mardi 9 janvier 2024

La boulonichon

Le fils de Mike Tyson et de Joey Starr. Après un combat à mort à l’arme blanche rouillée.


Ce tome contient une histoire complète et indépendante de tout autre, de nature semi-autobiographique. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Evemarie, pour le scénario, le dessin et les couleurs. Il comprend cent-quatorze pages de bande dessinée. Cette même année, l’autrice a également réalisé Les dents longues avec Courty au scénario, une parodie de conte. Le tome commence avec un avant-propos d’une page, rédigé par la docteure Hortense Mineur, cancérologue, radiothérapeute à la clinique Tivoli à Bordeaux.


Le radioréveil se déclenche : c’est la chanson Boule de flipper, de Corynne Charby. Clémentine Fonzarelli se lève pendant que son conjoint Arthur reste un peu au lit, encore sous le coup de la violence de ce réveil. Elle va prendre sa douche, et elle sent comme une boule au nichon dans le sein gauche. Elle décide de prendre rendez-vous avec son généraliste. Lors de la consultation, celui-ci lui confirme ce qu’elle a détecté par elle-même, et il lui prescrit de façon illisible une mammographie et une échographie. C’est parti pour le Nichon Tour, bientôt dans le labo le plus proche ! Clémentine se rend dans le centre de radiologie, imagerie et analyse de son quartier, tout en constatant que la devanture n’a rien de discret. La secrétaire l’admoneste parce qu’elle a cinq minutes d’avance, parce qu’elle n’a pas apporté ses précédents clichés, même si c’est la première fois. Elle va s’assoir à côté des autres personnes en train de patienter, et elle demande à son voisin, un homme avec une jambe dans le plâtre, s’il vient lui aussi pour une boule au nichon.



Vient son tour de passer : la radiologue se montre encore moins aimable, donnant des ordres de manière sèche et péremptoire. Se déshabiller, attacher ses cheveux, se placer sur l’appareil, ne pas bouger attendre que le médecin passe, en la reprenant parce que Clémentine a fait un bon mot, s’assoir, sans se rhabiller. Au bout d’une demi-heure d’attente sur une chaise, elle revient pour lui ordonner de se rhabiller et de se dépêcher car elles vont faire une échographie. Clémentine est maintenant allongée sur la table, la docteure penchée sur elle en faisant l’échographie qu’elle commente : la patiente a une boule au nichon, ce qui étonne modérément Clémentine. La docteure continue : c’est peut-être très grave… ou peut-être pas. Il va falloir qu’elles se revoient pour qu’elle prélève une carotte de la boule au nichon. Clémentine demande : une carotte ? La docteure précise : non pas une carotte, une biopsie. Sa patiente reprend : une carotte bio ? L’explication continue : un prélèvement dans le nichon pour en extraire une carotte à analyser, en fait. Clémentine reprend un rendez-vous chez son médecin traitant pour lui expliquer que la radiologue veut une carotte. Il lui indique d’aller voir le docteur Loche, c’est sa spécialité. Clémentine pouffe du fait du nom du spécialiste. Après son départ, le médecin appelle son collègue pour lui indiquer qu’il lui envoie une nouvelle patiente et que son nom l’a bien fait marrer. La nuit au lit, elle n’arrive pas à s’endormir. Arthur lui demande si elle flippe. Elle répond que pas du tout, en riant trop fort et nerveusement. Il répond que le moment n’est pas venu, mais qu’ils reparleront de son mécanisme de défense par le rire, des fois ça fait un peu peur.


Dans son avant-propos, la docteure Hortense Mineur commente l’intention de l’autrice : l’idée d’Evemarie était de raconter ce parcours dans ce drôle de monde surréaliste dans lequel on tombe sans le savoir. Cet accident de vie dans lequel elle bascule sans rien avoir demandé à personne l’entraîne sur un chemin jalonné de moments tour à tour injustes, violents ou cocasses. Il réveille des questionnements auxquels elle n’avait jamais pensé. Elle prend alors le parti d’en rire ou au moins d’en sourire, comme un moyen thérapeutique d’abord puis comme le choix de rester du côté de la vie. En effet, le lecteur constate que la narration est en cohérence avec la couverture et que l’humour est de mise. Il apparaît dès la première page avec le traumatisme (très relatif) de se réveiller avec ce tube de 1987, une scie qui s’incruste dans la tête, mais aussi ce à quoi Clémentine va être confrontée, secouée dans tous les sens. Le lecteur relève quelques autres références culturelles bien senties pour leur décalage par rapport à la situation : James Brown pour ses chansons entraînantes et joyeuses, Space oddity (1969) de David Bowie (1947-2016) alors que Clémentine est sous l’emprise d’un anesthésiant, ou encore Mike Tyson et Joey Starr pour évoquer l’état de son sein après la chimiothérapie. Il est impossible de résister aux enfantillages de Clémentine, qu’elle soit dans le déni, la colère, le marchandage ou la dépression.



L’autrice manie la dérision avec une réelle sensibilité que ce soit son affection pour son personnage, ou son empathie pour sa situation. Elle met en œuvre plusieurs formes de comique. Cela commence par les dialogues : Clémentine indique à son médecin qu’elle a une boule au nichon, celui la palpe et lui dit qu’elle a une boule au nichon, et elle lui fait remarquer qu’elle vient de lui dire. Outre les jeux de réparties moqueuses, sarcastiques ou ironiques, il y a aussi le comportement des uns et des autres : l’appréhension de Clémentine où elle freine des talons pour ne pas avancer, ou alors elle avance le dos exagérément courbé, l’autoritarisme de la radiologue qui entend que sa patiente obéisse au doigt et à l’œil, la secrétaire à l’accueil qui parle sur un ton doucereux avec des petits cœurs ou des petites fleurs en bordure de phylactère, les yeux exorbités d’incrédulité du docteur Zlip en réaction à la familiarité de Clémentine qui trouve qu’il ressemble à un copain, le manque de discrétion, voire son absence absolue, de la pharmacienne pour le soutien-gorge post opératoire, le caractère sérieux et revêche d’une autre docteure (au point que Clémentine lui demande ironiquement d’où lui vient son air enjoué), etc. L’artiste intègre également des gags visuels : l’affiche sur un mur pour promouvoir le Nichon Tour, les deux seins écrasés lors de la radio initiale, les danseuses en costume de festival de Rio à l’entrée du cabinet du docteur Philippe Barbier, Clémentine en tenue léopard avec fausse fourrure, le pied sur le capot de son coupé sport en train de faire s’envoler des billets de banque avec sa main, la douleur causée par un papillon se posant sur le teeshirt de Clémentine au niveau du sein traité, etc.


En même temps, il ne s’agit pas de l’humour du désespoir, et le personnage principal a bel et bien décidé de rester du côté de la vie. Le lecteur suit donc son parcours de santé, depuis le moment où elle détecte par elle-même cette boule dans son sein gauche, jusqu’à la fin de son traitement, avec la perspective des visites de contrôles régulières, et d’une mammographie à la rentrée. Le parcours s’avère long : la première visite chez le généraliste, la radio, l’échographie, la mammographie, la ponction, les résultats de la biopsie, l’oncologue, etc. Il y a des phases de déprime, compensées par le soutien de son conjoint, et par une nouvelle méthode de gestion du stress (la cookies thérapie, ça vient des States), les personnels soignants plus ou moins aimables, plus ou moins dans l’empathie, les petits tracas matériels (Clémentine présentant sa carte vitale déchiquetée et se retrouvant à expliquer à une secrétaire dubitative que c’est son chien qui l’a mangée… pour de vrai), l’essaye du soutien-gorge post opératoire (pas tout à fait à la bonne taille), ou encore les effets secondaires de l’anesthésiant au réveil (Clémentine insultant tout le personnel soignant, sans faire de détail), etc.



Le lecteur éprouve immédiatement une sympathie sincère pour Clémentine, cette femme qui affronte un véritable parcours du combattant, bien décidée à franchir toutes les épreuves, même s’il lui arrive de manquer de courage à une ou deux occasions, en particulier quand elle comprend qu’elle ne pourra pas éviter la chimiothérapie. Il se reconnait immédiatement dans ses réactions, que ce soient ses moments d’inquiétude, le fait d’être dépassée par les explication médicales du médecin, l’exaspération face à des proches exprimant leur sollicitude en rajoutant à ses propres angoisses. Il en vient rapidement à l’admirer. Certes, l’autrice évoque ce parcours avec du recul, ce qui n’enlève rien à sa capacité à en parler avec humour, et ce qui donne encore plus de force au caractère de Clémentine capable de faire preuve de cet humour en temps réel. Il l’admire également pour savoir prendre avec philosophie les meurtrissures de sa poitrine au fur et à mesure des traitements, que ce soit l’inflammation qui fait qu’elle a un sein plus grand que l’autre, les ecchymoses, ou encore les rayons qui lui font bronzer un seul sein.


Évoquer le parcours de soin d’une femme atteinte d’un cancer du sein : pas très folichon a priori. À la lecture, l’expérience s’avère tout à fait différente : une verve très drôle, sans moquerie, sans humiliation de la patiente, au contraire une empathie du début jusqu’à la fin. Une narration visuelle basée sur un découpage de quatre cases par page (deux bandes de deux cases), avec quelques dessins en pleine page : un rythme régulier, des personnages dans un registre comique mesuré, des trouvailles visuelles, un respect des personnes. Le lecteur ressort avec le sourire aux lèvres, conscient que l’état de santé de Clémentine nécessite des contrôles réguliers, satisfait de l’avoir accompagnée tout du long, et de savoir en quoi consistent les différentes phases du soin. Un témoignage adulte qui fait du bien à la santé.



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