mardi 21 décembre 2021

Capricorne, tome 2 : Electricité

L'homme prévoyant ne perd pas la menace de yeux.


Ce tome fait suite à Capricorne, tome 1 : L'Objet (1997) qu'il faut avoir lu avant. Sa première parution date de 1997 et il compte 46 planches de bande dessinée. Il a été réalisé par Andreas Martens pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il a été réédité en noir & blanc dans Intégrale Capricorne - Tome 1 qui regroupe les tomes 1 à 5.


À l'hôpital Saint Paul à New York, Holbrook Byble et son fils John sont allongés chacun dans leur lit, dans la même chambre. Soudain, un rayon d'énergie détruit un poteau électrique, les câbles rompent et semblent prendre vie, certains brisant la fenêtre de ladite chambre et s'approchant du corps de John qui les saisit à pleine main. Il se trouve transformé en une silhouette humanoïde d'énergie noire. Dans une zone de campagne, les cinq avions du Groupe Aérien d'Intervention d'Ash Grey se livrent à des exercices de voltige. Ils effectuent une dernière figure, et atterrissent les uns après les autres mais le dernier est touché par la foudre. Capricorne arrive sur le marchepied de la voiture de pompier, et s'élance. Il a le temps de tirer le pilote hors de son cockpit et de l'écarter, avant que l'avion n'explose. Le pilote reprend connaissance et sourit à ses coéquipiers, et à Ash Grey. Ils estiment que la cause est attribuable à un phénomène d'électricité statique. Capricorne les rassure : il leur repaiera un avion prochainement. Ses consultations attirent une clientèle très distinguée, que du beau linge, une prouesse en ces temps de récession. Il précise qu'il n'est pas astrologue, mais plutôt psychologue, et que les étoiles ne sont qu'un prétexte.



L'ambulance est parvenue à l'hôpital Saint Paul et Ash Grey va en profiter pour aller y rendre visite à son père. Dans une zone d'entrepôt, Hartmann rencontre Jeremy Darkthorn : il lui explique ce qui est arrivé à John Byble après avoir manipulé l'Objet quand il travaillait pour le Dispositif. Il lui demande plus d'hommes pour pouvoir le capturer. Darkthorn lui rappelle son fiasco quelques jours auparavant et lui répète ses consignes : éliminer Ash Grey, et faire peur à Capricorne, sans l'éliminer. Il ajoute que Dominic est en ville. L'entretien se conclut avec Hartmann indiquant que leur ami va d'ailleurs avoir besoin de sa prochaine piqûre. À l'hôpital Saint Paul, le médecin explique qu'aucun cerveau ne peut résister à ce qui est arrivé à John Byble avant qu'il ne prenne la fuite, car son corps était quasiment saturé d'électricité quand il a sauté par la fenêtre. Holbrook Byble reprend connaissance, il explique que c'est l'électricité qui a ravivé son fils John et que c'est elle qui l'anime, qu'elle l'a ranimé également, mais pas pour longtemps. Il rend son dernier soupir dans les bras de sa fille. Plusieurs dizaines de personnes se retrouvent à l'enterrement du libraire, dont un Indien appelé Blue Face. La cérémonie est interrompue par l'arrivée de John Byble dont l'énergie fend un tronc d'arbre en d'eux. Il prend aussitôt la fuite. Plus tard, dans le gratte-ciel du 701 7th Avenue, Capricorne dessine la vision qu'il a eu au sommet du dirigeable écrasé dans Central Park.


Le premier tome avait installé les trois personnages principaux, ainsi qu'un Objet très mystérieux et une organisation appelée Le Dispositif encore plus mystérieuse. Ce deuxième tome est la suite directe du premier et le lecteur retrouve la situation telle qu'il l'avait laissée : Holbrook et son fils John Byble à l'hôpital, Capricorne propriétaire d'un Gratte-ciel à New York, ayant accueilli Ash Grey, une pilote aérienne, et Astor un libraire amoureux des belles éditions. Les mystères continuent de plus belle : la disparition de John Byble alors qu'il été frappé par l'électricité dans son lit d'hôpital, le mystérieux commanditaire Jeremy de Hartmann, l'arrivée d'un dénommé Dominic, la vision que Capricorne a eu dans la cabine du dirigeable écrasé dans le premier tome, ce qui se trouve dans les sous-sols gigantesques de l'immeuble au 701 de la Septième avenue, le retour du chef Cole, l'assistance désintéressée de Blue Face, un amérindien ancien client de la librairie de Holbrook Byble, expliquant la légende de Moodt et Torrg, etc. Le lecteur est accroché par tous ces mystères, prenant un plaisir ludique à relever les correspondances, à établir les liens entre les faits, ayant l'impression d'explorer un territoire recelant bien des secrets. En outre une partie de ces secrets s'accompagne de visuels spectaculaires : la voltige des avions, les croix du cimetière, le building du 701 encore éclairé alors que tous les autres sont dans le noir à la suite d'une panne de courant, l'incroyable installation électrique haute de plusieurs étages dans les sous-sols du 701, les bas-reliefs sur une immense dalle verticales dans ces mêmes sous-sols, etc. L'auteur maîtrise les techniques narratives : chaque révélation s'accompagne de nouveaux mystères tout autant accrocheurs.



Le lecteur revient également curieux de découvrir les mises en page originales de l'auteur. Il découvre 10 planches muettes réparties dans l'album, d'une lisibilité sans défaut, avec un beau contraste entre les blancs et les noirs. Il retrouve également les caractéristiques graphiques de cet artiste : des dessins en pleine page avec les bandes comme posées en insert par-dessus, une utilisation à bon escient de cases de la largeur de la page, des découpages en nombre de cases plus élevé pour suivre un moment, et des effets visuels originaux. Parmi ces derniers, ressortent les croix du cimetière en noir et en premier plan dans la planche 8, des cases verticales disposés pour accompagner une montée de marche (une en bas de planche, une au milieu et une tout en haut) dans la planche 11, les tuyauteries diverses et variées courant d'une case à l'autre dans la planche 14, les cases tout en hauteur pour rendre compte du gigantisme et la profondeur de l'installation dans les sous-sols du 701, et bien sûr le combat final en 4 pages muettes au sommet d'un gratte-ciel. Cet affrontement physique évoque discrètement King Kong, encore que l'ennemi ne soit pas au sommet de l'Empire State Building, mais encore plus les superhéros. Dès la scène d'ouverture, cette saveur est bien présente : un individu transformé en une créature d'énergie par des câbles électriques semblant doués de volonté propre. Le combat final exhale ce même parfum de pseudo-science très fantaisiste, et de lutte contre un gros monstre déchaîné. Capricorne ne revêt pas une tenue moulante, mais il est souvent vêtu du même costume. Il ne dispose pas de superpouvoirs, mais il est capable de réaliser un saut remarquable. Ce n'est donc pas un comics de superhéros, mais l'influence est bien palpable dans cette séquence.


Le lecteur observe également une forme de passéisme dans certains accessoires, en particulier les modèles de voitures, et de manière plus cohérente dans les biplans utilisés pour la voltige. Il y a également ce parfum typique des romans d'aventures de la fin du dix-neuvième siècle et début du vingtième siècle avec cette architecture cyclopéenne sous le gratte-ciel du 701 de la Septième avenue. Andreas manie ces conventions de genre avec un art consommé. L'accent étant ainsi mis sur les aventures, les personnages restent superficiels. Le lecteur apprend que Capricorne s'estime être plus psychologue qu'astrologue, et qu'il s'avère très doué dans les cas qui lui sont confiés, ce qui lui assure de bons revenus grâce à une clientèle très distinguée et à l'aise financièrement. Il constate de visu que Ash Grey est bien à la tête d'un Groupe Aérien d'Intervention, spécialisé dans la voltige. Il n'en apprend pas plus sur Astor, si ce n'est qu'il reconnaît en Blue Face, un client dont les connaissances ont par la passé aidé le libraire Byble à dénicher des ouvrages rares et à s'en rendre propriétaire. Comme dans tout récit d'aventures classiques, Blue Face est un individu plein de ressources, sur qui on peut compter, et qui vient en aide bénévolement au héros. Le lecteur retrouve également des personnages des tomes précédents : le chef Cole (l'auteur donne une indication sur la manière dont il a survécu), Hartmann (un des responsables du Dispositif), et bien sûr John & Holbrook Byble. D'autres personnages font leur première apparition : les membres du Groupe Aérien d'Intervention (un seul est nommé, Percy), un mystérieux Jeremy, un tout aussi mystérieux Ron Dominic (a priori un policier).



Le lecteur se retrouve pris dans cette intrigue aux fils narratifs intriqués, avec des personnages disposant de juste assez d'épaisseur pour ne pas être des coquilles vides. La magie opère grâce à la narration visuelle personnelle et souvent originale, et au rythme qui est rapide sans être effréné. L'auteur a l'art et la manière d'ouvrir son récit sur des mystères plus grands, plus étranges, laissant subodorer qu'il y en a de nombreux autres, ne serait-ce que la réalité de ces deux entités Moodt & Torrg. Le lecteur se laisse entraîner par les péripéties, les rebondissements, les mystères et les révélations. Il n'y croit pas au premier degré : le plaisir provient de la qualité du divertissement, du jeu que l'auteur sait installer entre lesdits mystères et la curiosité du lecteur devenant un acteur en participant à cette dimension ludique, séduit par la fantaisie et l'inventivité des péripéties, souhaitant qu'il y en ait plus, et sentant que l'auteur maîtrise la structure de son récit au long cours.


D'un certain côté, ce deuxième tome ne paye pas de mine et ressert exactement les mêmes ingrédients que le premier. D'un autre côté, l'intrigue continue de se déployer à un rythme la rendant aisément assimilable par le lecteur. La narration visuelle recèle des constructions de page mémorables, ce qui rend la scène elle-même mémorable, et le tout constitue une littérature d'évasion de fort bonne facture, et d'excellente qualité.



4 commentaires:

  1. "Soudain, un rayon d'énergie détruit un poteau électrique" - Pour un peu, on dirait presque les origines de Flash. Ou en tout cas, voilà une introduction qui aurait pu représenter les origines de bon nombre de super-héros.

    Les "mises en page originales de l'auteur" - Là, je dois avouer que je suis admiratif devant les techniques de narration graphique d'Andreas. Les planches que tu proposes en extraits sont assez révélatrices. Son utilisation du noir me plaît beaucoup. Cette huitième planche, avec les croix, est particulièrement frappante.

    Une "littérature d'évasion de fort bonne facture, et d'excellente qualité" - J'apprécie beaucoup l'enthousiasme de ta conclusion. On sent que la lecture t'a procuré du plaisir et a répondu à tes attentes.

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    1. Soudain un rayon… - De ma lecture des premiers tomes de son autre série Arq, je me souviens qu'Andreas citait visuellement des auteurs de comics, comme Joe Kubert. Il y a également sa trilogie Cromwell Stone, avec un hommage patent et bien fait à Bernie Wrightson. Il me semble disposer d'une culture comics.

      Les mises en page : je me demande si elles n'étaient pas encore plus aventureuses dans Arq, mais ma mémoire me fait défaut. Vivement une réédition.

      Je suis emporté par la qualité feuilletonnante de la narration et par l'utilisation élégante des conventions de genre.

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  2. Je suis extrêmement heureux que tu te sois enfin mis à cette série, Présence ! Je ne sais plus si tu as lu Rork. J'avais uniquement le tome 5, celui où Capricorne apparaît, et je le connais presque par coeur. Je l'ai revendu puis me suis offert les deux intégrales. Je dois les rerelire.

    J'ai commencé la série Capricorne aux alentours du tome 9 je crois, n'en achetant que parcimonieusement, et ensuite systématiquement à chaque sortie. Tu parles de plusieurs arcs mais pour moi, ce n'est vraiment qu'une seule histoire, très compliquée, avec peu d'informations et encore plus de mystères à chaque tome. Ce que je n'ai pas encore fait : relire la série d'un bloc, tous les tomes à la suite, car cela mérite d'être fait. Il y a tellement d'éléments à retenir qu'il est impossible de se souvenir de tout en lisant à deux ans d'intervalle.

    Mais ce qui compte, ce que tu relèves parfaitement, c'est cette ambiance de pulp, de roman d'aventure du début du siècle, avec de la pseudo-science, un univers à la Jules Verne, avec un peu de steampunk, un mélange personnel d'un tas d'influences, dont les super-héros et les aventuriers explorateurs. L'aventure quoi.

    Cela s'est tout de suite vu dans le tome de Rork, qui est magnifiquement construit : en parallèle de l'aventure de Rork, un des pulps qui font la notoriété de Capricorne est relaté, sous forme de textes au milieu des planches, et fait totalement écho à l'histoire en cours. Il y a un méchant, des plateformes volantes, des évasions en biplans, des combats dans les égouts, un bretteur nommé Manga.

    Il faudrait donc que je relise tout ça. Je pense que le tome de Rork s'inscrit très tôt dans la série Capricorne (alors qu'elle a été faite par la suite), sans aucun doute avant le tome 9.

    Il est un peu dommage de lire Capricorne (la série) en noir et blanc car la couleur est prégnante sur certains albums. En effet, ce qui frappe et que tu décris si bien, ce sont souvent les parti-pris graphiques de Andreas. Le tome New-York est ainsi en bichromie pour une raison narrative. Le rouge est très important.

    Je suis vraiment curieux d'avoir tes retours pour la suite : Andreas se sert de cette série pour expérimenter à tout va. Je ne te gâche pas le plaisir de la découverte et ne te dis donc rien.

    Je serai également preneur d'une intégrale Arq car je n'ai lu aucun de ces tomes. Ni Cromwell Stone d'ailleurs.

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    1. Je n'ai pas lu Rork : j'avais feuilleté les 2 intégrales à leur sortie, mais mon esprit avait dû être accaparé par d'autres albums au même moment.

      Je parle de plusieurs cycles, parce que c'est ainsi que le présente wikipedia, mais je parle sans savoir car je ne les ai pas encore lus.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Capricorne_(bande_dessin%C3%A9e)

      L'aventure quoi : exactement ce qui m'est venu à l'esprit en rédigeant mon commentaire, et en me disant C'est un peu court jeune homme.

      Il est un peu dommage de lire Capricorne (la série) en noir et blanc : je m'en rends compte dans certains passages où il y a un effet de lumière commenté par les personnages, et qui n'apparaît pas en noir & blanc. Je suppose que la réédition en couleurs n'était pas viable économiquement.

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