Trop beau pour être vrai… C’est un piège ?
Ce tome fait suite à Le mercenaire T02 La formule (1983) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Ce tome a été publié pour la première fois en 1984, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. La totalité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : Les épreuves.
Le mercenaire est de retour dans le monastère de la grande plaine glacée, ayant refait le chemin en sens inverse. En particulier, il est à nouveau descendu par cette formation géologique remarquable : une cascade s’écoulant dans une énorme falaise circulaire qui abrite un réseau de grottes. Il est reçu formellement par le grand maître qui lui indique que pour entrer dans leur ordre, il faut triompher d’épreuves difficiles, que le risque de mourir ne peut être exclu. Il répond que risquer sa vie fait partie de son travail. Le maître l’informe qu’ils vont mettre à dure épreuve ses capacités de combat, de courage, de volonté, et de résistance à la trahison. Il ne doit surtout pas oublier que garder le secret de leur existence est fondamental. L’entretien est terminé, le mercenaire peut se retirer, Nan-Tay le conduira à ses quartiers. Chemin faisant, elle lui suggère de se reposer car les épreuves débuteront à minuit et elle peut l’assurer qu’elles seront ardues. Elle lui remet un petit paquet enveloppé de toile avec une ficelle : cela lui servira pour la dernière épreuve. Elle ajoute qu’il faut que cela reste entre eux, ce dont il convient.
Le soir à minuit, le mercenaire se trouve au milieu de la procession qui chemine : chaque prêtre en bure, avec une torche à la main, montant un escalier menant sur le toit du temple où se trouve un dragon volant. Le maître se tient dans une chaise à porteur dorée chaque ouverture masquée par des tentures diaphanes. Revêtu de son armure, et armé d’une longue lance, le mercenaire enfourche le dragon et ce dernier prend son envol dans l’espace d’une énorme caverne aux parois tellement éloignées qu’elles sont indiscernables. Il atterrit sur un gros piton rocheux, avec une entrée de caverne en forme de crâne avec un casque à corne. Deux braseros diffusent de la lumière de part et d’autre de la porte d’entrée. Le mercenaire s’approche, il prend un tison et s’en sert comme de torche. Il dégaine son épée et, sur le qui-vive, pénètre prudemment dans la caverne. Derrière lui, un géant en armure se détache de l’ombre et lui déclare que la première épreuve, c’est lui. Il est armé d’une lourde épée, et il faut au moins deux têtes de plus que le mercenaire. Il ajoute qu’il pourrait également être la dernière épreuve. Si son adversaire le bat, il pourra avancer, mais c’est un combat à mort. Mercenaire a le choix : mourir ou retourner au cratère. Son adversaire répond qu’il ne le connaît pas : il ne recule pas devant le premier obstacle venu. Le guerrier abat son énorme épée et tranche net un morceau d’un énorme vase qui était juste à côté de Mercenaire. Ce dernier se rend compte qu’il n’est pas à la hauteur de son ennemi et il décide de reculer et de reprendre les airs sur son dragon.
Premier tome : une mission de sauvetage au cours de laquelle le mercenaire ne se montre pas très efficace. Deuxième tome pareil. Le lecteur se demande ce qui l’attend pour ce nouvel épisode. Dans un premier temps, ce mercenaire doit passer les épreuves qui lui permettront d’être accepté dans la communauté du monastère de la grande plaine glacée, et plus précisément dans la secte du cratère. Cette première partie se déroule sur les planches une à trente-deux. Suit une mission d’une nature différente : empêcher le débarquement de cent guerriers hostiles dans le monastère pendant les quatorze autres planches. Le lecteur constate vite qu’il retrouve les principales caractéristiques de la série : ce mercenaire anonyme toujours bien coiffé qui combat et triomphe par la force de son épée et de son intelligence, des jeunes femmes accortes et dénudées, des monstres impressionnants, des vols aériens en dragon avec des combats. La narration visuelle se fait par des peintures à l’huile, donnant une sensation à nulle autre pareille : un relief et des textures produisant une impression quasi tactile, des pages qui peuvent être assez aérées avec deux ou trois cases pour apporter de l’ampleur aux scènes spectaculaires. Le lecteur commence également à voir se dessiner une forme de continuité puisque l’histoire se déroule au monastère de la grande plaine glacée comme celle du tome précédent, et trois autres personnages secondaires sont de retour, le grand lama du monastère et Nan-Tay, avec un autre. Le lecteur ne dispose de moyen pour savoir si c’était le plan à long terme de l’auteur, mais ce développement semble organique, comme s’il avait été planifié.
Tout mercenaire qu’il soit, le personnage principal a donc choisi son camp, ce qui modifie quelque peu son statut : il a décidé de prêter allégeance à la communauté du monastère, en se soumettant aux épreuves. Cela découle assez naturellement de sa prise de position dans le tome précédent. Dans un premier temps, le lecteur est à la fête et il ne boude pas son plaisir. Ce tome s’ouvre avec une nouvelle vision de cette formation géologique si particulière qui avait frappé son esprit dans le tome deux, et il sait gré à l’auteur de la réutiliser. Le dessin en pleine page qui ouvre le récit lui remet en tête cette disposition originale et spectaculaire. La planche trois accueille également un dessin en pleine page : cette étrange procession nocturne avec ce dais doré qui devient presque une source lumineuse dans la pénombre. Une fois encore, l’artiste a conçu une formation rocheuse originale, avec un temple totalement intégré dedans. La page suivante se décompose en trois cases de la largeur de la page pour mettre en valeur le dragon et son harnachement, ainsi que son envol, une créature animale qui a bénéficié d’une conception travaillée. Page suivante, Mercenaire approche de cette entrée en forme de crâne géant : le lecteur sourit devant ce rocher ainsi taillé pour provoquer l’effroi chez le visiteur. Il accepte le géant en armure comme une convention du genre Fantasy. Mais quand même, il est peu probable que les moines aient mis en place un tel guerrier dont le travail est de hacher menu les postulants, et pouvant être sacrifié si le postulant sait se battre. Cela donne lieu à un combat bien conçu, ou Mercenaire peut enfin mettre son intelligence au travail pour concevoir un plan d’attaque avec une possibilité de succès.
Après la victoire, Mercenaire se dirige, toujours à dos de dragon volant, vers le deuxième site : un palais posé sur un rocher au milieu d’une mer intérieure, et recouvert d’une sorte de voile gluant, certainement l’œuvre d’arachnides mutantes. Un monstre aquatique surgit, massif et dans un mouvement puissant plein de grâce. L’auteur prend le temps de deux pages montrer comment Mercenaire parvient à passer cet obstacle avec une narration visuelle claire et explicite, superbe dans la prise de vue des mouvements. À nouveau la découverte de ce que recèle ce palais nécessite une augmentation de la dose de suspension d’incrédulité consentie. Puis Mercenaire reprend son vol à dos de dragon, et c’est à nouveau une séquence visuellement enchanteresse avec des spectres apparaissant sur le fond étoilé du cosmos. La dernière épreuve se déroule dans la grande cour intérieure de la coupole et demande d’augmenter encore un peu le degré de suspension consentie d’incrédulité. Pour autant le dénouement vient apporter une explication entièrement satisfaisante à ces bizarreries.
Le dernier tiers du tome est consacré à une course-poursuite magnifique : l’auteur a réalisé une suite de prises de vue qui coupent le souffle, qui permet de suivre parfaitement les déplacements des uns et des autres à dos de dragon dans les gorges montagneuses, également des uns relativement par rapport aux autres. Cette séquence constitue un exemple parfait de narration visuelle, par contraste à quelques images mises bout à bout misant tout sur leur aspect spectaculaire mais sans fil logique. Le lecteur éprouve la sensation d’être présent sur les lieux entre ces deux parois rocheuses quasi verticales, de voir les dragons fournir l’effort musculaire pour voler avec leur cavalier, de percevoir les efforts conscients de Mercenaire pour trouver une stratégie pertinente en fonction des paramètres de la situation en se focalisant tantôt sur la configuration du défilé, tantôt sur les poursuivants, tantôt sur Nan-Tay en faisant alors abstraction du lieu qui devient une toile floue en fond de case. Cette façon de raconter autorise également les cases spectaculaires qui prennent alors tout leur sens dans le fil narratif.
Au vu des premières épreuves, le lecteur peut ressentir une pointe de condescendance pour ces aventures peu crédibles, charriant deux ou trois clichés sur le guerrier qui triomphe de tout par la force et les femmes dénudées qui servent de décoration valorisante. Mais, comme dans les deux précédents, l’intrigue s’avère plus subtile qu’en première apparence, avec un enjeu qui découle directement des aventures passées. En surface, la narration visuelle peut paraître terne en termes de couleurs, et un peu appliquée dans sa manière de montrer. À la lecture, le ressenti est tout autre : une narration très immersive, privilégiant l’histoire au clinquant.