mardi 18 juillet 2023

Le Mercenaire T13 La Délivrance 2

Mercenaire, bien des choses sont arrivées, hélas toutes mauvaises.


Ce tome fait suite à Le Mercenaire - Tome 12: La Délivrance (2002). La première édition de ce tome date de 2004, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. L’intégralité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Le troisième tome de l’intégrale contient une nouvelle de vingt-trois pages, illustrée par vingt-quatre tableaux de la main de l’auteur, apportant une fin au récit : Le Mercenaire T14 Le jour ultime. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : La délivrance 2.


Le grand lama a convoqué sa petite-fille Ky et Mercenaire car il a une mission urgente à leur confier. Le petit Wor l’a contacté pour lui faire part d’une nouvelle très inquiétante. Et cela n’a pas été chose facile. S’il en croit les faits qu’il parvient enfin à rapporter maintenant, mais qui se sont déroulés il y a déjà plus de dix jours. Kay demande à quel point la nouvelle est inquiétante. Le grand lama répond : au point de mettre en péril leur existence. Il y a eu un coup d’état au royaume des lézards. Le père de Wor a été destitué. Les militaires désapprouvaient sa politique d’ouverture. Ils veulent clairement s’assurer du silence des habitants du monastère de l’Ordre du Cratère. Ils finiront, soit en prison à vie, soit exécutés. Le pire étant qu’ils ne vont pas tarder. Wor disait qu’ils attaqueraient une dizaine de jours plus tard. Maintenant, donc. Ky se dit qu’ils doivent pouvoir faire quelque chose, mais Mercenaire estime que contre ces lézards, ils sont sans défense. Pour autant, il décide qu’il faut quand même préparer un plan d’évacuation sur le champ. Peut-être s’enfuir par les galeries du lac aux eaux acides ? Le son de l’arrivée du grand vaisseau des lézards se fait entendre. Le grand lama décide qu’il est trop tard et que la fuite serait futile. En revanche, Ky a raison, il est possible de faire quelque chose. Il leur ordonne d’enlever leurs armures, d’aller chercher des armes légères et de revenir dans cette salle, rapidement, sans en parler à personne, par même à Nan-Tay.



Côté lézards, la situation est bien maitrisée : la surprise a été totale, trois humains sont morts, deux ont disparu, mais tous les autres ont été capturés. Sous les ordres de leur général, les lézards rassemblent tous les humains dans la grande salle du monastère. Le général décide de clore l’affaire en faisant exploser le cratère avec les humains dedans. Ainsi, personne ne pourra témoigner, ni ceux dans la salle, ni ceux qui manquent à l’appel. C’est un ordre ! L’un des capitaines proteste : ils ne peuvent pas faire ça sans l’autorisation du conseil d’état. Le général passe outre cette objection. Le grand lama s’avance vers lui : il lui fait observer qu’il avait prévu de les éliminer dès le début, qu’il n’est qu’un vulgaire assassin. Le capitaine s’en prend au grand lama et le gifle. Nan-Tay s’interpose, récupère une arme à la ceinture du général et l’utilise pour le décapiter. Le capitaine se voit dans l’obligation de prendre le commandement. Il ne peut assumer l’ordre du général.


Les révélations énormes du tome précédent avaient laissé le lecteur dans un état de manque, et se demandant ce qui allait lui tomber dessus dans la seconde partie. Il a conscience aigüe qu’il s’agit du dernier tome de la série, en format BD, et comme pour le précédent il y vient avec la ferme intention de profiter pleinement de la narration visuelle, de chaque lieu, chaque action d’éclat, et de chaque moment plus calme avec les personnages. L’artiste sait le prendre par les sentiments puisqu’il ouvre cet ultime tome avec une case de la largeur de la page sur la formation circulaire des falaises dans lesquelles se niche le monastère de l’Ordre du Cratère. Le lecteur s’emplit les mirettes d’une vision du même cratère, à partir d’un autre point de vue, celui des sources chaudes. L’artiste termine son récit avec deux autres représentations de cet endroit si remarquable dans la dernière page, les sommets des toits dépassant même de la couche glacée. La composante science-fiction présente dans le tome précédent reprend de plus belle, avec dans la deuxième planche, un dessin en pleine page montrant la Machine de Vie (un énorme vaisseau aérien d’une forme remarquable), et une navette aérienne plus petite en premier plan. Une partie du récit se déroule dans le monde souterrain où se sont réfugiées les trois amazones survivantes (Anna, Caterina, Isabella) avec Karim dans le tome précédent, l’occasion pour l’artiste de réaliser de splendides camaïeux rendant compte de l’ambiance lumineuse unique, et de la manière dont elle fait ressortir le relief des parois, et la couleur de l’eau. Le vol à dos de dragon est, malheureusement (soupir), réduit à la portion congrue dans ce tome, mais le lecteur bénéficie de plusieurs séquences de vol dans de petites navettes, avec de magnifiques cieux d’une couleur enchanteresse. Il accompagne les personnages dans d’autres formes de voyage : un court passage sous l’eau avec un rendu superbe du bleu, plusieurs déplacements en barque avec le jeu de la lumière de reflétant sur l’eau et créant de discrètes fluctuations sur les parois, et une case splendide occupant les deux tiers d’une page, d’une petite barque glissant sans bruit sur un fleuve d’une tranquillité absolue, dans un boyau gigantesque sous terre.



L’auteur a conçu une intrigue bien dense, donnant lieu à de nombreuses séquences différentes, certaines à couper le souffle : l’arrivée du vaisseau La machine de Vie, le coup d’éclat de Nan-Tay tuant le général en trois cases, un lézard au casque transpercé par une flèche décochée par Mercenaire, les vols successifs de la petite navette aérienne dans le monde souterrain, le puits de lumière correspondant au moteur antigravitationnel, la découverte de la cité souterraine des Atlantes, l’hologramme interactif gigantesque permettant à Wor de communiquer avec le seigneur, etc. Segrelles soigne tout autant la représentation de ses personnages : les armures de Ky et de Mercenaire font plus vraies que nature, la peau des lézards est écailleuse à souhait avec une texture presque visqueuse, il faut voir les habitants du monastère éplorés en portant le corps de Nan-Tay et en soutenant le grand lama, l’assurance qui se lit sur le visage de Ky, l’inquiétude qui se lit sur celui des Atlantes qui transgressent la loi, la gentillesse déterminée du jeune Wor. Comme d’habitude, la coiffure de Mercenaire reste impeccable du début à la fin, même en plaine scène d’action échevelée. En revanche, une transformation pilaire prend le lecteur par surprise : le grand lama est contraint de se raser la barbe !


Pour ce dernier tome, qui n’avait peut-être pas été programmé en tant que tel, le scénariste a continué à densifier son intrigue, avec un nombre d’événements qui s’enchaînent rapidement. Le tome précédent avait donc introduit une nouvelle race d’individus dotés de conscience sur Terre : des reptiles anthropomorphes, surnommés Lézards par les humains, en plus des Atlantes qui étaient déjà présents, et de l’existence d’une Terre parallèle dénommée Geos. En outre, ces lézards utilisent une technologie bien supérieure à celle des êtres humains, une technologie de science-fiction à une époque désignée comme correspondant au onzième siècle. Sans oublier les trois amazones survivantes de la cité volante. La tendance à renforcer la continuité se confirme dans cette seconde partie. Segrelles raconte son histoire au travers des personnages principaux qu’il a développés précédemment (Mercenaire, Grand Lama, Nan-Tay, Ky) et ceux qu’il a introduit plus récemment (Karim, Wor). Andolfo de Vinci n’a droit qu’à une très courte apparition. Comme tout du long de la série, ces protagonistes ne présentent pas une personnalité très développée, même si Mercenaire bénéficie d’un peu plus de répliques que d’habitude. Le lecteur va ainsi de surprise en surprise, dans une course pour soigner Nan-Tay, et pour déjouer l’ordre d’anéantissement donné par le général des lézards.



Le déroulement du récit repose sur la volonté d’un peuple d’assurer sa pérennité, en éliminant toute une population qui ne les a pas agressés. Au cours de l’histoire, l’auteur fait apparaître que cette intention est l’œuvre d’un conseil d’état, et du zèle d’un général, mais qu’une partie de la population ne souscrit pas à cette solution d’extermination. Outre les héros luttant pour assurer la survie de leur communauté, Segrelles met également en scène une communauté d’Atlantes, vivant sous la dictature des Lézards, certains prêts à aider les humains blessés. Toutefois, il s’avère que certains Atlantes ont plus à cœur la survie de leur propre communauté, et qu’ils l’érigent en intérêt supérieur, préférant une survie dans une dictature, plutôt qu’une extermination assurée. Le salut à espérer se trouve dans le cœur pur d’un enfant. La progression dramatique peut passer à l’arrière-plan du fait de la densité de l’intrigue, pour autant le récit développe le point de vue qu’il existe des alternatives à la survie d’une communauté en recourant à l’extermination d’une autre.


Petit pincement au cœur puisqu’il s’agit du dernier tome de bande dessinée de cette série atypique, tant par la qualité hors du commun des illustrations que le rôle primordial des femmes dans ce récit de genre Fantasy. Le scénariste semble habité par des idées tellement nombreuses qu’il opte pour une narration compressée, mais restant facile à suivre. La narration visuelle présente toujours ce niveau de qualité enchanteur. De nombreux éléments d’intrigue viennent trouver leur résolution dans ce tome qui accentue le regret qu’il n’y en ait plus d’autres après.



4 commentaires:

  1. "il faut voir les habitants du monastère éplorés en portant le corps de Nan-Tay et en soutenant le grand lama" Cette séquence, que l'on peut voir dans ton dernier scan, me fait énormément penser aux tableaux de Dürer ou à ceux de ses contemporains, voire plus anciens. Je ne sais pas si il s'agit d'un hommage précis mais cette case est très marquante.

    Sinon complètement d'accord avec toi, dont ta conclusion. Mais c'est sûr que je la relirai plusieurs fois, cette série. Tiens, dans l'intégrale, le nom des deux derniers tomes a encore changé : Le sauvetage au lieu de la Délivrance.

    Il me reste à lire la dernière histoire sous forme de nouvelle et les bonus : les as-tu lus ? Serait-il possible que tu déroges à tes habitudes et fournisse une chronique sur une nouvelle illustrée ? Après tout, tu as pu le faire sur des romans-photos, non ?

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    1. Promis : il y aura une chronique pour le tome 14 Le jour ultime, vraisemblablement d'ici quinze jours.

      Merci beaucoup pour cette référence à Dürer car j'avais l'impression diffuse que certaines cases m'évoquaient des chefs d'œuvre de la peinture, sans réussir à mettre le doigt dessus.

      Pour les titres, je m'en suis tenu à la parution en tome par tome, sans reprendre les traductions de l'intégrale, même si ces dernières me semblent plus fidèles.

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  2. "La composante science-fiction présente dans le tome précédent reprend de plus belle" - C'est ça qui était bon, dans cette série, cette évolution aussi progressive qu'inattendue (encore que...) de la fantasy à la science-fiction.

    "de nombreuses séquences différentes, certaines à couper le souffle" - C'est très vrai, c'est quelque chose d'inhérent à la série, chaque tome répond présent. Segrelles ne s'est jamais fichu de son lectorat, tout le monde ne peut pas en dire autant. C'est beau, la conscience professionnelle (et de pouvoir prendre le temps, aussi).

    "ce tome qui accentue le regret qu’il n’y en ait plus d’autres après." - Hélas, oui. Comme je te l'ai déjà écrit, à l'époque j'espérais un peu naïvement la sortie d'un autre tome. L'espoir s'est atténué au fil du temps, je suppose que c'est moins frustrant que lorsque l'on relit la somme après quelques années.

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    1. Quelque chose d'inhérent à la série : 100% d'accord avec ton paragraphe. Je n'ai jamais eu l'impression que Vicente Segrelles soit moins investi dans un tome, parfois peut-être dans une planche avec des fonds vides, et même dans ces quelques occurrences, je le voyais plus comme un mode de narration visuelle réfléchi que comme une façon de gagner du temps.

      Je te confirme que de savoir que c'est le dernier tome diminue d'autant la frustration ressentie, même si j'en aurais bien lu d'autres.

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