mercredi 12 juin 2024

L'Héritage d'Émilie T05 L'Arcane


Vaincu par une tisane ! Plutôt humiliant pour un envoyé des étoiles !


Ce tome fait suite à L'Héritage d'Émilie - Tome 4 - Le Rêveur L'Héritage d'Émilie - Tome 4 - Le Rêveur (2006), dernier tome d'une série de cinq racontant une histoire complète. Sa première édition date de 2006. Il a entièrement été réalisé par Florence Magnin, scénario, dessin et couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Cette série a fait l’objet d’une intégrale publiée en 2023.


Quelque part sur Thétys, John Hatciff a consommé des cristaux à l’état pur et il avance dans une immense cité déserte. Un observateur se demande combien de temps avant que les cristaux lui grillent la cervelle. Un autre constate que Hatcliff commence à rêver et qu’ils doivent se concentrer pour arriver à le suivre. L’homme voit une jeune fille en train de jouer du pipeau. Elle lève la tête, descend de son perchoir et se met à courir, il court après elle. Ils finissent par aboutir dans le cabinet de l’Arcane. Celle-ci accueille le visiteur avec empressement et elle lui dit qu’elle sait ce qu’il veut, car elle est l’Arcane. Mais son aide a son prix. Il répond qu’il est prêt à lui offrir tout ce qu’elle voudra. Elle lui demande de se souvenir, elle va lui dire l’histoire d’une reine et d’un guerrier, de leur amour perdu… aussi celle d’un trésor dont la plus belle pierre était fruit défendu. Pendant ce temps-là, le domaine d’Hatcliff est recouvert de neige. Bran demande à Christopher Jenkins s’il est sûr qu’Arkhos dort. Son interlocuteur lui répond que la mort n’entre pas ici, pas encore, mais Arkhos en a pour un moment car les tisanes de Nancy sont très efficaces. Bran s’esclaffe : Vaincu par une tisane, plutôt humiliant pour un envoyé des étoiles ! Jenkins ajoute que rien n’est perdu car Émilie a deviné où se trouve l’entrée du labyrinthe. Ils rentrent dans la cuisine et Nancy les informe que Lady Darkmooth est à faire peur et que Meghan refuse de partir.



Émilie sort la montre qu’elle a récupérée auprès d’Arkhos en indiquant que c’est la clé du labyrinthe. Les quatre personnes sortent au dehors et se dirigent vers le kiosque. Émilie monte seule sur le plateau du kiosque et elle fait jouer la musique de la montre. Cela a pour effet de déclencher un mécanisme et le plateau descend de quatre mètres, révélant l’existence d’une salle circulaire souterraine, avec des étagères, une table de travail, une échelle pour pouvoir en sortir. Nancy, Bran et Jenkins l’empruntent pour rejoindre Émilie. Ils empruntent la porte et accèdent ainsi à au réseau d’immenses cavernes sous le domaine. Après une longue marche, Jenkins et Nancy n’en peuvent plus, et le petit groupe fait une halte. Nancy désigne Jenkins comme partiellement responsable de leur situation. À la demande d’Émilie, il raconte comme il a aidé Hatcliff à quitter le domaine. Ce dernier voulait qu’on le croie mort et garder le secret du passage… Alors, le soir de son départ, Hatcliff et Jenkins ont mystifié tout le monde ! Ce n’est pas une, mais deux explosions qui ont eu lieu en même temps ! Une charge avait été placée sous la souche et une autre dans la fusée qui devait être le clou de la fête… Hatcliff y a pris place sous les yeux de la foule… avant de s’éclipser discrètement par derrière.


A priori, la résolution de l’intrigue s’annonce plutôt simple : les personnages vont réussir à franchir la porte, avec l’aide de la gardienne ou à son insu, et tout va rentrer dans l’ordre. Dans le détail, le lecteur pressent que c’est un peu plus compliqué, entre Émilie qui a perdu de vue son objectif (le lecteur également), le visiteur (Arkhos) qui souhaite renter chez lui-même si cette notion a perdu de son sens car sa planète d’origine a beaucoup évolué, Louis-André Bertin (John Hatcliff) qui souhaite revenir sur Terre dans son domaine dont il pourrait assurer le renouveau et la pérennité, Nancy et Christopher Jenkins que les décennies sont en passe de rattraper, Lady Darkmooth et Meghan au seuil de la mort, sans oublier encore Dorothy, Alex et le troisième larron. Et puis, l’autrice continue de développer son récit dans de nouveaux territoires, comme elle l’a fait à chaque tome, continuant à créer plutôt que de se contenter de relier les différents fils narratifs entre eux et de révéler les mystères. Le lecteur s’en trouve fort aise car il se posait encore de nombreuses questions sur l’Arcane, le personnage qui donne son nom au titre de l’album. Il en apprend de belles tout du long de ce dernier tome, à la fois sur la nature de cette Sophie (l’autrice anticipant de quinze ans l’importance d’une innovation technologique majeure et inquiétante), à la fois sur celle d’Arkhos (énorme surprise), ou encore sur celle des leprechauns.



Alors que les précédents tomes l’y avaient habitué, le lecteur reste pris par surprise par la volonté de l’autrice de continuer à enrichir son récit, aussi bien sur le plan de l’intrigue que visuellement. Le voyage se poursuit, revisitant des lieux familiers du lecteur, et l’emmenant dans de nouveaux. En ouverture, un dessin occupant les deux tiers de la page : une magnifique vue des temples avec une architecture d’inspiration gréco-romaine, d’une dimension monumentale. Dès la page trois, Hatcliff pénètre dans le cabinet de Sophie, une diseuse de bonne aventure, avec une décoration puisant son inspiration à la fois dans les contes et les légendes, à la fois dans le folklore des gens du voyage. Le lecteur est venu pour ça, et il prend le temps d’observer chaque détail : les masques de type loup, la bouilloire négligemment posée par terre, la nappe étoilée, la boule de la diseuse de la voyante, les chats installés à leur aise, les cages à oiseau, le confortable fauteuil agrémenté de moelleux coussins, les bibelots sur les étagères, les grandes draperies rouges à liseré doré, un hibou perché, une urne, une guirlande végétale, une tasse à café, tout cela en une seule image. Il sait qu’il va se régaler dans ce tome encore. En effet, en suivant les personnages, il retourne dans le domaine enneigé, dans le réseau de cavernes monumentales sous le domaine, dans le château d’Hatcliff de plus en plus lugubre à mesure que la vie s’en retire.


L’artiste crée de nouveaux lieux, de nouveaux paysages enchanteurs. Devenu rêveur sous l’effet des cristaux, Hatcliff va consulter l’Arcane dans ce qui a l’apparence d’une grande fête foraine à ciel ouvert : stand de tir, stand avec une roue à tourner, montagnes russes, grande roue, la roulotte de Sophie, un immense chapiteau dans lequel il découvre une danseuse, des équilibristes, une créature ailée jouant de la harpe, un prestidigitateur faisant sortir des papillons de son chapeau, d’étranges petits quadrupèdes domestiqués et affublés d’un costume de scène, des ballons colorés, un trapèze, un câble de funambule, etc. Le lecteur pénètre également dans un grand hall animé par une fête du petit peuple, une scène comportant également un luxe de détails. Il patiente avec Émilie et Bran au pied d’un immense arbre dans une forêt magique, dont le tronc comporte une porte avec deux battants de plusieurs mètres de hauteur. Une cité fantastique abritant une tour où se trouve la porte. Etc. Le lecteur peut se projeter dans chaque lieu, peut constater leur géographie, leur aménagement, leurs éléments spécifiques, la manière dont es individus l’habitent. Il ressent le fait que chacun de ces lieux est à la fois concret et tangible pour l’artiste qu’ils existent dans son esprit, qu’elle s’y est souvent rendue, ce qui lui permet de les décrire dans leur cohérence, de les donner à voir au lecteur.



Transporté dans chacun de ces ailleurs si palpables, le lecteur devient tour à tour un voyageur, un explorateur, un habitant, en fonction des circonstances et des personnages concernés. Il perçoit inconsciemment que l’ensemble présente une solide logique, tout en découvrant de nouvelles informations qui s’emboîtent sans solution de continuité, et prenant conscience de pans entiers inattendus de ce récit, ayant tenu pour acquis que ce qu’il ignorait était insignifiant ou qu’il avait deviné ce qu’il en était (en particulier pour le fonctionnement des portes, ou pour la civilisation ayant réduit à néant l’empire d’Arkhos). L’autrice reste cohérente avec les grands principes de la série : il n’y a pas de héros au sens classique et altruiste du terme, Émilie ne fait pas soudainement montre de capacités extraordinaires physiques ou mentales. Il sourit en voyant que les sbires d’Arkhos (Dorothy, Alex et leur comparse) se retrouvent sur le bord de la route, totalement inutiles. Il sourit également en voyant Nancy et Christopher Jenkins faire leur âge et s’arrêter pour attendre le retour des jeunes (Émilie et Bran) tout en picolant un peu pour passer le temps. Il relève de ci de là des remarques en passant, dénotant un humour discret et piquant. Par exemple : Combien de temps avant que les cristaux lui grillent la cervelle ? Un peu d’ironie sur l’effet des substances hallucinogènes. Autre exemple, une gentille moquerie : Vaincu par une tisane ! Plutôt humiliant pour un envoyé des étoiles ! Troisième exemple : Inconséquence féminine ! Elle plaisante quand la mort nous guette !! Enfin, de par le rôle de l’Arcane, le rapprochement avec l’autrice elle-même apparaît comme une évidence : elle incarne la créatrice elle-même, et elle conclut le récit par ces mots Le cœur bat encore pour commencer une autre histoire.


Le lecteur était parti avec un a priori sur la base de la couverture : une simple série d’une jeune femme découvrant le monde des fées, avec des dessins doux à l’œil. De tome en tome, il a découvert une intrigue explorant un monde d’une richesse visuelle inattendue, se développant dans des directions surprenantes, s’enrichissant à la fois de nouveaux éléments à chaque tome, et de lieux où l’autrice à l’habitude de s’y rendre régulièrement, par le pouvoir de son imagination. Il a été enchanté par les transports de l’aventure, par l’humanité et les failles de chaque personnage, par leurs manières simples, par l’amour de l’autrice pour les conventions de genre, et par la gentillesse et l’honnêteté avec lesquelles elle les nourrit.




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