mardi 25 janvier 2022

Double dames

Pourquoi c'est toujours moi Watson ?


Ce tome s'intercale entre La conjuration de bohême (2012, tome 16 de la série) et Caroline Baldwin T17: Narco tango (2017). Il contient une histoire complète qui peut être appréciée sans aucune connaissance préalable des aventures de Caroline Baldwin ou de celles de Roxane Leduc. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et les couleurs, avec sa fille Johanna coscénariste. Il se termine avec un texte d'un page où l'auteur explique la genèse de l'album, et la reproduction des crayonnés de 2 pages n'ayant pas été retenues dans l'histoire finale.


Dans une auberge en Haute-Savoie, par un bel après-midi de printemps, Roxane Leduc regarde le paysage depuis le balcon de sa chambre. Elle entend son portable émettre un bip : elle rentre dans sa chambre, met de l'eau à chauffer dans la bouilloire électrique, puis sort son téléphone de son sac. Il s'agit d'un message de Caroline Baldwin lui annonçant qu'elle doit retarder son départ de Montréal et qu'elle l'appelle demain. Roxane se sert son thé, et va bouquiner sur son lit. Le lendemain, elle petit-déjeune tranquille toute seule à la table de l'auberge, puis sort pour se rendre à son rendez-vous à 10h00 devant l'église de Bellevaux. Tout en conduisant, elle vérifie dans sa tête qu'elle a bien tout : raquettes, pique-nique. Elle arrive sur place avec seulement sept minutes de retard.



Comme convenu, Roxane Leduc retrouve Carlos Menez devant l'église. Il lui explique que son père ne se sent pas très bien et qu'ils ont décidé d'écourter leur séjour. Néanmoins, il la dédommage pour cette journée perdue, parce que lui non plus ne va pas effectuer la randonnée : ce ne serait pas raisonnable de laisser son père seul même quelques heures. Elle souhaite un prompt rétablissement à Félix Marchand le père de son client, et elle décide d'effectuer la randonnée seule, pas de raison que la balade soit perdu pour tout le monde. Elle avance d'un bon pas en raquette dans la neige, et remarque qu'elle n'est pas la seule à profiter de la journée. Un peu plus loin, elle s'arrête discrètement car elle vient d'apercevoir le même Carlos Mendes en raquette, arrêté, observant droit devant lui quelque chose avec ses jumelles. Elle se cache derrière un arbre pour l'épier. Son téléphone sonne : elle répond et Caroline Baldwin lui indique qu'elle se trouve à l'aéroport de Dorval où tous les avions sont cloués au sol suite à une gigantesque tempête de neige. Elles sont coupées : Roxane raccroche et constate que Carlos en a profité pour mettre les voiles. Elle poursuit sa randonnée, alors qu'il l'épie à son insu, caché derrière un arbre. Une fois rentrée à l'auberge, Roxane revêt une robe et descend manger. L'aubergiste lui demande si elle veut une table seule ou si elle attend ses deux clients, ce qui la déconcerte car elle était persuadée qu'ils étaient partis. Elles vont demander au patron Olivier en cuisine qui confirme qu'il ne savait pas que les argentins sont partis. Deux policiers arrivent à ce moment-là et leur apprenne la mort de Félix Marchand dont le cadavre a été retrouvé.


La série Caroline Baldwin s'est achevée en 2020 avec Caroline Baldwin T19 - Les faucons. Dans sa postface, l'auteur explique qu'il avait souhaité donner une fin à son personnage, et qu'il lui restait quelques projets d'histoire, a priori une demi-douzaine, commencées, mais pas finalisées, qui s'intercalent entre des albums déjà parus. Le lecteur comprend mieux le nom de la maison d'édition : éditions du tiroir, en espérant qu'il ne s'agit pas des fonds de tiroir. André Taymans explique donc qu'il avait mis en chantier la présente histoire, en 2012, qui devait être racontée de deux points de vue différents, celui de Roxane Leduc, et celui de Caroline Baldwin. Elle a été retravaillée sous la forme d'un album unique. La quatrième de couverture comporte un court texte du scénariste Rodolphe replaçant dans son contexte, l'apparition du personnage Caroline Baldwin. En 1996, il y avait peu d'héroïnes : à l'époque, elle représente donc une nouveauté dans le club très privé des héros masculins. En plus, il s'agit d'une jeune femme moderne, faite de contradictions, de forces et de faiblesses, d'énergie et de fêlures, une beauté sans artifice. Du fait de la genèse un peu particulière de cette histoire, Caroline Baldwin n'apparaît que dans 2 cases dans la planche 10 et elle ne devient le personnage principal qu'à partir de la planche 31 dans ce récit qui en compte 44.



Qu'il ait déjà lu tous les tomes de la série principale ou qu'il découvre l'héroïne ou même l'auteur, le lecteur relève vite les caractéristiques de la narration. Le récit est situé dans les environs de la commune de Bellevaux en Haute-Savoie, et l'auteur connaît manifestement les lieux, et peut-être même l'auberge dans laquelle séjourne Roxane Leduc. Le lecteur peut donc se projeter dans ces lieux et se sentir comme un hôte profitant de la chambre, de son lit, de sa salle de bain, et même de sa bouilloire, dans la salle à manger pour prendre son petit-déjeuner avec Roxane, et même passer en cuisine quand elle suit la patronne qui va interroger son mari. Les traits de contour sont un peu épais, donnant ainsi plus de consistance à chaque élément, et le niveau de détails élevé assure une description immersive. Il en va de même pour les scènes en extérieur : les rues de Bellevaux, le lac de Vallon, et la randonnée en forêt. Il est fort vraisemblable que Taymans lui-même se soit adonné aux raquettes dans cette forêt. Cela donne lieu à une sympathique balade de 3 pages dans la neige, au milieu des sapins, avec une belle vue sur le lac de Vallon.


L'histoire commence tranquillement, découlant totalement du lieu et des personnages : Roxane Leduc est guide de montagne pour des randonnées, et elle va retrouver ses clients. Le récit passe en mode enquête quand la police survient dans l'auberge pour informer le patron qu'un de ses clients a été repêché dans le lac de Vallon il y a une heure à peine. Tout naturellement, Leduc en parle au petit déjeuner avec le vieux Grégoire, un ancien du village venu s'en jeter un derrière la cravate. La scène est naturaliste, avec Roxane prenant le soleil sur la terrasse et sans exagération sur l'homme âgé. Le récit passe en mode aventure de manière tout aussi organique : le vieux Grégoire a repéré une activité nocturne près du lac du Vallon. Le scénariste met à profit un fait réel : un glissement de terrain survenu en 1943, qui a emporté neuf granges, cinq fermes, deux scieries et des maisons des hameaux avoisinants dont celui de l’Éconduit. À partir de là, les conventions de genre s'immiscent dans le récit : la jeune femme qui n'hésite pas à aller voir par elle-même de nuit au bord du lac, l'inspecteur pas très doué, en tout cas moins que Roxane, cette dernière qui se dit que le plus efficace est de plonger à son tour dans le lac, de nuit bien sûr et toute seule. Le lecteur retrouve bien le principe rappelé par Rodolphe : une héroïne, femme normale, qui se retrouve dans une histoire dangereuse et qui se montre courageuse au point de se mettre en danger de manière imprudente.



Effectivement, le lecteur relève d'autres conventions de genre assez marquées : la chronologie des faits fort opportune, les personnages principaux qui décident de prendre l'initiative sans en référer à la police, et une concomitance de circonstances assez extraordinaire pour que deux fils narratifs culminent exactement au même moment, avec un ou deux hasards très heureux. Il se dit que c'est lié à la transformation d'une histoire condensée de 2 albums en 1, et des caractéristiques de l'écriture de l'auteur. S'il a lu la série, il remarque qu'il n'a pas la place de réaliser des séquences muettes de marche ou de découverte, à l'exception d'une (planche 25) quand Roxane explore le fond du lac en tenue de plongée). Il sourit en voyant la même Roxane allongée sur le lit de sa chambre d'hôtel, identiques à celle de Caroline dans d'autres albums. Il sourit franchement de l'incongruité de la planche 11 où Roxane est train de se changer pour enfiler une robe plus habillée, ce qui donne l'occasion à l'artiste de la représenter en sous-vêtement bas, culotte et soutien-gorge, un peu en décalage avec la situation et le respect montré par ailleurs aux héroïnes qui mènent la danse par leurs compétences et leur courage. D'ailleurs, le lecteur de longue date ne peut pas s'empêcher de chercher les éléments de la continuité (légère) de la série. Il retrouve l'amitié entre Roxane et Caroline, le fait que cette dernière réside au Canada. En revanche il n'est fait mention nulle part de son traitement médicamenteux.


Impossible de résister à une aventure de plus pour le lecteur qui a suivi la série régulière de Caroline Baldwin : l'occasion est trop belle de retrouver cette jeune femme au caractère pas toujours commode. La narration visuelle s'avère très roborative, avec sa qualité descriptive, les environnements montrés concrets et réalistes, la sensation de se trouver dans cette région de France, et la présence des personnages. L'intrigue s'avère un cran en dessous s'appuyant un peu trop sur des conventions de genre mises en scène au premier degré. Une aventure sympathique.



mardi 18 janvier 2022

Claudia - Tome 05: La nuit du loup-garou

Fais ce que tu voudras sera le tout de la loi.


Ce tome fait suite à Claudia - Tome 04: La marque de la bête (2010) qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire à suivre, il faut avoir commencé par le premier. Il est initialement paru en 2021, publié par les éditions Glénat. L'histoire a été écrite par Pat Mills, dessinée et encrée par Franck Tacito. La mise en couleurs a été réalisée par SLO, et la traduction a été assurée par Jacques Collin. Cette série est dérivée de la série Requiem d'Olivier Ledroit & Pat Mills. Ce tome peut se lire sans avoir lu la série Requiem.


Dans une belle demeure familiale de Gipperswick en Angleterre en 2002, Carly Blackwell est assise sur le rebord d'un lit dans sa chambre, en train de feuilleter un album photo de sa mère. Son ami Jim lui fait observer qu'il est temps de partir pour ne pas être en retard à sa fête. Elle lui montre plusieurs pages de l'album car plusieurs photographies sont troublantes. Pour commencer, sa mère lui a toujours décrit ses grands-parents allemands comme des aristocrates prussiens vivant dans un château, mais visiblement lui était conducteur de locomotive et il est mort pendant la guerre. Sa grand-mère est venue vivre en Angleterre avec Claudia, des immigrées clandestines vraisemblablement. Elle était femme de chambre chez des aristocrates. Mais une photographie montre qu'elle avait certainement d'autres attributions : soubrette en tenue sexy soumise au regard lubrique de plusieurs hommes. Dans la photographie suivante, maman Claudia et le fils du maître de maison: elle devait l'appeler monsieur. La grand-mère devait vraiment bien s'entendre avec le propriétaire parce qu'il a payé des études très coûteuses à Claudia. Page suivant : la voilà au début des années soixante, et il est indiqué au dos de la photographie qu'il s'agit de Kristine Keeler à côté d'elle. Jim sait de qui il s'agit : la mondaine qui a fait tomber le gouvernement britannique.



Page suivante, plusieurs photographies montrent Claudia à la piscine de Cliveden d'où a éclaté le scandale Profumo. Au dos, une inscription : Chrissie n'était pas la seule. Puis Milo Dupuis l'a embauchée dans son magasin d'antiquités, avant que ça ne devienne un salon de coiffure. Sur la photographie, Milo se tient derrière Claudia, tous les deux dans des costumes collants de cérémonie macabre : Carly se dit que sa mère avait dû se joindre à une troupe de théâtre. La collection de photographies continue montrant Sean, un bel homme, assis sur le capot de sa voiture de sport puis embrassant Claudia, puis allongé avec un trou dans la tête alors que Claudia tient un revolver encore fumant, certainement une mise en scène dans le cadre d'une pièce de théâtre amateur,. La suite de l'album montre Claudia voyageant en Inde en tenue hippie, en Californie sur les genoux de Charles Manson, et enfin en Angleterre où, Milo étant mort, elle a transformé le magasin d'antiquités en salon de coiffure. Vient une photographie de groupe : Claudia entourée de sir Cecil Molson, lord Victor Bradley, les époux Hamilton-Marshal, le colonel Ogilvy Smythe et son épouse Pamela, la meilleure amie de Claudia. Puis une photo de Claudia tenant Carly nourrisson dans ses bras.


Le lecteur n'y croyait plus : onze ans écoulés depuis le tome précédent et contre toute attente un tome 5 qui reprend là où s'était arrêté le 4. Du coup, il se rend directement à la dernière page en espérant à demi trouver le mot fin. Perdu : il découvre un petit cartouche contenant les mots À suivre… Bonne surprise : ce nouveau tome est réalisé par les créateurs initiaux de la série qui ont réalisé tous les autres tomes. Pat Mills revient pour poursuivre l'histoire de Claudia, ce chevalier vampire, vivant sur la planète Résurrection, dans la dimension de la vie après la mort. En parallèle, il montre comment sa fille Carly retrouve des témoins du passé sur la vie de sa mère. Il est impossible de savoir si le scénariste a recalibré son histoire en fonction du nombre de tomes négocié avec l'éditeur et avec le dessinateur. Toujours est-il que ce chapitre commence avec l'histoire personnelle de Claudia. Il se déroule en 2002, et les images laissent à penser que les photographies de l'album de famille datent de la fin des années 1940, ce qui voudrait dire que Claudia avait autour de 40 ans quand elle a eu sa fille dont le vingt-et-unième anniversaire dans quelques jours. Le lecteur apprend ainsi le vrai nom de Claudia von Manstein : Maria Schmidt. L'évocation de différents moments de la vie de Claudia/Maria emmène le lecteur dans des endroits variés : Franck Tacito est totalement impliqué de la première page à la dernière, avec des cases descriptives très détaillées et peut-être un peu plus agréables à l'œil avec des traits de contour moins cassants, moins anguleux.



La tâche de l'artiste est immense. Il met en images une série dérivée et il doit réussir à reproduire une partie des caractéristiques et de l'ambiance de la série mère, or celle-ci est dessinée par un artiste hors pair, réalisant des pages hors norme, d'une densité hallucinante, avec des visions dantesques. L'intensité du souffle gothique et épique n'est pas aussi élevée dans ces pages, mais il est bien présent, et l'esprit de la série Requiem est respecté. Dans un premier temps, Tacito réalise des planches mettant en scène Carly et Jim qui se tient dans son dos, avec des images fixes comme photographiées de Claudia à différents moments de sa vie. Le lecteur est animé d'une curiosité similaire à celle des tourtereaux pour en apprendre plus sur la vie du personnage principal. Il regarde dans le détail chaque lieu, chaque personnage, chaque tenue vestimentaire, chaque accessoire, comme s'il était lui-même en train d'examiner les photographies. Il en mesure d'autant mieux la densité de détails, et il détecte une saveur de second degré discret dans les attitudes parfois artificiellement posées, ou très étudiées. Il se rend compte que cette saveur entre en résonnance avec l'incroyable naïveté dont font preuve les promis. Prise une par une, chaque situation peut être expliquée par un concours de circonstance plus ou moins probable, mais cumulées elles deviennent un faisceau de preuves qui ne peut pas laisser place au doute. À l'évidence, les créateurs se moquent franchement de ces oies blanches, et le lecteur se rappelle qu'il s'agit d'une série qui ne fait pas dans la dentelle, mais plutôt dans l'exagération grotesque, morbide et malsaine.


À l'issue de cette première séquence, le récit revient à la créature qui donne son nom à la série et à Gippeswick en Angleterre, mais en 1657. Même après plusieurs mois ou plusieurs années, le lecteur se souvient parfaitement de la situation inconfortable dans laquelle il avait laissé Claudia : allongée et entravée sur un plancher, avec un plateau chargé de lourdes pierres, posé sur le corps. Dès la planche 9, le lecteur a une vision de Claudia totalement nue, dès la planche 10 le massacre a commencé. Dès la planche 12, la matière cervicale s'échappe d'une boîte crânienne fracassée. Il faut juste patienter jusqu'à la planche 27 pour se retrouver dans l'exubérance visuelle de Résurrection, en Draconie. Tout est bien là, représenté également dans le détail avec un entrain communicatif : le costume moulant de cuir rouge de Claudia avec des talons aiguilles impossibles et un motif de croix au niveau du pubis, la démesure primale des loups garous avec des pointes métalliques sur leur harnais, le faste de la salle à manger de sire Mortis avec un luxe de détails incroyable pour représenter son aménagement et son ameublement, l'escalier extérieur monumental qui mène jusqu'à l'entrée avec un statuaire colossal, elles aussi représentées avec minutie, etc.



Même le lecteur le plus accro à Olivier Ledroit finit par se laisser emporter par la narration visuelle de Franck Tacito. Son découpage de planche est plus sage, majoritairement des cases rectangulaires, avec ou sans bordures, quelques inserts, quelques fondus entre deux images, régulièrement une case plus grande servant de fond à toute la page, sur laquelle les autres cases sont posées. Les planches 2 à 6 sont découpées selon une grille de 3 par 3, ce qui correspond bien à l'impression donnée en regardant une photographie après l'autre, ce qui n'empêche pas qu'il puisse y avoir une continuité visuelle sur les 3 cases d'une même bande, par exemple quand Claudia est dans la piscine en planche 3. Lorsqu'elle descend dans le sous-sol du salon de coiffure, Tacito utilise également les tampons cabalistiques en surimpression comme Ledroit dans Requiem. En planche 10, Claudia envoie valdinguer les pierres qui l'écrasent, et l'artiste utilise des cases en insert de part et d'autre pour montrer leur impact. En planche 16, le lecteur découvre un dessin de Claudia comme si c'est lui qui le tient à bout de bras, avec ses deux mains. En planche 38, Claudia se jette sur un gigantesque loup garou tenant fermement son épée devant elle, et le lecteur a presque un mouvement de recul sous le choc de l'impact.


Pas de doute, cela valait le coup d'attendre 11 ans pour retrouver le dessinateur aussi en forme. Pat Mills n'est pas en reste. Une fois qu'il a capté la fibre d'humour grotesque, le lecteur peut alors relever les attaques du scénariste, celles-ci étant très appuyées : la mère qui a instrumentalisé sa fille pour son profit, les gourous meurtriers avec Charles Manson (1934-2017), les riches qui peuvent agir au-dessus des lois, la concupiscence hypocrite des hommes d'église taraudés par leur sexualité réprimée, la construction d'une identité factice par la méthode Coué, l'éducation par les châtiments corporels jusqu'à ce que ça rentre, le corps de la femme comme objet, les crimes immondes dans les camps de concentration, l'addiction à une substance (ici Sire Mortis accro au sang), la force irrépressible de la pulsion sexuelle sans entrave. De temps à autre, le lecteur prend conscience que derrière l'outrance, le scénariste met en scène des thèmes plus subtils comme l'émancipation totale de Claudia Demona, ou la puissance du refoulé et du déni avec la différence entre les prêtres pédophiles et la conscience de sire Mortis d'être un monstre.


Pat Mills & Franck Tacito sont de retour et ce n'est pas juste une affaire de sous. Ils sont aussi investis l'un que l'autre dans leur récit, à la fois la narration visuelle déchaînée, à la fois les situations et les comportements morbides et grotesques, pour évoquer les pires penchants de l'humanité, sans concession, mais avec une dose d'humour noir.



mardi 11 janvier 2022

Capricorne, tome 3 : Deliah

La politesse est la peau lisse de la pomme pourrie du patelinage.


Ce tome fait suite à Capricorne, tome 2 : Électricité (1997) qu'il faut avoir lu avant. Sa première parution date de 1998 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 1 qui regroupe les tomes 1 à 5.


Deliah Darkthorn, une jeune femme, va consulter Ira Zeus, un médium. Celui-ci lui intime de ne pas toucher la boule de cristal car il s'agit d'un outil fragile, et il n'y voit rien quand il y a des traces de doigts. Il ajoute : la politesse est la peau lisse de la pomme pourrie du patelinage. Il consulte sa boule de cristal et il n'y voit rien. Deliah se moque de lui et sort. Une fois la jeune femme sortie, Zeux rétablit son contact avec sa boule de cristal et s'exclame : Ciel et enfer ! Deliah Darkthorn se rend ensuite chez Capricorne pour se faire tirer son horoscope. Ash Grey lui souhaite la bienvenue, et Astor la reprend : Capricorne ne tire pas d'horoscope, il établit un thème astral. Il demande également si elle a de quoi payer. Capricorne arrive sur ces entrefaites, en se plaignant des deux heures d'interrogatoires qu'il a subies pour accéder au Club '29. Deliah Darkthorn se présente, et il s'excuse car il a rencontré son père au Club '29. Elle lui fait observer que lui-même a l'air bien nanti en étant propriétaire d'un gratte-ciel en plein cœur de New York. Il déroule une explication vaseuse sur la manière dont il l'a acquis. Deliah Darkthorn explique ce qu'elle cherche à savoir : elle ne tient pas à suivre les projets de son père, genre mariage à un riche héritier ou la reprise des affaires familiales. Elle aimerait se trouver un pouvoir : faire bouger des objets à distance, lire la pensée des gens, voir à travers les murs, cette sorte de chose… Dans sa carte du ciel, Capricorne voit comme une zone d'ombre depuis sa naissance, comme s'il y avait un intrus dans l'ordre des planètes.



Déçue, Deliah Darkthorn prend congé et s'en va. En regardant par la fenêtre, Capricorne voit qu'elle est enlevée par deux individus qui la font monter dans une voiture. Il se dépêche de prendre la sienne et les poursuit, les rattrapant sans peine. Il estourbit le gros malabar qui conduit, et l'autre parvient à s'enfuir. Deliah est indemne. Lorsqu'il se met à interroger le conducteur, des pointes métalliques sortent de son corps, le tuant net, une sorte d'engin infernal implanté en lui. Capricorne ramène Deliah à son père, dans le bureau de ce dernier. Celui-ci est convaincu qu'on a voulu l'atteindre en maltraitant sa fille, et il demande à son interlocuteur de lui servir de garde du corps. De retour au 701 de la septième avenue, Deliah sort quelques ouvrages de la bibliothèque et se met à les compulser à même le sol, devant Astor outré de la manière négligée dont elle les traite. Il lui demande de les remettre à leur place, mais elle ne se souvient plus d'où elle les a pris. Il la flanque dehors.


Le lecteur revient pour ce troisième tome afin de retrouver la dynamique des deux premiers, le souffle de l'aventure teintée d'ésotérisme et baignant dans de nombreux mystères. Il fait connaissance avec un nouveau personnage : Deliah Blackthorn, fille d'un personnage qui apparaissait dans les tomes précédents, sans que cela ne soit dit explicitement. Il avait peut-être également croisé une version plus âgée de Deliah dans la série précédente de l'auteur Intégrale Rork T2.Comme les autres personnages, elle n'est pas très développée : une jeune femme bien faite de sa personne, plutôt de bonne humeur, et animée par une motivation unique, acquérir un pouvoir quel qu'il soit. Elle apporte une fraîcheur certaine à cet épisode, se rendant de spécialiste de l'occulte en expert en ésotérisme, avec des résultats peu concluants. Les trois personnages principaux sont bien présents : Capricorne, Ash Grey et Astor. Cette fois-ci, ce dernier apparaît dans plus de scène et joue essentiellement un rôle comique : psychorigide il ne supporte pas que ses livres soient maltraités (ce qui est illustré dans de jolies cases où il manipule précautionneusement ses ouvrages précieux), et il continue d'appeler son patron par le titre de Maître. Il fournit également un indice qui permet de retrouver Deliah. L'auteur s'amuse un peu à ses dépens : Astor déclare qu'il en a par-dessus la tête, ce à quoi Capricorne rétorque que cette occurrence doit être passablement fréquente au vu de sa taille. Ash Grey fait montre une nouvelle fois de ses talents de combattante aguerrie : ses agresseurs finissant en tas contre une voiture, et elle sait rappeler à Capricorne qu'il a promis un nouvel avion à sa troupe voltigeurs dans le tome précédent. Le lecteur remarque également qu'elle prend un vrai plaisir à accompagner Deliah chez les différents voyants et autres magiciens.



Enfin dans ce tome, le lecteur en découvre plus sur le personnage principal. L'auteur avait joué un sale tour à Capricorne dans le tome précédent et les conséquences commencent à se faire sentir. La première d'entre elles est qu'il ne se souvient plus de son vrai nom, la seconde donne lieu à une page muette (planche 16) au cours de laquelle Deliah est confronté à son pouvoir dans des dessins jouant sur un contraste brutal entre le noir et le blanc. À nouveau, le scénarise introduit de nouveaux personnages : Deliah Blackthorn, Ted Sharp, Manga (un choix de nom étrange) et Mordor Gott déjà apparu dans le tome 5 de la série Rorok, sans oublier les médiums. Andreas commence très fort avec Ira Zeus : homme âgé à la longue chevelure et à la longue barbe, avec des lunettes de soleil aux verres en forme de petit rectangle, très inquiet par la propreté de sa boule de cristal. Par la suite, Deliah Blackthorn va consulter Big Rhodes, Semie Ramis, Alexander Pharos, Diana Simetra, et enfin Invidia et Gizeh. Le premier est un gros poussah qui arbore un air d'autosatisfaction immuable : un grand moment quand la consultation ne se déroule pas comme prévu. La seconde est parée d'un kimono et d'une coiffure japonaise et entraîne Deliah dans une échoppe remplie de fleurs : une autre consultation catastrophique, mais très jolie. Le troisième est un sacré lascar dont les intentions libidineuses sont évidentes dès le départ, et dont la déconfiture est hilarante. La suivante est une jolie femme très préoccupée par les apparences et le coût des choses, proposant une méthode à base de sacrifice animal, très inattendue. Les derniers officient dans les égouts, chacun des deux essayant de tirer la couverture à lui en s'octroyant les fonctions les plus valorisantes dans leur rituel. Le lecteur sourit à chacune de ces consultations, à la fois pour la méthode déployée par chaque médium, à la fois pour leur déconfiture. Andreas sait manier un humour mêlant comique de situation et moquerie gentille.


Comme dans les deux premiers tomes, les mystères sont légion : les différentes factions qui en ont après Deliah Blackthorn, l'engin infernal avec des pointes métalliques qui provoque la mort des nervis, les activités réelles du père de Deliah, l'allégeance de Tom Sharp, le client pour lequel le mercenaire Manga effectue une mission, la réalité de l'apparition d'un dragon, la mention d'une nouvelle organisation secrète Le Concept qui semble devoir prendre la place de Le Dispositif. Mais les deux plus gros mystères concernent directement Capricorne. Pour commencer, il y a l'apparition de ce pouvoir qu'il ne semble pas être à même de contrôler, ni même de manifester. Ensuite, un jeune homme remet un prospectus à Deliah au domicile de Capricorne et dessus figure un motif qui reprend celui d'une des cartes du destin tirées par les moires dans le tome 1, et qu'elles avaient commenté par : Méfie-toi des trois ! Ainsi le lecteur sait déjà que quelle que soit l'issu du présent tome, il reviendra pour le suivant, totalement accroché par ces mystères.



Au milieu de tous ces éléments, l'intrigue reste très facile à suivre et intéressante pour elle-même. Cette fois-ci, ce tome ne compte que 4 pages muettes, par comparaison avec les 10 du tome précédent : une course-poursuite en voiture dans les artères de New York, Deliah découvrant la manifestation du pouvoir de Capricorne, deux pages de combat contre le dragon, chacune lisible sans aucune difficulté. Dans ce tome, l'artiste joue moins avec le découpage des planches que dans les 2 premiers, tout en restant un maitre de l'utilisation des cases verticales de la hauteur de la planche. En revanche, il réalise une narration visuelle dense, à la fois pour le niveau de détails, à la fois pour le nombre de cases par page, généralement entre 10 et 15. Le lecteur apprécie cette aventure haute en couleurs, dont ce tome s'appréhende mieux comme étant un chapitre d'une histoire de plus grande ampleur, ce qui explique et justifie certaines séquences qui ne trouvent pas de résolution dans le présent album.


Troisième tome des aventures de Capricorne avec les mêmes caractéristiques, en particulier une intrigue qui prime sur tout, et des pages soignés et denses, avec des visuels régulièrement spectaculaires. Pour ce tome-ci, le lecteur constate que l'artiste n'a pas souhaité déployer des compositions de page innovante comme il l'a fait précédemment, et qu'il a choisi un ton plus léger avec un humour apporté par l'entrain communicatif de Deliah.



mardi 4 janvier 2022

Le Lama blanc, tome 3 : Les Trois Oreilles

N'entre pas ici qui veut !

Ce tome fait suite à Le lama blanc T02: La seconde vue (1989) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome. La parution initiale de celui-ci date de 1989. Il comporte 46 planches en couleurs réalisées par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, et Georges Bess pour les dessins et les couleurs.

À l'issue d'un voyage éprouvant et harassant, après avoir croisé le lama ermite, Gabriel Marpa, encore adolescent, atteint la lamaserie, et frappe au portail de l'enceinte : il supplie qu'on lui ouvre. Finalement le lama Kusho ouvre un vantail et toise le garçon avec dédain lui indiquant que les moines n'acceptent pas n'importe qui. Gabriel pleure et indique qu'il veut devenir un moine. Finalement, Kusho accepte de le laisser entrer et le soumet à sa première épreuve : dans la grande cour, il lui demande de reculer de trente pas, de s'assoir et de ne plus bouger. Gabriel obtempère et s'assoit en position du lotus dans cette immense cours, sans aucune personne autour. Dans un appartement en hauteur, le moine Tzu fait observer le jeune garçon à maître Dondup, celui-ci fait le constat que si le corps est trop faible, il ne résistera pas. Le temps passe et la nuit arrive. Les moines vaquent à leurs occupations sans prêter aucune attention au garçon. Soudain, Gabriel reprend connaissance, se rendant compte qu'il s'était assoupi. Tout son corps est rompu, endolori et sa tête est brûlante : il s'interroge sur son obstination déraisonnable. Il sent la chaleur monter et le soleil commencer à le brûler.


Alors qu'il ressent avec acuité la souffrance de la faim, de la soif, de la douleur Gabriel Marpa se dit qu'il va abandonner. Il voit se matérialiser des apparitions devant lui : Kuten, Atma, Péma, maître Tzu-La, autant de personnes qui l'exhortent à tenir bon, à résister. Gabriel leur ordonne de le laisser en paix, de disparaître, car il vaincra par ses propres forces. Il doit tenir. Très doucement, de nombreux escargots convergent vers Gabriel, montent sur son corps, et forment comme un casque sur sa tête, le protégeant ainsi de la force des rayons du soleil. Depuis l'appartement élevé, Dondup et Tzu constatent que l'enfant a reproduit le miracle de Gautama, du Bouddha. Le roi des escargots et son peuple sont venus jusqu'à lui pour lui offrir fraîcheur et protection. C'est là un signe de leur grand maître Mipam, un miracle. Toutefois, il reste à l'adolescent à survivre à une autre nuit de ces nuits glacées. Quelques heures plus tard, au cœur de la nuit, deux moines traversent la place en portant un porc mort. Le vent arrache la toile qui masque la carcasse et s'envole vers Gabriel, autour duquel elle s'entortille. Il se demande ce que sont le froid et la douleur, comparés aux affres que connaissent ceux qu'on sacrifie au bon plaisir des autres. Sur une terrasse de la lamaserie, Petit Jésus se régale de la viande de porc en émettant des grognements sonores. Il se fait rappeler à l'ordre par un moine qui lui enjoint de retourner dormir.

La fin du tome 2 établissait clairement le fait que Gabriel Marpa possède des pouvoirs extraordinaires et qu'il est promis à un avenir de grande ampleur, après avoir souffert bien sûr puisque c'est un personnage de Jodorowsky. Le lecteur sait donc à peu près à quoi s'attendre dans ce tome : le héros arrive enfin dans une lamaserie, il va souffrir, et il va gagner en sagesse, avant de passer à l'étape suivante sur la voie de l'illumination. Dans le même temps, il ne sait pas trop quelles épreuves il va subir. Ça commence dès l'arrivée à la porte où le lama ne veut pas le laisser entrer. Ça continue avec les 3 jours sous le soleil et les 2 nuits dans le froid glacial, et pour faire bonne mesure, il se fait tabasser par les autres moinillons. Puis le récit passe à une autre phase : celle de la découverte par l'exploration de la lamaserie, avant d'aboutir à cette troisième oreille. La narration visuelle est tout aussi agréable que dans les deux premiers tomes avec des personnages typés tibétains, à l'exception de Gabriel Marpa, une attention portée aux décors qui semblent avoir été conçu d'après de solides références pour restituer l'architecture d'une lamaserie tibétaine et ses aménagements intérieurs, avec une mise en couleurs évoluant entre naturalisme et expressionnisme.


La première séquence entremêle avec naturel un reportage naturaliste sur l'arrivée d'un jeune adolescent dans une lamaserie dont les moines ne souhaitent accueillir personne, et l'épreuve nécessitant que le héros mobilise ses forces spirituelles intérieures avec une facette surnaturelle. Les trois premières pages transportent le lecteur aux côtés de Gabriel sur ce sol montagneux rocailleux et aride, devant les portes imposantes du monastère. L'artiste joue sur les couleurs rouge orangé pour renforcer l'impression de climat hostile et d'accueil tout aussi hostile. La troisième planche se termine par une grande case au fond blanc avec seulement quelques petits rochers et la minuscule silhouette de Gabriel assis en position du lotus, immobile dans ce néant, se conformant à l'ordre arbitraire qui lui a été donné. Le lecteur ressent une forte empathie pour ce jeune garçon, sa fragilité, son dénuement, son isolement, coupé de tout, dans milieu qui ne veut pas de lui.

Dans la deuxième séquence, Gabriel endure l'épreuve de la canicule, sans bouger, sans manger, sans boire, avec des hallucinations. Le dessin navigue tout naturellement entre naturalisme et onirisme avec l'apparition des spectres de Kuten, Atma, Péma, Tzu, laissant le lecteur libre de les prendre au premier degré comme des manifestations surnaturelles, ou comme des hallucinations de l'esprit de Gabriel affaibli. Bess joue avec les couleurs pour accentuer l'effet de perception entre réel et imagination. La coordination des deux auteurs est parfaite, et permet au miracle de passer tout seul : les escargots qui convergent vers Gabriel pour recouvrir sa tête afin d'empêcher toute insolation. C'est un passage extraordinaire entremêlant naturalisme et mysticisme, rendant plausible cet événement, sans amoindrir son caractère quasi sacré. Le lecteur est complètement captivé et après la bastonnade, il découvre un récit très agréable, avec moins de souffrance pour Gabriel. Le moinillon Topden fait faire le tour du propriétaire au novice, confirmant ainsi que ce dernier a trouvé une place sécure pour quelques temps au moins. L'artiste montre chaque coin et recoin, ainsi que chaque personnage. Le lecteur peut ainsi jeter un coup d'œil partout avec Gabriel : le dortoir des novices, les grands places désertées la nuit, le garde-manger avec la réserve de gâteaux, la grande salle de jugement avec ses tentures, la caverne de châtiments avec ses tombeaux de pierre, la bibliothèque éventrée, etc. Il y a à la fois des visuels attendus, à la fois des endroits surprenants par leur forme ou par leur usage. S'il y est sensible, le lecteur relève de nombreuses images étonnantes : le chat avançant avec élégance sur une faîtière, les moines en train de jouer une mélopée sur un instrument à vent (Rgya gling), les yeux d'un chat emplis d'étoiles, un âne avec un bonnet, des passages secrets dans la lamaserie, les excavations dans la bibliothèque, l'immense caverne souterraine, le dispositif pour maintenir la bouche ouverte et éviter de se mordre la langue, etc. De ce point de vue, ce tome constitue une aventure divertissante extraordinaire, avec une fibre merveilleuse.


Bien évidemment, connaissant le scénariste, la dimension spirituelle reste bien présente, avec des mises à l'épreuve nécessitant de souffrir pour les surmonter. La première bénéficie d'une mise en images d'une grande évidence, et c'est en lisant les remarques de deux lamas que le lecteur peut prendre la mesure de l'épreuve au regard de la logique interne du récit. Le comportement des escargots correspond bien à un prodige d'un point de vue religieux, et l'épreuve exige d'avoir un corps fort et résistant pour y survivre, induisant que l'esprit ne permet pas seul de triompher. Il en découle que les souffrances indissociables des rites ne sont pas là juste pour tester la détermination de l'individu, mais aussi pour éliminer les faibles constitutions. C'est un concept qui se retrouve en fin de cet album quand Gabriel subit le rite qui lui permet d'acquérir une troisième oreille. Du fait de cette facette du récit, le lecteur garde à l'esprit que chaque scène peut être considérée sous l'angle de ce qu'elle apporte à l'éveil du personnage principal. Avec cette idée en tête, il prend conscience que l'exploration de la lamaserie apporte des éléments d'une autre nature : la maltraitance des enfants ou adolescents novices par les lamas adultes, la corruption politique au sein de la hiérarchie monastique, l'hypocrisie d'une communauté qui prêche des valeurs et se conduit en les bafouant, et plus inattendu une fibre politique avec la présence de chinois invités par le grand lama usurpateur Migmar, pour découvrir le secret que renferme la caverne des anciens. Encore plus surprenant est la nature supposée de ce secret : une immense grotte où une ancienne civilisation aurait entreposée ses trésors et l'essence de son savoir pour le bénéfice de l'humanité à venir, c’est-à-dire une touche de science-fiction.

Ce troisième tome est à nouveau découpé en 4 chapitres : L'épreuve et les miracles, Le maître des chats, Le maître des ânes, La richesse ou la sagesse. De prime abord, il constitue une phase du récit beaucoup plus accessible et beaucoup plus agréable, avec moins de souffrances physiques, et l'exploration de la lamaserie, entre corruption et merveilleux, avec des touches d'humour, dans une narration visuelle riche et descriptive. Au fur et à mesure, ces découvertes s'enrichissent de l'exotisme des lieux, de la dimension politique du fonctionnement de la lamaserie, d'éléments incongrus (les ânes, les gâteaux), tout cela participant au voyage de Gabriel Marpa vers son destin.