mercredi 7 avril 2021

L'âge d'or - Tome 2

C'est un beau jour qui commence.


Ce tome fait suite à L'âge d'or - tome 1 - L'âge d'or T1/2 (2018) qu'il faut avoir lu avant, car c'est la deuxième moitié d'une histoire complète. La première édition date de 2020. L'histoire a été coécrite par Cyril Pedrosa & Roxanne Moreil et mise en images par Pedrosa. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs comprenant 183 planches. Pedrosa a réalisé les couleurs du livre avec l'aide de Joran Tréguier et Marie Millotte.


Sur une mer démontée, un grand navire à voile est ballotté. Une chaloupe est mise à la mer avec à son bord Bertil, et une autre personne. Ils sont accueillis sur la côte par une troisième personne qui les mène au château du prince Edwald. Sur les remparts de ce même château, Poudevigne et Petit Paul ont été enrôlés de force pour être soldats et ce soir-là, ils montent la garde sur les remparts. Le premier indique au second qu'il le laisse surveiller, pendant que lui pique un petit roupillon. Le second le réveille de suite parce qu'il s'est rendu compte qu'il ne sait pas comment s'y prendre. Puis ils se mettent à parler d'une bonne soupe chaude, d'être soldats, et de ce qui va se passer quand ceux d'en bas vont attaquer. Petit Paul se met à trembler d'angoisse à l'idée d'une bataille, et Poudevigne lui promet qu'il le protègera. Puis ils parlent de Languile qui est resté en Péninsule et qui doit être un homme libre, peut-être avec un petit lopin de terre à lui, et la panse bien remplie. La neige tombe sur les remparts, sur la ville à l'intérieur des fortifications, et sur les assiégeants à l'extérieur des fortifications. Au printemps le siège est toujours en place, et la princesse Tilda en armure mène un nouvel assaut sur le mur d'enceinte. Les flèches pleuvent depuis les remparts et font quelques morts parmi les soldats. Un beffroi a été amené et mis à proximité des remparts, avec une passerelle atteignant presque le mur d'enceinte. Les soldats qui s'avancent dessus essuient une pluie de flèches : une partie meurt, une autre se replie dans la tour. Tilda donne l'ordre de faire reculer le beffroi, sous le regard amusé de son frère Edwald qui contemple la scène depuis une tour à l'intérieur de l'enceinte.


Le soir venu, autour de la table du repas, Edwald se plaint de ne plus supporter de voir ces cloportes au pied des remparts. Son conseiller Loys de Vaudémont l'informe que leurs bataillons de la Péninsule ne sont plus qu'à une dizaine de jours de marche, et qu'ils pourront ainsi prendre Tilda en tenailles. Un autre noble à la table demande pourquoi ces troupes n'ont pas été rappelées plus tôt, au lieu de les disperser en Péninsule. Vaudémont répond qu'il aurait été absurde de lancer la contre-attaque au milieu de l'hiver, et que l'occupation de la Péninsule a permis de maintenir la pression sur les provinces insurgées. Un cousin d'Edwald arrive pour lui montrer, un tract placardé sur les murs. On peut y lire : Souviens-toi des hivers passés, jamais des tyrans rien ne fut donné, l'âge d'or est revenu ! Sur la côte, un compagnon d'arme accueille Hellier le tabellion et lui indique qu'il pourra rencontrer Languile au rendez-vous convenu. Dans la grande salle à manger de la tour en hauteur, Edwald contemple la grand-place, ainsi que les lumières de la citadelle. De son côté, à l'étage d'une auberge, Tilda contemple les lumières des feux de camps de son armée. Elle se rend devant la cheminée et regarde les marques sur son cou. Elle enlève la partie supérieure de son armure et constate que la blessure sur son bras gauche saigne encore. Elle passe dans la pièce voisine pour aller ouvrir le haut coffre qui contient l'Âge d'Or.



Comme il s'agit d'un diptyque, le lecteur revient pour avoir la fin de son histoire. Il se rend vite compte que les auteurs ont construit cette deuxième partie avec une unité de lieu et d'action : l'armée de Tilda fait le siège du château de sa famille pour le reprendre des mains de son frère Edwald, plus jeune qu'elle, donc illégitime sur le trône. En trame de fond, se trouve la question de l'Âge d'Or, à la fois un livre bien réel qu'il est possible de tenir dans ses mains, à la fois une métaphore, celle de l'organisation d'une société bénéfique pour tous ses citoyens. Comme dans le premier tome, les auteurs déroulent clairement leur intrigue : elle suit le schéma classique de l'héritier du trône évincé par une guerre de succession qui revient reprendre son dû. Tilda est une véritable héroïne, combattante émérite, prenant la tête de ses armées sur le champ de bataille et lors des affrontements, devant forger des alliances. En face, son frère commande son armée sur la base des conseils de Loys Vaudémont qui est le véritable chef de l'exécutif, qui prend les décisions permettant d'assurer la continuité du pouvoir en place. La narration visuelle reste toujours aussi originale, avec une palette de couleurs qui sort de l'ordinaire, et une façon de représenter les personnages et les décors qui évoque un temps mythique, pour raconter un conte.


Par rapport à la découverte du premier tome, l'effet de surprise des dessins est passé. Pour autant, le lecteur retrouve bien la mise en images qui impressionne par son foisonnement, par ses couleurs surprenantes, par sa forme aventureuse, et par sa rigueur et sa précision, ainsi que par les détails concrets. Ce deuxième tome commence comme le premier par un dessin qui s'étale sur 7 pages. Le lecteur y retrouve la précision des éléments représentés : le trois-mâts, les hautes murailles qui entourent la citadelle, les tentes du camp des assiégeants, la tour de siège (appelée beffroi par les personnages), l'auberge, la campagne et les bois alentours, le coffre haut abritant l'Âge d'Or, la grand-place avec son gibet, la tour dans laquelle Edwald s'est réfugié avec sa garde rapprochée. En fonction de la séquence, l'artiste peut réaliser une représentation plus ou moins simplifiée, tout en conservant un bon niveau de détails. Les personnages évoquent parfois une représentation à la Walt Disney, mais avec plus de détails et plus de texture, à nouveau une approche visuelle entre conte pour enfants, et nuances pour adultes. Le lecteur constate également que l'artiste a conservé son processus de mise en couleurs si particulier, ainsi que les teintes inattendues. En fonction des pages et des cases, certaines formes sont détourées par un trait de contour, dont la couleur varie en fonction des éléments, très rarement noir. Le contour de la plupart des formes n'est défini que par la couleur, comme dans un procédé de couleur directe. L'étrangeté des dessins est accentuée par le fait que l'artiste utilise essentiellement des aplats de couleurs, sans dégradé progressif, mais avec des juxtapositions pouvant évoquer des dessins animés des années 1960, ou des effets infographiques.


S'il s'agit bien de la suite du tome 1, il n'y a pas de répétition, et le lecteur se retrouve surpris à bien des moments qu'il s'agisse de la narration visuelle ou de l'intrigue. Il se souvient bien de passages somptueux dans le premier tome, et il en découvre d'autres tout aussi somptueux ici, de nature différente : les remparts, la charge des armées contre les murailles, le rayonnement de l'Âge d'Or, la végétation dans les bois, les deux incendies, le crépuscule pourpre, la révélation pleine et entière de l'Âge d'Or, autant de moments où il en prend plein les mirettes. Le dessinateur ne se montre pas démonstratif, il donne à voir des sensations, des ressentis, des phénomènes, leur apportant une consistance extraordinaire qui transporte réellement le lecteur dans cette vision entre conte et onirisme. Il réalise à nouveau de magnifiques pages sans texte, environ une trentaine au total. Il n'y a pas de répétition non plus dans l'intrigue. Dans un premier temps, le lecteur peut être un peu décontenancé par l'unité de lieu, par l'absence de nouveaux voyages. Il constate qu'il y a peu de nouveaux personnages (messire Landeproix), tout en retrouvant avec plaisir ceux déjà présents dans la première partie : Tilda, Edwald, Tankred de Malefort, Languile, Petit Paul, Poudevigne, Hellier le tabellion, Loys de Vaudémont, Bertil. Il se rend compte que chaque protagoniste dispose de sa personnalité, de son caractère, de son positionnement social. Il apprécie qu'une soldate mentionne Abigaëlle et sa communauté. 


Le temps est également venu de mener l'intrigue à son terme, à la fois pour l'issue de la reconquête du trône par Tilda, à la fois pour le potentiel avènement de l'âge d'or qui donne son titre à la bande dessinée. D'un côté, le lecteur trouve une partie des conventions de genre auxquelles il s'attend : le courage de l'héroïne, les hauts faits d'arme, la cruauté des méchants, l'assistance des compagnons de l'héroïne, les combats dont les bons sortent victorieux contre les méchants. D'un autre côté, les auteurs restent bien dans un registre adulte : même si les archers d'Edwald ne sont pas très doués (ils n'arrivent pas à toucher Tilda qui est en première ligne), ils font des ravages parmi les soldats qui meurent réellement. Il y a même une séquence où Tilda est à côté d'un de ses soldats qui rend son dernier soupir, décédant de sa blessure. En outre, la princesse est confrontée à la nécessité d'une alliance avec un ancien opposant, ce qui joue sur le fait que les relations de pouvoir ne sont pas manichéennes et qu'elles sont évolutives. Enfin l'héroïne elle-même n'est pas à la hauteur de l'idéal de l'Âge d'Or, et elle en souffre physiquement. Le thème de fond du récit sur l'utopie est développé de manière adulte : les morts au combat, l'obligation de mener une lutte mortelle, une prise de pouvoir sanglante au nom d'un idéal, l'engagement actif au péril de sa vie (être du côté de ceux qui n'ont rien, ou de leurs maîtres), la nécessité de participer à la vie de la société. Il subsiste une ambiguïté majeure, celle du meneur. Le récit remet visiblement en question les motivations de Tilda, sans pour autant proposer d'alternative à construire ou théorique à la désignation d'un chef temporel.


Ce deuxième tome tient toutes les promesses du premier. Cyril Pedrosa réalise des planches toujours aussi enchanteresses, combinant spectacle et narration personnelle, avec une sensibilité rendant vivants et attachants tous les personnages. Le scénario suit un chemin tout tracé relevant du conte classique, avec des composantes adultes et une réflexion sur les conditions politiques pour un âge d'or des êtres humains.


3 commentaires:

  1. Je voudrais savoir comment s'appelle cette technique de représentations multiples du ou des mêmes personnages dans la même "vignette" / dans la même scène, mais à des moments différents et dans des postures différentes.
    C'est le cas de la première planche que tu proposes : on y voit Tilda à trois endroits différents, mais dans la même scène. C'est aussi le cas de la troisième, où sa silhouette apparaît quatre fois à des instants différents, mais au même endroit. Et c'est encore le cas dans la quatrième planche, avec Vaudémont qui apparaît deux fois.
    Sais-tu comment appelle-t-on cette technique de narration graphique ?

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    1. Non, je ne savais pas comment ça s'appelle.

      Après quelques recherches sur internet, cela s'approche de l'effet Marey.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Marey

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    2. "En bande dessinée, il s'agit de représenter au sein d'une même vignette un corps ou un membre de ce corps dans les différentes phases d'un mouvement afin de rendre perceptible sa trajectoire." : comme tu dis, cela s'en approche, mais ce n'est pas vraiment ça. Merci en tout cas d'avoir partagé le lien vers l'article, parce que je ne connaissais pas le nom de cet effet.

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