lundi 5 avril 2021

Péchés Mignons, Tome 4

L'amour emprunte parfois d'étranges détours.


Ce tome fait suite à Péchés mignons - Tome 03 (2008) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, mais ce serait dommage de s'en priver. . Sa première publication date de 2010. Il a été écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Arthur de Pins. Il contient 35 gags, dont 21 coécrits par Maïa Mazaurette.

Clara et Arthur se réveillent tout nus dans le même lit, les draps défaits. Il leur faut un peu de temps pour se souvenir de comment ils en sont arrivés là, et de la raison pour laquelle ils ont couché ensemble. L'amour emprunte parfois d'étranges détours, n'est-ce pas Clara et Arthur ? Mais pour connaître le cheminement qui a poussé nos deux amis dans le même lit, il faut revenir trois mois en arrière. Cassandre et Paul ont invité Clara à boire un coup chez eux, et Cassandre annonce qu'elle a une nouvelle importante. Clara essaye de deviner : est-ce qu'il s'agit de son alcoolisme ? Est-ce qu'elle est en train de lui proposer un plan à trois par des voies détournées ? Il s'agit bien sûr d'une annonce de mariage. Arthur est en boîte, avec un pote qui lui demande quelle fille il souhaite emballer. Arthur est indécis. Son pote lui fait remarquer qu'il se conduit comme une anémone de mer, qu'il ne se contente que des proies qui passent à sa portée. C'est pour ça qu'il ne se tape que des cas sociaux. Il lui conseille d'être un tigre, un prédateur. Arthur aperçoit Cassandre et se dit que c'est elle sa proie.

Trois heures plus tard, Arthur raccompagne une jeune femme aux cheveux roses jusque chez elle, en estimant qu'il a encore fait l'anémone de mer. Alors qu'il se livre à cunnilingus en éprouvant la sensation d'être un mouton en train de brouter, son amour propre reprend le dessus. Il trouve une excuse bidon et s'enfuit. Il se rend direct chez Cassandre et sonne. Elle le fait monter. Paul se trouve dans le salon et elle annonce la bonne nouvelle à Arthur. Il repart le moral dans les chaussettes et passe un coup de fil à Clara pour venir discuter chez elle. Arthur sonne à la porte et rentre dans l'appartement de sa copine, en lui indiquant direct qu'il ne vient pas pour une partie de jambes en l'air. Clara le trouve bien sûr de lui. Elle passe à la cuisine, lui sert un verre de whisky, et enlève son peignoir. En petite culotte, elle revient au salon et lui tend son verre. Il est complètement absorbé par sa propre situation et lui explique le coup de l'anémone de mer et qu'il se contente d'être le sextoy de service et que c'est pour ça qu'il ne se tape que des cas sociaux. Il continue tout haut sur ce qu'il recherche vraiment : l'amour de sa vie pour se mettre en couple. Clara l'écoute sans rien dire tout en constatant que ses charmes n'ont aucun effet sur lui.


Oui, les dessins conservent cette forme transgressive de montrer des personnages trop mignons, tout en rondeurs, avec cette apparence de bande dessinée pour jeunes lecteurs, aux couleurs acidulées, avec des grands yeux très expressifs, et des têtes plus grosses que la réalité, comme s'ils étaient à un stade de représentation narcissique d'eux-mêmes focalisés sur leurs émotions et leur individualité, et que leur corps n'est qu'un outil secondaire qu'ils appréhendent mal. Cette approche de la représentation de l'individu est toujours aussi troublante, peut-être même choquante, pour des gags qui comportement systématiquement une dimension sexuelle et parfois montrent un rapport sexuel. Malgré tout, le lecteur n'éprouve pas la sensation de succomber à des penchants pervers et monstrueux, car les états d'esprit se lisant sur les visages sont bien ceux d'adultes, il y a consentement à chaque fois : il ne peut pas y avoir de confusion avec des enfants. Ce mode de représentation se prête également facilement aux exagérations comiques. Cela commence par l'exagération des expressions des visages, que ce soit les mines blasées ou frustrées de Clara, ou l'étonnement et l'angoisse d'Arthur. Dans cet album, l'artiste utilise également d'autres images de type enfantine ou adolescente : Arthur qui se représente en tigre ou en hyène et dessiné comme telle dans la case, des onomatopées de type BIM, PAF, VLAM, des petits cœurs roses émis au-dessus de la tête de jeunes dames en train de se pâmer devant un beau mâle tendre, un cœur bien rouge et rond qui se brise, etc. 

D'un autre côté, Arthur de Pins n'hésite pas à représenter de manière explicite la nudité féminine et masculine dès la première page, de face, y compris le sexe en érection d'Arthur. Au long de ces pages, le lecteur va assister à quelques séquences chaudes comme une partie à quatre dans une boîte échangiste, un amant se planquant sous le lit, un striptease masculin effectué par un professionnel, une virée dans une boîte à striptease à Budapest, une fellation en groupe. Les dessins restent dans un registre érotique, avec toujours cette touche comique, rendant la situation plus amusante que scabreuse, toujours dans des rapports consentis. Ces occurrences sont assez nombreuses pour que l'horizon érotique et sexuel de l'ouvrage soit respecté, mais pas systématiques, pas dans chaque planche, ce qui fait que la fibre comédie dramatique reste prépondérante dans le récit. Comme dans les tomes précédents, l'auteur continue de soigner chacune de ses planches en s'investissant dans chacune des composantes de la narration visuelle. Le lecteur prend autant plaisir à regarder les tenues vestimentaires des hommes et des femmes, variées, en phase avec la personnalité, la situation sociale et l'activité de chaque individu, et de très belles toilettes pour la cérémonie de mariage. De Pins s'investit tout autant pour planter les décors avec des détails spécifiques : le motif du tapis du salon de Cassandre & Paul, la décoration intérieure de l'appartement de Clara, les différents produits sur les étagères du sexshop où Arthur achète une ceinture de chasteté, la rame de métro, le lit à baldaquin de Clara, la nappe à carreaux du restaurant où Clara mange avec ses parents, la décoration du bar à Budapest, l'aménagement du club de striptease dans la même ville, la magnifique pelouse du château où se déroule le mariage, etc.


De la même manière qu'il y avait un fil directeur dans le tome précédent, il y en a un dans celui-ci. Au thème du comportement de garce de Clara succède un pari, celui de rester abstinent pour Arthur et Clara (chacun de leur côté), jusqu'au mariage de leurs amis Cassandre & Paul. L'un comme l'autre aiment bien la bagatelle et Clara ne va pas se gêner pour pousser Arthur à la faute avec des stratagèmes variés, pendant qu'elle-même n'a aucune intention de respecter leur pari. Une partie des effets comiques provient donc de la tentation, de la résistance d'Arthur et des ratages : draguer Cassandre parce qu'il ne sait pas qu'elle va se marier, découvrir des amis dans une boîte échangiste, se prendre littéralement un râteau, traquer un amant ninja, avoir des pensées indécentes pour soulager une érection, succomber à la tentation dans une capitale réputée pour son tourisme sexuel, être identifié dans un film pornographique, etc. Ce qui reste très agréable est que finalement, l'auteur met en œuvre un humour gentil, respectueux de ses personnages, sans les humilier, sans les juger. Le comique joue à la fois sur les situations et sur les émotions visibles sur les visages.

Pourtant, cette suite de gags n'est ni inoffensive, ni pour tous les publics. Il y a bien sûr les pratiques sexuelles explicites, mais aussi une liberté qui va à l'encontre de la bienséance bourgeoise, de la bienpensance. Sous des dehors mignons et enjolivés, se trouve une volonté de jouir de la vie sans entrave, émancipé de la morale judéo-chrétienne. Il est question d'amour libre, d'envies sexuelles librement exprimées, de drague assumée, de Clara qui joue de ses charmes, d'Arthur qui est toujours consentant, de sextoys, de boîte échangiste, de plan à trois, de stripteaseur, de professionnels du sexe, avec toutefois le fait que ces choses de la vie intime ne peuvent pas être publiques, ne peuvent pas être affichées en toute transparence dans la bonne société. Plusieurs situations sont indécentes mais elles ne sont pas obscènes : elles donnent à voir l'intimité de relations interpersonnelles, des réalités évidentes, mais souvent tues. Une autre partie des rires provient de cette transgression qui dit clairement ce qui d'habitude ne se dit pas. Or en regardant les personnages, ils semblent plutôt vivre plus sereinement en étant transparents sur le sujet, plutôt que de le taire. De ce point de vue, l'auteur ne se gêne pas pour pousser le lecteur dans ses retranchements, en particulier quand Arthur s'invite à la table de Clara et ses parents dans un restaurant pour déballer la vie sexuelle de Clara devant eux. Le gag fait dans l'outrance pour choquer et provoquer le rire, mais il lève aussi l'hypocrisie qui voudrait que, passé un certain âge, les parents aient tout oublié de leur vie sexuelle, et qu'ils ne puissent pas envisager que leurs enfants mènent leur propre vie sexuelle.

Ce quatrième et dernier tome est dans la droite lignée des trois précédents avec des gags portant sur les ébats de Clara et Arthur, chacun de leur côté, avec des échecs plus moins épiques, et des dessins toujours kawaï, en décalage avec le sujet, et une tendresse évidente de l'auteur pour ses personnages. Il constitue aussi une évolution dans le sens où la suite de gags s'inscrit dans une histoire globale, et l'opposition entre la réalité de la vie sexuelle et la bienséance sociale se fait plus irréconciliable.



6 commentaires:

  1. "Chibi" dans ton article sur le numéro précédent, "kawaii" dans celui-ci ; y a-t-il une différence, et si oui, quelle est-elle ?

    "Arthur". Forcément, lorsque l'on a le prénom de l'auteur en tête, on peut se demander s'il y a une vague dimension autobiographique dans tout cela.

    Enfin, je note qu'il semble s'agit du dernier tome de la série. As-tu l'intention de faire d'autres séries de cet auteur ?

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    1. Pour les termes japonais, un petit tour sur wikipedia

      Kawai (ou Kawaii) : Mignon, spécialement en parlant de la pop culture japonaise.

      Chibi : Personnage enfantin avec des caractéristiques physiques exagérées.

      Pour Chibi, j'avais en particulier cru comprendre que, dans le contexte des mangas, ça s'applique à des personnages dessinés avec un corps d'enfant, et une tête un peu plus grosse que la normale, pas loin d'une figurine Funko Pop.

      Je me suis posé la même question pour Arthur, et peut-être encore plus pour Clara / Maïa, cette dernière étant une journaliste française dont la majeure partie de son travail tant éditorial que fictionnel se porte sur les questions de sexualité, de la répartition des rôles hommes-femmes.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AFa_Mazaurette

      Il existe des tomes hors série de Péchés mignons, mais ils ne me tenten pas. Je brûle d'envie de lire Zombillénium, mais il faut auparavant que je fasse diminuer significativement la taille de ma pile à lire, des mes piles à lire en fait.

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  2. "un humour gentil, respectueux de ses personnages, sans les humilier, sans les juger" Entre ça avec lequel je suis complètement d'accord et tout le paragraphe suivant, ton article est nécessaire Présence. Je ne te remercierai jamais assez de m'avoir poussé à investir dans cette série. Elle se relit à l'envi, les dessins sont super, le ton est bienveillant et drôle et socialement intéressant, ce sont quatre tomes qui ne me quitteront plus. Merci !

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    1. Cool : un client satisfait. :)

      Cette lecture m'avait donné envie d'en apprendre plus sur Maïa Mazaurette.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AFa_Mazaurette

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  3. Ah et Zombillenium c'est super. Je dois en faire un article en fait...

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    1. Je suis très preneur d'un article sur Zombillenium car j'ai une envie irrésistible de m'y mettre.

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