mardi 10 octobre 2023

War and dreams T01 La terre entre les deux caps

À présent, quand on se rencontrait, on se souriait.


Ce tome est le premier d’une tétralogie indépendante de toute autre. L’édition originale date de 2007. Il a été réalisé par Maryse Charles pour le scénario, et par Jean-François Charles pour les dessins et la couleur. Il compte quarante-six pages de bande dessinée.


Julien déclare à Laure que c’est au moins le dixième véhicule allemand de ce type qu’il voit ce week-end : un combi VW. Marian demande à son oncle Erwin qui conduit ledit véhicule, s’il est bien sûr, s’ils ne sont pas trompés. Il lui assure que rien n’a changé : il reconnaît la petite église. Les voilà arrivés à Cap Gris-Nez dans le Cotentin. Erwin stationne son véhicule à proximité de plusieurs tombes, en sort avec sa nièce, et il regarde la mer : c’est ici qu’il a échangé ses serments avec Opale, avant d’être séparés. Oncle et nièce montent la tente, et installent une table de camping avec des chaises. Il va inspecter les tombes du cimetière, et il revient rassuré : le nom de son amour ne figure pas dessus. Marian lui fait observer qu’il y a d’autres cimetières, ici ou ailleurs. Qu’on peut déménager plusieurs fois dans sa vie. Il évoque la promesse qu’ils s’étaient faites de se retrouver ici, quoi qu’il arrive. Elle se montre critique : des promesses ! Il y a ceux qui les font sans les croire, et les imbéciles comme eux qui s’y laissent prendre et qui finissent par se retrouver seuls.



Erwin raconte ses souvenirs. C’était l’été, le plein été, et pourtant on aurait dit la fin du monde. La troupe d’Allemands dont il faisait partie tirait sur l’Angleterre et eux venaient les bombarder. 1942, le terre entre les deux caps. La mer était comme aujourd’hui, de ce beau bleu intense qui aurait pu leur faire croire qu’ils se trouvaient en Méditerranée. Et qui faisait dire à Max, son sergent : La guerre, c’est une saloperie. Ça salit tout, les hommes et même la mer. Ils étaient aux premières loges dans leurs ringstands. Les Britanniques volaient haut, très haut et leur puissance de frappe était impressionnante ! C’était la première fois qu’il voyait de tels avions. Il a appris plus tard que c’étaient des Boston III, des bombardiers américains. Même les Français était furieux car ils ciblaient beaucoup trop large et faisaient de très nombreuses victimes chez les civils. Max et lui se relayait dans ce poste d’observation qui était équipé d’une mitrailleuse lourde M.G. 34. Il y avait une dizaine de petits blockhaus pareils à celui-ci, placés comme des satellites autour du Cap Gris-Nez, d’où depuis près d’un an, la batterie Todt martelait les côtes anglaises et l’arrière-pays, de ses obus d’une portée de 60 kms. Les Allemands avaient d’abord voulu envahir l’Angleterre. Alors, dès juin 1940, ils avaient commencé à fortifier ces plages pour couvrir leur débarquement. Mais la résistance anglaise était si forte qu’il avait fallu y renoncer, et d’assaillants, ils étaient devenus défenseurs. C’est ce jour-là, après l’attaque des Boston III, qu’il l’a aperçue pour la première fois. Il venait d’allumer une cigarette. Max était là. Ils discutaient de ce qui s’était passé et ils s’estimaient heureux de s’en être sortis sans la moindre égratignure, quand il vit sur la plage une fille serrant un châle contre elle, les cheveux cuivrés au vent. C’était tellement insolite, tellement incroyable… Cette fille qui marchait sereinement dans ce paysage tourmenté comme si la folie des hommes n’avait pu l’atteindre.


Un récit qui se situe à la grande époque du Combi Volkswagen, soit dans les années 1960 ou 1970. Des personnes ayant atteint la quarantaine ou la cinquantaine regardent en arrière, à l‘époque de la seconde guerre mondiale. Cela produit un effet assez étrange, une forme de nostalgie pour la seconde guerre mondiale. Qui plus est, l’écriture de la scénariste charrie une forme de romantisme parfois déconcertant : l’admiration de l’Allemand Erwin pour les bombardiers Boston III, la camaraderie entre compagnons d’arme (Erwin & Max), le soldat avec son chevalet en train de peindre sur la plage, la belle jeune femme rousse silencieuse, un feu d’artifice, le respect de la jeune génération pour les anciens combattants, Miss Sahara magnifique dans sa robe à motif imprimé et admirable en tant que résistante, sans oublier le décor splendide des pyramides du plateau de Gizeh ou les belles rues du Caire. Les dessins participent de cette sensation de nostalgie avec une forte proportion de couleur directe de type aquarelle : la douceur du ciel gris, les grandes étendues d’herbe jaunie, la tranquillité de la plage et de la mer, l’aquarelle qui atténue la froideur de l’acier et la violence des explosions pour le dessins en pleine page de la planche quatre alors que la division allemande tire avec des canons antiaériens sur des avions qui attaquent, la beauté irréelle de la chevelure rousse au vent sur la plage, l’étendue de sable immuable du désert de Lybie, les dessins faits de galets disposés sur la page, les masses tranquilles des pyramides égyptiennes et du sphinx.



Pour autant, l’artiste réalise une reconstitution historique détaillée, que ce soit sur le front du Cotentin, sur celui de la Libye, au Caire ou dans les années 1960/70. Le lecteur peut prendre le temps de détailler la batterie Todt en action, les bombardiers Boston III, les uniformes militaires allemands, la mitrailleuse lourde M.G. 34, les uniformes militaires britanniques, les chars anglais, les uniformes militaires allemands pour les opérations dans le désert, les autochenilles, et même un biplan au-dessus du Caire. Il relève des détails qui nourrissent la narration visuelle : les formes de stèle dans le cimetière, l’authenticité des maisons dans le Cotentin, les pièces exposées dans le musée de la seconde guerre mondiale, la forme des tables du restaurant, une arme à feu de service dans son étui accroché à la ceinture, des vaches, un panier en osier, une enseigne au Caire, un tracteur tirant un canot sur une remorque pour le remonter de la plage, un modèle de poste de TSF, etc. Les dessins peuvent sembler doux et peut-être même parfois vaporeux, alors qu’ils contiennent un bon niveau de détails concrets, constituant des descriptions factuelles et précises.


Le regard perdu dans le lointain, d’Opale sur la couverture, annonce le romantisme et l’histoire d’amour. Le lecteur observe les protagonistes : Erwin, Allemand bien conservé et bien fait de sa personne et Marian sa jeune nièce svelte et très jolie dans son short et son débardeur (dont elle change à chaque nouvelle scène), Joe l’Américain à la silhouette plus carrée et au regard plus perdu, avec son jeune petit-fils Frankie à la casquette avec la visière vers l’arrière, Archie Wyeth l’Anglais plus âgé très distingué dans sa veste de tweed avec sa canne pour l’aider à marcher, et son épouse Kate. Les scènes de guerre se déroulent entre hommes, avec une forme d’organisation compétente pour les soldats, et une touche d’amitié dans certaines postures. Dans les scènes civiles, le lecteur peut voir la tension qui existe entre Erwin et Marian, même si elle n’est pas explicitée dans leurs propos. Il voit la confiance et la curiosité de Frankie envers son grand-père Joe. Il se retrouve à envier la sollicitude dont Kate fait preuve pour son mari perdu dans ses souvenirs douloureux de temps de guerre, sans avoir conscience du vent annonciateur de pluie. Bien évidemment, dès qu’Opale figure dans une scène, l’attention du lecteur se focalise sur elle. Une belle jeune femme rousse, d’abord aperçue de loin en train de ramasser des coquillages sur la plage, dans une petite case, en bas à droite d’une page de droite, la planche sept.



Le lecteur tourne la page en attente de mieux la voir, mais la narration revient au temps présent des personnages, sur Archie Wyeth et Kate, ainsi que la maison de Jules qu’ils viennent de louer. Il faut patienter jusqu’à la planche treize, pour qu’Opale et sa petite sœur Anne se dirigent vers Erwin, et donc vers le lecteur, pieds nus sur la plage. Une beauté naturelle qui fait immédiatement chavirer le cœur d’Erwin, sauvage et mutique. Il se rend compte qu’il adopte la même attitude qu’Erwin : une observation discrète de la jeune femme pour ne pas l’effaroucher, un comportement attentiste pour ne pas la faire fuir. Dans la mesure où Opale figure sur la couverture, il ne fait pas de doute qu’elle est au centre du récit, mais ce premier tome n’en dévoile pas beaucoup, si ce n’est qu’elle a des parents chez qui elle habite avec sa petite sœur. Les frémissements de relation romantique entre elle et Erwin colore les autres relations entre homme et femme : le comportement suicidaire de Marian et son sauvetage par Julien (tout comme Erwin a sauvé Anne des années auparavant), la rencontre entre Archie Wyeth et Miss Sahara au Caire, même si la possibilité d’une relation amoureuse semble incongrue et improbable au vu des circonstances.


Un premier tome bien sympathique, empreint de nostalgie tout en diffusant une douleur sourde, les plaies de la guerre continuant de lanciner les personnages qui l’ont vécu. La narration visuelle allie la douceur prévenante de l’aquarelle avec la solidité de la reconstitution historique, et le romantisme de beaux jeunes gens subissant les épreuves et les tourments d’une humanité en guerre. Le lecteur a bien conscience qu’il s’agit d’un premier chapitre qui doit être envisagé comme la partie d’un tout, d’une histoire complète, et pas uniquement pour lui-même. Il prend le temps de faire connaissance avec les anciens soldats, un membre de leur famille, quelques souvenirs de guerre toujours douloureux, et des relations personnelles non résolues.



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