lundi 2 janvier 2023

Clément V : Le Sacrifice des Templiers

La torture ne sert pas la vérité.


Ce tome contient une biographie partielle du pape Clément V qui se suffit à elle-même et ne nécessite pas de connaissances préalables. Il a été écrit par France Richemond, médiéviste, dessiné et encré par Germano Giorgini, et mis en couleurs par Florence Fantini. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée, et la première édition date de 2021. La scénariste a également écrit un autre tome de cette collection consacrée aux papes : Léon le Grand: Défier Attila (2019), dessiné par Stefano Carloni. Le tome se termine avec un dossier documentaire de huit pages, réalisé par Bernard Lecomte, composé des parties suivantes : Clément V premier pape d’Avignon, Un Bordelais nommé Bertrand de Got, Les 17 papes français, Philippe IV le Bel plus puissant que le pape ?, Qui étaient les templiers ?, Les routes des trois grandes croisades, Les moines soldats iront-ils en enfer ?, La croix rouge, La fin des templiers, Un procès scandaleux, Jacques de Morlaix trahi par le pape, Le pape Formose, Le vin des papes, Les rois maudits, un lexique.


Lyon, basilique Saint-Just. Le 14 novembre de l’an de grâce 1305. Couronnement de Bertrand de Got. Qui devient le pape Clément V. Il reçoit la tiare à la double couronne. Couronne du royaume terrestre. Couronne du royaume spirituel. Il devient ainsi le père de tous, princes et roi, le recteur de la Terre, le vicaire du seigneur Jésus-Christ. Alors que la procession du nouveau pape monté sur sa mule pontificale avance dans les rues de la ville, un mur sur lequel étaient montés des spectateurs s’écroule. Plusieurs jours ont passé. Le duc de Bretagne est mort. Gaillard de Got agonise. Onze décès jettent un voile de ténèbres sur le couronnement du pape. Le roi Philippe le Bel vient le trouver : il a besoin de lui. Les rapports restent tendus avec l’Angleterre malgré les traités. Le roi veut donner sa fille Isabelle, au prince héritier et il lui faut une dispense. Le pape la lui accorde bien volontiers.



Le roi Philippe le Bel continue : La perte du royaume chrétien d’Orient est terrible. Son grand-père Saint Louis s’est sacrifié pour le créer. Aujourd’hui son œuvre est anéantie ! Cette nouvelle croisade doit les implanter définitivement. Quelques croisés désordonnés ne suffisent pas. Il faut une armée de métier. Or les templiers ont failli. Leur stupide rivalité avec les hospitaliers a tout gâché. Ils ont oublié quel est l’ennemi. Le pape répond que certes, mais ils ont défendu leur dernier bastion Saint-Jean-d’Acre jusqu’à la mort. Le roi insiste : Élire l’orgueilleux Jacques de Molay à la tête du Temple fut une erreur. Il se perd dans un jeu de puissance. Le pape reconnaît que ce choix fut maladroit car Molay est si rigide. Il refuse la fusion avec les Hospitaliers. Il faut pourtant bien réformer le Temple puisqu’il n’y a plus de pèlerins à protéger. Ils ne peuvent être juste des banquiers. Le roi intime au pape de faire cesser ce scandale qui souille l’Église. Il doit imposer la fusion ou les supprimer et créer un nouvel ordre.


Ce tome permet à la scénariste de revenir sur la disparition de l’ordre des Templiers, événement auquel elle faisait déjà référence dans Les Reines de sang - Jeanne, la Mâle Reine T01 (2018) avec Michel Suro. Le titre annonce que l’ouvrage s’attache principalement à la vie du pape Clément V, et également à la fin de l’ordre des Templiers. Le choix de la scénariste est de se focaliser sur la vie de Bertrand de Got (1264-1314) uniquement pendant la période où il fut pape. Le récit commence donc avec son sacre en 1305 et il se termine avec son décès. La première séquence s’accompagne d’un moment spectaculaire, propice à capter l’attention du lecteur : le mur qui s’écroule et les badauds pris en dessous. Puis vient la biographie en elle-même qui parvient à mêler les tracas personnels de Bertrand de Got, en particulier ses problèmes de santé, ses difficiles décisions politiques pour essayer de résister à Philippe le Bel, et à maintenir l’autorité du pape sur l’Église, l’itinérance de sa curie, les événements historiques majeurs en France et en Italie, les attaques de Philippe le Bel contre les Templiers pour asservir leur ordre. France Richemond impressionne le lecteur par la dextérité avec laquelle elle parvient à gérer le volume d’informations nécessaires pour établir les enjeux et rendre compte des défis à l’échelle de l’Église, par le biais de dialogues plausibles, ce qui lui permet de limiter la taille des cartouches de texte, évitant ainsi l’effet exposé massif et indigeste.



La fluidité de l’exposé des informations revêt un tel naturel que le lecteur peut ne pas se rendre compte de la densité de la reconstitution. Si cet aspect l’intéresse, il consulte le lexique en fin d’ouvrage et se rappelle qu’effectivement les personnages représentés dans la bande dessinée ont évoqué Albert Ier de Hasbourg, Arnaud de Pellegrue, Boniface VIII, Célestin V, Charles d’Anjou, Charles II d’Anjou, Charles de Valois, Guillaume de Beaujeu, Guillaume de Nogaret, Henri VII de Luxembourg, Hugues de Payns, Jacques de Molay, Robert d’Anjou, Geoffroy de Charnay, etc. Le lexique continue avec la liste des lieux traversés ou évoqués, au nombre d’une dizaine, avec par exemple Anagni (ville d’Italie où le pape Boniface VIII s’est fait arrêter en 1303 par l’envoyé de Philippe le Bel) ou Ferrare (puissante seigneurie italienne dans le delta du Pô). Vient ensuite une vingtaine de termes relatifs à la religion, dont concile cadavérique, gibelins, relaps. Ces trois registres de vocabulaires transcrivent bien les différentes dimensions du récit : politique et historique, française et italienne, histoire de l’Église et de son dogme. La scénariste sait transcrire toutes ces dimensions, sans faire de prosélytisme ou du dénigrement systématique, sans occulter le religieux.


Par la force des choses, un récit historique de cette nature impose une narration visuelle descriptive pour une reconstitution historique rigoureuse et documenté. Le dessinateur impressionne également par sa capacité à remplir cet objectif : représenter les tenues d’époque et les costumes liés aux fonctions au sein de l’Église, montrer les cathédrales avec fidélité, ainsi que les rue des villes, les environnements particuliers comme des cellules ou la muraille d’un fort. Il représente les arrière-plans dans plus de 80% des cases, même celles avec des gros plans sur les personnages : le lecteur peut donc se projeter dans chaque et il ne ressent pas de solution de continuité qui serait provoquée par l’absence de décors plusieurs cases d’affilée. La séquence d’ouverture lui permet de mettre à profit la dimension spectaculaire de la cérémonie, puis du mur qui s’écroule. Le lecteur constate que la scénariste a fait l’effort de penser en termes visuels chaque fois que la séquence s’y prête : un affrontement entre Templiers et infidèles à Saint-Jean-d’Acre, le déplacement de la curie itinérante du pape, l’entrée en ville du roi et de ses soldats, l’arrivée à Avignon, celle au petit prieuré de Groseau, l’attaque des remparts de Ferrare par l’armée d’Arnaud de Pellegrue, les Templiers mis au bûcher à l’orée du bois de Vincennes, le banquet de clôture du concile, l’exécution de Jacques de Molay. De la même manière, il est visible que le dessinateur a conçu des plans de prise de vue spécifique pour chaque discussion, évitant l’alternance mécanique de champ / contrechamp, montrant ce que font les personnages pendant les échanges, où il se trouvent. L’investissement de l’artiste sur la mise en scène participe de manière significative à la fluidité globale de la narration, à se tenir à l’écart de tout impression de texte copieux limitant les cases à de simples illustrations.



Le lecteur se retrouve vite transporté auprès du pape Clément V. Il sait bien qu’il ne s’agit pas d’un reportage pris sur le vif, qu’il n’existe pas d’archives visuelles ou audio permettant d’avoir la certitude que les événements se sont bien déroulés de cette manière, que les personnages ont prononcé ces paroles ou ont pris ces positions. Les auteurs savent rendre plausibles ce qu’ils racontent, le lecteur étant d’autant plus convaincu par la solidité des références, par la densité d’informations. Il éprouve la sensation que cette reconstitution lui montre pour partie la vérité. Il voit bien que les auteurs se tiennent à l’écart d’une représentation manichéenne ou simpliste : le pape n’est pas un héros ayant permis d’éviter le pire face à un roi omnipotent, ni un lâche ayant abdiqué toute responsabilité et se pliant aux diktats de Philippe le Bel. La réalité décrite s’avère complexe. Les personnages agissent conformément à la structure sociale de l’époque, à l’existence d’une religion d’état, aux jeux des alliances politiques et des guerres. La narration n’essaye pas d’intégrer tous les événements, de gaver le lecteur de passages encyclopédiques : elle s’appuie plutôt sur des événements montrés, et d’autres évoqués, laissant le lecteur libre d’aller se renseigner plus longuement s’il le souhaite. Le dossier documentaire en fin d’ouvrage apporte des informations complémentaires, ou présente certaines sous une autre facette que la bande dessinée, s’avérant très intéressant.


La reconstitution historique est un genre à part entière, particulièrement exigeant en termes de recherches, de compréhension du contexte de l’époque, et assez difficiles à restituer de manière agréable sous forme de bande dessinée. Le lecteur fait le constat par lui-même de la rigueur et de l’investissement des auteurs dans leur ouvrage, ainsi que de leur coordination et de leur complémentarité pour réaliser une narration agréable à la lecture, sans rien sacrifier à l’ambition de cette reconstitution. L’ouvrage donne envie de découvrir cette époque, les actions de ce pape, et une fois terminé, le lecteur en ressort avec l’envie d’en apprendre plus. Une belle réussite.



3 commentaires:

  1. " Il a été écrit par France Richemond, médiévaliste - On dit "médiévaliste" ou "médiéviste" ?

    "dessiné et encré par Germano Giorgini" et "dessiné par Stefano Carloni" - Je ne sais pas pourquoi, mais la bande dessinée historique francophone fait souvent appel à des artistes italiens. À moins qu'il ne s'agisse que d'une perception rapide de ma part.

    "gérer le volume d’informations nécessaires pour établir les enjeux et rendre compte des défis à l’échelle de l’Église, par le biais de dialogues plausibles, ce qui lui permet de limiter la taille des cartouches de texte, évitant ainsi l’effet exposé massif et indigeste." - Effectivement, c'est à mon avis l'un des grands écueils de la bande dessinée dite historique. Un autre étant de donner un ton docte de dictionnaire aux dialogues en question.

    "Il représente les arrière-plans dans plus de 80% des cases" - Une belle performance. Je suis sensible à ce type d'effort.

    "l’exécution de Jacques de Morlay." - Sauf erreur de ma part, c'est "Molay", pas "Morlay". Cette scène a dû être terrible. Terrible ! Je ne sais pas si Richemond rapporte la malédiction ? Si toutefois malédiction il y a bien eu.

    Voit-on les Dubois, Nogaret, et consorts ? Je sais que c'est le pape, mais Richemond porte-t-elle un jugement sur le règne de Philippe le Bel ?

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    1. J'ai dû aller chercher la différence entre Médiévaliste et Médiéviste : tu as rauison, j'ai corrigé.

      De même pour Mo(r)lay : je ne devais pas être très concentré en écrivant cet article, ou plutôt toute ma concentration a été accaparée par mes tentatives de compréhension.

      Faire appel à des artistes Italiens : mon esprit mal placé me fait me demander si leurs rémunérations ne seraient pas inférieures aux tarifs pour des artistes français, alors qu'en fait c'est peut-être qu'ils ont un plus grand amour de l'Histoire que chez nous.

      Un des grands écueils de la bande dessinée dite historique, un autre étant de donner un ton docte de dictionnaire aux dialogues en question : 100% d'accord.

      De mémoire, parce que j'ai offert cette bande dessinée à un neveu, Dubois, Nogaret et consorts sont plus évoqués ou passent le temps d'une page, que réellement mis en scène. Le jugement porté sur Philippe le Bel ne l'est qu'en ce qui concerne ses interactions avec le pape et Jacques de Molay, et il ne se fait qu'au travers de leur point de vue.

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    2. Concernant les artistes italiens, je ne vois pas en quoi c'est mal placé ; je partage ton avis. Possible aussi que ce travail de commande n'intéresse pas forcément les artistes français, ce qui rejoint ta seconde hypothèse.

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