jeudi 6 juin 2024

Fox, tome 4 : Le Dieu rouge

Ce que l’on croit ne correspond pas toujours à ce que l’on voit.


Ce tome est le quatrième d’une heptalogie, il fait suite à Fox, tome 3 : Raïs el Djemat (1993). Sa première édition date de 1994. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Jean-François Charles pour les dessins, et Christian Crickx pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-huit pages de bandes dessinées. La série a bénéficié d’une réédition intégrale en deux tomes en 2005, puis en un tome en 2024.


Un crâne dans l’obscurité : il indique qu’il est le gardien. À celui qui veut approcher de son maître, il dit de lui donner une livre de chair et le visiteur avancera d’un pas, lui donner la clé et il se prosternera devant la face du Tout-puissant. Une lueur dans l’obscurité : Mister Peter et Mister Puskas viennent de trouver la chambre du gardien, ils touchent au but, il faut prévenir le patron, appeler Karl. À l’extérieur, le téléphone de campagne sonne, Karl décroche, écoute, puis il indique à Taba qu’il va descendre au village. Dans le sous-sol, les deux explorateurs entrent dans la chambre du gardien : ils le découvrent momifié sur un trône. Pour leur plus grande surprise, ils constatent qu’une torche allumée est déjà présente dans la chambre : quelqu’un est passé avant eux, et il n’y a pas longtemps. Ils examinent ensuite les peintures murales : la fresque est remarquable. Elle doit représenter le jugement de Seth. Toth conduit les débats. Isis et Horus accusent Seth du meurtre d’Osiris. Après un long procès, Seth sera finalement reconnu coupable et banni d’Égypte. C’était un dieu agressif et violent. Il jura de se venger, de revenir parmi les siens en maître incontesté, dût-il plonger son pays dans un bain de sang. On l’appelait le Dieu Rouge. D’où cette couleur probablement. Peter constate que c’est du sang frais sur la fresque.



Puskas attire l’attention de Peter sur le fait que la momie du gardien a bougé : sa tête a pivoté, comme s’il voulait les observer. Le crâne répète qu’il est le Gardien. À celui qui veut s’approcher de son maître sans apporter d’offrandes, il promet que ses viscères s’épandront sur le sol. Et sa souffrance, alors, sera à la mesure de la colère du Tout-puissant. Dans la ville proche, Karl entre dans une échoppe et demande à Ardath Bey si le téléphone est libre. Il appelle l’hôtel Le Cataract et demande qu’on lui passe la chambre 54. Il faut insister car c’est urgent. Dans la construction souterraine, Peter et Pulkas continuent leur progression : ils arrivent dans une pièce souterraine de dimension encore plus grande. Peter remarque alarmé que le sang sur sa main reste liquide, qu’il continue de couler. Pulkas en a à son tour sur sa main, il ne se sent pas bien. Peter constate très inquiet, que ses ongles vont se détacher de ses doigts. Suivi de Peter, Pulkas avance dans un long couloir en disant que c’est comme un portemanteau. Il aperçoit devant lui un agent de quai sur un rebord qui lui demande ce qu’il fait là : l’express de 16h43 va arriver ! Il souffle dans son sifflet, mais l’attention de Pulkas est accaparée par le sang sur sa main. Il faut qu’il se ressaisisse.


Le lecteur entame ce tome, très curieux de savoir comment les différentes pièces du puzzle vont s’assembler, ce qu’il va advenir des différents personnages, tout en ayant conscience que les deux principaux protagonistes en réchapperont probablement. Quel sera le sort du livre de Toth ? Du clown blanc ? Seth reviendra-t-il sur Terre ? Les auteurs mènent à bien leur intrigue et répondent à chacune de ces questions et aux autres apparues dans les tomes précédents, concluant ainsi cette première enquête de Fox. La fibre mythologique égyptienne prend le dessus. Les personnages se trouvent tous en Égypte, et le lecteur assiste à la découverte de la chambre du Gardien, également dans un site archéologique égyptien à Qubbet el-Hawa face à Assouan. Les représentations des sites archéologiques, des hiéroglyphes et des habitants vont au-delà de quelques accessoires génériques et en toc. Le crâne lui-même présente des caractéristiques qui le rendent unique : le haut front, la forme des orbites, l’état de la dentition. Puis le lecteur peut voir l’entrée de la fouille à flanc de montagne : des étais et une lanterne qui lui font tout de suite penser aux étais de la mine dans la séquence d’ouverture du premier tome. La chambre du gardien présente donc une fresque de grande dimension, des hiéroglyphes disposés en colonne qui ressemblent à quelque chose, le trône de la momie avec une statue de hyène de part et d’autre, des ossements humains au sol.



Ainsi l’artiste donne à voir des endroits particuliers au lecteur : la ville d’Assouan avec son minaret, le bel hôtel de style colonial avec les felouques sur le fleuve en contrebas, les vêtements locaux des figurants, le temple enseveli à Philae avec ses bas-reliefs, la statue monumentale d’Isis, le souk, la danseuse du ventre, les palmiers sur la rive du fleuve, le sarcophage avec sa momie toute fraîche (pas encore morte même), etc. Le lecteur apprécie de pouvoir se projeter dans ces lieux consciencieusement décrit. Les personnages se meuvent en fonction des caractéristiques de l’endroit où ils se trouvent : la descente précautionneuse des marches d’escalier avec la lanterne à la main pour Peter et Pulkas, le lent examen de l’épave d’avion de chasse dans le désert, les passagers accoudés au bastingage du bateau à moteur sur le Nil, la marche lente et pesante d’Allan Fox dans son scaphandre, son combat malhabile contre un crocodile sous les flots, le moment de calme sur la rive du Nil, l’escalier de fortune taillé dans la roche de la paroi d’un immense caverne, etc. Le travail du coloriste est remarquable, du naturalisme tirant parfois vers la mise en avant d’une teinte, ou d’un arrangement de couleurs pour créer une ambiance lumineuse. Il effectue un travail minutieux pour faire ressortir chaque détail de toutes les cases, pour souligner discrètement le relief d’une surface ou d’un matériau. Le glissement vers l’expressionnisme quand les eaux du Nil commencent à tirer vers le brun rouge.


Le lecteur éprouve la sensation d’un hommage le temps d’une case, aux influences qui nourrissent ce récit. Par exemple : le visage très épuré d’Adrianna Puckett avec l’ombre portée de son chapeau en plein désert en planche neuf évoquant une femme fatale du cinéma, le scaphandre avec ses tuyaux d’alimentation d’air sous l’eau évoquant Tintin, les murs magnifiquement ouvragés des chambres souterraines monumentales évoquant Le mystère de la grande pyramide, etc. Les auteurs savent faire leurs les conventions de différents récits d’aventure, pour réaliser une œuvre personnelle qui leur est propre. À commencer par le héros Allan Fox. Comme dans les tomes précédents, son rôle est plus limité que celui du personnage courageux et providentiel, dont chaque intervention mettrait en avant son courage et la résolution de conflits ou d’énigme grâce à sa simple présence, ou par ses capacités remarquables. De fait, Allan Fox apparaît dans vingt-huit pages, soit un peu plus que la moitié. Ensuite, il est sauvé à plusieurs reprises par d’autres personnages, comme le dieu Bès et une adolescente. Prise en otage par Lord Calder, Edith se sort par elle-même de cette situation, sans l’aide de Fox. Dans l’affrontement final, il subit les circonstances, sans reprendre le dessus. Les hommages à des séries d’aventure apparaissent avec évidence, et en même temps la victoire est atteinte avec une participation réduite du personnage principal.



Tout en savourant des visuels d’une grande richesse (la façade de l’hôtel Le Cataract, le temple englouti, la danseuse du ventre, les tapis, l’ameublement de cette salle, le bazar dans l’échoppe d’Ardath Bey, les symboles ésotériques en fond de case quand Fox lit le livre de Toth, etc.), le lecteur voit se dérouler cette folle entreprise de permettre à Seth de revenir sur Terre. Il découvre la motivation du responsable de ces actions, relevant à la fois du récit de genre, d’une ambition aussi vieille que l’humanité, et d’une motivation puissante. Il voit comment des êtres humains essayent de manipuler pour leur profit, des forces qui les dépassent en entendement. Il constate à quel point chaque individu doit payer un lourd tribut qu’il soit responsable de ces actions ou qu’il en soit la victime. Le scénariste met en scène dans d’autres configurations, plusieurs des leitmotivs qu’il a installés dans les tomes précédents : la formule Raïs el Djemat, le groupe de babouins féroces, l’apparition de la déesse Isis, l’intervention du dieu Bès. Il semble même donner l’impression de disposer de trop de matière narrative à certains moments. Le lecteur est pris de court par le sort d’Adrianna Puckett qui semble n’avoir pas eu l’occasion de révéler tout son potentiel. Le fourmillement de scarabées rappelle l’avertissement à Allan Fox au début du tome deux, mais sans réelle corrélation ou lien de cause à effet. Le personnage du Pénitent reste bien mystérieux, comme sous-exploité lui aussi. Le clown blanc fait une dernière apparition, brève et quelque peu frustrante.


Le lecteur découvre avec plaisir le dénouement de cette première saison. Jean-François Charles semble avoir progressé de tome en tome. Il prend un plaisir évident à intégrer de discrets hommages à des références du cinéma d’aventures égyptiennes, avec des paysages d’une belle consistance, et des personnages à la séduction sophistiquée. Le scénario arrive à la phase attendue : la tentative de résurrection du dieu rouge, tout en s’appropriant les conventions de genre et en les changeant. Une belle aventure.



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