Quelle horreur, ces tentacules !
Ce tome fait suite à Centaurus T04 Terre d'angoisse (2018) qu’il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome car il s’agit d’une histoire complète, se terminant dans le présent tome. Sa première publication date de 2019. Il compte quarante-six planches de bande dessinée. Il a été réalisé par LEO (Luiz Eduardo de Oliveira) & Rodolphe (Rodolphe Daniel Jacquette) coscénaristes, et Zoran Janjetov, dessinateur et coloriste. Ce trio a ensuite réalisé la série Europa.
À bord du vaisseau monde, le gouverneur Korolev s’adresse à une immense foule mécontente, depuis le balcon du siège du gouvernement. Les habitants manifestent contre le port des masques et contre le rationnement. Le gouverneur se positionne bien en vue, écarte les bras et prend la parole. Les interpellant comme des amis, des compagnons, il explique qu’il est ici pour répondre à leurs interrogations et leurs inquiétudes, mais aussi pour leur annoncer une nouvelle. Une grande nouvelle !! Une formidable nouvelle !! Cette expédition a enfin atteint le but de son voyage : ils sont arrivés, la terre promise est à eux. Le commandant Mary-Maë Randolf a réalisé toutes les mesures et toutes les analyses nécessaires prouvant que cette planète est compatible avec leurs organismes. Une seconde navette va incessamment rejoindre la première avec des équipes techniques ayant pour charge de construire un premier port et des centres d’accueil. Dans les semaines qui viennent un numéro correspondant à une date de départ puis d’installation sera attribué à chacun d’entre eux. Une nouvelle vie va s’ouvrir à eux ! Une vie libre sur une planète où ils pourront tous s’établir et vivre heureux.
Dans l’immédiat, le gouverneur les invite à regagner tranquillement leurs villages et leurs domiciles. Le système de distribution d’oxygène est en train d’être réparé. Les réserves indispensables seront rétablies d’ici quelques jours. De retour dans son bureau, Korolev précise à Ethel que la distribution d’oxygène est plus ou moins réparée, puis il s’enquiert de savoir si Yoko Ayashi a été retrouvée. Il n’en est rien. Il n’est pas tranquille : la personne qui se fait appeler Yoko a fait des années durant un énorme travail de brouillage et de manipulation pour les faire dévier de leur route, afin de les faire débarquer sur cette planète et non sur Véra. Il ne peut s’empêcher de craindre qu’il s’agisse peut-être d’un piège, et il regrette l’absence du vice-gouverneur Mendoza. Ayant fini sa journée, Ethel rentre dans ses appartements et se douche. En ressortant de sa douche, elle découvre Yoko assise sur son lit, qui la menace d’une arme. Puis Yoko se ramasse sur elle-même et fond en larmes. Ethel s’assoit à côté d’elle et lui demande ce qui se passe, pourquoi elle les a trahis. Des flashs assaillent l’esprit de Yoko : elle revêtue d’une longue tunique amérindienne dans une forêt, un voyage dans une soucoupe volante et l’approche silencieuse du vaisseau-monde dans un scaphandre, la modification de la programmation des installations techniques du vaisseau-monde.
En entamant ce dernier tome, le lecteur s’attend à retrouver la narration visuelle si concrète et plausible, ainsi que les réponses à tous les mystères des tomes précédents, et une fin en bonne et due forme. Comme à son habitude, Zoran Janjetov réalise des planches soignées et méticuleuses, d’une très grande qualité descriptive. Le lecteur sent que le taux de moments spectaculaires est plus élevé : la scène où le gouverneur Korolev s’adresse à la foule massive, la fuite de Yoko Ayashi dans les couleurs du vaisseau monde avec l’ambiance lumineuse rouge, la manifestation très dense de tentacules, Bram prenant littéralement June sous son bras pour l’emmener dans la première navette, la révélation de la vraie nature de grand-père, l’intervention de la soucoupe volante pour tirer au canon laser sur les tentacules, le sort final de la planète, la réception avec petits fours à bord du vaisseau-monde. À nouveau, le lecteur peut se projeter dans chacun des lieux car ils sont représentés dans le détail, conçus avec intelligence, à la fois pour leur disposition et leur aménagement, à la fois pour leur topographie.
Le lecteur retrouve les personnages qu’il a pu croiser, côtoyer ou accompagner pendant les tomes précédents : les dessins lui permettent de les identifier du premier coup d’œil. Il se rend compte que l’artiste a également investi du temps pour la direction d’acteurs. Par exemple, le gouverneur Korolev apparaissait froid et un personnage purement fonctionnel dans les premiers tomes. Là, ses postures introduisent des nuances : son comportement très officiel face à la foule pour convaincre, sa posture toujours rigide et ses expressions moins accommodantes pour demander des points de situation sur les recherches concernant Yoko Ayashi ou le rétablissement de la communication avec Mary-Maë Randolf, et sa posture plus harassée alors qu’il prend quelques instants de repos sans pouvoir s’empêcher de penser aux responsabilités qui pèsent sur lui quand il prend des décisions qui engagent toute la population du vaisseau-monde. Le lecteur se rend compte qu’il éprouve également de l’empathie pour Bram Roscoff qui montre une belle assurance dans les situations à risques, pour Richard Klein qui fait montre d’une solide compétence professionnelle, pour Pierre de Bourges alors qu’il se sent submergé par la culpabilité au regard des actes qu’il a accomplis. Même Jenny Goldman acquiert enfin un minimum de personnalité alors qu’elle questionne l’extraterrestre survivant, ou qu’elle rend compte de ses hypothèses au gouverneur Korolev.
La narration visuelle comble le lecteur par sa précision, sa minutie, sa capacité à créer des environnements palpables, et à mettre en scène des êtres humains crédibles et expressifs. De leur côté, les coscénaristes mènent leur intrigue à bien. La nature de la menace a été révélée dans le tome précédent, et le lecteur sait qu’il n’existe que deux issues possibles, l’une menant à la fin de l’expédition, l’autre lui permettant d’en réchapper avec des pertes plus ou moins élevées. Sur ce plan-là, LEO & Rodolphe apportent une conclusion définitive. Ils prennent soin d’expliciter l’ampleur de la menace constituée par l’entité logée dans cette planète, et de montrer par quels moyens les humains peuvent lutter contre, comment ils les obtiennent et comment ils parviennent à en faire usage. Les événements survenant sur le vaisseau-monde et ceux survenant sur la planète entraînent des conséquences entre eux, et la conclusion permet une forme de réunification entre ces deux fils narratifs qui s’étaient séparés au cours du premier tome. L’identité des individus ayant utilisé les scaphandres figurant sur la couverture du tome trois est révélée, ainsi que leur mission et la manière dont ils s’y sont pris. Le sort de la mission de colonisation est réglé à la fin de la série.
Les coscénaristes ont construit la dynamique de leur intrigue sur une fuite en avant, passant d’un mystère à une énigme, et apportant une réponse complète ou partielle à un mystère précédent. Cette dynamique incite le lecteur à s’interroger en même temps que les lecteurs sur le sens à donner à tel ou tel événement, à telle ou telle découverte. Par exemple, il a encore en tête le dinosaure du tome un, la sphère flottante du tome deux, les petits humanoïdes gris des tomes deux et quatre, ou encore les amérindiens. Les auteurs donnent une explication sur la présence de ces derniers, mais sans détailler comment ils ont survécu pendant aussi longtemps depuis leur enlèvement. Le dinosaure, la sphère et les petits gris ne sont pas mentionnés, aucune explication n’est donnée à leur sujet. En fait, Jenny Goldman indique explicitement qu’elle regrette de ne pas pouvoir poser plus de question à l’extraterrestre survivant, car il subsiste beaucoup de questions sans réponse. Le lecteur prend cette remarque avec un grain de sel, car lui aussi aurait bien aimé avoir une réponse auxdites questions. Son esprit critique et analytique étant en échauffé, il se pose également d’autres questions. Comment les deux intrus en scaphandre ont-ils pu rejoindre le vaisseau-monde ? Comment l’ont-ils localisé ? Quelle est leur origine réelle, car ils ne sont pas constitués de tentacules, ni d’origine amérindienne ? Tout aussi gênant, quel est l’avenir du vaisseau-monde ? Dans le tome précédent, le gouverneur Korolev énonçait à haute voix qu’il était à bout de course, et là, plus personne ne semble s’en préoccuper…
Cette série arrive à son terme, avec une narration visuelle toujours aussi solide et bien pensée pour donner à voir ces environnements de science-fiction, avec une consistance remarquable. Peut-être plus que dans les autres tomes, la direction d’acteurs apporte l’épaisseur émotionnelle et personnelle attendue pour les protagonistes. Les coscénaristes prennent grand soin de mener leur intrigue principale à son terme, pour apporter une fin satisfaisante. Dans le même temps, ils semblent laisser derrière eux un certain nombre de mystères qui ne trouvent pas d’explication, ce qui génère une frustration plus ou moins gênante pour le lecteur en fonction qu’il s’agisse de détails secondaires, ou bien d’un élément central dans l’intrigue.
il s’agit d’une histoire complète, se terminant dans le présent tome. - Une série de cinq tomes, expédiée comme ça, en l'espace de quelques semaines. Chapeau bas !
RépondreSupprimerLa narration visuelle comble le lecteur par sa précision, sa minutie, sa capacité à créer des environnements palpables, et à mettre en scène des êtres humains crédibles et expressifs. - Exactement. Il y a cet aspect figé, bien entendu, mais quelles planches, quand même.
Dans le même temps, ils semblent laisser derrière eux un certain nombre de mystères qui ne trouvent pas d’explication, ce qui génère une frustration - Effectivement, pour moi c'est une friction très importante, et je déteste laisser derrière moi des scènes que je n'ai pas comprises ou des éléments que j'ai ratés. En général, je ne laisse pas passer ; ça se ressent invariablement dans mes commentaires et dans la note que j'attribue à l'ouvrage en question.
Finalement, je remarque que tu conclus ta lecture sur une note plus positive que ce que tes précédents commentaires laissaient envisager.
Quand je regarde les séries dans lesquelles tu progresses régulièrement, je ne fais pas des complexes, mais presque. 5 tomes c'est très modeste comparé à Tif et Tondu, Monster, Ric Hochet, sans parler des intégrales Marvel.
SupprimerLa narration visuelle : si seulement, Janjetov pouvait disposer de bons scénaristes.
Effectivement, pour moi [...] l'ouvrage en question. - Pour le fun, les notes en étoiles que j'ai attribuées sur Babelio :
- Tome 1 : 4 étoiles
- Tome 2 : 5 étoiles
- Tome 3 : 3,5 étoiles
- Tome 4 : 3 étoiles
- Tome 5 : 2 étoiles