sur la plage. Ils trouvent rapidement une jeune femme allongée sur le ventre, avec un sombrero lui cachant la tête, avec sa clé de chambre à ses côtés, correspondant à la chambre de Jessica. Ils l'abattent en lui tirant chacun une balle dans la tête. L'un d'eux retourne le cadavre et ils découvrent une chevelure rousse : erreur de cible. Le responsable appelle Ernest Zoloco et admet leur erreur. Ils vont continuer leurs recherches. Ernest Zoloco est lui-même sur la plage, en costume, accoudé à un petit bar de plage, sans personne. Il y est abordé par une magnifique jeune femme en maillot vert. Ils papotent un peu et elle lui propose d'aller sur la corniche pour une vue magnifique. Il accepte. La discussion se poursuit au sommet d'une falaise, elle se termine mal pour la jeune femme.


Pendant ce temps-là, Jessica Blandy est au volant de sa voiture et elle arrive dans une ville de moyenne importance au Mexique. Elle va dans un bar pour prendre une bière. Le téléphone sonne, et c'est pour elle : Salina lui donne rendez-vous à l'église de Santa Prisca. Sur place, elle soliloque devant une statue du Christ, puis elle sort. Elle est suivie par un homme qu'elle n'a aucune difficulté à repérer. Elle parvient à passer derrière sans qu'il ne s'en aperçoive et elle le menace avec son pistolet. Il joue les innocents. Salina arrive sur ces entrefaites et assomme l'homme. Puis elle salue Jessica et lui demande ce qu'elle lui veut. Celle-ci explique qu'un contrat a été passé sur sa tête par un inspecteur de la police américaine. Elle a besoin de trouver une planque. De son côté, Gus Bomby est planqué tranquillement chez lui, quand il voit arriver une équipe de 5 tueurs en costume. Il parvient à se sortir de cette mauvaise situation, sans tirer une seule balle. Une fois chez elle, Salina écoute la version longue de l'histoire de Jessica Blandy. Une fois l'explication terminée, Salina a une proposition à faire à Jessica pour la planque, et elle lui annonce le prix à payer.



Finalement non, pas de retour de Razza dans ce nouveau tome, mais une histoire qui met en avant un personnage secondaire des plus désagréables : Robby. Le lecteur apprend enfin son vrai nom : Eugene Palma Robinson. Cet inspecteur de police était présent dès le premier tome de la série, avec un comportement qui l'avait rendu détestable d'entrée de jeu. Sans tambour ni trompette, sans signe annonciateur, Jean Dufaux décide de faire basculer la situation de Robby : il passe de flic vraisemblablement pourri, ses trafics n'ayant jamais fait l'objet de l'intrigue d'un album, à individu aux abois. En parallèle, Jessica Blandy est en cavale essayant de ne pas se faire avoir par les tueurs à ses trousses. Comme à son habitude, elle est au cœur des événements, mais sans avoir un rôle d'héroïne qui résoudrait les problèmes à la force de sa volonté et de ses capacités physiques ou intellectuelle, sans être ni un artifice narratif miracle, ni une potiche. Renaud est égal à lui-même, descriptif et précis, pour des planches sages et posées, malgré les enjeux mortels, et les jeux de contrainte et de pression malsains. Le lecteur découvre donc cette situation in media res, et le scénariste lui apprend progressivement ce qui s'est passé précédemment pour en arriver là.


Indépendamment de l'intrigue, le lecteur sait qu'il va prendre plaisir à découvrir des lieux singuliers, représentés avec précision. Arrivé au dix-huitième album, il s'agit d'une collaboration bien huilée entre artiste et scénariste, et selon toute vraisemblance, ce dernier fait en sorte de jouer sur ce point fort du premier. Le lecteur en a la confirmation dès la première page avec cette case singulière montrant les balcons des chambres d'hôtel par une magnifique vue en plongée sur sa cour intérieure. Ensuite Renaud s'attache plus aux arbres de la plage qu'à la texture du sable qu'il préfère représenter avec la couleur. Les formations rocheuses en bordure d'océan sont déchiquetées et réalistes, l'eau de l'océan étant vivante grâce à la couleur. En planche 3, le lecteur découvre une autre vue d'ensemble splendide : la vision en légère élévation de la ville où arrive Jessica Blandy. En repensant aux différents lieux visités, il prend conscience de leur variété, de l'effet de diversité géographique, et de décalage parfois d'une simple case. Ainsi il va prendre un verre dans un petit bar mexicain, il se recueille devant une effigie du Christ dans une église. Il profite du calme avant le déchaînement de violence dans le salon de Gus Bomby. Il regarde un car traverser une zone désertique. Il admire la luxueuse villa d'Osmond Portland sous plusieurs facettes : son ponton, son kiosque au toit de chaume, ses volumes spacieux et propices à la circulation de l'air dans cette région chaude, la baraque en planches mal jointives où Ernest Zoloco reçoit Portland, etc. Il est pris par surprise avec cette simple case de 5 tueurs avançant dans un champ de blé (planche 9). Renaud & Dufaux ne cherchent pas à épater le lecteur en le baladant d'un endroit magnifique à un autre : le passage par un endroit, par un lieu arrive de manière organique dans l'intrigue, et l'artiste ne se lance pas dans des cases démonstratives pour attirer l'attention. Il réalise des cases pour raconter l'histoire, investissant du temps du talent pour montrer le lieu avec un regard attentif aux détails qui en font son identité, à l'opposé d'une enfilade de lieux génériques.



L'investissement pour que les lieux soient si consistants a une incidence sur les personnages : à aucun moment le lecteur n'éprouve la sensation de voir des acteurs jouant leur rôle sur une scène de théâtre. Chaque protagoniste interagit avec le lieu où il se trouve, se livre à une occupation particulière en utilisant les accessoires de manière organique. Dans un autre endroit, les choses se dérouleraient autrement. En outre, chaque personnage dispose d'une apparence physique unique, se déclinant en postures spécifiques. Le lecteur voit par lui-même que la corpulence de Robby fait qu'il évite les gestes brusques, que la maladie d'Osmond Portland fait qu'il se montre précautionneux dans ses gestes, que Jessica Blandy entretient un rapport d'assurance vis-à-vis de son apparence. Comme souvent dans une de ses aventures, elle se retrouve nue face à un homme ou plusieurs. Sa confiance en elle et son naturel font que le lecteur ressent qu'elle impose sa nudité à son interlocuteur qui en ressent une gêne, à l'opposé d'une victime à la merci d'un individu exerçant une forme de sadisme ou de cruauté mentale pour assurer sa domination. Jessica n'apparaît pas dans toutes les planches, le récit n'est pas raconté de son seul point de vue, ce qui n'obère en rien sa force de caractère, sa présence rayonnante.


Le scénariste prend le lecteur au dépourvu avec ce basculement imprévu de la situation de Robby, un individu détestable apparaissant de manière chronique dans la série. Jessica Blandy continue d'être le point d'ancrage pour le lecteur, toujours aussi belle et forte. Dufaux bâtit son intrigue sur la dynamique d'une course-poursuite, moteur toujours efficace pour insuffler un rythme dans le récit. Il met en œuvre des personnages secondaires apparus de manière encore plus sporadique dans la série, personnages qui ne parleront vraisemblablement qu'au lecteur assidu : le tout jeune adolescent Rafaele, et sa tutrice officieuse Victoria. Il est également fait référence à Kim, une amie décédée de Jessica, apparue pour la première fois dans le tome 1 (1987). Salina était déjà apparue dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema... (1990). D'un côté la fonction de Victoria et Rafaele est assez basique (otages potentiels) pour que tous les lecteurs puissent la saisir ; de l'autre cela a plus d'impact pour ceux connaissant leur lien avec l'héroïne. Le scénariste a conçu une intrigue avec une belle mécanique, dont le déroulement se fait de manière linéaire. Même si le caractère de chaque personnage n'est pas très développé, le lecteur perçoit que l'histoire se serait passée autrement si cela avait été d'autres personnages. Ce n'est pas donc une intrigue générique plaquée sur les personnages qui aurait très bien pu se dérouler à l'identique, indépendamment des protagonistes. Le thème sous-jacent de la série reste mineur dans ce tome : les comportements déviants ne sont pas au cœur du récit. Toutefois, le scénariste en intègre au début avec le meurtre gratuit commis par Zoloco, pour bien montrer qu'on ne plaisante pas avec lui. En revanche, le thème de la contrainte par la violence court tout le long de cette histoire, thème également inhérent à la série.


Les auteurs surprennent le lecteur avec cette nouvelle aventure de leur personnage. Jessica Blandy n'est pas confrontée à un nouveau tueur à l'esprit dérangé : elle doit se sortir d'un contrat sur sa tête, passé par un personnage récurrent de la série. Le scénariste met à profit plusieurs éléments et personnages des tomes précédents pour un thriller bien construit. Lui et Renaud savent donner vie aux personnages par leurs actions, leurs expressions, leurs décisions. Le récit est d'autant plus savoureux qu'il se déroule dans des lieux particuliers, réalistes et uniques dans lesquels le lecteur se projette avec plaisir.



2 commentaires:

  1. Je m'aperçois que c'est un plaisir de découvrir une série-fleuve comme celle-là par l'intermédiaire de tes commentaires.

    "Renaud et Dufaux" : c'est dingue, mais c'est la première fois que je percute et que je remarque que le nom du dessinateur figure avant celui du scénariste, ce qui sort de l'ordinaire.

    Il semblerait que cet album confirme, après le précédent, que Dufaux a abandonné la veine fantastique.

    "Cet inspecteur de police était présent dès le premier tome de la série, avec un comportement qui l'avait rendu détestable d'entrée de jeu." Je me demande comment ça se passe dans la tête du scénariste. Savait-il déjà qu'il allait réutiliser ce personnage ? Ou s'est-il interrogé, après dix-sept tomes, sur les personnages qu'il pouvait réutiliser ?

    Je me demande si c'est Renaud qui réalise la couleur aussi, ou s'il s'agit d'une paire de "petites mains" qui travaillent pour un studio. Des planches que tu proposes en extraits, je trouve la mise en couleur un peu fade.

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  2. Renaud - Dufaux : je ne l'avais même pas remarqué. Je trouve aussi que ça sort de l'ordinaire.

    Savait-il déjà qu'il allait réutiliser ce personnage ? - N'ayant pas du tout suivi le monde de la BD à cette époque, et donc pas lu d'interviews des auteurs, je serais bien en peine de répondre et j'en suis réduis aux conjectures. L'idée que je m'en fais dans ma tête est que les premiers tomes sont parus au début de la carrière de scénariste de Dufaux et qu'il n'avait aucune idée de combien de temps il pourrait exercer ce métier, ni même s'il le nourrirait. En outre les tomes 1 à 6 de la série ont été publiés par Novedi, une petite maison d'édition. A la lecture, j'ai l'impression que Dufaux n'a pas de plan à long terme pour Jessica Blandy, et qu'il écrit un tome après l'autre au gré de son inspiration quand vient le temps d'un écrire un nouveau. Il me semble me souvenir d'une interview où il disait que vers la fin de la série, c'était Renaud qui lui demandait de nouvelles histoires.

    Pour les couleurs, l'article wikipedia indique qu'elles sont réalisées par Béatrice Monnoyer (T1 à 16), puis par Renaud (T17 à 24). Je lis ces tomes dans la réédition Magnum et il n'y a pas d'indication sur le sujet.

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