lundi 24 juillet 2023

Hippie Surf Satori

Surf’s up !


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissances préalables pour pouvoir être appréciée. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Alain Gardinier pour le scénario, et par Renaud Garreta pour les dessins et les couleurs. Il compte cent-dix pages de bande dessinée. Il se conclut avec un dossier intitulé Surf Culture, de quinze pages. Des articles d’une page sur la côte des Basques, sur le leash de Georges Hennebutte, sur l’établissement Steak House de Biarritz en 1969, sur le graphiste Rick Griffin (1944-1991) et le Motor Skill Bus, sur le surfeur Miki Dora (1934-2002), sur la côte nord (North shore) de Hawaï. Un article de quatre pages sur la bande son de Hippie Surf Satori, l’acid rock, mélange d’énergie et de psychédélisme. La présentation de vingt albums de référence, sur quatre pages. Un article d’une page sur les livres de référence sur le surf et cette époque.


Juillet 1969. Plage de la côte des Basques, Biarritz. Une Coccinelle Volkswagen arrive en vue de la plage, avec une planche de surf sur le toit. Jack se fait quelques vagues sur sa planche rouge. Puis il va retrouver son copain Steve, et il lui propose de se retrouver au Steak House le soir. Son pote trouve que c’est une bonne idée : Brian vient d’arriver en ville, directement de San Francisco. Et il déboule avec plein de nouveaux 33 tours dont le dernier Jefferson Airplane. Il a promis de les apporter le soir-même. La Fleur à la platine, ils vont se régaler. Au Steak House, à la demande de Jack, Steve va donner des conseils au barman Pierre qui prépare son voyage vers la Californie. Jack est de Los Angeles, Steve est né à San Francisco. Il vit et surfe à Ocean Beach, la grande plage de la ville. Il demande si Jack a vu passer Miki Dora ce soir. La réponse est négative, mais il est passé hier soir. Le lendemain les amis se retrouvent dans le combi bicolore de Steve qui est en train de déguster du kiff marocain. Il l’a rapporté de son trip là-bas au printemps. Cinq kilos cachés au fond du réservoir. Il leur en offre un sachet. Pierre le remercie chaleureusement car il n’a aucune solution pour trouver de l’herbe à Biarritz hormis les mecs comme lui. Après, ça tombe bien, car il ne travaille pas ce soir. Demain, si les conditions se confirment, c’est surf toutes la journée.



Le soir, Pierre lit tranquillement Sur la route de Jack Kerouac dans son lit, avec son casque stéréo sur la tête. Son père entre dans sa chambre après avoir frappé et il lui conseille véhément de bouger ses fesses plutôt que de glander dans son plumard à écouter sa musique de dégénéré. En plus, il constate qu’il a encore fumé de cette cochonnerie. Pierre n’a même pas retiré son casque audio. Le lendemain, les conditions météo tiennent leur promesse et c’est surf ! Il est envié par son copain car il dispose d’une planche Hobie, un modèle Gary Propper à trois lattes, shapée cette année, c’est Steve qui lui a prêtée.


Un titre dont les trois mots annonce autant de thèmes, et une image de couverture qui met en avant le mot Surf avec la taille de caractère la plus grande. Le texte d’introduction du scénariste évoque le fait qu’il a répondu à une proposition du dessinateur de réaliser une bande dessinée sur le surf, et qu’il a choisi cette période pour pouvoir parler de la musique correspondante. Il s’agit bel et bien d’une histoire dans laquelle le lecteur est invité à suivre le parcours de Pierre, un jeune homme vivant à Biarritz, pratiquant le surf et ayant décidé d’effectuer un séjour en Californie. Il s’agit également de la reconstitution d’une époque, Pierre étant un condensé de deux personnes que le scénariste a eu la chance de croiser dans sa vie : Alain Dister (1941-2008), photographe devenu écrivain, et François Lartigau (1949-2016), un cador du surf français. Ainsi le personnage fictif commence par un séjour à San Francisco où il se rend à un concert au Fillmore, et il croise des musiciens en vue dans le quartier, les rues Ashbury et Haight, Dans le même temps, il croise des praticiens du surf et il s’entraîne lui-même, jusqu’à ce que des circonstances l’oblige à fuir San Francisco pour s’installer dans un ranch à Hawaï, suivant là le parcours amalgamé des deux individus ayant servi de modèle.



La couverture impressionne le lecteur par l’évidence du mouvement du surfeur au creux du tube, l’évanescence de l’écume, la solidité de la mer au premier plan, les gouttelettes en suspension. Il est visible que l’artiste est sensible à la beauté de l’océan et de la pratique du surf. Le scénariste ménage plusieurs séquences où l‘on voit Pierre ou des sportifs s’y adonner. Pages 8 à 10, le lecteur peut voir deux jeunes gens approcher l’eau avec leur planche, entrer dans l’eau, se positionner sur leur planche au bon moment, puis glisser gracieusement, cadrés de face ou de profil pour mettre en valeur leur posture ou leur mouvement, à la fois en mer et depuis la plage. Pages 16 & 17, Pierre observe Steve surfer à San Francisco : le lecteur voit la différence de taille des vagues, les positions plus techniques. Pages 38 & 39, c’est un dessin en double page avec un surfeur aguerri qui file avec une concentration intense qui se lit sur son visage. La séquence à Waimea est à couper le souffle. Celle à Honolua Bay également : une eau magnifique, des vagues gigantesques, des glisses aussi techniques que gracieuses. Bien sûr, le récit se termine sur trois pages de glisse aussi belles qu’émouvantes, au spot de Parlementia, sentier Bidart-Guéthary sur la côte basque. Le lecteur peut voir l’intensité de la joie qui habite le surfeur pleinement dans l’instant présent, tout en appréciant un coucher de soleil du plus bel effet.


Le dessinateur œuvre dans un registre réaliste et descriptif. Le lecteur se rend vite compte qu’il a effectué un travail de recherche conséquent pour pouvoir reconstituer une époque, mais aussi des lieux, la pratique du surf à la toute fin des années soixante, et également les sensations de concerts rock. Il part avec l’a priori que le scénariste va truffer ses dialogues et ses cartouches de texte d’informations. En fait le dosage en la matière s’avère très digeste, bien équilibré, agréable. Il lui faut peut-être un peu de temps pour se rendre compte que les dessins apportent un volume d’informations largement supérieur aux textes. Les modèles de voiture à commencer par la Coccinelle, mais aussi les combis VW. Une Peugeot, les Simca de la police, les modèles américains une fois arrivé en Californie, les pickups. Sans oublier la Porsche 356C 1600 cabriolet de Janis Joplin, avec sa peinture psychédélique, ou le Motor Skill Bus de Rick Griffin et sa décoration tout aussi psychédélique. Il va sans dire que les tenues de surfeurs et leurs planches sont tout aussi authentiques et correspondent à l’époque et au pays. Le lecteur peut également prendre le temps d’admirer les tenues hippies, les paysages naturels, les paysages urbains, la décoration et les meubles dans les scènes d’intérieur, la sono pendant les concerts, et même les panneaux indicateurs de direction dont celui sur l’autoroute Kamehameha à Hawaï. Les dessins donnent à voir chaque endroit, chaque activité avec une grande fidélité, y compris pour les scènes de concert, jusqu’aux protections des micros contre le vent pour le concert du groupe Jimi Hendrix Experience à Maui le 30 juillet 1970, ou la chemise du guitariste.



Le lecteur peut ainsi faire l’expérience de la pratique du surf, aussi bien que des concerts. Le scénariste commence en douceur en évoquant le dernier album 33 tours (support vinyle) du groupe Jefferson Airplane. À San Francisco, Linda emmène Pierre rencontrer Jerry Garcia (1942-1995), Bob Weir (1947-), Ron "Pigpen" McKernan (1945-1973), sur les marches du perron où loge leur communauté. Dans la page précédente, Linda et Pierre regardaient la pochette d’un album chez un disquaire : Anthem of the sun (1968) des Grateful Dead. Le lecteur qui ne connaît pas le groupe comprend facilement qu’il s’agit de trois membres du Dead. Survient Janis Joplin (1943-1970) dans sa Porsche : elle est nommée. Plus loin, il est question de Bill Graham (1931-1991), célèbre organisateur de concert de San Francisco et propriétaire de la salle de concert Fillmore East, puis Fillmore West. Les deux jeunes gens assistent à un concert du groupe Santana, composé de Carlos Santana (1947-), David Brown (basse), Michael Schrieve (batterie), Gregg Rolie (claviers), José Chepito Areas (timbales), Michael Carabello (congas). Les connaisseurs apprécieront la qualité de cette formation qui a gagné la notoriété du grand public avec son passage au festival de Woodstock (du 15 au 18/08/69). Plus tard, Pierre a la chance d’assister au concert de Maui du 30 juillet 1970, avec Jimi Hendrix (1942-1970), Mitch Mitchell (1946-2008, batterie) et Billy Cox (1941-, basse). Le dossier Surf Culture en fin d’album vient détailler la culture musicale de l’époque avec un article passionnant de quatre pages, et les vingt critiques d’album, de Outsideinside de Blue Cheer, à Abraxas de Santana. S’il connaît l’un ou l’autre de ces albums, le lecteur peut apprécier la qualité de ces critiques, et la maîtrise du sujet par le scénariste.



Tout au long de l’album, il est question de la pratique du surf, et des praticiens de l’époque, avec de nombreuses références nominatives pointues : Brad McCaul, Angie Reno, Mike Tabeling, Rabbit Kekai, Jock Sutherland, Reno Abellira, Eddie Aikau, Pat Curren, Fred van Dyke, Mickey Munoz, Peter Cole, Ricky Grigg, Buzzy Trent. Pierre évoque également Georges Hennebutte (1912-1999), l’inventeur du Leash. Il rencontre Jack O'Neill (1923-2017), pionnier du monde du surf, connu pour avoir perfectionné et popularisé les combinaisons en Néoprène. Il voyage également avec Rick Griffin (1944-1991), graphiste, créateur de la mascotte Murphy. Il voyage avec John Severson (1933-2017), réalisateur du film Pacific Vibrations (1970). À Maui, il se retrouve face à Mike Hynson (1942-), surfeur figurant dans le film L'été sans fin (1966, The Endless Summer), documentaire américain réalisé par Bruce Brown (1937-2017). Ces deux films établissent la possibilité d’un été sans fin, de surfeurs se rendant de spot en spot en suivant l’été au travers du globe. À plusieurs reprises, il est également question de la consommation de produits psychotropes : l’auteur condamne l’usage des acides (de type lysergique diéthylamide, LSD), les surfeurs n’en prenant pas. En revanche, il ne fait pas l’impasse sur l’usage récréatif du cannabis. Les auteurs montrent bien la jouissance de la pratique du surf à haut niveau, une forme de plaisir indicible à être en harmonie avec la puissance de la vague, à être en phase avec elle, avec la capacité physique de glisser, une forme de communion de nature mystique. Toutefois, le scénariste ne s’aventure pas plus avant dans cette dimension, éludant ainsi une partie significative de la troisième partie de son titre : Satori, c’est-à-dire une forme d’éveil spirituel atteint de manière intuitive plutôt que par une compréhension analytique.


C’est l’histoire d’un tout jeune surfeur de Biarritz qui se rend en Californie pour assouvir sa curiosité sur sa passion fin des années 60, début 70. Très vite, le lecteur se sent pris par la narration simple et agréable, sans exposition pesante. Dans le même temps, il assimile une quantité impressionnante d’informations grâce à une reconstitution visuelle impeccable, parfaitement intégrée dans la narration. Il comprend rapidement que le scénariste sait lui aussi de quoi il parle qu’il s’agisse du surf à cette époque, ou de l’environnement musical, tout en restant parfaitement intelligible pour des néophytes, et en se montrant pointu pour des connaisseurs. Une réussite exemplaire.



2 commentaires:

  1. Après le reggae, le surf ! Non, mais Présence, allo, quoi... 😅

    "Le dessinateur œuvre dans un registre réaliste et descriptif." - Effectivement, on dirait parfois des photos retravaillées. Ce n'est pas systématique, remarque, et ça concerne les visages plutôt que les paysages.

    "le dernier album 33 tours (support vinyle) du groupe Jefferson Airplane" - Voilà un groupe que je n'ai jamais écouté, où alors ça ne m'a pas frappé plus que ça. Bon, je vais essayer "Surrealistic Pillows". "Grateful Dead" - Pareil, mais là je sais que j'ai essayé plusieurs albums sans m'emballer à une seule reprise.

    "le scénariste sait lui aussi de quoi il parle qu’il s’agisse du surf à cette époque, ou de l’environnement musical" - Le Filmore, Janis Joplin, Jefferson Airplane, Grateful Dead... Bon, il a essayé de cocher toutes les cases de sa liste ou tout cela a-t-il un sens et s'inscrit-il dans le récit de façon vraisemblable ?

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    1. C'est plus l'évocation de la période musicale qui m'a attiré, mais aussi un peu la mystique du surf qui existait à cette époque, avec le fantasme du rouleau parfait.

      Des photographies retravaillées : sûrement, ça ne m'a pas gêné, je trouve même ça normal et un gage de sérieux dans les recherches préalables.

      Jefferson Airplane : j'ai un Essential dans ma CDthèque, mais j'ai beaucoup de mal avec la voix perçante de Grace Slick (1939-). J'en reste à leurs deux titres les plus connues : Somebody to love, White Rabbit. Je passerais sous silence la résurgence du groupe sous le nom raccourci de Starship avec leur tube We built this city (1985).

      Cocher toutes les cases de la liste : il cite effectivement Grateful Dead, Big Brother and the Holding Company (avec Janis Joplin) et Jefferson Airplane, y ajoute Santana en passant, en Jimi Hendrix en concert, c'est-à-dire juste la période été 1967. Pour autant, cela constitue une évocation très circonscrite dans l'espace et dans le temps. Si j'ai bien suivi, cela correspond d'assez près à la vie d'Alain Dister et François Lartigau, et le parcours du personnage principal (Pierre) rend la chose plausible et vraisemblable.

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