mercredi 27 décembre 2023

L'Incroyable histoire du sexe livre 1 : en Occident

Le nouement de l'aiguillette


Ce tome est le premier d’un diptyque : Une histoire du sexe (2017), suivi par L'Incroyable histoire du sexe livre 2 : de l'Afrique à l'Asie (2020). Son édition en ‎intégrale date de 2022. Il a été réalisé par Philippe Brenot (psychiatre, anthropologue, thérapeute de couple) pour le scénario, par Laetitia Coryn (bédéiste) pour les dessins. Les dialogues ont été coécrits par les deux. La mise en couleur a été réalisée par Isabelle Lebeau. La première partie compte cent quatre-vingt-deux pages de bande dessinée, et la seconde cent-cinquante-six pages.


Origines - L’histoire de la sexualité humaine commence il y a très longtemps dans les forêts de l’Afrique de l’Est, cette région qui a donné naissance aux humains, et où vivent encore aujourd’hui ses cousins, les chimpanzés. Il y a deux millions d’années, un petit groupe d’hominidés s’aventurent hors de la forêt de ses ancêtres pour amorcer la grande aventure humaine. Ils s’installent près des points d’eau, notamment au Tchad et dans la vallée du Rift qui balafre l’est africain du nord au sud, aujourd’hui de l’Éthiopie au Zimbabwe. Ces hominidés ressemblent déjà beaucoup à l’être humain. Leur silhouette commence à se redresser et, signe de modernité, ils marchent sur leurs deux pieds. Et tout cela en à peine quelques millions d’années. De plus petite taille que nous, ils ont encore des attributs qui rappellent l’origine : leur pilosité est toujours présente, sauf sur la face où apparaissent des traits que l’on qualifierait aujourd’hui d’humains. Quatre grandes innovations vont signer le passage à la sexualité des humains. Un : la disparition de l’œstrus, désormais on peut faire l’amour toute l’année. Deux : la disparition de l’os pénien, désormais l’homme peut bander sans tuteur, plus besoin d’os, son pénis est plus grand, plus gros, plus fort, plus solide. Trois : l’invention du sentiment amoureux qui deviendra la grande préoccupation de l’humanité. Quatre, mais en négatif : la domination masculine et l‘asservissement des femelles marqueront profondément l’humanité jusqu’à la période contemporaine.



Babylone, l’amour libre - Isthar est le prototype de la déesse de l’Amour. Aphrodite en Grèce et Vénus à Rome en seront la continuité. Ishtar avait de très nombreux et beaux amants qui ne pouvaient résister à ses charmes. Elle avait tous les hommes qu’elle voulait… sauf un : Gilgamesh, roi d’Uruk dont tout le monde vantait les exploits. Mais quand elle le supplia de devenir son amant, Gilgamesh la repoussa avec dédain. Il faut dire qu’Ishtar avait transformé un de ses prétendants en grenouille après qu’il lui eut touché le sexe. Furieuse d’être éconduite, Ishtar supplia Aru, le dieu du Ciel, de créer un animal invincible, le taureau céleste, qu’elle envoya à Uruk. Gilgamesh le prit par les cornes et, avec un couteau, les lui enleva, tandis que son ami Enkidu le prit par la queue et lui arracha le sexe. Les deux amis se lavèrent les mains dans l’Euphrate et furent acclamés par le peuple. Ishtar, la Dame du ciel, voulait aussi devenir la maîtresse des Enfers. Elle pénétra dans ce lieu où régnait Ereshkigal, sa sœur et son ennemie jurée. Elle passa ainsi sept portes et perdit, à chacune d’elles, un attribut. Elle se retrouva donc nue devant Ereshkigal qui, avec les sept juges des Enfers, la condamna à mort. La disparition d’Ishtar, déesse de la Fécondité et de l’Amour, provoqua sur Terre un cataclysme, un arrêt de la vie et de la reproduction. Ce qui effraya les dieux, qui la ramenèrent à la vie. C’est ainsi que le retour d’Ishtar est fêté chaque année au printemps par le mariage-accouplement du dieu Enki et de la déesse Ishtar et, par procuration, du roi et d’une prêtresse.


Le mot Sexe recelant plusieurs significations, le texte de la quatrième de couverture permet de se faire une idée plus précise du sujet de l’ouvrage : l’histoire de la sexualité à travers les âges. Il comprend douze chapitres intitulés : Origines - Babylone, l’amour libre - Égypte, l’égalitaire - Grèce, le panthéon de l’amour - Rome, grandeur et décadence - Moyen âge, Enfer et Paradis - Renaissance, le peintre et son modèle - M la maudite - Les lumières, répression et libertinage - XIXe siècle, culs serrés et prostitution - XXe siècle, libération sexuelle ? - XXIe siècle, sexavenir. En outre, le titre de l’ouvrage précise que les auteurs se focalisent sur l’Occident. Les auteurs débutent avec l’avènement de l’homo sapiens, et ses quatre grandes innovations qui vont signer le passage à la sexualité des humains : la disparition de, la disparition de l’os pénien, l’invention du sentiment amoureux, la domination masculine et l‘asservissement des femelles. L’exposé suit le développement culturel de l’Occident en passant successivement par les civilisations babylonienne, égyptienne, grecque et romaine. Cela permet au lecteur de les voir sous l’aspect des relations sexuelles entre citoyens, avec des idéaux incarnés par les panthéons de divinités aux comportements et donc aux injonctions parfois contradictoires entre eux, et la mise en avant du savoir des médecins égyptiens qui était très avancé en matière de gynécologie et de tout ce qui a trait à la fécondité, induisant une libération partielle des femmes, et une société plus libre.



Les auteurs présentent donc l’histoire de la sexualité à travers les âges en se focalisant sur la France. Au fil des chapitres, le lecteur constate que la lecture s’avère facile et agréable, preuve d’un travail de conception développé et sophistiqué, évitant les impressions de gavage d’informations, ou de ton encyclopédique impersonnel. Il suffit d’examiner n’importe lequel des douze chapitres pour se faire une idée de la diversité des points de vue adoptés, en relation avec le sujet de la sexualité. Par exemple, le chapitre sept est consacré à la Renaissance, avec le sous-titre de Le peintre et son modèle, et il se compose de plusieurs sous-chapitres d’une ou deux pages. Les dames galantes : il évoque un texte de Brantôme (Pierre de Bourdeilles, vers 1537–1614) qui parlent de certaines femmes de la noblesse qui ne supportaient pas la domination masculine. Adultère et mariage d’amour : comment ces derniers changent la relation entre compagnons masculins, l’épouse devenant une compagne. C’est également l’occasion de relater un rite populaire punissant l’adultère : la course, les deux condamnés, la femme et son amant, devant courir nus à travers le village (variante croustillante : dans certaines régions, la femme tire son partenaire par une corde attachée aux parties génitales). Révolution artistique : Les artistes rivalisent de talent pour mettre en valeur les appâts féminins. La nudité devient source d’inspiration pour Botticelli, Cranach, Raphaël, Rubens… Les Henri mignons et vert-galant : Henri III et ses mignons, Henri IV et ses frasques sexuelles. Léonard, Michel-Ange et le sexe : des relations homosexuelles, Salaï et Francesco Melzi pour l’un, Tommaso del Cavalieri pour l’autre. Le préservatif : une invention de l’anatomiste italien Gabriel Fallope (1523-1562), celui qui a donné son nom aux trompes. Les tribunaux de l’impuissance : une femme pouvait accuser son époux d’impuissance, ce qui lui permettait d’annuler un mariage arrangé peu enthousiasmant. Répression : le pape met en place la censure, chaque livre devant être soumis à l’autorisation de l’archevêché, et en 1599, un jésuite espagnol, le père Tomás Sánchez publie ses questions sur le saint sacrement du mariage, ouvrage monumental qui décrit, classe, répertorie, discute tout ce qui est possible en matière de luxure entre hommes et femmes (ce qui en fait un véritable catalogue pornographique).


Alors bien sûr, la narration visuelle vient aérer l’exposé, intègre des éléments humoristiques et prend en charge les descriptions, les mises en scène. Le tout rend l’ouvrage beaucoup plus vivant. L’artiste réalise des dessins dans un registre réaliste et descriptif, un peu simplifié, avec des exagérations comiques quand le moment ou la séquence s’y prête. En cela, elle se montre parfaitement en phase avec le texte qui ménage ses respirations humoristiques, attestant d’une coordination étudiée entre scénariste et dessinatrice. Laetitia Coryn donne à voir chaque époque, avec des éléments concrets qui vont au-delà de décors prêts à l’emploi, intégrant des éléments spécifiques pour chaque époque, et pas uniquement ceux tombant sous le sens. Ainsi, le lecteur peut aussi bien avoir un aperçu général de Babylone, que des Égyptiens en train de dresser un obélisque, Héloïse et Abélard en train de s’écrire, une femme se livrer au nouement de l’aiguillette, le marquis de Sade emprisonné, ou encore le pape rager contre la commercialisation des premières pilules contraceptives. Elle humanise ainsi les propos tenus, faisant apparaître les différentes formes d’oppression et de répression systémiques, sans oublier les rapports sexuels et le plaisir afférent. Elle représente la nudité sans fausse pudeur, sans verser non plus dans des représentations pornographiques, ni gros plan, ni performance physique. Les auteurs utilisent des anachronismes avec une malice certaine et un à-propos pénétrant, en particulier pour mettre en lumière le décalage entre une pratique ou une loi, et la liberté de l’individu dans la société occidentale contemporaine.



Au fil des chapitres, le lecteur prend conscience qu’ils ne sont pas tous conçus et construits de la même manière. Par exemple, parfois, l’exposé va effectuer le comparatif du comportement des gens du peuple avec celui des nobles (ces derniers ne s’embarrassant pas de respecter la loi). En corollaire, cela permet des points de vue très diversifiés car chaque chapitre contient un ou deux angles de vue inédits dans les autres : différents contextes historique, culturel, sociologique, scientifique, religieux, de classe, et même relatif à l’évolution de la conception du sentiment amoureux. Au final cela constitue un tout qui donne une vision holistique du sujet. Le lecteur relève également que les auteurs ne restent pas neutres : il est question de patriarcat et de répression, de cantonner la femme dans un rôle restrictif, de la liberté sexuelle des hommes, et de celles de puissants, de revendications des femmes pour aller vers une égalité. Ces remarques découlent de manière organique d’un principe naturel qui est celui du plaisir sexuel, du plaisir féminin placé sur un plan d’égalité avec celui masculin, et de l’évolution de la société traditionnelle à la une société moderne avec l’apparition apparaît du sujet décidant de sa trajectoire de vie, indépendamment de la famille et du groupe. Le changement est radical, une révolution.


Le lecteur ressort de ce premier tome en ayant bénéficié d’un voyage généreux et édifiant, un historique sur les relations sexuelles dans la société au fil des siècles, abordant le sujet sous de nombreux angles, aussi bien par un savoir construit que par des anecdotes. La narration visuelle met le lecteur en situation, que ce soit par la description de l’époque et de son environnement, ou par les réactions des individus, humanisant les propos au travers d’individus, avec des remarques et des mises en scène parfois humoristiques, conçues conjointement par le scénariste et l’artiste. Une impressionnante réussite.



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