La magie vient de l’essence même de tout ce qui est vivant, beau, de l’amour et de l’art.
Ce tome fait suite à Danthrakon - vol. 02/3: Lyreleï la fantasque (2020). Il s’agit d’une trilogie dont les trois tomes forment une histoire complète. La première parution date de 2020. Il a été réalisé par Christophe Arleston pour le scénario, Olivier Boiscommun pour les dessins et Florence Torta qui remplace Claude Guth pour les couleurs. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée.
Au large de Kompiam, l’archipel de Fragonos constitue un petit état autonome. Certains y sont soucieux de ne pas contrarier leurs puissants voisins, alors que d’autres tiennent à affirmer leur indépendance. Au sein de l’assemblée des mages de Fragonos, les avis sont partagés. Unboudfröh explique la situation : leurs collègues mages de Kompiam veulent tout simplement les dépouiller. Il s’oppose donc à sa collègue Cetredöh qui voudrait qu’ils se laissent faire. Elle exprime l’évidence : les mages de Kompiam sont beaucoup plus puissants qu’eux. Son interlocuteur ne l’entend pas de cette oreille : la lettre de leurs collègues est une insulte. Sous prétexte qu’ils ont perdu la plupart des leurs, ils exigent que Fragonos leur remette tous les ouvrages de leur fameuse bibliothèque, et qu’ils s’engagent à chercher avec eux le Danthrakon. Jamais ! Cetredöh continue : que peuvent-ils y faire ? Une guerre contre la souveraine chambre des arts occultes est perdue d’avance. Unboudfröh rétorque qu’alors ils se battront jusqu’à la mort. Bonace, le propriétaire du salon Serein intervient : il propose qu’ils ne se laissent pas emporter par leurs passions, et d’aller en discuter autour d’un bon thé dans son établissement. Le salon Serein est un lieu assez particulier. On y sert les thés les plus rares, les pâtisseries les plus fines, mais surtout, les fuffs y pullulent, à la recherche de gratouillis, de caresses et de miettes de gâteaux. Bonace, le propriétaire, avait constaté à quel point la présence câline de ces petites bêtes pouvait apaiser la plus vive des colères. Personne ne peut résister à un fuff quémandant des cajoleries.
Les mages de Fragonos se détendent et parviennent à formuler une proposition acceptable : il n’y aurait pas de mal à ce qu’ils autorisent Kompiam à envoyer des copistes dans leur bibliothèque, tant qu’ils n’emportent pas les livres. Cela semble une solution raisonnable. Dans le port de Fragonos, Lyreleï, Nuwan, Garman et Tinpuz débarque de leur petite embarcation. Le marmiton demande à la sorcière ce qu’ils font là. Elle répond sèchement qu’elle n’a rien à expliquer à un grimoire sur pattes. Il refuse d’aller plus loin avant d’avoir parlé à Lerëh. Elle accède à sa demande, et il demande à la jeune fille comment faire pour chasser sa mère. Cette dernière met un terme brutal à la conversation et elle accepte de s’expliquer : elle compte extraire le Danthrakon de l’enveloppe corporelle de Nuwan, et le remettre sur du papier. Ainsi, elle récupère son bien, et lui en sera en débarrassé. Une fois en possession du grimoire, elle pourra se forger une autre enveloppe, sa fille et lui pourront faire ce que bon leur semble. Nuwan répond qu’il n’a toujours pas confiance en elle.
Des jeunes gens amoureux, un artefact magique, des adultes plein de convoitise, et une gentille bestiole toute mignonne : c’est parti pour l’aventure. Les uns et les autres continuent de vouloir posséder le Danthrakon pour faire usage de son pouvoir. En consultant la page de garde, le lecteur note que la coloriste Claude Guth a cédé sa place à Florence Torta. Celle-ci se conforme à la palette de couleurs du premier : des couleurs ensoleillées et gaies, assez chaudes, bleu, jaune orange, une jolie aventure. Elle aussi ajoute des reliefs et quelques textures avec les couleurs, rehaussant le niveau des informations visuelles des planches. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver qu’elle se retrouve parfois à court de techniques pour habiller certains décors ou certains fonds de case : le sol de la la large rue devant le salon Serein, les effets irisés sur la mer, les effets spéciaux de magie sont un peu moins riches que dans les tomes précédents. Lorsque le dessinateur s’affranchit de représenter quelques arrière-plans que ce soit dans les cases (par exemple pages 22, 42, 46, 47), la coloriste se retrouve un peu démunie pour compenser. Il est possible que l’artiste ait disposé de moins de temps pour réaliser les planches de cet album et que, par voie de conséquence, certains bâtiments, certaines formes soient représentées avec moins de détails. Des bâtiments en ombre chinoise avec uniquement le contour délimité, des décorations intérieures assez simples, des paysages un peu moins inventifs.
Pour autant, les pages transportent le lecteur dans un monde de Fantasy toujours consistant et dépaysant. Parmi les paysages remarquables : une vue en élévation de l’archipel de Fragonos, les nappes et les chaises du salon Serein, le bazar dans l’atelier de Tinpuz, les poissons exotiques sous l’océan dans lequel se retrouve Lyreleï, la cité de Kompiam au temps jadis, le marché de Kompiam, la vieille masure dans le sixième monde, et bien sûr le magnifique plan final avec la petite embarcation volant au-dessus des flots en s’éloignant de l’archipel de Fragonos. L’artiste compose des plans de prise de vue toujours aussi limpide pour des scènes mémorables et complexes : les fuffs se jetant sur Lyreleï dans le salon Serein, Garman écrivant en mode ambidextre, les fuffs se mettant à agir de concert, Nuwan en pleine acte créateur pour une pâtisserie emplie d’amour (magnifique séquence), le navire des magiciens prenant son envol (pour le prestige), la bataille rangée sur le port de Fragonos, la magie reconstructrice à l’œuvre, maître Waïwo retrouvant toute sa superbe et laissant son autoritarisme s’exprimer. Comme dans les tomes précédents, les auteurs ont l’art et la manière d’utiliser les conventions propres au genre Fantasy en les mettant au service de leur récit, plutôt que de s’appuyer sur elles comme autant de clichés : la magie du verbe différente de celle du sang (mais où est passée celle des éléments ?), les créatures fantastiques, les paysages merveilleux, les possibilités de passer dans un autre monde grâce aux bottes de sept lieus, les décharges d’énergie magique, et les capacités inattendues de certains animaux (les abeilles ramenant leur ruche à sa place alors qu’elle avait emmenée par un marmiton).
Le récit s’avère d’autant plus agréable que le scénariste sait se montrer facétieux, avec un humour léger : les abeilles qui ramènent leur ruche, mais aussi la maîtrise des nœuds pour ligoter de Garman (acquise dans des ouvrages réprouvés par la morale), l’art de la diplomatie quand on négocie en position de faiblesse, les enfantillages de Tinpuz, l’autoritarisme de maître Waïwo, etc. Le lecteur éprouve une empathie sincère pour Nuwan, jeune homme gentil et dépassé par les événements qui sauve la situation grâce à son courage bien sûr, mais surtout par ses talents de pâtissier, pour Lerëh bien plus assurée, pour Garman pas si falot que ça, pour le pauvre propriétaire du navire réquisitionné par les mages de Kompiam (et qui se plaint avec les paroles de la chanson d’Éric Morena : Oh mon bateau, 1987), et même pour Lyreleï qui doit lutter contre une adversité contrariant chacune de ses initiatives (mais on ne peut qu’être admiratif de sa volonté et de sa constance). Tout comme la narration visuelle apporte une personnalité propre à ce monde et à ses habitants, les dialogues et l’intrigue tiennent à distance les lieux communs et les clichés.
En commençant cette aventure, le lecteur avait bien senti que le ton de l’histoire était plus léger que dramatique, et il n’est pas étonné de voir les héros gagner à la fin. Pour autant, le scénariste intègre dans son intrigue des éléments plus élaborés qu’une simple alternance de scènes d’action ou d’affrontement, et de scènes de comédie. Le lecteur voit bien la pression faite par les mages Kompiam sur ceux de Fragonos, allant prendre ce qu’ils veulent dans une démonstration répugnante d’exercice de la loi du plus fort. Bien évidemment, la gentillesse de Nuwan apparaît comme une force constructive, par opposition à la motivation égoïste de Lyreleï ou celle de l’inquisiteur Amutu qui ne sont que destructives. De manière plus subtile, le scénariste évoque l’effet calmant de caresser un animal, apaisant et permettant de plus facilement écouter l’autre. Les explications données sur la magie amènent au constat qu’elle est une fusion, une harmonie avec la nature. Elle vient de l’essence même de tout ce qui est vivant, beau, de l’amour et de l’art. En découpant entre magie du verbe et magie du sang, les mages ont dévoyé la quintessence de cette pulsion de l’univers. En arrière-plan, il évoque également la responsabilité des sachants, quel que soit leur domaine d’expertise, et la nécessité pour eux de l’assumer, de ne pas se désintéresser de l’usage qui est fait du savoir qu’ils ont formalisé et transmis.
Après une possible déception passagère sur quelques cases un peu moins denses, un peu moins flamboyantes, le lecteur se projette avec le même plaisir dans ce monde Fantasy, auprès de personnages sympathiques sans être lisses, pour découvrir la fin de l’histoire. Il apprécie toujours autant ce monde bien construit et pleinement réalisé, cette magie spectaculaire, ce conflit moins manichéen qu’il pourrait sembler. Il perçoit en filigrane des thèmes adultes classiques et bien mis en scène. Il sait qu’il continuera avec plaisir de découvrir les effets de ce grimoire magique dans la série Les Maléfices du Danthrakon, de Christophe Arleston, Olivier Gay et Olivier Boiscommun.
"Au large de Kompiam" - Quand je prends connaissance de tous ces noms qui suivent, je me demande quelle part de sa créativité l'auteur attribue à la recherche de noms.
RépondreSupprimer" En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver qu’elle se retrouve parfois à court de techniques pour habiller certains décors ou certains fonds de case" - Après, c'est peut-être le dessin ou la scène qui veut cela. Intéressante, cette analyse de la couleur.
"Lorsque le dessinateur s’affranchit de représenter quelques arrière-plans que ce soit dans les cases (par exemple pages 22, 42, 46, 47), la coloriste se retrouve un peu démunie pour compenser." - En même temps, on ne peut pas lui demander de faire des miracles là où il n'y a rien - et surtout là où s'arrête son art. Je me demande dans quel état d'esprit peut être un coloriste qui découvre que les arrière-plans sont inexistants.
"En commençant cette aventure, le lecteur avait bien senti que le ton de l’histoire était plus léger que dramatique, et il n’est pas étonné de voir les héros gagner à la fin." - Effectivement, l'un va avec l'autre, même si le fait de voir les héros gagner à la fin d'implique pas forcément une légèreté ; ça va dans un sens, pas toujours dans l'autre. Dans ce cas-ci, c'est plus la légèreté que m'ennuierait un peu.
La création de nom : à la lecture, j'ai ressenti que Christophe Arleston prend un certain plaisir à jouer avec la langue, entre autres à inventer des noms. En revanche, c'est très fastidieux pour écrire le commentaire de recopier ces noms alambiqués.
SupprimerLa mise en couleurs : Florence Torta remplaçant Claude Guth pour ce dernier tome, cela constitue un point de comparaison. Là où Guth fait des merveilles, Torta semble parfois manquer d'inspiration. Pour ce récit d'Olivier Boiscommun, il m'a semblé que c'était un mode de collaboration prédéfini entre dessinateur et coloriste que ce dernier prenne en charge une partie significative de la description.
Les héros gagnent à la fin : c'est le ton et l'ambiance de la série, empreint de légèreté effectivement.