mercredi 23 avril 2025

Autopsie T02 Bloody Sunday

Mais mon job, c’est justement de me méfier des évidences !


Ce tome fait suite à Autopsie - Tome 1: Le Sacrificateur (2024) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, car il s’agit d’un trilogie thématique autour du métier de médecin légiste, avec trois personnages principaux différents, dans trois villes différentes. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Antoine Tracqui pour le scénario, Jean Diaz pour les dessins, Antonio Giustoliano pour les couleurs, ce dernier appartenant à Arancia Studio. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée.


Dans une magnifique chambre d’hôtel de luxe, dans un gratte-ciel du centre de Chicago, Paul Wahlberg se dit que : C’est quand même un job en or… Bien sûr, il faut se lever tôt. Mais à part ça, c’est jackpot. Salaire princier, zéro stress, peu de comptes à rendre, jamais de contraventions à payer. Stimulation intellectuelle permanente… et surtout un incroyable piège à filles. Adjointe au maire ou femme de chambre, peu importe, dès qu’il annonce la couleur, c’est toujours la même lueur dans leur regard. Mélange de surprise et d’excitation malsaine, comme si l’odeur du sang leur fouettait les hormones !!! Ensuite, il suffit de raconter deux ou trois histoires un peu glauques, sans forcer sur le trait… et l’affaire est dans le sac !!! En se levant, Paul regarde la femme couchée dans le lit, encore endormie. C’est quoi, déjà, son nom ? Susie ? non… pas Susie… Sally ? Stacy ?… Peu importe à vrai dire, c’était pas terrible ! Ça doit bien être sa quatrième Sandy depuis la fac, et aucune qui soit restée dans les annales. Seul intérêt de celle-ci, elle crèche à deux pas de Humboldt Park. Avec ça, il sera au boulot dans même pas dix minutes !



7h18. Tout le monde le dit : l’arrivée des beaux jours, c’est le meilleur moment de l’année à Chicago. L’hiver est barbant, ce sont surtout les vieux qui claquent : pneumonies, chutes sur le verglas, décompensation de ceci ou de cela, pas mal de feux de cheminée aussi… Sans oublier les clodos qu’on décolle du trottoir quand il fait -30°C… L’été, ce sont les morts violentes : les accidents de bagnole, les soirées arrosées qui partent en vrille, les crétins qui se noient en prenant le lac Michigan pour une pataugeoire, plein de vieux, encore, lors des pics de chaleur… Et bien sûr, grand classique estival, le type seul qu’on retrouve vert et plein d’asticots quand la voisine appelle pour signaler l’odeur… Les demi-saisons sont plus variées chacune avec ses nuances. Quand les jours raccourcissent, le moral s’effondrent et les suicides repartent en flèche. Au printemps, au contraire, quand la sève monte, ce sont les crimes sexuels, ou alors le cinglé qui dézingue femme et enfants avant de se faire sauter le caisson. Curieuse manière d’envisager la ronde des saisons … Non, pas vraiment… Simple déformation professionnelle, en réalité ! Paul Wahlberg se rend à l’institut médicolégal : Aujourd’hui, il y a vingt-trois autopsies au menu… Avec l’échantillonnage standard : quatre homicides et deux suspicions, huit accidents, six suicides, deux morts suspectes à l’hosto et une en prison…


Deuxième tome de cette trilogie et changement de pays, changement de ville, changement de médecin légiste, changement de dessinateur, et sans artiste réalisant le storyboard. Pour autant, le lecteur retrouve la même ambiance que dans le premier tome, grâce aux éléments techniques sur la pratique de l’autopsie. Le scénariste, médecin légiste de profession commence par exposer l’organisation d’une journée de travail dans un institut médicolégal : le nombre d’analyse à réaliser, le personnel présent, la répartition des cadavres en fonction des compétences, etc. Puis il en pratique une, alors que ses pensées portent un regard satisfait sur la qualité de son propre travail. Les dessins montrent différentes phases de son activité : les gants, les scanners projetés sur grand écran, les personnes assistant à l’opération, la première incision au scalpel, le prélèvement de la matière cervicale, l’ouverture de l’abdomen, et après dans son bureau la rédaction du rapport. Les dessins sont précis, descriptifs et réalistes. La mise en lumière produit un effet blafard, avec une majorité de nuances de gris. Plus tard, Paul Wahlberg doit pratiquer une nouvelle autopsie dans des conditions artisanales, dans une cuisine avec des ustensiles afférents. Le récit montre alors le recours à des gants de vaisselle, à une batterie de couteaux de cuisine, l’emploi d’un thermomètre à rôti, un sécateur pour découper les côtes, une balance à plateau pour peser les organes, des bocaux pour les échantillons, etc.



Avec un tel métier pour le personnage principal, le récit relève forcément du polar. Le scénariste a choisi un point de départ différent de celui du tome précédent, et un déroulement plus compact dans le temps : environ vingt-quatre heures. Le flux de pensées de Paul Wahlberg est écrit de manière construite, servant de moyen d’exposition d’un certains nombres de faits. Première dimension de ce roman policier avec une composante sociale : le lieu. L’intrigue aurait peut-être pu se dérouler dans une autre grande métropole américaine ; pour autant scénariste et artiste mettent à profit plusieurs spécificités de Chicago. De nombreuses cases montrent la ville : une illustration en pleine page des immeubles d’un quartier pour la page six, les grandes avenues avec quatre files de circulation dans chaque sens, les rues un peu moins larges du quartier où se trouve le rade dans lequel le médecin va pécho, les grandes propriétés et riches demeures dans les lointaines banlieues etc. Ensuite, l’intrigue repose pleinement sur le métier du personnage principal : c’est l’occasion d’évoquer les enjeux d’une autopsie, ainsi que les compétences nécessaires pour la réaliser de manière rigoureuse, le matériel, l’état d’esprit d’un médecin légiste par rapport à la chair, à la mort, aux actes de violence meurtrière, et aussi aux morts banales dans l’indifférence de la société. Dans le même temps, le dessinateur représente de manière pragmatique les actes de découpage et de prélèvement sur un corps redevenu un simple objet inanimé, privé de personnalité. Les auteurs mettent également en œuvre des conventions propres à ce genre littéraire, telles que la famille mafieuse dysfonctionnelle, la violence gratuite, et le plan bien préparé.


Le lecteur se retrouve embarqué avec Paul Wahlberg, contre son gré dans une autopsie artisanale réalisée dans une cuisine parce qu’un parrain mafieux souhaite en avoir le cœur net sur les circonstances réelles du décès de son fils. Il suit alors une enquête qui repose à la fois sur les éléments mis en évidence au fil du déroulement de l’autopsie et sur les informations qui arrivent par d’autres canaux comme les conversations, ce que le médecin peut avoir entendu sur cette famille, et la lecture d’un document dans les archives. De temps à autre, le lecteur ressent bien que le scénariste écrit une phase d’exposition. Il constate également qu’il y a eu une amélioration par rapport au premier tome : ces phases sont mieux construites, plus courtes, et la narration visuelle montre d’autres éléments dans le même temps. Cela commence avec la première autopsie dans l’institut médicolégal, avec les images montrant la pratique et les cartouches de texte contenant les commentaires du médecin. Puis Wahlberg se retrouve ligoté sur une chaise, et le parrain Luca Scarfone lui explique ce qu’il attend de lui, pendant que le lecteur peut voir comment réagisse les autres membres de la famille dans la même pièce. Après cette première partie de l’autopsie, tout le monde se trouve assemblé dans le salon à écouter les conclusions provisoires du médecin, et là encore le lecteur peut voir les réactions des différentes personnes. Plus tard, lorsque que Wahlberg lit un long article sur la famille Scarfone, le scénariste rédige quatre extraits dans les cellules de texte, simulant la lecture fragmentaire pour plus d’efficacité.



Les auteurs apportent également ce qu’il faut de personnalité à leur personnage principal pour qu’il dispose d’assez d’épaisseur : à la fois par son professionnalisme, et son regard presque lucide sur lui-même. Il sait qu’À en croire certains, il serait un sale type. Arrogant vaniteux, immature, séducteur compulsif et totalement égocentrique. Tout cela est certainement exagéré… Mais vu que ses ex s’accordent toutes sur ce diagnostic, il y a peut-être un fond de vérité. Ils montrent également sa première levée de corps en solo où il finit plaqué au sol par le cadavre trop lourd pour lui, scène permettant de jauger sa force de caractère. De la même manière, ils donnent de l’épaisseur à Bianca Scarfone, la conseillère du Don. Comme dans le tome précédent, le lecteur reste déconcerté par la très grande tolérance au froid des personnages, qui restent soit en bras de chemise soit en robe avec un grand décolleté à papoter sous la neige comme si de rien n’était. Pour autant, le cumul des différents ingrédients (environnement, autopsie, personnages) aboutit à un récit bien construit, avec un suspense généré par les résultats de l’autopsie, mais aussi la situation mortelle dans laquelle se trouve le personnage principal (il n’y a aucune raison que la famille Scarfone le laisse en vie après les résultats), et la conviction qu’il se trame autre chose en arrière-plan entre les membres de ladite famille.


Deuxième médecin légiste, deuxième autopsie, deuxième ville : le scénariste a gagné en aisance dans sa narration qui apparaît plus fluide. Nouveau dessinateur, tout aussi impliqué que le précédent pour donner à voir les situations de manière réaliste et descriptive, sans redondance avec ce que disent les dialogues ou les cellules de texte. Même metteur en couleurs, pour des ambiances en phase avec la tension et la noirceur des situations. Un bon polar tenant le lecteur en haleine.



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