jeudi 24 novembre 2022

Capricorne T18 Zarkan

Ne détruisons pas sans construire.


Ce tome fait suite à Capricorne - Tome 17 - Les Cavaliers (2013) qu'il faut avoir lu avant. Il est recommandé d'avoir commencé par le premier tome pour comprendre toutes les péripéties. Sa première parution date de 2014 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 4 qui regroupe les tomes 15 à 20, c’est-à-dire le quatrième et dernier cycle.


Quelque part dans un bâtiment en pierre avec des piliers et des arches, l’homme aux mains tatouées rappelle à Ira Zeus que ce dernier est mort et qu’il lui doit son retour à la vie. Zeus accepte d’honorer les termes du marché qu’il a passé avec lui. Un de ses hommes de main entre pour l’informer qu’ils sont partis en voiture. Il est temps pour Zeus de se mettre à l’œuvre. Capricorne conduit un peu vite au goût de Astor. Le premier indique au libraire qu’il devrait essayer de se montrer optimiste : ça facilite la vie. Lui-même ne doutait pas qu’il s’en sortirait quand il a accepté le marché de Dahmaloch. Il explique ensuite ce qu’il lui est arrivé. L’homme aux mains tatouées l’a touché, et a disparu. Capricorne s’est retrouvé piégé dans une autre dimension, à l’apparence géométrique : impossible de s’orienter. Il était désarçonné d’avoir libéré l’homme aux mains tatouées et non Dahmaloch, sans pour autant éprouver l’impression d’une trahison. Il préfère savoir un guérisseur dans sa ville plutôt qu’un diable. En supposant qu’il soit bien allé à New York.



C’est ainsi que Capricorne s’est retrouvé chez le Passager. Tout s’est passé si vite : Ash qui refusait son identité et son aide, l’homme mystérieux qui l’entraînait dans une des machines, et un instant plus tard ils apparaissaient dans une petite rue. Capricorne se demande pour quelle raison l’homme aux mains tatouées a ressuscité Ira Zeus, et quels sont les individus qui les suivent en voiture. Ils arrivent à l’asile de New York pour les malades mentaux. Ils rendent visite à Gordon Drake prostré dans un état proche de la catalepsie, avec une marque brûlée sur son visage. Capricorne souhaiterait lui parler seul à seul, mais l’infirmier s’y oppose. Il s’adresse à Drake pour lui dire se présenter et dire son nom Capricorne. Contre toute attente, le malade réagit en répétant ce mot : Capricorne. L’aide-soignant se rue dans le couloir pour aller chercher un médecin. Drake ne prononce que quelques mots en finissant par dire : Xenon. Un médecin arrive et ouvre la chemise du malade mettant à nu un magnifique tatouage de dragon sur son torse. En son for intérieur, Capricorne se souvient : leur élément ne l’est pas. Il repart en voiture avec Astor qui lui demande ce qu’est Xénon. Il répond : une entité qu’il rencontre dans ses rêves, Ash pensant que c’est son moi profond, mais il en doute. La discussion continue : la pierre sous leur gratte-ciel, Hedon Core premier propriétaire de l’immeuble, les trois sorcières ayant appelé les cavaliers…


Les choses reviennent dans l’ordre : Capricorne reprend sa place en tant que personnage principal et il mène l’enquête. Il est présent dans quarante planches sur un total de quarante-six, et il a repris l’initiative. Le lecteur se rend compte qu’il était quasiment absent du tome précédent, et peu proactif dans les deux tomes encore avant. D’une certaine manière, c’est le retour à une bande dessinée d’aventures plus classique dans sa forme, avec un personnage principal qui est clairement le héros et le moteur de l’action. Pour autant pas de scène de haute voltige, tout juste une bagarre très rapide en deux pages en guise de violence physique. De même, la narration visuelle est conçue pour être au service de l’intrigue, sans séquence construite pour amener une case ou d’une page spectaculaire. Pour autant, le lecteur remarque l’effet psychédélique avec les motifs géométriques courbes pour la dimension dans laquelle se retrouve Capricorne. En planche 2, il note également l’habileté avec laquelle le dessinateur compose sa planche pour parvenir à un sens de lecture en zigzag : de gauche à droite pour la bande supérieure, puis la voiture passe à la bande du dessous qui se lit alors tout naturellement de droite à gauche dans la direction dans laquelle avance le véhicule qui est ensuite représenté de l’autre côté pour reprendre une lecture de gauche à droite. Puis il passe à nouveau sur la bande du dessous pour une lecture de droite à gauche, et une dernière bande de gauche à droite. Il réitère cet exploit de faire lire en S en planche vingt-trois avec un dispositif un peu différent, mais tout aussi fluide.



De fait, Astor & Capricorne parcourent pas mal de kilomètres en voiture, ouvrant ainsi le paysage, et Andreas semble grand plaisir à voyager ainsi en se montrant inventif dans ses plans. Il y a donc cette planche deux à la construction osée (faire lire le lecteur de droite à gauche, une bande sur deux) et réussie. Puis en planche quatre, deux cases de la largeur de la page donnent une vision panoramique. En planche 8, l’artiste utilise à nouveau des planches de la largeur de la page, mais cette fois-ci en gros plan sur la calandre, sur l’arrière de la tête de Capricorne et de Astor. En planche dix-neuf, la voiture traverse un bois, des arbres avec un tronc assez fin, faisant une impression de rayures verticales irrégulières. En planche vingt-deux, une nouvelle case de la largeur de la page, occupant les deux cinquièmes de la hauteur, et à l’intérieur le ciel occupe les trois quarts de la hauteur, avec une superbe masse nuageuse. Enfin, en planche vingt-huit, un autre magnifique effet : huit cases contigües tout en hauteur, chacune avec un arrière-plan différent, et la voiture dessinée d’un seul tenant tout du long, dans la partie inférieure, pour rendre compte des paysages traversés, formidable. Au fil des séquences, le lecteur perçoit des mises en pages ou des cases remarquables même s’il n’y prête pas particulière attention : la séquence de souvenir de Ron Dominic dans les planches dix et onze, avec deux bandes de quatre cases de dimension identique par page. Le fouillis très dense dans la cachette de Mordor Gott. Les souvenirs de Brent Parris en sept cases de la largeur de la page, composant la planche vingt-et-un. La vue du dessus en plongée inclinée dans le repère du Passager en planche trente. En planche trente-quatre, une machine à l’identique de celle montrée par Vortex dans le tome 14. Une séquence de voyage dans le passé dans les planches trente-huit à quarante, avec un rendu très différent. La planche quarante-cinq : dépourvue de mots, composée de neuf cases de taille identique.


Même quand il ne semble pas y toucher, Andreas compose des planches et des séquences visuellement remarquables, entièrement asservies à la narration, sans attirer l’attention du lecteur dessus. Zarkan… Zarkan ? Ah, oui, un personnage n’étant pas apparu depuis le tome 5… Où il faisait quoi déjà ? Cela fait maintenant deux tomes que le scénariste en appelle à la mémoire du lecteur et son implication. Celui-ci lui accorde bien volontiers car il se replonge avec délice dans cette suite d’aventures originales et bien construites, mystérieuses et fascinantes (et puis le personnage principal est de retour, ayant repris l’initiative). Il retrouve les éléments qui s’apparentent à des conventions de genre : un personnage dont on ne sait pas grand-chose aux intentions dont on sait encore moins de choses (l’homme aux mains tatouées), quelques coïncidences providentielles (le souvenir d’une cachette de Mordor Gott, justement celle qui contient les cubes), le dossier de Brent Parris qui contient des informations providentielles, Zarkan prêt à partir à l’aventure avec Capricorne & Astor, un voyage dans le passé qui mène pile-poil à un moment clé et révélateur. Cela fait partie des artifices de ce type de récit, et l’auteur en a fait usage depuis le début de la série : le lecteur s’y attend, ça fait partie du contrat tacite entre lui et le scénariste.



Difficile de croire que Andreas va parvenir à tout résoudre en seulement deux tomes après celui-ci. Ceci ne constitue toutefois pas une raison pour bouder son plaisir à la lecture de ce tome. Zarkan n’est pas le seul personnage à revenir au cœur du récit après une longue absence, et l’autre est encore plus intriguant. Quel contentement de revenir sur Ron Dominic et sa résignation à assumer le rôle de la Solution, un passage très émouvant. Il y a une forme de satisfaction peu commune à voir Capricorne expliquer à Astor le rôle de Sippenhaft dans le phénomène qui a conduit à la séparation en deux de New York. Découvrir le rôle de Brent Parris dans les pierres mystiques constitue également une véritable récompense, en soi une petite pièce de puzzle supplémentaire, mais elle se connecte avec plusieurs autres et leur donne du sens. Il n’y a que les boîtes avec un nom de personnage qui semble un peu gros comme artifice narratif. Encore que Andreas ait prouvé à de multiples reprises qu’il sait donner de la consistance et de la profondeur à des éléments qui peuvent paraître parachutés. En fait, le charme narratif agit avec une telle élégance naturelle que le lecteur accepte même de lui pardonner que madame Pinkra Core n’apparaissent pas dans ce tome.


D’un côté, le lecteur peut craindre d’être largué dans ce tome 18 après tellement de mystères, de péripéties, de révélations et de retournements de situation. D’un autre côté, le plaisir de lecture s’installe dès les trois premières pages, et finalement peu importe s’il ne se souvient pas de tout : il profite de la narration visuelle discrètement originale et dense, et de l’intrigue toujours surprenante, se nourrissant des conventions du genre qu’elle met à son service. S’il se souvient de tout, son plaisir s’en trouve décuplé de voir les nouvelles pièces du puzzle s’emboîter tout naturellement et donner du sens à celles contigües.



6 commentaires:

  1. Alors celui-ci, je n'en ai aucun souvenir. Ce qui me donne encore très envie de tout relire. Mais j'attends tes deux prochaines chroniques avant de me relancer (et pourtant je n'ai pas trop de velléités de lecture en ce moment malgré les 280 albums qui m'attendent).

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    1. Avec un peu de recul, je suis épaté par la subtilité et l'élégance du dosage d'Andreas, entre évolution de l'intrigue et les explications pour pouvoir conclure et révéler les mystères. Il n'y a pas d'effet de type Pavé d'explication.

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    2. "Tout s’est passé si vite" : c'est exactement ce que j'ai pensé à la relecture de ce tome, tellement agréable à lire, sans à coups ni noeud pénible, tout coule de source et on apprend pas mal de choses tout en étant très original dans sa narration. Tu as oublié de citer la planche 23, dont les cases ont des formes de flèches qui guident le lecteur pour lire lesdites cases. Une influence de Miller selon mon ressenti. En tout cas, à lire ça à la suite, c'est vraiment encore meilleur, et ton article lui rend parfaitement hommage.

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    3. Quand je me lance dans une liste, je me demande toujours si je ne suis pas en train de faire du remplissage, si ça apporte quelque chose à ce que je raconte et si c'est compréhensible du potentiel lecteur qui n'a pas lu la BD. C'est la raison pour laquelle je ne cherche pas l'exhaustivité dans ces listes.

      Une influence de Frank Miller : c'est possible. Et à nouveau plein de défis visuels qu'Andreas se lance à lui-même, avec toujours cette exigence très personnelle de se montrer visuellement ambitieux en termes de narration.

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  2. "l’effet psychédélique avec les motifs géométriques courbes" - Encore des planches époustouflantes, dont celle-là, évidemment, qui est absolument admirable. Andreas fait le tour de la question, dirait-on. La même voiture sous cinq angles différents sur la même planche, c'est fort. Véhicule imaginaire ou as-tu réussi à l'identifier ?

    "c’est le retour à une bande dessinée d’aventures plus classique dans sa forme, avec un personnage principal qui est clairement le héros" et "le plaisir de lecture s’installe dès les trois premières pages, et finalement peu importe s’il ne se souvient pas de tout" - Entièrement d'accord, même si j'aime me souvenir de tout. Mais il est bon de se sentir ancré dans l'intrigue d'une série, surtout lorsqu'elle est relativement complexe.

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    1. Peut-être par un raccourci fainéant, j'ai supposé qu'il s'agit d'un véhicule imaginaire. Les autres voitures apparaissant dans la série m'ont semblé être basé sur de vrais modèles et un peu retravaillés pour être plus esthétiques. Mais peut-être que je me trompe.

      Se souvenir de tout : c'est un aveu de ma part, je suis certainement passé à côté de détails de continuité et de cohérence au fil de ces 20 albums.

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