mardi 9 mai 2023

Le Mercenaire T08 L'An mil

Comprendre… Là-haut dans le ciel, dans l’espace demeurent des phénomènes incompréhensibles.


Ce tome fait suite à Le Mercenaire T07 Un rêve inquiétant (1995). La première édition de ce tome date de 1996, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. L’intégralité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : L'An mil.


Au pays des nuages permanents, le monastère de l’Ordre du Cratère porte bien son nom niché dans une formation géologique extraordinaire, à côté d’une cascade circulaire. Le grand lama indique à Mercenaire que les choses sont ainsi : selon ses calculs, il ne reste plus que trois ans et deux jours avant la fin du monde d’ailleurs, les chrétiens le savent bien : à l’orée de l’an mil, la fin du monde adviendra. Il peut le croire, car la conjonction astrale ne se trompe jamais. Le pont levis est abaissé et un moine pousse les vantaux du grand portail, pendant que d’autres s’affairent autour. Nan-Tay les accompagne et les regarde enfourcher leur monture : Mercenaire en armure et le grand lama se juchent sur le dos de leur dragon, parés à prendre leur envol. Elle demande à Mercenaire de bien prendre soin du grand Lama. Toutefois Mercenaire se plaint de leur défiance : il est des leurs depuis un bout de temps. Il s’est toujours montré fidèle et digne de confiance. Ça le blesse de toujours être le dernier à savoir ce qui se passe. Nan-Tay perd son calme : lui, il peut vivre heureux trois années complètes encore, en baignant dans une douce ignorance. Elle ajoute qu’on ne réalise ce qu’on avait que lorsqu’on le perd, et puis il peut encore refuser cette mission. Même le grand lama lui demande de ne pas se montrer ingrat : Nan-Tay a insisté pour mercenaire l’accompagne. Il va avoir le privilège d’assister à un phénomène inconnu du plus grand nombre. Les deux hommes partent au-dessus des nuages.



Après un long vol, le grand lama et Mercenaire passent une nuit à la belle étoile sur les hauteurs. Le lendemain, ils parviennent à destination : un promontoire rocheux surplombant une vallée enneigée. Le grand lama demande à Mercenaire de lui apporter la montre, une invention d’Andolfo de Vinci. Mercenaire lui fait remarquer que les montures sont très nerveuses, et pour sa part il ressent un drôle de fourmillement. Son compagnon de voyage lui explique : c’est dû à l’altération magnétique, d’ailleurs son armure gênera Mercenaire. Le processus est bien enclenché. Mercenaire va voir la croûte d’une autre planète s’introduire dans la leur. Rien qu’un frôlement. C’est le cas, comme tous les trois ans : le cycle, se répète et c’est ce qui causera la fin des mondes, la prochaine fois. Ils vont assister à quelque chose de l’ordre infiniment petit, de l’espace interatomique. Les deux planètes se trouvent dans différentes dimensions. C’est l’heure. Des lumières étranges se manifestent. Le contact va s’établir deux jours durant. Mais les lumières ne seront présentes qu’au début et à la fin.


Pour la troisième fois, une histoire commence sans lien avec la précédente. Toutefois, celle-ci met en scène Mercenaire et un autre personnage principal de la série : le grand lama, même si ce dernier n’a guère été développé précédemment. Le lecteur retrouve plusieurs éléments récurrents de la série, à commencer par un vol paisible à dos de dragon. L’artiste régale le lecteur avec des cases où la prise de vue s’effectue à bonne distance, offrant ainsi une vue imprenable et enchanteresse sur les paysages survolés. Le lecteur en profite également pour admirer les couleurs prises par le ciel, en fonction du moment de la journée. Lorsque le phénomène lumineux accompagnant le phénomène de jonction entre les deux planètes se produit, la mise en couleur devient encore plus séduisante : tout d’abord en faisant penser à un feu d’artifice, puis une sorte de nuée entre l’aurore boréale et la pluie de comètes, et enfin cette fluorescence verte. Par la suite, l’ambiance lumineuse devient grisâtre du fait de l’état de l’autre monde, et de la présence d’une couche de gaz solidifié. Lorsque ces pérégrinations l’emmènent sous cette couche, Mercenaire et son guide pénètrent dans un monde baignant dans une ambiance lumineuse verte, faite de plusieurs nuances anglais, glauque, poireau, prasin, sauge Véronèse. L’artiste ne se contente pas de camaïeux à base de vert pour remplir les fonds de case : il réalise des décors en couleur direct, à la conception sophistiquée. Lors du départ de Mercenaire, le phénomène lumineux se répète et le lecteur en savoure chaque miette.



Une nouvelle aventure sans lien apparent avec les précédentes, si ce n’est qu’elle se déroule dans le même monde, à peu près dans la même zone géographique, mais toujours sans revenir sur le géant du tome six ou le peuple fée du tome sept. Par un phénomène entre science-fiction et surnaturel, Mercenaire se retrouve sur une autre planète, avec pas moins que la survie de deux planètes en jeu. Il est pris en charge par un homme âgé et toujours vaillant qui maîtrise une technologie qui dépasse de plusieurs siècles celle du monde de Mercenaire. Dans la première page, le grand lama fait référence à l’an mil, et une note en bas de page précise qu’il s’agit d’une référence au millénarisme, une doctrine chrétienne qui situait la fin du monde et le jugement dernier après que mille ans se fussent écoulés. Le lecteur ne prend pas ce marqueur au pied de la lettre car il a déjà pu observer que le monde de Mercenaire diffère de la réalité historique. En revanche le monde sur lequel il aboutit relève de l’anticipation de la Terre, voire de la science-fiction. Il se fait également la remarque que l’auteur semble apprécier l’usage de la note en bas de page : celle sur le millénarisme, puis une sur le fait qu’au moyen-âge l’une des plus grandes offenses était d’attraper un homme par la barbe, et enfin une sur Sthéno qui était l’une des trois gorgones (celle capable de transformer en pierre ceux qui la regardaient dans les yeux). Visiblement, l’auteur continue de faire un ou deux emprunts à une mythologie à une autre, après la civilisation de l’Égypte antique dans le tome six, c’est celle de la Grèce antique, avec une gorgone et une mention d’un certain Zeus, sans oublier deux chevaux ailés.


Comme d’habitude, le lecteur trouve son content dans la narration visuelle, indépendamment de l’intrigue. Après le vol à dos de dragon et les jeux de lumière, il admire les pitons rocheux, la carcasse à demi calcinée d’un dragon, une sorte de station scientifique adaptée à un environnement de basses températures, un module d’exploration mi char mi navette d’atterrissage, une navette volante particulièrement profilée pour un aérodynamisme optimal, une base scientifique stérile avec des scaphandres, un océan qui donne envie d’y plonger, ce que fait Nan-Ky à deux reprises. Il sourit en découvrant que l’artiste n’oublie pas de faire montre d’un brin de facétie, par exemple quand Ky et Mercenaire découvrent littéralement un squelette dans le placard, ou la forme de la capsule dans laquelle Ky souhaite se faire emporter qui évoque fortement un sarcophage ou un caisson d’hibernation. Certes, Mercenaire continue d’être impeccablement coiffé avec sa raie sur le côté, et la coiffure de Nan-Ty semble bien élaborée pour une personne vivant seule depuis des années, sans personne pour lui couper les cheveux. Mais qu’importe, le dépaysement agit toujours à plein, avec ces environnements fantastiques qui invitent au voyage.



Une mission bien mystérieuse pour Mercenaire, ni le grand lama ni Nan-Tay ne souhaitant lui fournir d’explications. Deux planètes coexistant dans le même espace, mais dans des dimensions différentes, et la coïncidence bien pratique qui fait que Mercenaire sait parler la langue de Ky. Que nenni ! Point de coïncidence : après le tome précédent, le lecteur savait que la science-fiction peut s’inviter dans la série, en revanche il était incapable de prévoir cette destruction assurée, ou la révélation fracassante de Ky, l’homme âgé qui le guide sur l’autre planète. Sans avertissement aucun, le scénariste décide d’ouvrir encore plus l’ampleur de son monde, en développant le fait que le grand lama ne dispose pas du secret de la poudre explosive par hasard ou par chance, et que Nan-Tay dispose également d’une histoire personnelle qui ne se réduit pas à un apprentissage des armes. Ces explications s’intègrent sans solution de continuité à la trame générale de la série, sans que le lecteur ne puisse deviner si Vicente Segrelles en avait l’idée depuis le premier tome, ou s’il improvise au fur et à mesure de sa série. En outre, l’histoire ne fonctionne pas uniquement sur le principe d’explications renversantes, elle recèle plusieurs moments poignants, que ce soit la vie en solitaire à laquelle Nan-Ky est promise ou l’acceptation par le grand lama de la perte qu’il subit.


Décidément, plus la série continue, moins le lecteur sait à quoi s’attendre. L’auteur a l’art et la manière de tenir les promesses implicites de l’horizon d’attente avec les personnages récurrents, les vols à dos de dragon et les scènes spectaculaires, tout en explorant des pans insoupçonnés et inattendus du monde qu’il a créé. Le lecteur y trouve son compte, reprenant son voyage aux côtés de Mercenaire, avec ses surprises, ses pages superbes, et ses découvertes inattendues.



9 commentaires:

  1. Comme toi je ne m'attendais pas du tout à autant de SF et autant de références à la physique et à la chimie, mais c'est une surprise agréable et qui colle bien avec les histoires précédentes, le monde s'enrichit en gardant une cohérence inattendue. Du vrai beau boulot. Je note également que la narration ne prend pas le lecteur par la main, il y a peu de dialogues donc peu d'explications, ce qui est le contraire de Blake et Mortimer donc même si Barbüz les rapproche ici (à raison) à cause de l'Atlantide.

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    1. Peu de dialogues donc peu d'explications : je n'y avais pas pensé sous cet angle-là, c'est vrai que cela participe à un sentiment de liberté plus grand au cours de la lecture, par exemple pouvoir profiter du vol silencieux à dos de dragon, sans avoir l'impression de devoir penser à tout ce que raconte le texte en même temps.

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  2. Merci pour le lien !

    une ambiance lumineuse verte, faite de plusieurs nuances anglais, glauque, poireau, prasin, sauge Véronèse. - Connaissance exhaustive des nuances de vert : c'est impressionnant !

    et la coiffure de Nan-Ty semble bien élaborée pour une personne vivant seule depuis des années, sans personne pour lui couper les cheveux. - Mon cher présence, tu sous-estimes la volonté d'entraide des membres du monastère de l'ordre du Cratère. Je suis sûr qu'il y a un coiffeur dans le lot. Je sens aussi pointer chez toit une forme de jalousie à l'égard de la coiffure de notre ami Mercenaire. Non, Présence, tu n'auras pas ta poupée Mattel.

    Décidément, plus la série continue, moins le lecteur sait à quoi s’attendre. - Je me demande dans quelle mesure Segrelles avait peur du manque d'originalité d'une série d'Heroic Fantasy, que le temps aurait fini par reléguer aux oubliettes. Ses emprunts divers et variés lui permettent de se construire sur une belle originalité et d'assurer une place à part à sa série.

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    1. Le truc pour les couleurs : la page wikipedia correspondante car elle comprend un nuancier fort utile pour paraître savant, ou tout simplement pour parler couleur avec un peu plus de vocabulaire. Tout en bas de la page, il faut demander à afficher Teintes de vert :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Vert

      Ouin !!! Cela fait deux fois que tu me nargues avec une poupée Big Jim sous le nez.

      Est-ce que Segrelles avait peur du manque d'originalité d'une série d'Heroic Fantasy ? - Je n'y avais pas pensé avec ce point de vue : intéressant. Je pensais à Thorgal où j'y avais plus vu une inspiration qui vampirise les originaux, alors qu'ici je trouve que ces explorations enrichissent la série et qui rendent hommage aux originaux.

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    2. Intéressant ce lien vers les couleurs, merci beaucoup. Tout comme la réflexion sur la différence entre Thorgal et Le Mercenaire fait sens, je n'y avais pas encore pensé en ces termes.

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    3. Un team-up jyrille & Barbüz sur un album de Thorgal ?

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    5. J'ai lu et chroniqué les vingt-neuf premiers tomes de "Thorgal" ; après ça, et même si j'estime avec le recul que mes articles sont perfectibles, je ne sais pas si j'aurais "le courage" d'y revenir. Cela étant, m'y repencher avec un autre passionné me permettrait peut-être de découvrir quelque chose que je n'avais pas vu à l'origine. Pourquoi pas ?... Il faudrait que l'idée fasse son chemin.

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    6. Pareil, je garde l'idée dans un coin !

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