Et avec un peu de chance pas l’ombre d’une ménopause avant huit à dix siècles.
Ce tome est le dernier à ce jour (2023) consacré au personnage d’Antoine Aubert / Johanna. Sa première édition date de 2005. Il a été réalisé par François Walthéry, avec l’aide de Bruno di Sano, et un scénario de Mythic (Jean-Claude Smit-le-Bénédicte). Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Cette série se compose de quatre albums : Une femme dans la peau (2000) par Walthéry, Georges van Linthout et Fritax, Dans la peau d’une femme (2001), Au malheur des dames (2002), Johanna la dame des sables (2005), ces trois derniers ayant été réalisés par Walthéry, di Sano et Mythic. Ces quatre albums ont fait l’objet d’une intégrale intitulée Au bonheur des dames (2023).
Quelque part dans le désert égyptien, les heures ont passé. Johanna chevauche toujours à dos de dromadaire derrière son mystérieux bienfaiteur voilé, le colonel Max, qui l’a sauvé des griffes de Gert et Gurd dans le souk cairote. Elle commence à éprouver le mal de mer, et son guide lui indique qu’ils arriveront à leur destination à la tombée du jour, que leur lieu de repos sera plutôt spartiate et qu’il faudra attendre demain pour pouvoir bénéficier d’un bain parfumé aux herbes et d’un bon massage aux huiles essentielles. Au même moment, à des milliers de kilomètres de là, au bord du Potomac dans une salle de surveillance, monsieur Grant et sa secrétaire Maud observent un écran de surveillance, avec des civils au pupitre, et des militaires gradés sur la coursive. Ils veulent savoir où en est Target One. Réponse d’un opérateur : elle approche du contrefort rocheux, pour l’instant tout se passe comme prévu. Grant espère que cela va durer car les membres de la commission gouvernementale ont investi des fonds considérables. Un homme en civil le sourire aux lèvres intervient pour lui conseiller de penser plutôt à ce que l’entreprise risque de leur rapporter. Il possède déjà une liste de gens intéressés longue comme le bras. Il leur suffit juste de court-circuiter intelligemment le projet.
Johanna et son guide sont arrivés à une base dans le désert, avec des tentes militaires et un hélicoptère en attente. Il lui indique qu’elle a de la chance d’avoir une tente individuelle. Il ajoute : départ à l’aube, et il lui sera servi un thé à la menthe accompagné de dattes fraîches, une fois qu’elle aura pris place à bord de l’hélicoptère. Une fois le colonel Max sorti de la tente, elle mange le repas préparé sur une table basse. Elle remarque qu’elle est épiée par un voyeur, et elle décide de lui en donner pour son argent, en se déshabillant lentement. Puis elle va prendre un bain dans le petit bassin derrière sa tente. Le colonel Max n’a pas perdu une miette du spectacle. Il s’éloigne, mais il est pris de vertige, trébuche et tombe à genou, face contre terre. La crise passe et il se redresse. À la nuit tombée, alors que tout le monde dort, un petit groupe d’individus masqués attaquent. Ils neutralisent les sentinelles, une à une. L’un d’eux s’introduit dans la tente de Johanna et tente de la neutraliser. Elle se défend, mais est assommée par derrière, par un second attaquant.
C’est reparti pour une nouvelle aventure d’Antoine Aubert, enfin Johanna, enfin Isabelle, enfin c’est compliqué (non en réalité, c’est très simple). À la fin du tome précédent, elle fuyait à dos de dromadaire, sauvée par le colonel Max, dont ni elle ni le lecteur ne savent quoi que ce soit. Cette fois-ci, le scénariste Mythic opte pour une aventure dans le désert, avec une oasis, une cité troglodyte, et une reine à la tête d’un peuple de femmes utilisant les hommes comme esclaves, sans oublier les services secrets américains, et bien sûr le mystère sur l’identité du colonel Max. Il pioche dans quelques classiques de la littérature d’aventure de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle qu’il cite explicitement : She (1887, Ayesha Celle-qui-doit-être-obéit) de Henry Rider Haggard (1856-1925), et L’Atlantide (1919) de Pierre Benoit (1886-1962). Il mentionne également Jules Verne (1828-1905), Edgar P. Jacobs (1904-1987) qui se sont également inspiré du mythe de l’Atlantide. Il met à profit ces inspirations affichées pour une intrigue entre série Z et série B, qui s’apprécie mieux si elle n'est pas prise au sérieux, ce que semble d’ailleurs faire l’héroïne. Pour autant, l’histoire présente une logique interne solide avec des moments d’action bien conçus, et une dose de merveilleux qui fonctionne, à commencer par cette quasi-immortalité de la reine Salyma, les galeries de mine (ce ne sont pas celles du roi Salomon), et même une inondation. L’intrigue est menée tambour battant, avec une densité étonnante.
Ces aventures sont relevées par une touche de nudité, comme dans les tomes précédents, essentiellement féminine (les fesses et les seins), dans sept pages sur quarante-six. Ces séquences correspondent soit à un déshabillage, soit à un bain, soit à une relation sexuelle, à chaque fois avec un cadrage un peu éloigné, et une forme de naturel qui fait qu’elles ne dégagent pas de sensation érotique. En outre, la représentation des êtres humains relève d’une bande dessinée tout public, ce qui atténue encore toute forme d’érotisme. D’une certaine manière, le lecteur peut interpréter ces quelques cases de nudité comme l’absence d’hypocrisie de la part des artistes : au lieu de dessiner Natacha (hôtesse de l’air) ou Rubine (policière de Chicago) de manière aguichante mais sans rien montrer, ils représentent Johanna déshabillée, avec le même sourire craquant, et la même bonne humeur devant les imprévus de la vie. Le colonel Max parvient à masquer son visage en conservant un chèche devant le visage en toutes circonstance, ainsi que d’épaisses lunettes de soudeur, dispositif peu réaliste. Les expressions de visage sont souvent légèrement exagérées induisant un effet comique. La mise en scène ou une remarque en passant induisent également un ton humoristique : le mal de mer de Johanna parce que le vaisseau du désert (le dromadaire) tangue trop, le réflexe de Johanna de faire un striptease pour un voyeur anonyme, Max qui se retrouve dans une position avec la bouche pleine de poils de chameau, Johanna disant tout haut qu’elle éprouve la sensation de se retrouver plongée dans un décor dément pour une superproduction de Cécil B. de Mille, la reine Salyma qui vante la cuisine de sa tribu (manger sainement, n’utilisant que de l’engrais naturel pour leurs cultures, les poissons pêchés dans une onde pure et les poulets élevés au grain en totale liberté), le chien empaillé dans la galerie des ex de la reine (elle explique que c’est juste pour rendre hommage à un admirable compagnon de chasse), etc.
Dans le même temps, le scénariste et les artistes racontent ces péripéties au premier degré, sans se moquer de leurs personnages ou de leurs aventures. Comme dans les tomes précédents, le lecteur apprécie la qualité de la narration visuelle et ses forces. Les dessinateurs portent une réelle attention aux détails et à la cohérence des environnements : le désert et un scorpion qui passe au premier plan, la salle de surveillance et ses pupitres (même s’ils font un peu daté), les tentes avec leurs piquets et leurs mâts, leurs tapis, les meubles adaptés, le palais et sa salle du trône, la table de la reine et sa vaisselle (réalisée par des artisans locaux), les champs récoltés par les esclaves, les tenues diverses et variées des sujets de Salyma, l’ameublement et la décoration de la chambre de Johanna, les uniformes des soldates allemandes, la salle de la cérémonie, etc. Tout comme le scénariste, les artistes prennent leur métier au sérieux, et ne sacrifient pas la qualité de leur travail, sous prétexte qu’il s’agit d’une série de genre. Tout du long de ces pages, le lecteur peut se projeter dans chaque lieu, avoir l’impression de pouvoir jeter un coup d’œil alentour, observer des êtres humains avec des gestes et des postures adultes.
Si la nudité chronique ne destine pas pour autant cet album à des adultes, ceux-ci pourront trouver leur content dans les références à H. Rider Haggard et Pierre Benoit, ainsi qu’à la version très personnelle et légère du mythe de l’Atlantide, et à des thématiques sous-jacentes. La récupération de projets gouvernementaux par des entreprises capitalistes pour des profits économiques ouvre le bal. La surveillance des citoyens par des services secrets peu soucieux des libertés individuelles. Le fantasme de la vie éternelle. La perspective d’une société matriarcale cachée, et aussi oppressive que celle des hommes, avec ses esclaves. Les passe-droits de l’armée. L’ambition qui peut se manifester soit sous une forme de flatteries éhontées, soit sous forme de machinations mettant en œuvre la force et le crime. Le choix d’une vie de liberté et de plaisir, plutôt que d’endosser des responsabilités. En trame de fond, le lecteur retrouve toute l’ambiguïté sexuelle de Johanna, un homme dans un corps de femme. De la manière la plus naturelle du monde, celui-ci continue de trouver très agréable d’habiter un corps de femme, ayant opté pour des relations saphiques. Le lecteur finit par s’inquiéter pour lui/elle alors qu’il doit s’avancer dans la colonne de feu dont la flamme fait renaître la femme et brûle l’homme. Sans oublier que d’une manière générale, l’histoire présente les relations sexuelles comme étant normale et allant de soi, une partie de plaisir consentie, débarrassée de tout jugement moral, ou de valeur morale.
Un quatrième tome des aventures d’Antoine Aubin dans le corps d’une jeune femme accorte et peu farouche, pour des scènes gentiment coquines, et des péripéties rocambolesques. Une bande dessinée réalisée par de solides artisans, avec un goût pour la série B consistante, tant sur le plan de l’intrigue, que sur celui de la narration visuelle, pour un divertissement agréable, amusant, sans prétention, discrètement provocateur.
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