mercredi 31 janvier 2024

very bad dates

Mais ça demande tellement de temps !


Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Gaëlle Sanchez, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-quatorze pages de bande dessinée. Il commence par une introduction d’une page de l’autrice qui explicite sa mission d’inspectrice de l’amour : donner une voix à celles et ceux qui, comme elle, ont navigué (et naviguent peut-être encore) dans les eaux tumultueuses du dating. Ses personnages vont vivre ces expériences embarrassantes et malgré tout amusantes, rappelant au passage que la quête de l’amour est parfois semée d’embûches. Ces histoires sont alors une invitation à rire de ces propres mésaventures romantiques, à trouver de la légèreté dans des situations insolites, à dédramatiser certaines pressions sociales liées au célibat, mais aussi à prévenir certains comportements… afin de transformer les pires rendez-vous en souvenirs mémorables.


Dans un appartement, Jade s’étonne que Nina ne soit pas là. Léo répond qu’elle se prépare car Madame a un date. Victoria relève la tête de son téléphone, trouvant ça intéressant, alors que Rafaël sourit en écoutant. Nina passe par la porte vêtue d’une belle robe rouge, en demandant à Léo s’il est jaloux. Ce dernier répond que pas du tout. Il ajoute qu’elle est la meilleure coloc du monde, avec son emploi du temps de ministre du dating. Rafaël lui lance une pique en lui faisant remarquer que pour Léo c’est très calme de ce côté-là. Victoria renchérit en ajoutant qu’il va leur dire qu’il prend du temps pour lui, qu’il redécouvre le célibat, bla, bla, bla. Très détendu, Léo répond que c’est exactement ça. Jade demande qui est le mec que Nina voit ce soir. Rafaël ajoute qu’ils peuvent en savoir plus puisqu’elle les abandonne. Elle répond : ils ont matché sur une application et ce soir, c’est la première fois qu’elle le rencontre, il s’appelle Marc.

Jade demande à Nina si ça marche vraiment, les applications de rencontre. Léo se moque : Oh que oui, il suffit de regarder la collection de mecs de Nina. Cette dernière explique que ça dépend : il faut faire le tri dans les profils. Elle pourra lui montrer si elle veut, et elles pourront créer un compte pour Jade. Léo estime que sa petite sœur n’a pas besoin d’être pervertie ainsi, et il enchaîne en demandant où Rafaël en est avec Matthieu. L’intéressé ne souhaite pas répondre et propose plutôt de passer à la vie sentimentale de Victoria. Léo la ramène pour dire qu’elle va se marier avec son job de toute façon. Elle lui demande s’il veut vraiment parler de mariage, lui le divorcé. Finalement Nina indique qu’il est temps qu’elle y aille. Elle arrive juste à temps, son rencard est en train d’attacher son vélo devant le café où ils ont rendez-vous. Ils entrent et s’installent pour boire un verre. Rapidement, il lui pose la question qui lui tient à cœur : quel est son légume préféré ? Elle trouve la question un peu étrange et lui dit. Il répond que c’est pour vérifier qu’elle en mange. Il explique qu’il trouve que ça se voit qu’elle mange bien à la cantine, et pour lui c’est super important d’avoir une hygiène de vie irréprochable : faire beaucoup de sport, manger des légumes…


Le texte de la quatrième de couverture établit clairement la nature de cet ouvrage : cinq amis célibataires débriefent avec humour leurs rencards entre virtuel et réalité, des anecdotes issues de vrais témoignages. L’ouvrage se décompose en trente-deux scénettes, relatant des rencontres souvent d’un soir puisqu’il s’agit de Very bad dates, avec quelques-unes consacrées aux discussions entre les cinq amis sur le principe d’une application de rencontres, sur le temps qui passe, l’éventuel engagement sérieux qui pourrait découler d’une de ces rencontres, l’absence de réponse à des messages après un premier rendez-vous et les raisons de ghoster, ainsi qu’une page consacrée au Service Après-Vente (SAV) du dating, et une autre sous forme de logigramme en cas de match dans une appli (envoi de messages, un rendez-vous chez lui ou chez elle ou un rendez-vous à l’extérieur, choisir un lieu qui ne craint pas, boire un coup ensemble, et plus si affinité). Le ton de la narration est dédramatisé, avec quelques touches d’humour, ou au moins de bonne humeur à chaque fois, sans moquerie ou méchanceté, tout en pointant du doigt certains comportements manquant de tact ou de politesse, ou vraiment étrange lors d’un premier contact. Cela va de cette question sur le légume préféré, à une proposition de passer à l’acte tout de suite en craignant d’être trop fatigué plus tard dans la soirée.

L’illustration de couverture fait jeune, ciblant un public d’une vingtaine d’années, encore que les personnages mis en scène ont entre vingt-six ans pour Jade, et trente-deux ans pour Victoria et Léo, Nina et Rafaël ayant trente-et-un ans. Les personnages sont conformes aux canons de la beauté, avec des silhouettes bien proportionnées, seul un jeune homme semble en léger surpoids et une femme présente des hanches assez larges. L’autrice a constitué une distribution de personnages offrant assez de diversité : trois blancs, une noire et un jeune homme vaguement typé maghrébin. Les dessins des personnages présentent des caractéristiques à la fois simplifiées et rendues plus douces au regard : des yeux un peu plus grands pour qu’ils soient plus expressifs, des corps sans beaucoup de particularités si ce n’est la chevelure, des expressions avenantes avec souvent un sourire aux lèvres reflétant leur bonne humeur. La dessinatrice fait usage régulièrement de mimiques très expressives pour indiquer l’état d’esprit des personnages, ou pour donner plus de vivacité à leurs réactions émotionnelles. Elle varie les tenues vestimentaires en fonction des personnages et des situations. Lorsque la rencontre se passe bien, à trois occasions différentes, les deux adultes peuvent se retrouver dans la chambre à coucher, sans nudité, l’autrice s’arrêtant au stade des sous-vêtements.


S’ils semblent un peu lisses en surface, les dessins comprennent de nombreuses informations visuelles. L’artiste représente très régulièrement les décors, ce qui évite d’avoir la sensation d’une enfilade de scènes entre acteurs sur un théâtre avec une toile de fond pour tout décor. Ainsi de séquence en séquence, il peut regarder l’ameublement de l’appartement en colocation avec ses meubles très fonctionnels, quelques rues à la représentation très géométrique et épurée mais avec des façades et des commerces différents, des bars et des terrasses de café variés, plusieurs cuisines aménagées, la queue et une salle de cinéma, deux ou trois chambres à coucher, une salle de bain, etc. Quel que soit l’environnement de la scène, le lecteur observe une propreté immaculée, au point de les rendre aseptisés. Il remarque également qu’à plusieurs reprises l’artiste sort du format de cases disposées en bande pour une page qui sort de l’ordinaire. Chacun des cinq amis bénéficie d’une présentation d’une page où il apparaît dessiné en pied, avec un facsimilé simplifié de son profil sur l’application de rencontre : son prénom, son âge et sa profession, un très court message de présentation en une vingtaine de mots, ses occupations préférées, ses émojis favoris, et sa musique du moment, ainsi qu’une photographie de mise en situation (position de yoga pour Nina, en cours de danse classique pour Jade, à la Gay Pride pour Rafaël, en salle de gym pour Victoria, en salle de boxe pour Léo). L’autrice s’est également amusée à faire une page de profil de six hommes (Charles 34 ans, Baptiste 30 ans, Pierre 24 ans, Max 27 ans, Noam 29 ans, Damien 31 ans), et une autre de cinq femmes (Laurie, 32 ans, Katia 30 ans, Olivia 25 ans, Juliette 30 ans, Cathy 53 ans), une mise en page colorée pour une douzaine de messages qualifiés de perles, une parodie de Gandalf refusant le passage, une page de conseil SAV du dating et un logigramme de rencontre.

Le lecteur se retrouve invité dans les échanges amicaux entre ces cinq personnes, évoquant ces rencontres, qualifiées de très mauvaises. Les mauvaises surprises en question sont de nature diverse, sans jamais verser dans l’agression pour le harcèlement. Les unes et les autres sont confrontées aux bizarreries ordinaires, du comportement sans gêne à la phobie légère, du gros lourd qui dit faire dire Camion comme prétexte pour toucher la poitrine de son interlocutrice, à l’individu qui indique après coup par message qu’il souffre de trichophobie et qu’il souhaite que sa potentielle amie se rase les poils des bras, sans oublier celui ou celle qui se montre dans le jugement dès les premières phrases, ou plus classique celui ou celle qui s’écoute parler. À trois reprises, les amis parlent entre eux de leurs rendez-vous passés, pour débriefer, et se soutenir après ces rendez-vous allant de la déception au désastre, d’une manœuvre de diversion et d’une excuse pitoyable pour mettre un terme le plus rapidement possible, à un constat d’incompatibilité. En passant, l’autrice évoque le fait que le célibat n’a rien de honteux, que les femmes peuvent se sentir pressées par leur horloge biologique alors que les années passent si elles souhaitent fonder une famille, que les attentes ne sont pas forcément les mêmes entre les deux êtres humains s’étant donné rendez-vous. Elle n’aborde pas d’autres facettes, comme la motivation du premier rendez-vous (plutôt faire connaissance ou plutôt chercher une relation sexuelle), ou la stratégie de séduction, les règles que peuvent se fixer les unes et les autres.


Une bande dessinée sympathique, avec une narration visuelle agréable à l’œil, sur le thème de la rencontre à partir d’une correspondance sur une application. Les cinq amis sont rapidement définis, surtout par leur âge, sans réelle personnalité, et ils rencontrent des individus, le temps d’un rendez-vous pouvant s’arrêter au bout de quelques minutes, comme se prolonger jusqu’à se retrouver dans la même chambre. Il n’est pas question de violence ou de contrainte, simplement de premier contact et de déceptions diverses et variées. Amusant.

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