mercredi 10 mars 2021

Péchés mignons - Tome 03

Ce soir on part en chasse, ça va cartoucher sévère.


Ce tome fait suite à Péchés mignons - Tome 02 (2007) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Sa première publication date de 2008. Il a été écrit, dessiné, encré et mis en couleurs par Arthur de Pins. Il contient 42 gags, dont 33 coécrits par Maïa Mazaurette.

Cette fois-ci, c'est au tour de Clara (la copine semi régulière d'Arthur) de tenir la vedette des gags. Clara s'est inscrite dans un groupe de paroles et lors de la première réunion elle évoque sa réputation de mangeuse d'hommes. C'est au tour de sa voisine de prendre la parole et Vanessa évoque également son grand appétit sexuel : elle note même les caractéristiques et les performances de chacun de ses amants dans un carnet. Clara se rend compte qu'elle reconnaît quelques noms. Clara regarde un reportage à la télévision sur les pompiers, et se dit qu'elle ne s'en ait jamais fait un. Elle simule un départ de feu chez elle pour en attirer en déclenchant une intervention. Clara est en train de s'admirer dans le miroir en se disant qu'elle ne veut surtout pas se rendre à l'anniversaire des 80 ans de sa grand-mère, d'autant qu'elle a rendez-vous avec un jeune homme au corps de dieu grec, mais un peu timoré. La conversation s'engage et tourne vite autour des prouesses de Clara. Le mur qui sépare l'appartement de Clara de celui de ses voisins est assez fin et elle les entend discuter en se félicitant d'avoir passé plusieurs nuits tranquilles sans entendre les ébats de leur voisine. Elle se dit que sa réputation est en jeu et qu'il faut absolument qu'elle simule. Clara regarde le résultat dans la glace : elle est parfaite, jambes épilées maillot fait, aisselles d'une propreté irréprochable. Mais voilà tous ces copains sont déjà occupés pour la soirée. Elle n'a quand même pas fait ça pour rien ?

Pour se venger d'une collègue ayant répandu une rumeur sur elle, Clara grave le numéro de portable de Johanna dans les toilettes du bureau, en vantant la qualité de ses fellations. Trois jours plus tard, elle va taper la discute avec elle à la réception. C'est la première fois que Clara se retrouve au lit avec un professionnel de l'industrie de la pornographie et ça lui met plein d'idée en tête. Lors d'un cocktail dans un bar organisé par le bureau, Clara a déjà quelques verres dans le nez et elle aborde Ken Montgomery, le nouveau directeur du département haute couture. Clara est au bar, dans une boîte, avec deux autres copines et elles évaluent les mecs autour d'elles, en parlant fort pour évoquer ce qu'elles feraient bien avec l'un ou l'autre au lit. Clara se réveille dans un lit qui n'est pas le sien, avec un mec à ses côtés qui dort encore. Elle constate qu'elle a dormi toute la journée et elle fait tout pour s'habiller en silence, et partir en catimini, quand la sonnerie de son portable retentit bien fort.



Le lecteur retrouve d'emblée la patte visuelle si particulière de l'auteur : des personnages trop mignons parlant sexe. Il les représente en version chibi, avec une tête trop grande pour le reste du corps, des courbes voluptueuses pour les femmes, des statures très normales pour les hommes sans musculature travaillée. Cela donne une apparence mignonne à tout le monde, qu'il soit jeune ou vieux, une apparence enfantine. Cela produit un effet déconcertant la première fois, de voir des silhouettes d'enfant, mais sexuellement formées, pour des activités d'individus biologiquement adultes. Il est impossible de résister à leur aspect très mignon qui provoque une sympathie irrépressible et immédiate, à leurs grands yeux qui les rendent si expressifs. En outre, Clara est le plus souvent souriante et gaie, ce qui la rend encore plus irrésistible en tant que personne aimable et agréable, même sans son côté séductrice. C'est comme s'il voyait l'enfant intérieur de chaque individu s'exprimer sans retenue, avec des émotions non filtrées, et un entrain communicatif. En outre l'artiste sait parfaitement jouer de la grande taille de leurs yeux dans leur bouille toute ronde pour faire encore plus apparaître ces émotions et l'état d'esprit.

D'un autre côté, le dessinateur ne néglige en rien les autres éléments graphiques. Il représente les décors avec un bon niveau de détails : cuisine, cafétéria, chambre à coucher, banque d'accueil, boîte de nuit, poste de travail, bar, plateau de jeu télévisé, salle de réunion, salle de radiologie, cabinet de kinésithérapeute, rue, salle de sports, salle de bain, sauna… Le lecteur peut constater que ces environnements sont représentés de manière plus réaliste que les personnages et l'artiste semble y prendre plaisir car il y remarque des accessoires très personnalisés : le modèle de cuisinière de Clara, la forme des fauteuils dans la cafétéria, la boule à facettes dans la boîte de nuit, les tableaux au mur des bureaux où travaille Clara, le motif imprimé sur le paravent dans la chambre de Clara, les Vélib dans une rue de Paris, les motifs sur le drap d'un lit d'enfant, et quelques jouets sexuels. Le lecteur se rend même compte que l'artiste parvient à lui faire imaginer un endroit quand il ne le représente pas à deux reprises : dans la pièce où se tient la réunion du groupe de parole, dans la rue pour une conversation à bâton rompu. Il apporte le même soin et la même diversité dans les tenues vestimentaires des hommes et des femmes, sans oublier la lingerie fine pour ces dernières. Pour autant, leur apparence enfantine neutralise la dimension érotique visuelle.



Chaque histoire constitue un gag avec un chute, et plusieurs autres éléments comiques dans les vignettes. La majeure partie des gags est en une page, sauf 1 en 2 pages et 1 en 3 pages, avec plusieurs bandes de cases, à l'exception de 3 sous forme de dessin en pleine page. Il est question de sexe à chaque gag, celui d'ouverture servant à établir que Clara assume son goût pour les parties de jambes en l'air et qu'elle drague sans vergogne tous les beaux mâles y compris les jeunes. Avec sa coscénariste, de Pins met en scène l'appétit de Clara, essentiellement sous la forme de la recherche d'un partenaire, allant du jeune stagiaire dans son entreprise, à un collègue décati (une erreur de jugement après avoir bu trop de verres), en passant par le directeur du département haute couture, une collègue de travail (pour avoir essayé au moins une fois une relation homosexuelle), et se rabattant sur un sextoy faute de mieux. Le gag le plus aventureux hors des sentiers hétéronormatifs se fait sous forme de suggestion (rien n'est montré) d'un cunnilingus avec un chien à la langue bien pendante. Le comique joue sur la frustration de Clara, ses plans qui ne fonctionnent pas, ou des stratégies trop tirées par les cheveux pour conclure, ses faux pas, mais aussi sa volonté de donner le change face à ses copines ou ses voisins pour maintenir l'image d'une vie sexuelle bien emplie et aventureuse, sa capacité à manipuler les hommes, ses amants potentiels. Il s'agit d'un humour bon enfant (indépendamment du sujet), sans relation malsaine ou dégradante.

Au fil des situations, le lecteur peut voir apparaître en creux des éléments sociétaux reflétant l'époque. Il y a bien sûr la question de l'image de la place de la femme dans la société. Le temps d'une page, Clara s'imagine en superhéroïne destinée à sauver les hommes souffrant de misère sexuelle, ce qui donnera lieu à un album Péchés capitaux, Tome 1 : SuperSexy (2009). Passé cette représentation un peu soumise de la femme dévouée pour contenter les hommes, dans un gag (page 14), Clara exprime à haute voix à plusieurs hommes métrosensibles son envie d'un homme, un vrai qui la bouscule, mais la chute la montre en train flanquer un coup de boule à un homme qui lui a mis une main aux fesses. Cette critique sur l'objectification de la femme se retrouve avec une meute de gugusses à moto tous derrière Clara à Scooter en minijupe, et avec un gag encore plus clair sur les tentatives de drague lourdes et crétines qu'elle subit tout le long de la journée.



Au travers de ces gags, l'auteur représente, de manière plus ou moins exagérée, le milieu professionnel dans les bureaux d'une entreprise (vraisemblablement) de communication, avec les relations de drague au bureau, les réunions au bar après le travail, etc. Il met également en scène des évolutions plus récentes comme les sites de rencontres, ou la spécialisation à outrance des métiers (un individu spécialisé dans les sexerices à domicile pour s'entraîner). Le comportement de Clara croqueuse d'hommes renvoie également à la libération des mœurs, au jugement de valeur qui peut être porté sur une femme ayant choisi ce mode de vie, le mot Garce employé dans le titre étant ironique et non moralisateur. Le terme est à la fois un peu moqueur vis-à-vis de Clara qui ne réussit pas toujours à atteindre l'objectif qu'elle s'est fixé, mais aussi un pied de nez au lecteur réactionnaire, car elle mène sa vie ainsi, comme elle l'entend, en toute liberté. La narration visuelle désamorce toute gravité, toute condescendance, tout en faussant le regard du lecteur, les aventures de Clara perdant finalement leur potentiel érotique.

Un troisième tome des Péchés Mignons, ça ne se refuse pas : il est trop agréable de retrouver ces personnages si mignons, et ces gags sympathiques, drôles sans être méchants, respectueux de ses personnages, l'auteur les mettant en scène avec affection. Le titre annonce une femme fatale sans pitié avec ses conquêtes : les gags montrent une femme assurée et sachant ce qu'elle veut, tout en restant faillible.



4 commentaires:

  1. Deux ans se sont écoulés entre la lecture des deuxième et troisième tomes. Je suppose qu'il n'y a pas là de continuité encombrante, mais ça me surprend quand même, car tu as l'habitude de calendriers plus serrés, si je puis dire - enfin, pour d'autres séries, en tout cas.

    Je ne connaissais pas le terme "chibi" avant de me renseigner sur "Little Gotham", que je n'ai d'ailleurs pas réussi à lire.
    À vue de nez, et en me basant uniquement sur les planches que tu as insérées en extraits, je remarque une certaine uniformité des plans et des perspectives ; est-ce là l'une des caractéristiques de ce style, ou est-ce le choix de l'auteur ?

    J'aime bien cet article, notamment l'analyse de la partie graphique, ainsi que celle des discours sous-jacents de l'album - et sans doute de la série en général.

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    1. Comme tu le dis, il n'y a pas de continuité très forte. Je n'ai éprouvé aucune difficulté à retrouver le nom des deux protagonistes principaux, et à me souvenir de la dynamique de leur relation.

      Le terme Chibi : il a fallu que j'aille le chercher pour mon commentaire sur Multiversity (2014/2015), de Grant Morrison, pour l'épisode dessiné par Marcus To (Guidebook).

      2 ans : je n'avais pas d'envie particulière de reprendre la série, et il y avait tellement d'autres BD qui n'attendaient que mon bon vouloir, que je l'ai laissée de côté. Il y en a une ou deux autres dans ce cas-là, depuis que j'ai commencé le blog… mais je ne les ai pas oubliée. :)

      Une certaine uniformité des perspectives : j'avoue n'y avoir pas prêté attention. En lisant ta remarque, je me dis que je suis habitué au fait que les séries de type gag court, fonctionne souvent sur une mise en scène dépouillée de type comédiens de Stand-up sur une scène, pour focaliser l'attention du lecteur sur le gag (en fait, je n'en sais rien en termes statistiques, mais je suis en train de lire un recueil de gags de Dilbert, par Scott Adams, et c'est le cas). Je tâcherai de me poser la question la prochaine fois que je commente un album de gags d'une ou deux pages (mince maintenant que des exemples me reviennent en tête, ce n'est pas vrai pour les gags courts de la série Léonard le génie).

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  2. En parlant de séries... Tu as fini "Dick Hérisson", tu es à jour sur "Caroline Baldwin", et "Animal lecteur" et "Jessica Blandy" touchent tout doucement à leur fin. Que prévois-tu comme séries, dans les mois à venir ?

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    1. La prochaine série longue sera sûrement Capricorne d'Andreas, mais dans plusieurs mois car il y a beaucoup d'autres BD que je souhaite lire d'ici là.

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