jeudi 6 avril 2023

Centaurus T02 Terre étrangère

Quelle autre explication donner ?


Ce tome fait suite à Centaurus T01: Terre promise (2015) qu’il faut avoir lu avant car il s’agit d’une histoire complète en cinq tomes. Sa première publication est survenue en 2016. Il a été réalisé par LEO (Luiz Eduardo de Oliveira) & Rodolphe (Rodolphe Daniel Jacquette) coscénaristes, et Zoran Janjetov, dessinateur et coloriste. Ce trio a ensuite réalisé la série Europa.


À bord de leur engin à chenilles, le groupe de reconnaissance est arrivé devant une muraille, avec une grande porte métallique fermée. Ils s’arrêtent et Feng Liu utilise un pistolet grappin pour accrocher une corde à l’extérieur de la salle qui surplombe l’entrée. Il monte à la corde, pendant que les autres, restés dans l’engin découvert, observent les alentours. Il rend compte par la fenêtre : il n’y a personne, tout est à l’abandon. Il enjoint à Richard Klein, ingénieur et pilote, de monter car il y a un panneau plein de boutons qui doit commander l’ouverture de la porte. L’autre s’exécute et examine ledit panneau. Il prend une batterie à sa ceinture, et établit un circuit entre elle, le panneau de commande et son fusil. Il explique au spécialiste de la sécurité que cette technologie extraterrestre doit, elle aussi, suivre les lois de l’électromagnétisme. Effectivement, le panneau se réactive, et ils parviennent à ouvrir la porte : l’engin progresse à l’intérieur de ce qui s’avère être une énorme place ceinte de murailles. Mary-Maë Randolf, la coordinatrice générale, leur indique qu’ils vont rester ici un moment : s’il y a des habitants, il faut leur laisser le temps de se faire à leur présence. June, la parapsychique, ne ressent rien de particulier, une vague inquiétude tout au plus. Tout d’un coup, elle s’exclame qu’on les épie. Les autres ne voient rien.



Au bout de quelques instants, un groupe de petits humanoïdes blanchâtres, sans vêtements, apparaît dans l’une des ouvertures. Ils commencent à se diriger silencieusement vers le véhicule. Mary-Maë Randolf en descend et marche doucement vers eux en tenant ses mains en l’air, paumes en avant, pour montrer qu’elle n’est pas armée. Le groupe, maintenant fort de plusieurs dizaines de membres s’avance vers elle. Feng Liu déclenche un tir de laser à leurs pieds, ce qui les fait fuir à l’abri du bâtiment d’où ils étaient venus. La coordinatrice générale lui demande pourquoi les avoir effrayés comme ça. Pierre de Borges lui fait observer qu’ils allaient l’encercler. Le spécialiste de la sécurité renchérit : ils ne pouvaient pas prendre le risque de les laisser l’encercler. L’ingénieur ajoute que si ces êtres sont intelligents, ils ressemblent plutôt à des indigènes primitifs, et de ce fait peuvent être potentiellement dangereux. Toute l’équipe reprend place à bord du véhicule. Plus ils avancent, plus ils constatent l’énormité des installations. Randolf décide de se diriger vers le premier bâtiment qui ne ressemble pas à un entrepôt. Un peu plus loin, Liu demande à Klein d’arrêter le véhicule : il a détecté des espèces d’oisillons perchés dans la soucoupe d’une antenne satellite.


Le lecteur avait laissé le groupe d’explorateurs à pied d’œuvre devant une porte fermée, et il les retrouve en train de l’ouvrir en deux coups de cuillères à pot, ou en tout cas en deux pages. Il prend vite conscience d’avancer à un rythme régulier dans cette exploration d’un immense territoire délimité par une enceinte, sur une planète extraterrestre. Les coscénaristes ont conçu leur intrigue pour une progression sans temps mort, avec des découvertes relançant l’intrigue. Après avoir pénétré dans l’enceinte : apparition du groupe de petits humanoïdes silencieux à la peau blanchâtre. Puis volatiles menaçants dans la soucoupe d’une antenne parabolique. Puis découverte d’une salle de contrôle. Puis vol de la maman volatile avec des animaux vivants en symbiose, accrochés sur ses pattes. Le dessinateur effectue un travail tout aussi remarquable que dans le premier tome, pour donner à voir les environnements sur cette planète. Le mur d’enceinte avec ces gros blocs de construction, partiellement recouvert par une végétation de type mousse et plantes grimpantes. L’immensité de la cour dans laquelle pénètre l’engin d’exploration, avec des plaques de béton ou de roche au sol, les murs de l’enceinte intérieure, eux aussi partiellement recouverts par la végétation, les façades avec des reliefs étranges. La morphologie des petits humanoïdes diffère en plusieurs points de celle d’un être humain : ventre plus proéminent, tête plus grosse, mains et pieds à quatre doigts. Les couleurs sont choisies de manière naturaliste, venant apporter des informations sur l’ambiance lumineuse, sur la texture des revêtements.



À la douzième planche, les auteurs décident de changer de fil narratif pour raconter ce qui se passe pendant ce temps-là sur le vaisseau-monde. Les dessins continuent de montrer les lieux dans le détail pour que le lecteur puisse s’y projeter : la surface du vaisseau, un sas d’entrée, le bureau Gouverneur Korolev avec la carte accrochée au mur, la maison des Osmond, et le salon où la mère Lucy a une nouvelle discussion avec Ethel. Le lecteur s’aperçoit qu’il reconnaît sans peine chacun des personnages dans chacun des deux fils de l’intrigue. Les membres de l’expédition exploratoire : Mary-Maë Randolf, Pierre de Bourges et son chien Graal, Jenny Goldman, Richard Klein, Feng Liu. Les responsables sur le vaisseau-monde : le gouverneur Korolev et le vice-gouverneur Mendoza, Ethel et le major Ripley, Lucy Osmond. Cette facilité d’identification atteste de capacité du dessinateur à créer des visages et des morphologies distinctes et reconnaissables. Il utilise une direction d’acteurs de type naturaliste, sans exagérer les mouvements, ou le langage corporel, ce qui concourt à donner de la crédibilité à ces aventures de science-fiction.


Le lecteur est revenu pour le deuxième tome, très curieux de savoir ce que cache cette planète, ce que vont découvrir les explorateurs, et l’identité ainsi que l’objectif de ce qui s’est introduit sur le vaisseau-monde. Les coscénaristes ont construit la dynamique de leur récit sur les mystères et sur l’exploration. Le lecteur se prête volontiers au jeu d’essayer d’anticiper ce qui va être découvert, de relever les indices, qu’ils soient de type visuel, ou de genre allusif dans les conversations. Il constate que les auteurs ont également bien dosé l’alternance de récompenses et de nouveaux mystères. Impossible de savoir ce que sont ces petits humanoïdes blanchâtres, ou si les volatiles sont dotés de conscience. Est-ce que les humains sont en train de massacrer des êtres dotés d’intelligence, sans le savoir ? Se conduisent-ils en affreux colonisateurs, mettant en péril un écosystème dont ils ignorent tout ? Puis arrive la première séquence sur le vaisseau-monde, et là le lecteur est pris de court par une révélation qui se produit beaucoup plus vite que ce qu’il avait estimé : une cellule de releveurs-informaticiens a épluché toutes les données significatives concernant la vie à bord du vaisseau depuis l’arrivée des intrus pour voir si quelque chose sortait de l’ordinaire… Et ils ont trouvé quelque chose. Plus encore, ce quelque chose est exposé dans ce tome. Les auteurs ne se contentent pas de jouer sur le suspense généré par les mystères : ils répondent à certains, et en introduisent d’autres.




Le lecteur se prête au jeu. Quelle signification ou quel sens attribuer à cette boule de marbre de deux mètres de diamètre qui flotte à quelques centimètres au-dessus du sol ? Impossible de savoir car il n’y a que le constat de son existence effectué par l’équipe d’exploration, à se mettre sous la dent. Faut-il y voir un hommage déformé au rôdeur de l’île du Prisonnier, ou rien à voir ? Qu’est-ce que c’est que ces épaves de dizaines de soucoupes volantes, sagement alignées en rang ? Impossible à savoir. En revanche, le lecteur avait bien fait de se souvenir de Lucy Osmond, la mère de Joy & June, car elle réapparaît dans ce tome. Dans le même temps, il se rend compte qu’il ne s’attache pas vraiment aux personnages. Pour ne considérer que ceux de la mission exploratoire, ils ont été définis par une capacité, pouvoirs parapsychiques, médecin, chasseur, ingénieur, spécialiste de la sécurité, et pour la moitié d’entre eux par un trait de caractère. Dans les faits, au cours de ce tome, seuls trois d’entre eux mettent à profit leur compétence, et les autres sont des figurants sans personnalité. Difficile dans ces conditions de les considérer en tant que personnes autonomes. Par ricochet, un acte qui sort de l’ordinaire, réalisé par un autre personnage, peut apparaître comme totalement artificiel, uniquement là pour servir l’intrigue. Bram attaque un animal sauvage en combat singulier juste armé d’un couteau : pourquoi pas puisqu’il s’est battu contre un ours à main nue dans le tome un. Une relation sexuelle entre deux personnages dans les douches : pourquoi pas, mais aussi pourquoi ? Finalement certains comportements apparaissent aussi arbitraires qu’une partie des artefacts mystérieux comme l’USS Baltimore avec encore de l’eau chaude dans les douches.


D’un côté, les auteurs captent l’attention et la curiosité du lecteur avec un savoir-faire consommé, grâce à une narration visuelle d’une clarté exemplaire, qui montre chaque élément de science-fiction pour le faire exister, sans aucun raccourci visuel pour s’économiser. C’est une façon de faire courageuse et ambitieuse car il faut parvenir à décrire des lieux, des accessoires, des constructions assez crédibles pour ne pas provoquer un sursaut de recul chez le lecteur qui pourrait trouver quelque chose idiot. D’un autre côté, ils jouent sur le réflexe pavlovien du lecteur qui devant tant de mystères se met à chercher par automatisme des indices, et à essayer d’établir des liens de cause à effet, à détecter des schémas, à essayer d’introduire de la prédictibilité. Mais il est possible qu’il éprouve la sensation de s’y évertuer en vain, en accompagnant des personnages qui semblent souvent sans épaisseur.



2 commentaires:

  1. Ce tome fait suite à Centaurus T01: Terre promise - J'avais l'impression que le premier tome t'avait laissé sur ta faim ; voyons ce qu'il en est ici.

    Le dessinateur effectue un travail tout aussi remarquable que dans le premier tome, pour donner à voir les environnements sur cette planète. - J'aime décidément beaucoup les quelques planches que je vois là.

    Cette facilité d’identification atteste de capacité du dessinateur à créer des visages et des morphologies distinctes et reconnaissables. - Je pense que c'est bien moins aisé qu'on veut bien le penser. C'est tout un art en soi, la diversité des morphologies.

    Bon, je vois que ta conclusion est à peine plus enthousiaste que pour le premier tome. Elle l'est peut-être un peu plus, mais avec des réserves quand même.

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    1. Le premier tome ne m'avait pas entièrement convaincu, mais j'avais acheté l'intégrale en me faisant la promesse à moi-même de la lire en entier.

      Le travail de Zoran Janjetov : cet artiste se situe dans un registre descriptif et détaillé, ce que j'apprécie beaucoup dans le genre de la science-fiction. J'aime bien que les auteurs aient investi du temps dans la conception de leur monde, du futur, avec une cohérence d'ensemble et que les planches le montre. Je me rends compte que je suis moins sensible à une SF d'atmosphère avec des décors vagues et en toc, sans épaisseur.

      Des personnages visuellement différents : je suis également très impressionné par cette capacité à animer des individus différents, sans recourir à la caricature, sans donner l'impression de personnages déjà vus dans d'autres BD.

      J'ai choisi de ne pas mettre de notes sur mon site, mais on serait à du quatre sur cinq.

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