mercredi 1 septembre 2021

La route Jessica - Tome 3 - Le désir et la violence

Les souvenirs, ça encombre.


Ce tome est le dernier de ce triptyque qu'il faut avoir commencé avec le premier : La route Jessica - Tome 1 - Daddy!, suivi par La route Jessica - Tome 2 - Piment rouge. La première édition de celui-ci date de 2011. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Renaud (Denauw) pour les dessins et les couleurs. Il y a eu une série dérivée en 2 tomes : Crotales en 2014, par Renaud & Gihef, mettant en scène les personnages de Soldier Sun et de sa fille Agripa.


Une voiture avance sur une route traversant un champ de blé pour gagner une église totalement isolée. Soldier Sun et sa fille Agripa descendent de la voiture et s'avancent vers les trois individus en imperméable gris qui se tiennent debout sur le perron. La fille reste en retrait et le père discute avec les trois hommes. Ils lui indiquent que Jessica Blandy se trouve dans le village de leur communauté. Sun leur fait une offre de service pour l'éliminer : pas la peine, un guerrier qui tiendra le glaive du seigneur va venir et les débarrassera de cette femme. Sun abat les trois hommes avec son arme à feu, puis pénètre dans l'église. Sa fille trouve qu'il met beaucoup de temps pour juste allumer un cierge en souvenir de son épouse. Elle lève la tête et constate qu'il a également pavoisé le clocher avec le drapeau américain. Ils remontent en voiture et se dirigent vers la communauté de Corpus Christi où se trouve Jessica.



À la ferme de Corpus Christi, le frère Absalon, responsable de la petite communauté se tient devant le corps allongé du frère Liam, un tout jeune homme malade. Dans la pièce se trouvent également cinq femmes en habit sombre et strict, et Jessica Blandy. Rebecca, une jeune fille, entre et indique qu'il y a une infirmière qui loue une chambre chez Mister Sandau. Frère Absalon autorise Rebecca à aller cherche l'infirmière mais cette dernière ne devra en aucun cas toucher Liam, ni même l'approcher à moins d'un mètre. La jeune fille prend le canot à moteur et entre dans la maison de Sandau car la porte n'est pas fermée. Elle entend du bruit et se dirige vers la cave. Elle descend l'escalier et y trouve le propriétaire poings et pieds liés, avec un bâillon sur la bouche. Elle lui enlève, il la prévient, mais il est abattu d'une balle dans la tête par Blanche. Cette dernière demande à Rebecca ce qu'elle est venue chercher. Elle explique, et Blanche décide qu'elle sera cette infirmière. Dans son inconscience, Liam prononce le prénom de Rebecca. Blanche se dirige vers la communauté à bord du canot à moteur. Frère Absalon et Jessica sont sortis de la pièce où se trouve Liam et ils discutent. Elle le remercie de l'voir accueillie. Elle explique qu'elle n'est pas de bonne compagnie, qu'elle a l'impression parfois qu'elle entraîne le diable à sa suite. Ici, elle estime qu'elle a une chance de se faire oublier, mais sa présence en dérange certains. Absalon lui répond qu'elle ne passe pas inaperçue et qu'ils n'ont pas l'habitude de recevoir des étrangers. Mais il n'a pas oublié l'aide apportée par son père alors qu'ils tentaient de s'établir dans la région. C'est grâce à lui qu'ils ont pu acheter des terres et s'installer en paix. Plus loin, des garçons bêchent un champ sous le regard des filles et de Rafaele qui, lui, observe Abigaël.


Dès le premier tome, il est clairement indiqué sur la tranche que cette Route Jessica est en 3 tomes. Le lecteur s'attend donc à découvrir une fin en bonne et due forme, une résolution à l'intrigue principale et aux conséquences qui en découlent. Effectivement, le scénariste mène à leur terme les principaux fils narratifs. Qui a passé un contrat auprès de Soldier Sun et d'Agripa ? Que veut Carrington ? Quel sera le sort de Blanche ? Razza traîne--il encore dans les parages ? Le lecteur aura même la réponse à l'énigme : Qui a mordu dans la noix ? Le petit singe, la jolie dame ou l'homme velu ? Dans sa structure, le récit ressemble, même plus que les deux précédents, à un album classique de la série. Jessica Blandy retrouve une place principale dans le récit, sans être de toutes les pages : elle apparaît dans 27 pages sur 52. Elle constitue un élément essentiel dans la résolution des intrigues, mais elle n'accomplit pas tout toute seule, et certains personnages jouent également un rôle essentiel dans ces résolutions. Le lecteur retrouve également ce qui fait la personnalité de la série : des tueurs sans état d'âme au point d'en être anormaux par leur absence totale d'empathie, de la violence sèche sans volonté d'esthétisation, quelques éléments typiques des États-Unis comme cette communauté qui fait penser à des Amish acceptant un peu plus de technologie, ou encore les flamants roses de Miami, sans oublier la beauté irrésistible de Jessica, et une touche de surnaturel.



Le lecteur présume que le scénariste a écrit ce triptyque pour répondre à la demande du dessinateur, et peut-être des lecteurs. Comme d'habitude, il fait en sorte de donner de varier les environnements pour que Renaud puisse laisser s'exprimer son talent. Ainsi il découvre un champ de blé mordoré dans une case de la largeur de la page qui occupe la moitié de la page. Cette image a été réalisée à 95% en couleur directe, seule la silhouette de la voiture et celle de l'église sont détourées. Ce dessin communique bien la sensation d'immensité du paysage, de calme, avec une petite brise agitant les blés. En page 6, il voit la route en terre qui permet d'accéder à la ferme de la communauté. Par la suite, il se sent transporté sur le lac à bord du canot à moteur, dans la cave de frère Sandau avec ses murs en pierre, à nouveau dans les blés où Rafaele compte fleurette à Abigaël (une belle cachette), la cuisine modeste de la maison des parents d'Abigaël, le feuillage de la forêt aux abords de la ferme, les bancs très sommaires de l'église, cette étonnante vue générale de la ferme le soir avec un léger brouillard (planche 40), le vol de flamants rose au-dessus d'une belle pelouse bien entretenue, bien verte, cette grande demeure abandonnée dont les meubles sont recouverts par des draps. À chaque fois, l'artiste mêle détourage au trait très fin avec la mise en couleur directe de type aquarelle pour un rendu précis baignant dans une ambiance lumineuse adaptée, pour un effet émotionnel unique.


Renaud soigne tout autant les personnages et leur jeu d'acteur. Il suffit de regarder Soldier Sun pour ressentir sa force, la violence qu'il est prêt à faire parler, son expérience en la matière. Jessica Blandy est toujours aussi belle, sans même qu'elle s'en donne la peine, ce qui provoque à nouveau la chute d'un homme, sans qu'elle n'en ait rien voulu. Frère Absalon est vêtu d'habits simples et résistants, avec des postures qui dénotent un homme portant des responsabilités, ainsi qu'une vraie sollicitude. Blanche est toujours aussi théâtrale, à la fois dans son apparence très étudiée, sa coupe de cheveux si particulière, et toujours habillée de blanc. Carrington a les gestes de quelqu'un habitué à être obéi sans discuter, habitué au pouvoir que donne l'argent. Le lecteur note de petits gestes naturels qui en disent long : la tête courbée d'Absalon face à la maladie de Liam, le regard curieux et libre de Rafaele, les expressions trop assurées d'Agripa, l'agressivité du regard de Blanche, une main qui se pose sur le genou de Jessica, le regard matois et méchant de Carrington, etc.



Renaud à l'art et la manière de donner corps aux éléments du scénario, de les rendre réels et plausibles. Du coup, les bizarreries de l'intrigue ressortent plus fortement. Cette représentation réaliste amène le lecteur à s'interroger sur le choix fait par Dufaux de ne pas mettre en scène une communauté Amish, mais plutôt un ersatz. Surtout qu'il reprend un aspect bien rétrograde qui est celui de la place de la femme, mais sans développer de quelque manière que ce soit les tenants de la foi de cette communauté. Il y a aussi cette église perdue au milieu de champs immenses, en fait quasiment inaccessible aux fidèles. Une fois qu'il commence à s'interroger sur tel ou tel point de l'intrigue, le lecteur se trouve dans un mode où il a du mal à s'arrêter. Quel intérêt de faire intervenir le fils de Sandau si ce n'est pour rappeler que Blanche est prête à éliminer tout le monde, ce qu'on sait déjà ? Et d'ailleurs comment a-t-elle su quel produit injecter à Liam ? Et comment fait-elle pour continuer à marcher avec une balle dans la rotule ? D'un autre côté, le paradoxe de la présence du nom de Jessica Blandy sur la liste de personnes à abattre est levé de manière satisfaisante. Le scénariste ramène également Razza dans le récit, ce qui apporte une logique à ce triptyque, tout en faisant s'interroger sur l'étrange méthode qu'il fait mettre en œuvre pour se venger de Jessica. D'ailleurs, elle lui a fait quoi, déjà ? Puis arrivent les deux dernières pages, et le lecteur a du mal à y croire. Il ne s'agit pas seulement d'une fin ouverte, mais elle donne l'impression que c'est le début d'une nouvelle série dont il vient de lire le prologue en 3 tomes.


Ce troisième tome vient conclure cette courte saison consacrée à Jessica Blandy après la première série qui avait compté 24 tomes. Le lecteur a pris grand plaisir à retrouver les planches de Renaud dont la qualité ne cesse de croitre. Il est parti dans l'idée que le titre annonçait une histoire autour de Jessica sans qu'elle n'y participe forcément. Il a suivi deux équipes de tueur, Soldier Sun & Agripa d'un côté, Blanche de l'autre, travaillant pour deux commanditaires différents, avec des assassinats froids et méthodiques. Finalement Jessica Blandy est bien présente au temps présent du récit dès le deuxième tome, et elle finit même par se battre contre Blanche dans un combat physique de 4 pages. Finalement le scénariste révèle qui sont les commanditaires et quel est leur objectif respectif, tout en donnant l'impression de mettre en œuvre des artifices prêts à l'emploi sans les développer, et parfois même sans en tirer tout le parti possible.



4 commentaires:

  1. "Il y a eu une série dérivée en 2 tomes" : Eh ben, cette série aura eu son lot de titres dérivés ! Vas-tu lire "Crotales" ?

    "Cette image a été réalisée à 95% en couleur directe" : Remarque très intéressante, qui m'a poussé à examiner de plus près les autres scènes de paysages parmi les planches que tu as insérées en extraits. Mais j'ai du mal à m'en rendre compte précisément : peux-tu me dire si Renaud a réalisé la majeure partie de ses paysages (naturels) en couleur directe pour ne faire que les détourages des personnages ?

    "les planches de Renaud dont la qualité ne cesse de croitre" : Elle est incroyable, malgré l'âge avancé de l'artiste, cette capacité qu'il semble avoir à continuer à progresser.

    "le scénariste révèle qui sont les commanditaires [...] tout en donnant l'impression de mettre en œuvre des artifices prêts à l'emploi sans les développer [...]." J'en conclus que la fin reste ouverte et que "fin en bonne et due forme" dont tu parles dans ton quatrième paragraphe n'en est pas forcément une ?

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    1. Je n'ai pas encore jeté mon dévolu sur Crotales, parce que le présent épilogue a douché mes ardeurs pour le personnage.

      Sa progression m'a semblé manifeste tout le long de la série : passant de dessins un peu appliqués à des environnements à l'apparence plus naturelle et plus plausible.

      Il y a une forme de contradiction dans mon commentaire, ce que je n'avais pas perçu. L'intrigue est menée à son terme et tout est expliqué. Cependant la fin est ouverte, or en lisant ta remarque, je m'aperçois que j'ai lu cette trilogie avec l'idée préconçue qu'il s'agissait d'un épilogue, et pas d'un chapitre de plus. Toujours avec le recul des jours qui passent, je me rends compte que je ne suis pas entièrement satisfait du rôle minime de Razza parce que j'en attendais plus sur lui.

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    2. Les paysages naturels - Dans le tome 2, il y en a relativement peu. Sur la première page, les maisons sont détourées au crayon, et les montagnes en arrière-plan, ainsi que le ciel sont en couleur directe. Plus loin, le feuillage des arbres est en couleur directe, puis des fonds marins dans une belle eau transparente, ou encore le sable d'une plage, les vagues qui viennent la lécher.

      Dans le tome 3, en couleur directe : les champs de blé à plusieurs reprises, les routes en terre, l'eau d'un lac, un champ dont la terre a été retournée, le feuillage de arbres, la brume montant sur le flanc d'une montagne, une pelouse impeccable à Miami.

      Après vérification, Renaud a réalisé la majeure partie de ses paysages (naturels) en couleur directe pour ne faire que les détourages des personnages, mais aussi des décors urbain en extérieur, des maisons en intérieur.

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    3. Ta réponse confirme donc ce qu'il m'avait semblé voir sur les planches en extraits. Merci de ces explications complémentaires.

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