Pas de chance pour Xiàn, mais il était trop bête pour vivre longtemps !
Ce tome est le quatrième d’une heptalogie qui a fait l’objet d’une intégrale en deux tomes en 2012. Il fait suite à Bruce J. Hawker tome 3 Press gang (1987). Cet album a été réalisé par William Vance (1935-2018) pour le dessin, et par Petra Coria (1937-2024) pour les couleurs. Il marque l’arrivée d’André-Paul Duchâteau (1925-2020, créateur de la série Ric Hochet) au scénario. Il a été prépublié dans les numéros 556 à 565 du journal de Tintin en juillet 1986. La première édition en album date de 1987. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée.
Ce soir-là, le cotre anglais Sarah navigue près du cap Burela, en Galicie, Espagne. À son bord, le capitaine Lund estime que le ciel de sang constitue un mauvais signe. Il dit à Bruce J. Hawker que c’est un signe de bourrasque. Il ordonne à Pyke, son second, de mettre en panne, d’installer les pendeurs. Les rafales de vent vont compliquer la manœuvre de mise à la mer de la chaloupe. Hawker se félicite de pouvoir compter sur son unité, une dizaine de hardis gaillards. En outre, il a une revanche à prendre après l’échec du Lark. Comme le cotre navigue, le mistral s’abat en catastrophe. S’il était superstitieux, Lund dirait que Dieu n’est pas avec eux ce soir. Bruce J. Hawker répond du tac au tac : Aide-toi, le ciel t’aidera ! L’ordre est donné : Tout le monde à la chaloupe ! Une fois que celle-ci a touché les flots, Hawker crie pour qu’elle soit décrochée. Malgré les terribles rappels de roulis et dans les grands coups de tangage, l’équipage se met à ramer vers la côte. Le combat est engagé entre la mer déchainé et l’embarcation… La chaloupe, que tourmente sans pitié l’océan, tangue et gémit sous les coups de boutoir de la tempête… Les vagues glaciales cinglent les hommes cramponnés à leurs avirons…
Bruce J. Hawker exhorte ses hommes à fournir encore un effort : la crique est proche ! En son for intérieur, il se dit que s’ils sont retournés par ce souffle de géant, nul ne pourra survivre. Soudain, il voit les récifs devant eux. L’esquif se fracasse dessus. Un homme se noie. Pas même le temps de se signer pour lui, ce compagnon courageux, que le sort a déjà condamné… Le rire de la mer, le rire tonitruant de l’ogresse… Comme si elle se jouait des hommes, les précipitant, par jeu cruel, vers les récifs… Enfin… Presque un miracle : la crique… Hawker et ses hommes, ceux qui ont survécu, prennent pied sur la grève. Ces rescapés, épuisés, se laissent tomber comme des géants sur le sable… Bientôt, Hawker se relève et intime aux autres d’en faire autant, et de se rendre à la falaise. Celle-ci, gigantesque, paraît défier tous les efforts. Les hommes s’encordent et se mettent à escalader la paroi à pic. Le vent souffle avec force, obligeant Bruce et ses hommes à se cramponner aux rocher pour éviter d’être désarçonnés par les rafales. Avec une terrible lucidité, Bruce sait déjà que tous ne parviendront pas au sommet…
Cet album est repris dans le tome deux de l’intégrale qui comprend un dossier introductif de vingt-et-une pages, richement illustré, réalisé par Jacques Pessis, intitulé Quand Vance embarque avec Duchâteau. Il évoque leur complicité enthousiaste, leurs précédentes collaborations, de brèves aventures dans Tintin Sélection, Captain Blood (film de 1935, réalisé par Michael Curtiz) le modèle de Duchâteau, les honneurs faits par les critiques pour Vance concernant cette série, le cadavre exquis du journal de Tintin, les compliments du scénariste au dessinateur. Il comprend également les quatre planches d’une bande dessinée (Bougainville et le curé de Boulogne) qu’ils ont réalisée ensemble, des reproductions de couvertures de différents journaux de prépublication, les huit pages de l’histoire courte L’Écervelé, quatre pages d’un scénario inédit que Vance n’a jamais pu dessiner du fait de la maladie de Parkinson. Le lecteur apprend également que l’inspiration du scénariste est telle qu’il commence par une histoire en deux parties. Implicitement, le lecteur s’attend à des aventures maritimes, toutefois pour cet album, elles n’occupent que sept planches, et le reste se déroule à terre en Espagne. L’artiste s’en donne à cœur joie dans les vues maritimes à couper le souffle : le cotre fendant les vagues, une vue de dessus du navire, vertigineuse occupant les deux tiers d’une page, et la séquence de naufrage terrifiante. La coloriste enchante par la beauté de ses compositions, en particulier les couleurs changeantes de l’eau.
Le dossier introductif promet donc une histoire dense. Le lecteur reprend pied immédiatement dans la série, puisque le nouveau scénariste bâtit son récit sur la situation précédente du personnage principal : Bruce J. Hawker a échoué dans sa mission de convoyer une arme secrète en pièce détachées, et il a été condamné pour ça, puis gracié en partie pour sa bravoure contre l’ennemi. Il repart pour l’Espagne, avec une nouvelle mission : remettre la main sur ces mêmes pièces détachées que les Espagnols vont acheminer depuis les soutes d’un navire vers une nouvelle destination, par la voie terrestre. L’ancien lieutenant de la marine britannique doit débarquer secrètement sur la côte espagnole avec une petite équipe, puis rejoindre un agent de liaison et intercepter le convoi, s’approprier les caisses (ou en reprendre possession, en fonction du point de vue). L’affaire se complique dès la deuxième page avec la tempête qui rend le débarquement périlleux, puis la présence d’une bande de brigands espagnols, menée par un certain Teixido, qui a l’intuition d’une bonne affaire, et qui compte bien mettre la main sur le trésor, même s’il n’en connaît pas la nature. Bien sûr, l’armée espagnole ne l’entend pas de cette oreille : que ce soit la présence des Anglais sur son sol, ou les méfaits des brigands.
Le lecteur constate dès le naufrage de la chaloupe que les touches adultes restent présentes. Cela commence par un noyé, dont la tête dépasse à peine des flots alors qu’il est balloté par la mer déchaînée. Dans la case suivante, l’écume se teinte de rouge alors qu’il vient d’être écrasé et déchiqueté contre un récif. Au cours de leur avancée en territoire ennemi, les Anglais découvrent une femme qui a été violentée : elle dit explicitement qu’elle a été violée. Puis lorsqu’elle se trouve dans une situation qui le lui permet, elle poignarde froidement un de ses violeurs. Lors d’une fête dans un village, les brigands décident de saouler les habitants, puis de déclencher une bagarre d’ivrognes, pendant qu’un groupe de femmes offrent leurs charmes aux hommes pouvant se les payer. La narration visuelle reste chaste, sans gros plan sur un individu en train de boire comme un soulard, sans nudité, pour autant les dialogues indiquent explicitement ce qu’il en est. En outre, le lecteur voit que la mise en place de trois factions différentes positionne le récit au-dessus d’une simple dichotomie opposant deux ennemis. Pour autant, le récit reste bien dans le cadre d’une aventure classique, se terminant par une question (Teixido et ses brigands vont-ils attaquer Bruce Hawker et ses compagnons, et réussiront-ils à s’emparer de l’arme secrète ?) et par une phrase promettant que c’est ce que le lecteur découvrira dans le prochain épisode.
Le lecteur ressent bel et bien cette densification de la narration, avec une intrigue comprenant de nombreuses péripéties, et il l’apprécie car cela donne du grain moudre à l’artiste. Ayant à peine eu le temps de reprendre leur souffle, les membres du commando britannique (et le lecteur) entament l’escalade de la paroi rocheuse de la falaise à pic. Le dessinateur utilise des cases plus étroites sur une hauteur de deux tiers de la page, pour un effet de verticalité. Passée cette épreuve, il réalise une page sans un seul mot : cinq cases consacrées à la campagne espagnole, le lecteur ayant la sensation qu’il regarde avec les yeux du héros qui jauge l’environnement et essaye de détecter une éventuelle présence dangereuse. La planche trente-trois est également dépourvue de mots : trois cases, dont une occupant les deux tiers de la page, l’avancée de la colonne de militaires et son entrée dans le village de Boruxo, ils en imposent. Une nouvelle planche muette pour la quarante-cinq : à nouveau trois cases dont une qui occupe les deux tiers de la page. La petite troupe d’une demi-douzaine de personnes déguisées en paysans espagnols, avance sur un chemin de basse montagne, avec une vue magnifique du paysage, rendue encore plus belle par la mise en couleurs.
Le lecteur ressent le plaisir du dessinateur sur chaque planche : les environnements naturels qu’il s’agisse de l’océan ou des montagnes, les personnages. Il retrouve ses traits de contour fins et assurés, presque cassants par endroit. L’attention portée aux bâtiments, aux tenues, aux accessoires, avec le souci de l’authenticité historique. La narration visuelle impeccable et rigoureuse, avec une implication pour la variété de la mise en scène, et une petite touche romantique pour ses personnages. Bruce J. Hawker a conservé toute beauté flegmatique, sa retenue toute britannique, son sérieux vaguement résigné, et sa chevelure abondante. Diana Summerville possède un charme fou allant jusqu’au charisme, une séduction qui irradie de chaque case. Elle est autant crédible en femme violée cherchant un réconfort et une protection dans les bras de Bruce J. Hawker, qu’en furie poignardant sauvagement un homme, ou encore en femme d’une grande beauté subissant les avances d’un soudard. Un personnage impressionnant.
Bruce J. Hawker reprend du service avec un nouveau scénariste bien investi, mêlant détails historiques, aventures intenses, continuité avec les précédents tomes, tout en conservant l’intelligibilité pour ceux qui ne les auraient pas lus, et une forme de prévenance pour l’artiste afin de lui ménager des moments de nature à mettre en valeur ses points forts. William Vance, bien complété par Petra Coria, crée des planches formidables, réalise une narration visuelle impeccable, avec un dosage parfait entre lisibilité, diversité dans les prises de vue, moments à couper le souffle, intensité des personnages. Il tarde au lecteur de retourner aux côtés de Bruce J. Hawker et de Diana Summerville.
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